Correspondance de Voltaire/1768/Lettre 7262

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Correspondance : année 1768GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 46 (p. 44-45).
7262. — À M. LE COMTE DE ROCHEFORT.
À Ferney, 21 mai.

Satis est, domine, satis est. Vous me donnez, monsieur, plus de vin de Champagne que jamais le prince de Condé n’en donna à Santeul ; et cet ivrogne disait encore : Amplius, domine, amplius ; mais moi, qui suis moins bon poëte que Santeul, et qui bois beaucoup moins de vin, je vous assure, monsieur, que vous m’en donnez beaucoup trop, et que je ne sais comment m’y prendre ni pour vous remercier, ni pour le boire. Je ne tiens plus de maison. Nous allons peut-être, Mme Denis et moi, vendre Ferney : la fin de ma vie sera retirée, et probablement assez triste avec une santé déplorable ; la nature m’a fait présent de soixante-quatorze ans, et des maladies de quatre-vingt-dix.

Jouissez, vous et madame votre femme, de votre brillante jeunesse. Buvez, s’il se peut, plus de vin de Champagne que vous ne m’en donnez. Je me flatte que vous voyez quelquefois M. d’Alembert : il a eu avec moi des procédés charmants qui m’ont pénétré l’âme. Ô que j’aime qu’un philosophe soit sensible ! Pour moi, je suis plus sensible que philosophe, et je le suis passionnément à vos bontés, à votre mérite.

Je présente mes respects au couple heureux qui mérite tant de l’être.