Correspondance de Voltaire/1767/Lettre 7044

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Correspondance : année 1767GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 45 (p. 402-403).
7044. — À M. MARMONTEL.
14 octobre.

Mon cher ami, qui m’appelez votre maître, et qui êtes assurément le mien, je reçois votre lettre du 8 d’octobre dans mon lit, où je suis malade depuis un mois ; elle me ressusciterait si j’étais mort. Ne doutez pas que je ne fasse tout ce que vous exigez de moi, dès que j’aurai un peu de force. Souvenez-vous que je n’ai pas attendu les suffrages des princes et les cris de l’Europe en votre faveur, pour me déclarer. Dieu confonde ceux qui attendent la voix du public pour oser rendre justice à leurs amis, à la vertu et à l’éloquence !

Il est bien vrai que la Sorbonne est dans la fange, et qu’elle y restera, soit qu’elle écrive des sottises, soit qu’elle n’écrive rien. Il est encore très-vrai qu’il faudrait traiter tous ces cuistres-là comme on a traité les jésuites. Les théologiens, qui ne sont aujourd’hui que ridicules, n’ont servi autrefois qu’à troubler le monde ; il est temps de les punir de tout le mal qu’ils ont fait. Cependant votre approbateur reste toujours interdit[1], et la défense de débiter Bélisaire n’est point encore levée. Coger a encore ses oreilles, et n’a point été mis au pilori ; c’est là ce qui est honteux pour notre nation. Croiriez-vous bien que ce maroufle de Coger a osé m’écrire[2] ? Je lui avais fait répondre par mon laquais ; la lettre était assez drôle ; c’était la Défense de mon Maître. Elle pouvait faire un pendant avec la Défense de mon Oncle ; mais j’ai trouvé qu’un pareil coquin ne méritait pas la plaisanterie[3].

Bonsoir, mon cher ami ; resserrez bien les nœuds qui doivent unir tous les gens qui pensent ; inspirez-leur du courage. Mes tendres compliments à M. d’Alembert ; ne m’oubliez pas auprès de Mme Geoffrin.

Mme Denis vous fait mille compliments ; autant en disent MM. de Chabanon et de La Harpe.

  1. Lorsque le lieutenant de police annonça à Bret qu’il était rayé du tableau des censeurs, ce magistrat prit un air triste : « Monsieur, lui dit Bret, ne me plaignez pas tant ; c’est un malheur, mais ce n’est pas un deshonneur. »
  2. En réponse à la lettre 6955.
  3. Elle parut cependant. Voyez dans les Mélanges, à la date du 15 décembre 1767.