Correspondance de Voltaire/1767/Lettre 6962

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Correspondance : année 1767GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 45 (p. 332-333).
6962. — À MADAME LA DUCHESSE DE SAXE-GOTHA[1].
À Ferney, le 3 auguste 1767.

Madame, mon attachement pour Votre Altesse sérénissime, qui durera autant que ma vie, a réveillé, il est vrai, ma sensibilité à la vue d’une nouvelle édition de La Beaumelle, dans laquelle il renouvelle les insolences qu’il osa vomir, il y a plusieurs années, contre votre auguste maison. Plusieurs étrangers même s’en sont plaints à notre ministère. Il est bien surprenant qu’un tel homme ait eu la hardiesse d’écrire[2] à Votre Altesse sérénissime. On lui a fait parler par M. le marquis de Gudane, commandant du pays de Foix, où il est exilé ; on a supprimé son édition, et on l’a menacé, de la part du roi, de le punir très-sévèrement s’il écrivait avec une pareille licence. Les autres personnes intéressées n’ont pas été aussi indulgentes que vous, madame, parce qu’elles ne sont pas comme vous au-dessus de ces outrages. Plus vous êtes grande, plus vous êtes clémente. Il résulte de la lettre qu’on a daigné écrire à cet homme, en votre nom, qu’il partit de vos États avec une misérable servante[3] voleuse. Il appartient bien à un tel homme de parler des princes et de les juger ! Votre nom respectable est mêlé dans ses ouvrages à ceux de Louis XIV et de toute la maison royale, infiniment plus outragée que Votre Altesse sérénissime. De tous ceux qu’il a insultés, il n’a osé écrire qu’à votre personne, tant il a compté sur la bonté de votre caractère et sur votre clémence. Pour moi, je ne puis que garder le silence et ne point profaner votre nom par une justification qui est trop au-dessous de ce nom, qui m’est sacré. Cette petite affaire m’avait fait sortir de ma léthargie. Je me suis ranimé au bord de mon tombeau pour renouveler à Votre Altesse sérénissime les protestations de mon inviolable attachement et de mon profond respect.

Le vieux Suisse V.

  1. Éditeurs, Bavoux et François.
  2. Le 18 juin. C’est le conseiller Rousseau qui lui répondit le 24 juillet, nom de la duchesse ; voyez lettre 6952.
  3. Une gouvernante d’enfants, nommée Schwecker.