Correspondance de Voltaire/1767/Lettre 6988

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6988. — À M. LE MARQUIS DE VILLEVIEILLE.
À Ferney, 18 auguste.

Je doute beaucoup, monsieur, que le sieur La Beaumelle soit allé à Paris faire des siennes, car je sais qu’il avait ordre de rester où il est ; et M. de Gudane, commandant du pays de Foix, l’a menacé, de la part du roi, des châtiments les plus sévères. C’est ce que M. le comte de Saint-Florentin m’a fait l’honneur de me mander. Ce La Beaumelle est un étrange homme. Je l’avais tiré, à Berlin, de la misère. Une veuve, plus charitable que moi, l’a mis à son aise en l’épousant. Cette veuve est malheureusement la fille de M. de Lavaysse, célèbre avocat de Toulouse, dont le fils fut mis aux fers avec les Calas, et dont je pris le parti si hautement et avec tant de chaleur. Il est très-triste pour moi que le gendre d’un homme que j’estime et que j’ai servi soit si criminel et si méprisable. Mais, si d’une main on soutient les innocents opprimés, on doit, de l’autre, écraser les calomniateurs. Point de quartier aux méchants, et point d’indifférence pour la cause des gens de bien : voilà le devoir d’un homme qui pense avec fermeté.

Je vois qu’il y a encore bien de la fermentation dans les esprits en Languedoc. Il me paraît qu’il y en a davantage en Guienne. Vous savez que les protestants y sont accusés d’avoir voulu assassiner un curé, qu’il y a du monde en prison, et que l’affaire n’est pas encore éclaircie. M. le maréchal de Richelieu, à qui j’en ai écrit[1], me mande que c’est une affaire fort embarrassée et fort embarrassante. La philosophie perce bien difficilement chez les huguenots et chez les papistes.

Nous avons ici plus de légions que César n’en avait quand il chassa Pompée de Rome ; mais, Dieu merci, elles ne font que du bien dans notre petit pays de Gex. Vous avez, dans ce pays inconnu, un homme qui vous sera attaché jusqu’au dernier moment de sa vie avec la plus respectueuse tendresse.

  1. Lettre 6950.