Correspondance de Voltaire/1767/Lettre 6913

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Correspondance : année 1767GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 45 (p. 290-292).
6913. — À M. DAMILAVILLE.
12 juin.

J’ai vu M. de Voltaire, monsieur, comme vous me l’avez ordonné par votre lettre du 2 de juin. Sa santé décline toujours, et ses sentiments pour vous ne s’affaiblissent pas.

Sirven, que vous protégez, est parti avec une lettre pour vous. Nous nous flattons que vous le présenterez à M. Cassen, avocat au conseil, et qu’il obtiendra le rapport de son affaire. Je n’ai encore aucune nouvelle sur celle de M. et deMme de Beaumont. Il serait fort triste que notre ami succombât.

Pourriez-vous m’envoyer le dernier factum de sa partie adverse ? Voulez-vous bien avoir la bonté défaire donner cinquante-trois livres au sieur Briasson ?

La Seconde Lettre de M. Lembertad se débite à Genève, mais elle n’est point encore à Lyon. Je ne sais comment je pourrai faire pour la lui envoyer, car il est très-sévèrement défendu de faire passer des imprimés du pays étranger à Paris, quoiqu’il soit permis d’en envoyer de Paris chez l’étranger. La raison m’en paraît plausible : les livres imprimés hors de France n’ont ni approbation ni privilège, et peuvent être suspects ; mais les moindres brochures imprimées en France étant imprimées avec permission, et munies de l’approbation des hommes les plus sages, elles portent leur passe-port avec elles. Ainsi j’ai reçu sans difficulté l’excellent Supplément à la Philosophie de l’Histoire, et l’Examen de Bélisaire, composés au collège Mazarin ; mais je ne crois pas qu’on puisse avoir les réponses à Paris. Il est d’ailleurs très-difficile de répondre à ces ouvrages supérieurs, qui confondent la raison humaine.

On a fait en Hollande une sixième édition du Dictionnaire philosophique. Apparemment que ce livre n’est pas aussi dangereux qu’on l’avait présumé d’abord. On y a ajouté plusieurs articles de divers auteurs. J’en ai acheté un exemplaire. Je vous avoue que j’ai été très-content d’y voir partout l’immortalité de l’âme, et l’adoration d’un Dieu. Au reste, il est ridicule d’avoir attribué ce livre à M. de Voltaire, votre ami ; c’est évidemment un choix fait avec assez d’art de plus de vingt auteurs différents.

On me mande aussi qu’on imprime à Amsterdam un ouvrage curieux de feu milord Bolingbroke[1] ; mais il faut plus de trois mois pour que les livres de Hollande parviennent ici par l’Allemagne. Je crois que toutes ces nouveautés vous intéressent moins que les deux vingtièmes. Nous sommes gens de calcul à Genève[2], et nous jugeons que la continuation de cet impôt est indispensable, parce que l’État doit payer les dettes de l’État.

Au reste nous espérons que nos affaires finiront bientôt, grâce aux bontés de Sa Majesté, qui est aussi aimée et aussi révérée à Genève qu’en France.

J’ai l’honneur d’être, monsieur, votre très-humble serviteur.

Boursier.

  1. L’Examen important ; voyez tome XXVI, page 195.
  2. Voltaire a dit, dans la Guerre civile de Genève, chant I, vers 21 (voyez tome IX) :

    On y calcule, et jamais ou n’y rit.