Correspondance de Voltaire/1768/Lettre 7167

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Correspondance : année 1768GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 45 (p. 518-519).
7167. — À M. SAURIN.
5 février.

Mon cher confrère, mon cher poète philosophe, je ne suis point de votre avis. On disait autrefois : les vertus de Henri IV, et il est permis aujourd’hui de dire : les vertus d’Henri IV. Les Italiens se sont défaits des h, et nous pourrions bien nous en défaire aussi, comme de tant d’autres choses.

J’aime bien mieux :

Femme par sa tendresse, héros par son courage[1],


que

Femme par sa tendresse, et non par son courage.

Ayez donc le courage de laisser le vers tel qu’il était, et de ne pas affaiblir une grande pensée pour l’intérêt d’un h. Je dirai toujours ma tendresse-héroïque, et cela fera un très-bon hémistiche. Ma tendress-eu héroïque serait barbare.

Le Dîner[2] dont vous me parlez est sûrement de Saint-Hyacinthe. On a de lui un Militaire philosophe qui est beaucoup plus fort, et qui est très-bien écrit. Vous sentez d’ailleurs, mon cher confrère, combien il serait affreux qu’on m’imputât cette brochure, évidemment faite en 1726 ou 27, puisqu’il est parlé du commencement des convulsions. Je n’ai qu’un asile au monde ; mon âge, ma santé très-dérangée, mes affaires qui le sont aussi, ne me permettent pas de chercher une autre retraite contre la calomnie. Il faut que les sages s’entr’aident ; ils sont trop persécutés par les fous.

Engagez vos amis, et surtout M. Suard, et M. l’abbé Arnaud, à repousser l’imposture qui m’accuse de la chose du monde la plus dangereuse. On ne fait nul tort à la mémoire de Saint-Hyacinthe, en lui attribuant une plaisanterie faite il y a quarante ans. Les morts se moquent de la calomnie, mais les vivants peuvent en mourir. En un mot, mon cher confrère, je me recommande à votre amitié pour que les confesseurs ne soient pas martyrs.

  1. Vers de Spartacus, acte I, scène i.
  2. Le Dîner du comte de Boulainvilliers.