Correspondance de Voltaire/1768/Lettre 7349
Les intendants, monsieur, sont faits, à ce que je vois, pour vexer les pauvres cultivateurs ; ils vous ont enlevé à moi. Je ne peux pourtant pas blâmer monsieur l’intendant de Bourgogne[2]. Si j’avais été à sa place, je vous assure que j’en aurais fait autant que lui. Comme il est de très-bonne compagnie, il est bien juste qu’il l’aime.
C’est bien dommage, monsieur, que ce qui arrive aujourd’hui en Italie ne soit pas arrivé quand vous y étiez. Vous auriez ajouté un tome bien curieux à vos huit volumes[3]. La bulle In cœna Domini, proscrite par la dévote reine de Hongrie ; le pape enrôlant des soldats ; les femmes poursuivant les enrôleurs à coups de pierres, et criant qu’on enrôle des jésuites, et qu’on leur rende leurs amants ; les Romains se moquant universellement de Rezzonico ; le pape s’amusant à faire des saints dans le temps qu’on lui prend ses villes[4] : tout cela forme un tableau qui méritait d’être peint par vous, puisque vous avez eu la bonté de mêler l’étude des folies de la terre à celle des phénomènes du ciel.
Nous saurons donc, l’année qui vient, à quelle distance nous sommes du soleil ; j’espère que nous saurons aussi à quel point nous sommes éloignés de la superstition.
Si vous voyez votre très-aimable commandant[5], je vous prie de me mettre à ses pieds.
Vous ne doutez pas que j’ai l’honneur d’être, etc.