Correspondance de Voltaire/1767/Lettre 7004

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Correspondance : année 1767GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 45 (p. 366-367).
7004. — À M. DAMILAVILLE.
4 septembre.

Je reçois, monsieur, votre lettre du 29 d’auguste. Tous les paquets arrivent de Paris en pays étranger, mais rien n’arrive de nos cantons à Paris.

Je vois très-souvent votre ami, qui vous aime tendrement. Il voudrait bien avoir le Panégyrique de Louis IX[1]; mais je crois que l’impératrice russe méritera un plus beau panégyrique. Quelle époque, mon cher monsieur ! elle force les évêques sarmates à être tolérants, et vous ne pouvez en faire autant des vôtres. Ô Welches ! pauvres Welches ! quand l’étoile du Nord pourra-t-elle vous illuminer ?

Savez-vous bien qu’on fait actuellement des vers à Pétersbourg mieux qu’en France ? savez-vous, mes pauvres Welches, que vous n’avez plus ni goût ni esprit ? Que diraient les Despréaux, les Racine, s’ils voyaient toutes les barbaries de nos jours ? Les barbares Illinois[2] l’ont emporté sur le barbare Crébillon ; le barbare[3]… le dispute aux Illinois par-devant l’auteur de Childebrand[4]. Ah ! polissons que vous êtes ! combien je vous méprise !

Nous avons du moins chez nous deux hommes[5] qui ont du goût, et c’est ce qui se trouvera difficilement à Paris. La nation m’indigne.

Bonsoir, mon cher monsieur ; vous avez dans mon voisinage un ami qui vous aime avec la plus vive tendresse, tout vieux qu’il est. On dit que les vieillards n’aiment rien : cela n’est pas vrai. Voici un petit billet qu’on m’a donné pour M. Lembertad.

Boursier.

  1. Par Bassinet ; voyez la note 2, page 363.
  2. Hirza, ou les Illinois, tragédie de Sauvigny ; voyez lettre 6883.
  3. D’après ce que Voltaire a dit dans la lettre 7000, le nom laissé ici en blanc est sans doute celui de Le Mierre, ou celui de son Guillaume Tell.
  4. Childebrand est une tragédie de Morand, auteur dont nous avons parlé tome XXXVII, page 463.
  5. La Harpe et Chabanon, alors à Ferney.