Correspondance de Voltaire/1767/Lettre 6887

La bibliothèque libre.
Correspondance : année 1767GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 45 (p. 265-266).
6887. — À M. LE CARDINAL DE BERNIS.
18 mai.

Voici, monseigneur, deux exemplaires du mémoire en faveur des Sirven, et de la nature, et de la justice, contre le fanatisme et l’abus des lois. J’aime mieux vous envoyer cette prose que la tragédie des Scythes, que je n’ai pas seulement voulu lire, parce que les libraires s’étant trop hâtés n’ont pas attendu mon dernier mot. On en fait actuellement une édition plus honnête, que j’aurai l’honneur de soumettre au jugement de Votre Éminence. Je joue demain un des vieillards sur mon petit théâtre, et vous sentez bien que je le jouerai d’après nature.

Vraiment, si je suis assez heureux pour vous dédier une épître, cette épître ne sera que morale ; mais il faut que cette morale soit piquante, et c’est là ce qui est difficile.

Ce M. Servan[1] se taille des ailes pour voler bien haut. Il vint, il y a deux ans, passer quelques jours chez moi. C’est un jeune philosophe tout plein d’esprit ; il pense profondément ; il n’a pas besoin des petites pretintailles du siècle.

J’ai peur que notre guerre de Genève ne dure autant que celle de Corse ; mais elle ne sera pas sanglante. L’aventure des jésuites fait une très-grande sensation jusque dans nos déserts ; et on parle à peine d’une femme[2] qui établit la tolérance dans onze cent mille lieues carrées de pays, et qui l’établit encore chez ses voisins. Voilà, à mon gré, la plus grande époque depuis trois siècles.

Conservez-moi vos bontés, aimez toujours les lettres, et agréez mon tendre et profond respect.

  1. Il venait de publier son Discours sur l’administration de la justice criminelle, 1767, in-8°.
  2. Catherine II, impératrice de Russie.