Correspondance de Voltaire/1768/Lettre 7285

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Correspondance : année 1768GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 46 (p. 63).
7285. — À M. DE CHABANON.
À Ferney, par Lyon, 13 juin.

J’ai été si accablé de prose, mon cher ami, le Siècle de Louis XIV et de Louis XV me tiennent si fort au cœur que je n’ai pas répondu à votre dernière lettre où il s’agissait de vers ; mais il faut toujours revenir à ses premières amours. Je m’intéresse à vos vers plus que jamais. Faites-en de beaux, de coulants pour Eudoxie comme vous en savez faire ; intéressez surtout ; c’est tout ce que je puis vous dire : avec de beaux vers et de l’intérêt on va bien loin, de quelque façon qu’on ait tourné son sujet.

Puisque vous ne voulez point me faire part de votre Pindare, je suis plus généreux que vous : je vous envoie une ode dans le genre comique, adressée à ce Pindare il y a environ deux ans[1]. Je sais bien ce qui arrive à quisquis Pindarum studet æmulari[2] ; mais aussi Catherine Vadé studet duntaxat jocari.

Mandez-moi, je vous en prie, où en est Eudoxie ; quel parti vous prenez. Je vous assure que cela m’intéresse plus qu’un carrousel russe. Je m’imagine que Paris va être inondé de chansons sur Avignon et sur Bénévent. Rezzonico[3] sera chanté sur le Pont-Neuf, ou je suis fort trompé. S’il y a quelque chose de bon, je vous supplie d’en régaler ma solitude.

On ne peut vous être plus tendrement attaché et plus essentiellement dévoué que le solitaire.

  1. Galimatias pindarique, tome VIII, page 486.
  2. Horace, livre IV, ode ii.
  3. Le pape Clément XIII.