Correspondance de Voltaire/1767/Lettre 6803

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6803. — À M. LE MARQUIS DE XIMENÊS.
À Ferney, 18 mars.

Je vous ai déjà mandé[1], monsieur le marquis, que je n’avais jeté sur le papier que des notes informes, de simples indications pour me faire souvenir de ce que je dois dire quand vous m’aurez envoyé le reste. Si vous ne me l’envoyez pas, que puis-je faire ? rien. Je sais bien que Racine est rarement assez tragique ; mais il est si intéressant, si adroit, si pur, si élégant, si harmonieux ; il a tant adouci et embelli notre langue, rendue barbare par Corneille, que notre passion pour lui est bien excusable. M. de La Harpe est tout aussi passionné que nous ; il s’indigne avec moi qu’on ose comparer le minerai brut de Corneille à l’or pur de Racine.

Vous savez qu’il a répondu à l’abbé de Rancé, et que l’épître du moine[2] vaut beaucoup mieux que l’épître de l’abbé. Je présume qu’il vous a envoyé les corrections nécessaires qu’il a faites à ce bel ouvrage. Je me flatte que vous en ferez faire plusieurs copies, pour l’édification de ceux qui aiment la raison et les vers.

Si vous n’avez vu les Scythes que dans l’édition des Cramer, vous n’avez point vu la pièce. Je la corrige tous les jours, et j’y ai fait plus de cent vers nouveaux ; on n’a jamais fini avec une tragédie. Il est beaucoup plus aisé de faire toute l’Histoire de Rollin qu’une seule pièce de théâtre. Je ne sais si on jouera les Scythes avant ou après Pâques, et si même on les jouera jamais. J’ai fait cette pièce pour m’amuser, et pour la jouer à Ferney. Si elle peut servir à faire gagner quelque argent aux comédiens de Paris, à la bonne heure. Nous fermons notre théâtre à Ferney tant que madame la dauphine sera en danger. Je vous assure pourtant que je ne crois pas qu’elle meure ; et ma raison, c’est que les médecins l’ont condamnée.

Adieu, monsieur ; mille tendres respects du meilleur de mon cœur.

  1. Lettre 6741.
  2. Voyez tome XXVI, page