Correspondance inédite de Hector Berlioz/108

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Texte établi par Daniel Bernard, Calmann Lévy, éditeur (p. 280-281).
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CVIII.

AU MÊME.

Vendredi, 4 mai [1861].

Cher ami,

Depuis ta dernière lettre, j’ai eu de tes nouvelles par Lecourt, que j’ai chargé aussi de te donner des miennes. Hier soir, il y a eu une audition de quelques scènes des Troyens chez M. E. Bertin ; grandissime succès, étonnement de tout le monde de l’opposition que je trouve à l’Opéra.

Enthousiasme du secrétaire intime du ministre, lequel ministre d’État m’a invité à dîner pour lundi prochain ; et ce sera comme au dîner de l’empereur, on me parlera de la pluie et du beau temps. Et il faut souffrir cette outrageante indifférence ! et je suis sûr que j’ai fait une grande œuvre, plus grande et d’un plus noble aspect que ce qu’on a fait jusqu’à présent !… Et il faut mourir à petit bruit, écrasé sous les pieds de ces lourds animaux !

Ah ! tu te décourages ! et que ferai-je donc aussi ?…

Je ne puis que pâtir et me taire.

Mais la vie est bien dure et bien lourde aussi. Je ne puis encore me remettre à l’œuvre pour Béatrice et Bénédict ; il faut pourtant finir cette partition. Celle-là au moins sera jouée ; mais je suis malade et tiraillé par tant d’occupations diverses, tant d’ennuis de toute espèce !

Adieu ; je t’embrasse de tout mon cœur.