Correspondance de Voltaire/1767/Lettre 6943

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Correspondance : année 1767GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 45 (p. 318).
6943. — À M. DEPARCIEUX[1].
À Ferney, le 17 juillet.

Vous avez dû, monsieur, recevoir des éloges et des remerciements de tous les hommes en place : vous n’en recevez aujourd’hui que d’un homme bien inutile, mais bien sensible à votre mérite et à vos grandes vues patriotiques. Si ma vieillesse et mes maladies m’ont fait renoncer à Paris, mon cœur est toujours votre concitoyen. Je ne boirai plus des eaux de la Seine, ni d’Arcueil, ni de l’Yvette, ni même de l’Hippocrène ; mais je m’intéresserai toujours au grand monument que vous voulez élever. Il est digne des anciens Romains, et malheureusement nous ne sommes pas Romains. Je ne suis point étonné que votre projet soit encouragé par M. de Sartines. Il pense comme Agrippa ; mais l’Hôtel de Ville de Paris n’est pas le Capitole. On ne plaint point son argent pour avoir un Opéra-Comique, et on le plaindra pour avoir des aqueducs dignes d’Auguste. Je désire passionnément de me tromper. Je voudrais voir la fontaine d’Yvette former un large bassin autour de la statue de Louis XV ; je voudrais que toutes les maisons de Paris eussent de l’eau, comme celles de Londres. Nous venons les derniers en tout. Les Anglais nous ont précédés et instruits en mathématiques, les Italiens en architecture, en peinture, en sculpture, en poésie, en musique ; et j’en suis fâché.

J’ai l’honneur d’être, avec l’estime infinie que vous méritez, et avec la reconnaissance d’un concitoyen, monsieur, votre, etc.

Voltaire.
  1. Antoine Deparcieux, né le 28 octobre 1703, à Cessoux, diocèse d’Uzès, associé de l’Académie des sciences depuis 1746, mort le 2 septembre 1768, avait publié des Mémoires sur la possibilité et la facilité d’amener auprès de l’Estrapade à Paris les eaux de la rivière d’Yvette, 1763, in-4°. Il a donné un Troisième Mémoire sur le projet d’amener l’Yvette à Paris, 1768, in-12.