Correspondance de Voltaire/1768/Lettre 7267

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Correspondance : année 1768GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 46 (p. 49-50).
7267. — DE M. D’ALEMBERT.
À Paris, ce 26 mai.

J’ai reçu, mon cher et illustre maître, le poëme[1] et la relation[2] que M. de La Borde m’a envoyés de la part du jeune Franc-Comtois, qui me paraît avoir son franc parler sur les sottises de la taupinière de Calvin et les atrocités du tigre aux yeux de veau[3]. Ce Franc-Comtois peut, en toute sûreté, tomber sur le janséniste apostat sans avoir à redouter les protecteurs dont il se vante, et qui sont un peu honteux d’avoir si mal choisi. On donne l’aumône à un gueux, et on trouve très-bon qu’un autre lui donne les étrivières quand il est insolent. M. le comte de Rochefort n’est point à Paris ; il est actuellement dans les terres de madame sa mère, avec sa femme ; je crois qu’ils ne tarderont pas à revenir. Votre ancien disciple vient encore de m’écrire une assez bonne lettre[4] sur l’excommunication du duc de Parme. Il me mande que si l’excommunication s’étend jusqu’ici, les philosophes en profiteront ; que je deviendrai premier aumônier ; que Diderot confessera le duc de Choiseul ; et Marmontel, le dauphin ; que j’aurai la feuille des bénéfices, et que je vous ferai archevêque de Paris ou de Lyon, comme il vous plaira : ainsi soit-il. Que dites-vous de l’expédition de Corse ? n’avez-vous point peur qu’il n’en résulte une guerre dont l’Europe n’a pas besoin, et nous moins que personne ? Que dites-vous du train que fait Wilkes[5] en Angleterre ? Il me semble que le despotisme n’a pas plus beau jeu dans ce pays-là que la superstition. Adieu, mon cher et illustre maître ; le ciel vous tienne en joie et en santé ! Je vous embrasse comme je vous aime, c’est-à-dire ex toto corde et animo.

  1. La Guerre civile de Genève, tome IX.
  2. La nouvelle édition de la Relation de la mort du chevalier de la Barre, tome XXV, page 501.
  3. Pasquier ; voyez tome XXIX, page 155 ; et XXXVII, page 284.
  4. La lettre de Frédéric à d’Alembert, du 7 mai 1768.
  5. Jean Wilkes, écrivain politique anglais (dont Voltaire fait ailleurs un grand éloge voyez tome XIX, page 284), né en 1727. mort le 6 décembre 1797, arrêté, acquitté, puis ayant porté plainte contre le ministère anglais en arrestation illégale, obtint de forts dommages-intérêts ; un de ses pamphlets fut condamné à être brûlé par la main du bourreau, et l’auteur exclu de la Chambre des commune ; poursuivi de nouveau, condamné par contumace ; réélu à la Chambre des communes, il obtint la cassation de la sentence rendue contre lui par contumace, mais fut exclu encore de la Chambre des communes une seconde et une troisième fois. On avait prononcé contre lui une détention de vingt-deux mois et une amende de mille livres sterling. Tout cela faisait beaucoup de bruit en Angleterre.