Correspondance de Voltaire/1769/Lettre 7504

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Correspondance : année 1769GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 46 (p. 285-287).
7504. — À MADAME LA MARQUISE DU DEFFANT.
À Ferney, 15 mars.

Vous me marquâtes, madame, par votre dernière lettre, que vous aviez besoin quelquefois de consolation. Vous m’avez donné la charge de votre pourvoyeur en fait d’amusements ; c’est un emploi dont le titulaire s’acquitte souvent fort mal. Il envoie des choses gaies et frivoles quand on ne veut que des choses sérieuses ; et il envoie du sérieux quand on voudrait de la gaieté : c’est le malheur de l’absence. On se met sans peine au ton de ceux à qui on parle ; il n’en est pas de même quand on écrit : c’est un hasard si l’on rencontre juste.

J’ai pris le parti de vous envoyer des choses où il y eût à la fois du léger et du grave, afin du moins que tout ne fût pas perdu.

Voici un petit ouvrage contre l’athéisme[1], dont une partie est édifiante et l’autre un peu badine ; et voici en outre mon Testament[2], que j’adresse à Boileau. J’ai fait ce testament étant malade, mais je l’ai égayé selon ma coutume ; on meurt comme on a vécu.

Si votre grand’maman est chez vous quand vous recevrez ce paquet, je voudrais que vous pussiez vous le faire lire ensemble ; c’est une de mes dernières volontés. J’ai beaucoup de foi à son goût pour tout ce que vous m’avez dit d’elle, et je n’en ai pas moins à son esprit, par quelques-unes de ses lettres que j’ai vues, soit entre les mains de mon gendre Dupuits, soit dans celles de Guillemet[3], typographe en la ville de Lyon.

Il m’est revenu de toutes parts qu’elle a un cœur charmant. Tout cela, joint ensemble, fait une grand’maman fort rare. Malgré le penchant qu’ont les gens de mon âge à préférer toujours le passé au présent, j’avoue que de mon temps il n’y avait point de grand’maman de cette trempe. Je me souviens que son mari me mandait, il y a huit ans, qu’il avait une très-aimable femme, et que cela contribuait beaucoup à son bonheur[4]. Ce sont de petites confidences dont je ne me vanterais pas à d’autres qu’à vous. Jugez si je ne dois pas prier Dieu pour son mari dans mes codicilles. Il fera de grandes choses si on lui laisse ses coudées franches ; mais je ne les verrai pas, car je ne digère plus ; et, quand on manque par là, il faut dire adieu.

On me mande que le président Hénault baisse beaucoup. J’en suis très-fâché, mais il faut subir sa destinée…

On sortit de laJe voudrais qu’à cet âge
On sortît de la vie ainsi que d’un banquet,
Remerciant son hôte, et qu’on fît son paquet.

(La Fontaine, liv. VIII, fab. i)

Le mien est fait il y a longtemps. Tout gai que je suis, il y a des choses qui me choquent si horriblement que je prendrai congé sans regret. Vivez, madame, avec des amis qui adoucissent le fardeau de la vie, qui occupent l’âme, et qui l’empêchent de tomber en langueur. Je vous ai déjà dit[5] que j’avais trouvé un admirable secret, c’est de me faire lire et relire tous les bons livres à table, et d’en dire mon avis. Cette méthode rafraîchit la mémoire, et empêche le goût de se rouiller ; mais on ne peut user de cette recette à Paris : on y est forcé de parler à souper de l’histoire du jour, et quand on a donné des ridicules à son prochain, on va se coucher. Dieu me préserve de passer ainsi le peu qui me reste à vivre !

Adieu, madame ; je vivrai plus heureux si vous pouvez être heureuse. Comptez que mon cœur est à vous comme si je n’avais que cinquante ou soixante ans.

  1. Épître à l’auteur du livre des Trois Imposteurs ; voyez tome X, page 402.
  2. Épître à Boileau, tome X, page 397.
  3. Voltaire a signé de ce nom la lettre 7469, et quelques autres à Mme de Choiseul/
  4. Ce passage de la lettre de Voltaire fit grand plaisir à la duchesse de Choiseul, qui écrit à Mme du Deffant : « Ce qui m’en a fait le plus de plaisir, c’est l’endroit de sa lettre où il dit que le grand-papa (le duc de Choiseul) lui a mandé qu’il avait une femme qui contribuait à son bonheur. Ô vanité des vanités ! tout n’est que vanité ! Ne le voyez-vous pas bien, ma chère petite-fille, à ma sensibilité pour ce petit bout de phrase. » (Correspondance complète de Mme du Deffant avec la duchesse de Choiseul, etc., tome Ier, page 194.)
  5. Cette lettre manque.