Correspondance de Voltaire/1768/Lettre 7223

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7723. — À M. LE MARQUIS DE THIBOUVILLE[1].
2 avril.

Eh bien : il faut donc contenter la curiosité de votre amitié et celle de M. et de Mme d’Argental. Voici mes raisons : j’ai soixante-quatorze ans, je me couche à dix heures et je me lève à cinq ; je suis las d’elle l’aubergiste de l’Europe. Je veux mourir dans la retraite. Cette retraite profonde ne convient ni à Mme Denis, ni à la petite Corneille. Mme Denis l’a supportée, tant qu’elle a été soutenue par des amusements et par des fêtes. Je ne puis plus suffire à la dépense d’un prince de l’empire et d’un fermier général. J’envoie Mme Denis se faire payer des seigneurs français, et je me charge des seigneurs allemands. Je suis actuellement fort à l’étroit, et je lui donne vingt mille francs de pension, en attendant qu’elle en ait trente-six mille, outre la terre de Ferney. Voilà, mon cher ami, à quoi tout se réduit. J’en suis fâché pour la calomnie, qui ne trouvera pas là son compte. J’en suis fâché pour Fréron et pour Mme Gilet[2] ; mais je ne puis qu’y faire. Je sais dans ma retraite tout ce que les gazettes ont publié de mensonges ; c’est le revenu de tous ceux qui ont le malheur d’être connus.

Dites aux anges, et soyez très-sûr, mon cher ami, que je brûle toutes les lettres dont on pourrait abuser à ma mort. Ne soyez pas moins sûr que, jusqu’à ce moment, mon cœur sera à vous et aux anges.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.
  2. Bel esprit qui écrivait dans le journal de Fréron.