Correspondance de Voltaire/1767/Lettre 6933

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Correspondance : année 1767GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 45 (p. 309-310).
6933. — À MADAME LA DUCHESSE DE SAXE-GOTHA[1].
À Ferney, par Genève, 8 juillet 1767.

Madame, la vieillesse, la maladie et la retraite, me laissent bien rarement la consolation d’écrire à Votre Altesse sérénissime. Les embarras causés par les troubles de Genève, des troupes de France envoyées dans notre petit pays, la longue interruption de toute communication, la disette qui est attachée à ces petites révolutions, et toutes les peines journalières qui en résultent, voilà bien de tristes raisons, madame, qui excusent un si long silence.

À toutes ces peines s’est jointe une nouvelle horreur de La Beaumelle. Votre Altesse sérénissime peut se ressouvenir qu’après avoir insulté votre auguste nom dans un mauvais livre intitulé Mes Pensées, il osa paraître dans Gotha, et qu’il en sortit précipitamment avec une fille qui avait volé sa maîtresse. Il a eu en dernier lieu la hardiesse d’imputer cette dernière action à un autre Français, qui s’est adressé à moi pour se plaindre de cette calomnie et pour demander mon témoignage. J’ai été obligé de le donner, attendu que j’ai été témoin de la vérité, et que tout Gotha avait vu La Beaumelle partir avec cette malheureuse, lorsque je vins vous faire ma cour. Il n’est pas juste en effet, madame, que l’innocent pâtisse pour le coupable. Aucun autre Français que La Beaumelle ne serait capable de ce procédé. J’ai donc cru que je ne manquais pas à ce que je dois à Votre Altesse sérénissime en donnant un certificat authentique devant les juges du point d’honneur, qu’on appelle en France la connétablie. Ce certificat atteste que ce fut La Beaumelle, et non un autre, qui partit de Gotha avec une servante qui avait volé sa maîtresse. Cette affaire est très-importante pour le gentilhomme faussement accusé. Mon devoir est de vous en rendre compte. Je me flatte que votre équité approuvera ma conduite.

Je me mets aux pieds de monseigneur le duc et de toute votre auguste maison. Permettez-moi, madame, de ne point oublier la grande maîtresse des cœurs. Agréez le profond respect avec lequel je serai jusqu’au tombeau, madame, de Votre Altesse sérénissime le très-humble et très-obéissant serviteur.

  1. Éditeurs, Bavoux et François.