Correspondance de Voltaire/1769/Lettre 7446

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Correspondance : année 1769GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 46 (p. 223-224).
7446. — À M. LAVAYSSE DE VIDON[1].
5 janvier.

J’étais, monsieur, rempli d’estime pour feu monsieur votre père : je sais qu’il était aussi sage que vertueux. J’aurais voulu en pouvoir dire autant de votre beau-frère La Beaumelle. La raison fait beaucoup plus de progrès que vous ne pensez ; voici ce qu’un homme constitué en dignité m’écrit de Toulouse : « Vous ne sauriez croire combien augmente dans cette ville le zèle des gens de bien et leur amour et leur respect pour…[2]. Quant au parlement et à l’ordre des avocats, presque tous ceux qui sont au-dessous de trente-cinq ans sont pleins de zèle et de lumières, et il ne manque pas de gens instruits parmi les personnes de condition… Il est vrai qu’il s’y trouve plus qu’ailleurs des hommes durs et opiniâtres, incapables de se prêter un seul moment à la raison ; mais leur nombre diminue chaque jour, et non-seulement toute la jeunesse du parlement, mais une grande partie du centre et plusieurs hommes de la tête vous sont entièrement dévoués. Vous ne sauriez croire combien tout a changé depuis la malheureuse aventure de l’innocent Calas. On va jusqu’à se reprocher l’arrêt contre M. Rochette et les trois gentilshommes : on regarde le premier comme injuste, et le second comme trop sévère. »

Montrez, monsieur, ce petit extrait à Mme Calas et à M. du Voisin[3], et ayez la bonté de leur faire mes plus tendres compliments.

Je ne mangerai pas des fruits de l’arbre de la tolérance que j’ai planté ; je suis trop vieux, je n’ai plus de dents ; mais vous en mangerez un jour, soyez-en sûr.

J’apprends que vous demeurez chez M. Bouffé ; c’est lui qui paye la pension des ex-jésuites ; j’en ai un auprès de moi, aussi bien que les Sirven : car il faut faire du bien aux malheureux, et même aux jésuites.

Je vous prie de vouloir bien me mander dans quel temps à peu près il pourra payer la pension de l’ex-jésuite Adam et de l’ex-jésuite Philibert, à chacun desquels on doit deux cents livres au premier septembre, si je ne me trompe. Les certificats de vie ont été remis à M. Bouffé par M. Le Blanc, qui demeure chez M. Necker. J’ai l’honneur d’être très-sincèrement et du fond de mon cœur, sans compliments, monsieur, votre, etc.

N. B. Je vous prie aussi de vouloir bien me marquer ce qu’on retient pour les droits de banque.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.
  2. Le mot laissé en blanc est vous
  3. Fille mariée de Mme Calas.