Correspondance inédite de Hector Berlioz/135

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Texte établi par Daniel Bernard, Calmann Lévy, éditeur (p. 318-319).
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CXXXV.

AU MÊME.


Paris, le 11 juillet 1865.

Oui, mon cher bon Louis, causons, quand nous pourrons, aussi souvent que nous pourrons. Ta lettre de ce matin est la bienvenue. Mais j’ai passé hier une abominable journée. Je suis sorti, j’ai erré pendant deux heures sur les boulevards des Italiens et des Capucines. À huit heures et demie, je commençais à sentir la faim ; je suis entré au café Cardinal pour y manger quelque chose, et je me suis aussitôt entendu appeler et j’ai vu un gai visage me sourire ; c’était Balfe, le compositeur irlandais qui arrivait de Londres, et qui m’a engagé à dîner avec lui. Puis nous sommes allés au Grand Hôtel, où il loge, fumer un cigare excellentissime, qui me fait cependant mal ce matin. Et nous avons tant et tant parlé de Shakspeare, qu’il comprend bien, dit-il, depuis dix ou douze ans seulement.

Je ne lis aucun journal, et tu me ferais bien plaisir de me dire où diable tu as vu toutes les belles choses sur moi que tu me cites. Je n’en sais pas le premier mot. Le programme de Bade est bien tel que je t’ai dit. C’est Jourdan qui chantera Énée, et madame Charton, Didon. Mais il y a du Wagner, du Liszt, du Schumann, et Reyer ne sait pas ce qui l’attend aux répétitions.

Je suis allé hier chez l’agent de change ; il n’y avait pas assez de tes cinq cents francs pour acheter deux obligations ottomanes qui rapportent neuf pour cent ; ainsi, de l’avis de l’agent, j’attendrai que tu m’envoies ce que tu m’as dit qu’on te devait pour t’acquérir une petite rente. J’ai donc gardé ton argent, parce qu’un retard même de trois mois ne te ferait pas perdre un sou pour le payement du semestre de janvier. Tu sais que Liszt est abbé ? Quand j’aurai un volume broché de mes Mémoires, je te l’enverrai, sous ta promesse formelle qu’il ne sortira jamais de tes mains et même que tu me le renverras quand tu l’auras lu et relu.