Correspondance de Voltaire/1768/Lettre 7200

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Correspondance : année 1768GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 45 (p. 550-551).
7200. — À M. LE CHEVALIER DE TAULÈS.
4 mars.

Les trois quarts de la nouvelle édition du Siècle de Louis XIV sont imprimés, monsieur ; et à moins que vous n’ayez quelques anecdotes sur le jansénisme, il ne m’est plus possible de vous en demander sur les affaires politiques. Je sais bien qu’il y a eu quelque politique dans les querelles des jansénistes et des molinistes ; mais en vérité elle est trop méprisable ; et c’est rendre service au genre humain que de donner à ces dangereuses fadaises le ridicule qu’elles méritent.

Quant au Testament attribué au cardinal de Richelieu, vous pouvez, je crois, m’instruire avec liberté de tout ce que vous en savez, et en demander la permission à M. le duc de Choiseul, en lui montrant ma lettre. Mme la duchesse d’Aiguillon a fait chercher au dépôt des affaires étrangères tout ce qu’elle a cru favorable à son opinion. Si vous avez quelques lumières nouvelles, je me rétracterai publiquement, et je dirai que le cardinal de Richelieu a fait en politique un ouvrage aussi ridicule et aussi mauvais en tout point qu’il en a fait en théologie. Mais jusque-là je croirai qu’il est aussi faux que ce ministre en soit l’auteur, qu’il est faux que celui qui ôte un moucheron de son verre puisse avaler un chameau[1].

La Narration succincte, très-mal composée par l’abbé de Bourzeys sous les yeux du cardinal de Richelieu, n’a rien de commun avec le Testament. Elle démontre au contraire que le Testament est supposé : car, puisque cette narration récapitule assez mal ce qu’on avait fait sous le ministère du cardinal, le Testament devait dire bien ou mal ce que Louis XIII devait faire quand il serait débarrassé de son ministre : il devait parler de l’éducation du dauphin, des négociations avec la Suède, avec le duc de Weimar et les autres princes allemands, contre la maison d’Autriche ; comment on pouvait soutenir la guerre et parvenir à une paix avantageuse ; quelles précautions il fallait prendre avec les huguenots, quelle forme de régence il était convenable d’établir en cas que Louis XIII succombât à ses longues maladies, etc.

Voilà les instructions qu’un ministre aurait données, si en effet parmi ses vanités il avait eu celle de parler après sa mort à son maître ; mais il ne dit pas un mot de tout ce qui était indispensable, et il dit des sottises énormes, dignes du chevalier de Mouhy et de l’ex-capucin Maubert, sur des choses très-inutiles.

Si vous voyez M. le chevalier de Beauteville, je vous supplie, monsieur, de vouloir bien lui présenter mes respects.

Aimez un peu, je vous en prie, un homme qui ne vous oubliera jamais.

  1. Saint Matthieu, chapitre xxiii, verset 24.