Correspondance de Voltaire/1768/Lettre 7181

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7181. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
15 février.

Je vais bien vous ennuyer, mon cher ange ; je vous envoie une profession de foi que je fis l’autre jour à un de mes amis[1]. Je vous donne pour pénitence de la lire ; expiez par là votre énorme péché d’avoir jugé témérairement votre prochain. Vous sentez bien que c’est absolument Saint-Hyacinthe, et non pas moi, qui a dîné.

Je sais qu’il y a des fanatiques et des furieux ; je sais que les gens qui pensent sont condamnés aux bêtes. L’Europe réclame, l’Europe crie ; mais

La sagesse n’est rien, la force a tout détruit[2].

Je suis trop vieux pour déménager ; cependant, s’il faut aller mourir ailleurs, je prendrai ce parti ; ma haine contre certains monstres est trop forte.

J’ai ouï dire qu’on avait envoyé quelque chose à M. Suard. Je ne lui ai certainement rien envoyé, et le grand point est qu’il rende justice à cette vérité. Il est très-certain qu’il n’y a personne dans Paris qui puisse dire que je lui aie fait tenir un plat de ce Dîner auquel je n’assistai jamais. Il y a d’autres gens qui envoient.

Pour l’Homme aux quarante écus, on voit aisément que c’est l’ouvrage d’un calculateur : le ministère en doit être content. Je n’envoie jamais de brochures à Paris, mais je crois qu’on peut vous faire tenir celle-là sans vous compromettre. Je la chercherai si vous en êtes curieux, et vous l’aurez, mon très-cher ange ; vous n’avez qu’à ordonner.

  1. Voyez la lettre à Damilaville, No 7175.
  2. L’Orphelin de la Chine, acte I, scène ii.