Correspondance inédite de Hector Berlioz/013

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Texte établi par Daniel Bernard, Calmann Lévy, éditeur (p. 97-99).
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XIII.

AU MÊME.


Florence, 13 mai 1832.

Je suis arrivé hier. Je viens de la poste, où je n’ai trouvé que votre lettre seule, au lieu de trois ou quatre que je comptais y avoir. Aussi votre exactitude ressort-elle cette fois avec avantage. Mais, étourneau que vous êtes ! pourquoi oublier tant de choses ?… Vous ne me dites pas même si le prix de l’illustre médaille a suffi pour faire les deux cents francs que je vous devais ; vous oubliez aussi de me dire un mot de ce bon Gounet, et si c’est à lui que vous avez remis le paquet de l’hippopotame.

J’ai laissé Rome sans regret ; la vie casernée de l’Académie m’était de plus en plus insupportable. Je passais toutes mes soirées chez M. Horace, dont la famille me plaît beaucoup, et qui, à mon départ, m’a donné tout entières des marques d’attachement et d’affection, auxquelles j’ai été d’autant plus sensible que je m’y attendais moins. Mademoiselle Vernet est toujours plus jolie que jamais, et son père toujours plus jeune homme. J’ai revu Florence avec émotion. C’est une ville que j’aime d’amour. Tout m’en plaît, son nom, son ciel, son fleuve, ses environs, tout, je l’aime, je l’aime… J’y ai renouvelé connaissance avec un ancien élève de Choron, Duprez, qui est ici le chanteur à la mode, qui gagne quinze mille francs au théâtre de la Pergola, et qui, par-dessus le marché, a un grand et un vrai talent, une voix délicieuse et juste, et sait la musique. Il n’est pas acteur comme Nourrit, mais chante mieux, et sa voix a quelque chose de plus naïf et de plus original dans le timbre. Il fera fureur à Paris dans quelques années, j’en suis sûr. Il avait chanté à mon premier concert, avant que vous fussiez à Paris. Hier soir, dans un entr’acte, nous nous sommes remémoré cette époque de notre connaissance avec un certain plaisir. Nous avons depuis lors avancé tous les deux ; avancé de quelques pas, moi de six ou sept, et lui de trente ou quarante.

Je ne vais pas à l’île d’Elbe ni en Corse ; il y a actuellement des règlements sanitaires, des quarantaines qui me vexeraient. Dans trois jours, je pars pour Milan ; j’y resterai au plus une semaine ; de là, j’irai droit chez ma sœur à Grenoble, puis à la Côte Saint-André (Isère), où vous m’adresserez vos lettres. Je retrouverai à Milan un de vos compatriotes, homme de talent, M. de Sauër, que j’ai connu à Rome. Il m’a dit vous avoir vu enfant à Vienne. Il connaît beaucoup Mendelssohn et Bellini. Il veut absolument me lier avec Bellini, ce que je refuse de toutes mes forces ; la Sonnambula, que j’ai vue hier, redouble mon aversion pour une pareille connaissance. Quelle partition !! Quelle pitié !!! Les Florentins mêmes l’ont chutée et sifflée. C’est cependant bien bon pour eux. Oh ! mon cher, il vous faut voir l’Italie pour vous douter de ce qu’ils osent nommer musique dans ce pays-là !…

J’irai à Paris au mois de novembre ou de décembre ; jusque-là, je ne sortirai guère du midi de la France. Je vous remercie de votre invitation pour Francfort, je ne sais quand j’en profiterai, mais ce sera tôt ou tard.

Adieu, mon bon et très-cher ami. Je vous embrasse tendrement.

P.-S. — Si je savais l’adresse de Richard, je lui écrirais ; il est trop paresseux pour que je compte sur la lettre de lui que vous m’annoncez.

P.-S. — Voilà une sotte et froide lettre, je suis tout triste. Chaque fois que j’ai revu Florence, j’ai ressenti un trouble intérieur, un bouillonnement confus que je puis à peine m’expliquer. Je n’y connais personne… Il ne m’y est jamais arrivé d’aventure… J’y suis seul comme j’étais à Nice… C’est peut-être pour cela qu’elle m’affecte d’une façon si étrange. C’est tout à fait bizarre. Il me semble que, quand je suis à Florence, ce n’est plus moi, mais quelque individu étranger, quelque Russe ou quelque Anglais qui se promène sur ce beau quai de l’Arno. Il me semble que Berlioz est autre part et que je suis une de ses connaissances. Je fais le dandy, je dépense de l’argent, je me pose sur la hanche comme un fat. Je n’y comprends rien

What is it ?…