Correspondance inédite de Hector Berlioz/147

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Texte établi par Daniel Bernard, Calmann Lévy, éditeur (p. 340-341).
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CXLVII.

À M. ET MADAME MASSART.


Paris, 4 octobre 1867.

Eh bien, oui, je vais en Russie. La grande-duchesse Hélène était ici il y a quelques jours et m’a fait faire des propositions que, après un peu d’hésitation et de l’avis de tous mes amis, j’ai acceptées. Il s’agit d’aller, à la fin de novembre, diriger, à Saint-Pétersbourg, six concerts du Conservatoire, dont cinq formés des chefs-d’œuvre des grands maîtres et un composé exclusivement de mes partitions.

Elle me loge chez elle, au palais Michel, me fournit une de ses voitures, paye mon voyage, aller et retour, et me donne quinze mille francs. Je serai exténué de fatigue, malade comme je suis ; mais, si je meurs, nous le verrons bien. Venez donc aussi ; je vous ferai jouer votre jovial concerto de clavecin en ré mineur de S. Bach et nous rirons d’une belle manière.

Adieu ; mille amitiés pour tous les deux ; j’irais bien chez vous dans les beaux jours que vous passez à Villerville, mais je vous avoue que cela me paraît d’une indiscrétion révoltante.

Ma belle-mère vous remercie de votre souvenir. À vous.

P.-S. — Vous êtes, décidément, une néréide ou une tritonne.

Vous saurez encore qu’un Américain dont j’avais refusé les offres, il y a un mois et demi, apprenant que j’acceptais celles des Russes, est revenu, il y a trois jours, m’offrir cent mille francs, si je voulais aller à New-York l’année prochaine. Que dites-vous de cela ? En attendant, il fait faire ici mon buste en bronze pour une superbe salle qu’il a fait bâtir là-bas ; et je vais poser tous les jours. Si je n’étais pas si vieux, tout cela me ferait plaisir.

Avez-vous lu les comptes rendus du festival de Meiningen, en Allemagne ? Cela aussi m’aurait fait plaisir, si je ne souffrais pas tant et si je n’étais pas si vieux. Oui, vous en avez lu quelqu’un ; votre lettre me l’annonce. J’ai vu des gens qui y étaient. N’avez-vous pas honte d’aller encore massacrer des faisans ? La belle chose que de tuer de la volaille dans une basse-cour !!!

Adieu ; cela ne fait rien, j’ai toujours pour vous, quand même, une véritable et chaleureuse amitié ; vous êtes, tous les deux, des cœurs excellents, que j’apprécie chaque jour davantage.