Correspondance de Voltaire/1768/Lettre 7295

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Correspondance : année 1768GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 46 (p. 72-73).
7295. — À M. ÉLIE DE BEAUMONT[1].
À Ferney, 3 juillet.

Je ne vous ai pas encore remercié, mon cher Cicéron ; ce n’est pas que mon cœur ne soit pénétré de vos bontés ; mais c’est que j’ai été bien malade.

Vous avez donc deviné A… et B…[2] Personne assurément ne sait mieux son alphabet que vous. Il est très-clair que B… sera déshonoré dans sa compagnie, dans sa province, et auprès du conseil du roi. Il y aurait assurément un factum très-plaisant à faire contre M. le président. On pourrait le couvrir à la fois d’opprobre et de ridicule. Mais je tenterai auparavant toutes les voies de la conciliation. Je ne suis à craindre que quand je suis poussé à bout. J’ai actuellement des choses un peu plus pressées.

Quoi ! vous trouvez que c’est un mal d’exister, quand vous existez avec Mme de Beaumont ! Il faut donc que vous ayez eu quelque nouveau chagrin que vous ne me dites pas. Mais une telle union doit changer tous les chagrins en plaisirs ; et que ferai-je donc, moi, qui ai la calomnie à combattre depuis environ cinquante ans, et qui suis persécuté par la nature autant que par la méchanceté des fanatiques ?

Je vois que vous voulez choisir un sujet qui puisse flatter un roi du Nord. La bienfaisance est une belle chose ; mais il y a des pays où l’on ne connaît guère les bienfaits et où l’on ne fait que des marchés.

Je voudrais bien savoir quel est notre concitoyen qui a remporté le prix de Pétersbourg. Le sujet était cette question : S’il est avantageux à un, État que les serfs deviennent libres, et que les cultivateurs travaillent pour eux-mêmes. C’était là un sujet digne de vous ; mais quelque problème que vous vous amusiez à résoudre, vous rendrez toujours service aux hommes quand vous écrirez.

Je ne crois pas que Sirven puisse tenter par autrui la réhabilitation de sa femme, qu’il n’ose pas entreprendre lui-même. Il n’a point, du moins jusqu’à présent, trouvé de parent qui veuille s’exposer à se faire dire, par le parlement de Toulouse : De quoi vous avisez-vous de prendre parti dans une affaire où les condamnés tremblent de paraître ? Je crois qu’il restera dans mon voisinage. C’est du moins une victime arrachée à la gueule du fanatisme.

Adieu, mon très-cher Cicéron ; ma lettre est courte, mais je suis encore bien languissant. Un corps faible de soixante-quinze ans n’est pas fort alerte. Adieu, couple aimable, que j’ai eu le malheur de ne point voir, et auquel je suis attaché autant que ceux qui jouissent de ce bonheur.

  1. Editeurs, de Cayrol et François.
  2. Voyez la lettre à Beaumont du 26 mai.