Correspondance inédite de Hector Berlioz/Notice sur Berlioz

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Texte établi par Daniel Bernard, Calmann Lévy, éditeur (p. 1-61).



NOTICE SUR BERLIOZ


Quelqu’un a dit de Berlioz, il y a une vingtaine d’années : — Il n’a pas le succès, mais il a la gloire… — Aujourd’hui, le voilà en train de conquérir l’un et l’autre ; c’est pourquoi les éléments de ce livre ont été rassemblés et pourquoi cette notice a été écrite.

La gloire et le succès tout à la fois !… Pour réunir ces deux attributs, qui ordinairement marchent de compagnie et qui n’avaient été séparés (dans le cas présent) que par le plus grand des hasards, Berlioz n’a eu qu’une chose très-simple à faire, — une chose à laquelle nous sommes soumis, vous et moi, une chose de laquelle dépendent les oiseaux qui volent dans l’air, les poissons qui nagent dans l’eau, les fleurs qui présentent leurs corolles aux baisers du soleil, le mendiant sous ses haillons et le souverain sous sa pourpre, une chose que nous ne pouvons ni éviter quand nous ne la cherchons pas, ni rencontrer quand nous la cherchons : il n’a eu qu’à mourir.

C’est que la mort est une fée mystérieuse dont la baguette a déjà accompli bien des prodiges. Telle marâtre insupportable, tel prince tyrannique, tel parent qui nous embarrassait, tel ami qui nous avait pris une place, nous apparaissent, dès qu’ils sont couchés dans la tombe, comme des modèles de vertus. Nous jetons des roses sur ces fosses encore béantes, nous avons soin de planter un bel arbre sur la terre fraîchement remuée, comme pour sceller le cachot et pour être assurés que le cadavre ne ressuscitera pas ; ces précautions prises, rien ne nous empêche de chanter les louanges de ceux qui ne sont plus. Non-seulement ils ne nous gênent guère, mais, par-dessus le marché, ils nous servent contre les vivants. Quoi de plus naturel que d’écraser Mozart sous la réputation de Haydn ! quoi de plus juste que de jeter à la tête de Rossini le Barbier de Paisiello ?

Berlioz, en vie, avait tous les inconvénients de son état de vivant ; quoique, par ses maladies fréquentes, il donnât beaucoup d’espérances aux gens qui attendaient qu’il disparût, il n’en occupait pas moins un rang dans la presse, un fauteuil à l’Institut, une loge au théâtre, un espace quelconque d’air respirable ; je ne parle pas de son prestige musical ; certains critiques croyaient l’avoir détruit à tout jamais, ou s’imaginaient qu’ils le croyaient ; car, au fond, ils n’en étaient pas bien sûrs.

Il existait donc d’excellentes raisons pour que Berlioz fût attaqué, discuté, calomnié par ses concurrents, qui, ayant du talent, ne lui pardonnaient pas d’avoir du génie, et par ceux, beaucoup plus nombreux, qui, ne possédant ni génie ni talent, se ruaient indifféremment à l’assaut de toute réputation sérieuse, sans espoir d’en tirer avantage pour eux-mêmes et uniquement pour le plaisir de briser. Couvert de lauriers à l’étranger, Berlioz s’irritait de trouver dans les feuilles de ses couronnes triomphales des moustiques parisiens qui le piquaient. Il était plus préoccupé des haines qu’il rencontrait dans son propre pays que des magnifiques ovations qui l’attendaient au delà des frontières ; et, de Londres, de Saint-Pétersbourg, de Vienne, de Weimar, de Lowenberg, de partout, nous le voyons écrire au dévoué et savant Joseph d’Ortigue, le Thiriot de cet autre Voltaire : — « On m’a donné un banquet… on m’a décoré de l’ordre de l’Aigle blanc… On est venu m’offrir une tabatière de la part du Roi… les journaux d’ici me portent aux nues… fais en sorte que Paris le sache ! — » Paris ! Paris ! il ne songeait qu’à cette ville ingrate.

Un jour, on lui propose, à lui qui n’avait rien, une place de maître de chapelle dans le palais de l’empereur d’Autriche : appointements élevés, résidence agréable, soins attentifs, nul souci de l’avenir, nuls risques de perdre ce poste, tout était réuni. Donizetti occupait déjà, dans la même résidence, une charge à peu près semblable, charge qui lui rapportait beaucoup et qui lui coûtait à peine une perte de temps. Berlioz refusa. Il voyageait en Allemagne à ce moment-là ; sur le point de prendre une détermination il se tourne vers sa patrie, les yeux mouillés de larmes : — « Quoi ! s’écrie-t-il, je ne te reverrai jamais (c’était dans les conditions du contrat) ; je n’aurai plus la liberté d’aller me faire traîner aux gémonies dans la fange de tes boulevards et sur les gradins de tes cirques ! Mais je mourrais d’ennui, là-bas, au sein de mon opulence ! » — Puis, s’adressant à ses amis, Desmarets, d’Ortigue, Dietsch, Schlesinger : — « O mes amis ! je m’aperçois que je vous aime plus que tout au monde et que je ne peux pas me séparer de vous ! » — Là-dessus, il repoussait les présents d’Artaxerce et reprenait avec joie le chemin de cette France adorée et maudite, qui, ayant parmi ses enfants le plus grand symphoniste du siècle après Beethoven, ne lui laissait à faire que des feuilletons.

Cependant il fallait, ou que la France se trompât au sujet de ce fils (si peu dénaturé pourtant !) ou que le reste de l’Europe se trompât de son côté ; le doute n’est plus permis à présent, le procès est jugé ; le bon sens de l’Europe avait raison contre la frivolité de la France… Que voulez-vous ? le Gaulois est né léger comme d’autres naissent coiffés… Du temps des Romains, il montait à l’assaut du Capitole sans avoir pris soin d’éclairer sa route, en sorte que les oies criaient contre lui et avertissaient l’ennemi de se tenir en garde. Louis XV, à la veille d’une révolution qui devait emporter sa race, disait : — « Cela durera bien autant que moi. » — Légèreté des légèretés ! tout n’est que légèreté. En ce qui concerne la musique, les Français ont eu des naïvetés et des fatuités formidables… Un émigré en Angleterre auquel on demandait s’il savait jouer du clavecin, répliquait d’un air digne : — « Je ne sais pas, je n’ai jamais essayé. »

Nul n’est prophète en son village, ou plutôt ceux qui passent pour tels ne sont souvent que de faux prophètes. Berlioz, admiré au loin, bafoué par ses compatriotes, était une des organisations les plus riches et les mieux douées que l’on pût voir. Compositeur inégal, mais souvent sublime, écrivain de race et primesautier, il a laissé une double réputation, alors que ses ennemis se sont donné tant de mal pour en laisser seulement la moitié d’une. La Correspondance que nous publions aujourd’hui ne nuira pas, croyons-nous, à la renommée du musicien et augmentera de beaucoup celle du littérateur. On connaissait déjà par les Mémoires[1] ce style haché, décousu, violent, plein de fantaisie et de grâce, se perdant en élans désespérés ou s’affaiblissant en des tristesses mornes. Quel beau livre, malgré ses défauts ! comme il vibre à chaque page, comme il sait mélanger le plaisant au sévère ! La pensée de l’auteur est une balle qui rebondit selon la nature des objets qu’elle frappe, tantôt s’élevant jusqu’au pur lyrisme, tantôt échouant dans le marécage du calembour. Quelle opposition avec les paisibles récits de Grétry sur son enfance liégeoise ! Les musiciens se suivent et ne se ressemblent pas ; il y a entre l’auteur de Richard Cœur de lion et l’auteur du Dies iræ grotesque la différence qu’on remarquerait entre un ruisselet tranquille et un torrent débordé.

La Correspondance, venant après les Mémoires, a une utilité qui ne sera contestée par personne ; d’abord, elle fermera la bouche aux détracteurs (s’il en reste encore), aux malveillants qui secouaient la tête quand on leur annonçait telle ou telle victoire remportée au dehors : — « A beau mentir qui vient de loin. » — Ils n’avaient pas d’autre réponse ; ils seront obligés maintenant de chercher un biais. La plupart des lettres que nous avons retrouvées sont des bulletins écrits à l’issue de la bataille et encore noircis de la fumée du combat ; impossible de nier ces documents triomphants, — et triomphants dans un double sens, — impossible de les rejeter, car ils acquièrent la valeur de pièces historiques. Ils nous donnent la vérité prise sur le fait ; un artiste, ivre de la joie du succès, les oreilles remplies du bruit des applaudissements, les joues rougies par de fraternelles embrassades, se hâte de faire part de son bonheur aux amis qu’il a laissés à Paris ; il leur mande que tels princes l’ont complimenté, que telles récompenses lui ont été décernées, que les populations organisent en son honneur des sérénades, des banquets, que la recette du concert a été superbe… Comment récuser ces témoignages ? Si on les repousse, nous ne voyons plus aucune manière d’écrire l’histoire avec certitude et nous ne comprenons pas ce qu’on pourra répondre aux mauvais plaisants qui prétendent que Napoléon Ier n’a jamais existé.

Dans quelques passages, la Correspondance, faisant allusion à des événements oubliés ou ignorés de cette génération de lecteurs, nous avons cru devoir donner quelques éclaircissements. Nous avons pensé qu’une notice biographique aiderait peut-être à dissiper les ténèbres du texte. Notre prétention, on le suppose bien, n’a pas été, un seul instant, de rivaliser avec les Mémoires ; cette folle témérité aurait été cruellement punie. Nous avons essayé seulement de recueillir ce que les Mémoires avaient omis et de les résumer en les complétant.

Berlioz (Louis-Hector) est né à la Côte-Saint-André, ville célèbre par ses fabriques de liqueurs, dans le département de l’Isère, à cinq heures du soir, le dimanche 19 frimaire an XII (c’est-à-dire, en langage ordinaire, le 11 décembre 1803)[2]. Son acte de naissance fut dressé devant les deux témoins suivants : le citoyen Auguste Buisson, âgé de trente-trois ans, propriétaire, et le citoyen Jean-François Recourdon, âgé de quarante-trois ans, receveur des contributions. Le père de l’enfant exerçait la profession de médecin ; son grand-père, noble Louis-Joseph Berlioz, avait été conseiller du roy, auditeur de la Chambre des comptes du Dauphiné et habitait tantôt la Côte, tantôt Grenoble[3]. Louis Berlioz, le médecin, aimant la vie rurale, était venu se fixer à la campagne, sous le toit paternel ; c’était un homme d’une nature mélancolique, d’un tempérament maladif, chercheur, un peu triste d’aspect, doux et bon ; il se plaisait dans la solitude, pratiquait son art d’une façon désintéressée et charitable, et partageait sa vie entre l’étude et la surveillance de ses domaines. Il y est mort en août 1848, vénéré de tous, des petits surtout, qui n’avaient jamais vainement recours à ses conseils et à sa générosité.

S’il est souvent question, dans les Mémoires, du père d’Hector Berlioz, on ne fait qu’entrevoir sa mère ; elle se nommait Marie-Antoinette-Joséphine Marmion et avait épousé Louis Berlioz vers le commencement du siècle. Femme d’une piété ardente et d’une rigide honnêteté, elle craignit longtemps pour son fils les souffles empestés de la gloire profane ; elle chercha à le retenir au foyer des aïeux, impuissante à empêcher l’aiglon de briser sa coque et d’aller affronter la lumière à laquelle les ailes se brûlent parfois. Pauvre mère vigilante ! ses efforts ne furent pas entièrement perdus ; car si elle ne réussit pas à empêcher son fils de courir le monde, elle lui inculqua du moins l’amour de la patrie et du sol natal. L’enfant prodigue ne revint jamais aux lieux où ses premiers jours s’étaient écoulés sans pousser des cris d’admiration, provoqués par la beauté du pays, la douceur du climat, les réminiscences lointaines de la naissante aurore.

Vingt ans après, revenant d’Italie, il écrivait à madame Horace Vernet : « Les souvenirs du royaume de Naples sont restés impuissants contre l’aspect riant, varié, frais, riche, pittoresque, beau de masses, beau de détails, de notre admirable vallée de l’Isère[4]… » En descendant du Mont-Cenis, il s’était laissé aller à un véritable transport : « Voilà le vieux rocher de Saint-Eynard !… Voilà le gracieux réduit où brilla la Stella montis… ; là-bas, dans cette vapeur bleue me sourit la maison de mon grand-père. Toutes ces villes, cette riche verdure,… c’est ravissant, c’est beau,… il n’y a rien de pareil en Italie[5]. » Évidemment l’influence maternelle avait été pour quelque chose dans ce sentiment d’amour du clocher, amour si profondément tenace dans le cœur du poëte.

Les années d’enfance, passées à la Côte-Saint-André, ne présentèrent aucun fait saillant ; le jeune Hector révélait cependant des dispositions intelligentes. Son penchant l’attirait vers l’étude de la géographie et ses rêves l’entraînaient vers une île déserte, paradis imaginaire de tous les enfants qui ont lu Robinson Crusoë. Sur la mappemonde, son petit doigt rose s’égarait de préférence sur la carte de l’Océanie, où tant d’archipels émergent de l’onde amère, comme ces insectes que le pied d’un passant réveille dans leurs trous de sable. Le grec et le latin, il ne les apprenait que par soubresauts et avec toutes sortes de caprices, sautant de l’Énéide aux fables de la Fontaine, et ne paraissant pas avoir goûté beaucoup les vrais classiques, Horace, Tite Live, Tacite, Salluste, Homère, Xénophon, Sophocle. En revanche, les livres qu’il aimait lui profitaient d’autant plus qu’il les lisait avec passion, tout en négligeant le reste. Ce fut son procédé, sa manière d’apprendre, à lui, jusqu’à la fin de sa vie. Jamais on ne put lui mettre dans la tête ce qui n’y voulait pas entrer ; mais il sut tout ce qu’il voulut, et, plus d’une fois, devança l’enseignement de ses maîtres ou le corrigea par son expérience personnelle.

Son premier professeur de musique sérieux fut un nommé Imbert, que le malheur des temps avait jeté à la Côte-Saint-André et qui y était resté à titre d’épave. Il reçut aussi les leçons d’un M. Dorant (Alsacien de Colmar), que nous retrouvons dans un chapitre des Grotesques de la musique. La scène se passe à Lyon, où Berlioz, déjà célèbre, est venu donner un concert : « Messieurs, dit-il aux artistes de son orchestre, j’ai l’honneur de vous présenter M. Dorant, un très-habile professeur de Vienne ; il a parmi vous un élève reconnaissant ; cet élève, c’est moi, vous jugerez peut-être tout à l’heure que je ne lui fais pas grand honneur ; cependant veuillez accueillir M. Dorant comme si vous pensiez le contraire et comme il le mérite[6]. » En effet, MM. Imbert et Dorant n’avaient pas eu à se plaindre de leur disciple ; dès l’âge de douze ans, celui-ci déchiffrait à première vue, chantait juste, avait composé un quintette, et jouait de trois instruments agréables en société, à savoir : la flûte, le flageolet et la guitare.

Nous voilà loin, n’est-ce pas ? des biographes qui prétendaient que Monsieur Berlioz n’avait cédé qu’à une vocation tardive et que, jusqu’à l’adolescence, il s’était occupé de tout autre chose que de musique ; d’abord la lettre Ire de notre recueil (à Ignace Pleyel) prouve le contraire. Et puis, la vérité ressort d’elle-même : Hector ne fut ni un petit prodige, ni un esprit en retard. Souvent la nature se dépense en premiers efforts et s’épuise après ; tel qui promettait de passer pour un génie a beaucoup de peine à devenir un homme médiocre dès qu’il est arrivé à l’âge de raison ; tel autre, qui n’excitait l’attention de personne, fleurit et éclate tout à coup, comme un bourgeon printanier. Casimir Delavigne, pour ne citer que lui, était toujours mis au pain sec quand il étudiait le De Viris ; cependant sa réputation d’auteur dramatique fut très-précoce, puisque à vingt-six ans, il était illustre dans le quartier de l’Odéon.

M. Louis Berlioz destinait son fils à la médecine ; c’était un parti sage, les pères ayant l’habitude de vouloir que leurs héritiers directs continuent les traditions de la famille, le fils d’un général étant militaire (le plus souvent) et le fils d’un avocat, avocat. Seulement, les pères proposent et les garçons disposent ; nous voyons des romans remplis de ces exemples-là, sans compter que la réalité se charge quelquefois de copier les romans. Pour le savant et honorable médecin de la Côte-Saint-André, les pots-pourris que son fils écrivait sur des thèmes italiens n’étaient qu’un passe-temps agréable, les romances composées sur des paroles de Florian (toujours en mode mineur) servaient de soupapes de sûreté à une imagination trop échauffée ; pour Hector Berlioz, au contraire, c’étaient les seuls travaux qui le séduisissent, les seuls auxquels il s’intéressât. Vainement, le père étalait-il dans son cabinet l’énorme traité d’ostéologie de Munro, contenant des gravures de grandeur naturelle « où les diverses parties de la charpente humaine étaient reproduites très-fidèlement » ; l’adolescent, dédaignant ces superbes os, s’amusait à feuilleter le traité d’harmonie de Rameau ou celui de Catel, qu’il était parvenu à se procurer : — « Apprends ton cours d’ostéologie, dit un jour le père, je te ferai venir de Lyon une flûte garnie de nouvelles clefs… » Ce fut la première et la dernière fois, je suppose, que le sévère Munro fit progresser quelqu’un dans l’art de jouer de la flûte.

Il commençait à être temps de pousser plus à fond les insuffisantes études médicales commencées au logis ; Paris, Montpellier, Strasbourg, délivraient des diplômes de docteur ; M. Louis Berlioz se décida à envoyer son fils à Paris. Celui-ci s’y rendit en compagnie d’un sien cousin, excellent musicien lui-même, mais candidat moins frivole aux grades de la Faculté ; par la suite, M. A. Robert devint, en effet, l’un des praticiens les plus distingués de la capitale. Les deux jeunes gens assistèrent ensemble aux leçons d’Amussat, de Thénard, de Gay-Lussac, d’Andrieux ; comme Andrieux parlait littérature, Hector s’attacha surtout à ce professeur et conçut le projet de lui demander un livret d’opéra. L’auteur des Étourdis avait alors soixante-quatre ans : « Cher monsieur, répondit-il, je ne vais plus au spectacle ; il me conviendrait mal, à mon âge, de vouloir faire des vers d’amour, et, en fait de musique, je ne dois plus guère songer qu’à la messe de Requiem. » Andrieux, sa lettre écrite, prit le parti de la porter au domicile de son correspondant inconnu. Il monte plusieurs étages, s’arrête devant une petite porte, à travers les fentes de laquelle s’échappe un parfum d’oignons brûlés ; il frappe ; un jeune homme vient lui ouvrir, maigre, anguleux, les cheveux roux et ébouriffés ; c’était Berlioz, en train de préparer une gibelotte pour son repas d’étudiant, et tenant à la main une casserole :

— Ah ! monsieur Andrieux, quel honneur pour moi !… Vous me surprenez dans une occupation… Si j’avais su !

— Allons donc, ne vous excusez pas. Votre gibelotte doit être excellente et je l’aurais bien partagée avec vous ; mais mon estomac ne va plus. Continuez, mon ami, ne laissez pas brûler votre dîner parce que vous recevez chez vous un académicien qui a fait des fables.

Andrieux s’assoit ; on commence à causer de bien des choses, de musique surtout. À cette époque, Berlioz était déjà un glückiste féroce et intolérant :

— Hé ! hé ! dit le vieux professeur en hochant la tête, j’aime Gluck, savez-vous ? je l’aime à la folie.

— Vous aimez Gluck, monsieur ? s’écria Hector en s’élançant vers son visiteur comme pour l’embrasser. Dans ce mouvement, il brandissait sa casserole aux dépens de ce qu’elle contenait.

— Oui, j’aime Gluck, reprit Andrieux, qui ne s’était pas aperçu du geste de son interlocuteur et qui, appuyé sur sa canne, poursuivait à demi-voix une conversation intérieure… J’aime bien Piccini aussi.

— Ah ! dit Berlioz froidement, en reposant sa casserole[7].

L’admiration de Gluck était venue au futur symphoniste de fragments d’Orphée qu’il avait découverts dans la bibliothèque de son père, à la Côte-Saint-André. Peu à peu, il avait consacré ses petites économies à acheter des billets pour l’Opéra, où l’on jouait des ouvrages de Spontini, de Salieri, de Méhul, tous de l’école de Gluck. En fait d’amphithéâtre, il ne fréquentait plus guère que celui de l’Académie de musique, et le cousin Robert, ayant voulu l’emmener à l’hospice de la Pitié pour y disséquer des sujets, Berlioz se sauva par la fenêtre. Jour et nuit, on l’entendait fredonner : Descends dans le sein d’Amphitrite, ou : Jouissez au destin propice, ou quelque autre mélodie de ses compositeurs favoris. Je ne crois pas trop au coup de foudre, terrassant le sensible Hector et lui révélant une vocation jusque-là confuse ; cet événement extraordinaire se serait passé à une représentation des Danaïdes de Salieri[8]. Ce sont là des exagérations à l’adresse de la postérité et qu’on finit peut-être soi-même par croire exactes à force de les répéter aux gens. La froide raison ne tarde pas à abattre cet échafaudage de mélodrame ; car il n’est pas admissible qu’un penchant aussi inné que celui dont nous avons montré les germes se soit jamais démenti ni oublié. Les Danaïdes ont frappé une âme très-disposée à être frappée ; telle est la seule hypothèse vraisemblable et cette supposition n’a rien de commun avec les aventures de Saul sur le chemin de Damas. Quand on a, dès l’âge le plus tendre, tracé des notes sur du papier réglé, organisé des orchestres de famille, cherché des mélodies sur des paroles de Florian, trouvé le thème principal qui servira au largo de la Symphonie fantastique, on n’attend pas les Danaïdes pour savoir qu’on est musicien jusque dans les dernières fibres de son cœur. Notre héros s’est donc calomnié en prétendant qu’à un moment donné, « il allait devenir un étudiant comme tant d’autres, destiné à ajouter une obscure unité au nombre désastreux des mauvais médecins ». Allons donc ! est-ce qu’une organisation comme la sienne pouvait s’ignorer ainsi ? est-ce que Catel, Rameau et Orphée n’avaient pas laissé de traces dans cette mémoire volage ? Une vocation qui s’égare n’est point une vocation ; l’homme marqué pour telle ou telle entreprise marche à son but sans détourner les yeux, sans s’arrêter aux bagatelles de la route, sans se préoccuper de l’avenir, sans s’inquiéter des obstacles. Connaissant l’intensité de tendresse avec laquelle Berlioz a aimé son art, je ne veux point admettre les défaillances ; et, s’il n’y a pas eu défaillances, il n’y a eu ni conversion, ni coup de foudre, ni rien qui y ressemblât.

Décidé à se faire compositeur de musique à ses risques et périls, Hector manda à son père la résolution qu’il venait de prendre et entra au Conservatoire dans la classe de Lesueur. Personne ne connaît Lesueur aujourd’hui. C’était pourtant, sous la Restauration et sous le premier Empire, un homme considérable, membre de l’Institut, correspondant d’un grand nombre d’académies, et les divers gouvernements qui s’étaient succédé en France l’avaient tous accablé de leurs faveurs. Après la représentation des Bardes, Napoléon lui avait donné une tabatière d’or ; Louis XVIII et Charles X l’avaient conservé comme surintendant de la chapelle royale, où, tous les dimanches, il faisait exécuter des oratorios de sa façon. Ses doctrines, sa théorie de la basse fondamentale, ses idées sur les modulations étaient autant de dogmes devant lesquels ses élèves s’inclinaient avec foi. Il avait su, à vrai dire, inspirer à ces jeunes gens une affection profonde, tant par le respect que son talent leur imposait que par l’ardeur qu’il mettait à les aider de son influence et de ses relations. Eux, se glorifiaient de son enseignement ; parmi les lettres que nous publions dans ce volume, quelques-unes portent, après la signature, cette mention : Élève de Lesueur, et cela fait l’effet d’un titre de noblesse, énoncé avec orgueil.

Dans sa jeunesse, Lesueur avait été un révolutionnaire, introduisant des orchestres à Notre-Dame et publiant des brochures sur la musique d’église dramatique et descriptive. Aussi, les novateurs ne lui déplaisaient-ils pas, et, comme déjà Berlioz, dans la conversation, s’insurgeait volontiers contre certaines traditions reçues, contre certains préjugés incompréhensibles, le vieux maître avait pris en affection cet élève instruit, paradoxal, éloquent et fougueux. Les dimanches, avant la messe, il le faisait venir aux Tuileries, prenait la peine de lui expliquer le plan, les intentions, le sujet de l’œuvre qu’on allait exécuter. Après la messe, le professeur et son jeune ami allaient errer sur les bords de la Seine ou sous les ombrages du jardin des Tuileries, et Lesueur, avec sa physionomie fine, écoutait en souriant les véhéments discours de son compagnon de promenade, réfutait les opinions un peu hasardées de celui-ci et lui racontait le passé, quand le présent avait fourni trop longuement matière aux discussions sur la religion ou la philosophie.

On ne s’occupait pas seulement de musique dans la classe de Lesueur, on s’y piquait aussi de poésie. Un des élèves, nommé Gérono, qui taquinait les Muses à ses moments perdus, avait tiré du drame de Saurin, Beverley, une scène pour voix de basse, dont il avait confié les paroles à Berlioz ; nous ignorons quel était le librettiste d’un autre ouvrage sur le Passage de la mer Rouge, qui date de la même époque. Hector résolut de révéler au public ces premiers essais et songea à les produire dans une représentation à bénéfice au Théâtre-Français. Il fallait l’assentiment de Talma, le bénéficiaire. « L’idée de parler au grand tragédien, de voir Néron face à face » fit reculer Berlioz, qui n’était pas timide d’ordinaire. Ne pouvant réussir dans le profane, il se retira dans le sacré, écrivit une Messe qu’on faillit exécuter à Saint-Roch, puis qu’on exécuta tout à fait, grâce à la libéralité d’un riche amateur, qui paya les violons. Très-peu de journaux parlèrent de ce début, assez médiocre ; le style de l’ouvrage était une mauvaise imitation de la manière de Lesueur, et l’auteur, plus consciencieux ou plus difficile que la plupart de ses confrères, brûla son manuscrit. Un seul morceau, le Resurrexit, fut préservé des flammes : encore le compositeur l’a-t-il plus tard condamné sans rémission. Nul n’a eu la main plus prompte que lui dans ces sortes d’auto-da-fé ; il y a quelques années, on a vendu à l’hôtel Drouot l’unique exemplaire de l’opus 2 de Berlioz : la Danse des Ombres, ronde nocturne pour chant et piano. L’exemplaire était accompagné de la note ci-jointe : « Curiosité et rareté. Toute l’édition de l’œuvre 2 de Berlioz a été détruite par ses ordres[9]. »

Il prit part au concours pour le prix de Rome et ne fut pas même jugé digne d’entrer en loge. Cet échec alarma les parents du Dauphiné, qui n’étaient pas bien sûrs que leur enfant prodigue fût destiné à briller dans la carrière musicale. Le père ordonna à son fils de revenir en province ; Hector obéit, mais, de retour à la Côte, il tomba dans un état de tristesse horrible, ne parlant à personne, passant les journées à errer dans les bois et les nuits à gémir dans l’ombre. M. Louis Berlioz finit par se laisser émouvoir : « Je consens, dit-il à son fils, à te laisser étudier la musique à Paris, mais pour quelque temps seulement ; et si, après de nouvelles épreuves, elles ne te sont pas favorables, tu me rendras bien la justice de déclarer que j’ai fait tout ce qu’il y avait à faire et tu te décideras à prendre une autre voie. Tu sais ce que je pense des poëtes médiocres : les artistes médiocres dans tous les genres ne valent pas mieux ; et ce serait pour moi un chagrin mortel, une humiliation profonde de te voir confondu dans la foule de ces hommes inutiles[10]. »

Ici, nous évitons à dessein de transcrire une scène intime que les Mémoires rapportent tout au long ; elle nous a paru chargée en couleur et inutile à recueillir pour en orner cette biographie… Nous voici de nouveau, avec Berlioz, dans la capitale, pendant l’hiver de 1826. Il commença par louer une très-petite chambre, au cinquième, dans la Cité, au coin de la rue de Harlay et du quai des Orfévres, s’imposa un régime alimentaire plus rigoureux peut-être que celui des solitaires de la Thébaïde ; mais ces économies ne suffirent pas à lui permettre de s’acquitter envers l’ami généreux, qui lui avait prêté naguère douze cents francs pour l’exécution de la messe à Saint-Roch. Comme la moitié de la somme était encore due, l’ami, M. de Pons, crut bien faire en réclamant cet argent à M. Berlioz père. Celui-ci, pour le coup, signifia à son fils qu’il n’eût plus à compter sur un budget mensuel : — Qu’importe ! pensa le déshérité, je suis accoutumé à vivre de peu ; et puis n’ai-je pas trouvé des leçons de solfège à un franc le cachet ?

Cette maigre ressource lui suffisait. Il eut la bonne fortune de rencontrer un Côtois de ses amis, étudiant en pharmacie, Antoine Charbonnel, et, comme la misère est plus facile à supporter à deux, les jeunes gens s’associèrent. Ils s’établirent, rue de la Harpe, au quartier Latin. Ils n’y menaient pas une existence de nababs ; on nous a communiqué le registre sur lequel ils inscrivaient leurs dépenses quotidiennes ; c’est on ne peut plus instructif.

En septembre, premier mois de l’association, ils commencent par acheter les ustensiles nécessaires à leur petit ménage : deux fourneaux, un pot à boulli (sic), une écumoire, une soupière, huit assiettes à quatre sols, et deux verres à quarante centimes. Le registre va du 6 septembre 1826 au 22 mai de l’année suivante. Les poireaux, le vinaigre, la moutarde, le fromage, l’axonge, y jouent les rôles principaux. Certaines journées paraissent avoir été terribles, surtout vers les fins de mois. Le 29 septembre, par exemple, les deux étudiants ont vécu de quelques grappes de raisin ; le 30, leur dépense s’est élevée à : « Pain… 0 fr. 43 c. Sel… 0 fr. 25 c. Total… 0 fr. 68 c.  ».

Le 1er janvier, jour où tout le monde est en fête, Charbonnel, qui avait sans doute des connaissances en ville, est allé dîner au dehors : Hector, sans parents, sans amis, est resté seul, devant les tisons éteints de son triste foyer. Il a grignoté une croûte de pain desséchée (40 centimes) en attendant la gloire et en se récitant des vers de Thomas Moore, auteur qu’il venait de découvrir et qui lui causait une impression profonde. La belle jeunesse, les espérances en l’avenir, l’ont consolé des rigueurs du présent ; sa pensée s’est envolée vers les triomphes futurs et son front a frissonné sous les lèvres imaginaires d’une bonne fée qui lui promettait le génie et le succès. O songes délicieux ! les plus doux, les plus enchanteurs, ne se font-ils pas dans ces mansardes d’artistes, traversées par la bise de l’hiver ou chauffées par la violente canicule de juillet ? avoir devant soi un horizon infini et songer qu’on remplira de bruit, de lumière et d’ambition assouvie, tout cet espace ! fouler aux pieds les ennemis, ou, mieux encore, se sentir la force et le dédain de leur pardonner ! Toucher au but et être récompensé de tant d’efforts par les caresses d’une femme aimée !… N’est-ce pas là ce qui se rêve à chaque instant sous les lambris peu dorés d’un sixième étage et ce qu’emporte vers les nuages la fumée de la grande ville, aux approches du soir ?

En mai 1827, la gêne des deux camarades semble avoir cessé ; l’un deux, je crois que c’est Charbonnel, annonce sur son cahier de dépenses, qu’il va partir : pour où ? Nous l’ignorons. Toujours est-il que celui-là se livre à de nombreux achats assez excentriques : une paire d’éperons, un ruban avec clef et anneau doré, une paire de bamboches ; on sent le jeune homme qui veut briller et faire bonne figure en province ; il porte son chapeau chez le chapelier et fait repasser ses rasoirs[11]. Franchement, l’année avait été rude. Dans un moment de désespoir, Berlioz, à bout de ressources, avait sollicité et obtenu une place de choriste sur les planches du théâtre des Nouveautés ; cette profession bizarre ne l’empêchait pas de suivre les cours de Lesueur et de Reicha, mais elle l’humiliait assez pour qu’il se dérobât le plus possible aux yeux indiscrets pendant l’exercice de ses fonctions dramatiques. Charbonnel, très-fier, eût été humilié de vivre sous le même toit qu’un baladin ; Charbonnel se fâchait quand son ami portait ostensiblement dans la rue les provisions nécessaires au déjeuner ou au souper du ménage. Si l’étudiant en pharmacie avait su qu’il cohabitait avec un choriste, c’eût été une rupture complète.

Cependant l’Institut, en 1828, mit au concours une cantate : Orphée déchiré par les bacchantes, et, cette fois, Hector ne fut pas honteusement repoussé. Le jury se contenta de déclarer inexécutable le morceau présenté par le candidat. Berlioz, outré de dépit, jura que sa cantate inexécutable serait exécutée et demanda la salle du Conservatoire pour y donner un concert. M. de la Rochefoucauld, de qui dépendait l’autorisation, avait une réputation d’homme pudique parce qu’il avait prescrit aux danseuses de l’Opéra d’allonger leurs jupes ; mais c’était un protecteur éclairé de l’art et des artistes. L’autorisation fut accordée ; Cherubini, directeur du Conservatoire, eut beau protester, M. de la Rochefoucauld donna des ordres formels.

Ce fonctionnaire avait-il, manquant à toutes les traditions administratives, deviné le talent du jeune compositeur ? Il est permis de le croire, puisque, tant que M. de la Rochefoucauld resta au pouvoir, Berlioz ne cessa d’avoir recours à ce gracieux Mécène. L’année suivante, un ballet sur Faust ayant été reçu à l’Opéra, Hector s’adressait de nouveau à son protecteur habituel, le surintendant des théâtres, et se recommandait à lui en ces termes :

« Le jury de l’Académie de musique a reçu, il y a deux mois, un ballet de Faust. M. Bohain, qui en est l’auteur, désirant me fournir l’occasion de me produire sur la scène de l’Opéra, m’a confié la composition de la musique de son ouvrage, à condition que M. le surintendant voudrait bien m’agréer. Si M. le surintendant veut connaître mes titres, les voici : j’ai mis en musique la plus grande partie des poésies de Gœthe ; j’ai la tête pleine de Faust et si la nature m’a doué de quelque imagination, il m’est impossible de rencontrer un sujet sur lequel cette imagination puisse s’exercer avec plus d’avantages…[12]. »

Pour parler ainsi à un grand de la terre, il fallait avoir reçu des preuves antérieures de sa bienveillance.

Le concert dans la salle du Conservatoire n’eut point lieu sans accidents. Alexis Dupont, l’un des solistes, fut pris d’un enrouement subit, la veille du concert, un trio avec chœurs fut chanté sans chœurs, par la faute des choristes qui manquèrent leur entrée ; quant à la cantate d’Orphée, qui figurait sur le programme, on se vit obligé de la supprimer, à cause des défaillances de l’orchestre. Nos virtuoses parisiens ont fait, sous le rapport de la science et du mécanisme, d’immenses progrès ; ils riraient bien aujourd’hui des difficultés qui ont arrêté l’archet de leurs ancêtres. Bien entendu, le concert ne rapporta rien à celui qui l’avait organisé ; mais M. Fétis, qui faisait autorité, dit, un soir, dans un salon, le dos tourné vers la cheminée et en se chauffant les jambes : — Voilà un début qui promet !… — Et cette parole de M. Fétis fut très-répétée.

Dès lors, on commença, dans le monde musical, à compter sur Berlioz ; on le considéra comme un élève qui prenait des licences fatales, qui s’affranchissait du joug et qu’il faudrait ramener à la vertu ; mais son prix de Rome, obtenu en 1830, au bruit du canon des barricades, n’étonna personne. Le prix, cette année-là, fut partagé entre deux concurrents ; le second lauréat de l’Institut était Alexandre Montfort, auquel on doit un ballet pour Fanny Essler, la Chatte métamorphosée en femme, et trois ou quatre opéras comiques dont le meilleur, Polichinelle, n’est guère bon.

Le séjour de Berlioz à Rome ne le réconcilia point avec la musique italienne, qu’il détestait ; à la villa Médicis, au café Gréco, il forma avec Liszt, Mendelssohn, une bande à part, connue sous le nom de Société de l’indifférence en matière universelle[13]. Mendelssohn, aussi excellent pianiste que grand compositeur, régalait d’harmonie les pensionnaires du gouvernement ; ceux-ci l’arrachaient souvent à ses travaux et l’on flânait, de compagnie. On causait de Beethoven, de Schiller, de Gœthe, de Haydn, de Mozart ; en sa qualité d’Allemand, Mendelssohn s’imaginait de bonne foi que le génie universel était concentré entre les rives de la Sprée et les montagnes du Tyrol : en dehors de l’Allemagne, point de salut. Jaloux comme un tigre, peu bienveillant avec ses confrères, il ne soupçonnait guère que le garçon nerveux et anguleux, au profil d’aigle, qui cheminait à côté de lui dans la rue du Corso, lui disputerait un jour les palmes de la gloire musicale, qu’il échangerait des présents avec lui, et qu’il lui donnerait l’accolade coram populo, avec plus ou moins de sincérité : — « Berlioz, écrivait-il, en 1831, est une vraie caricature, sans ombre de talent, cherchant à tâtons dans les ténèbres et se croyant le créateur d’un monde nouveau ; j’ai parfois des envies de le dévorer…[14]. » Doux enfant de la Germanie ! C’est le même Mendelssohn qui, après un concert où Berlioz avait fait entendre des symphonies gigantesques, jouées par des masses d’exécutants, le félicitait d’avoir composé de si jolies petites romances[15].

Hector n’avait pas quitté Paris sans regret ; il y laissait une personne dont il crut avoir à se plaindre et dont il voulut se venger. Nous voici vraiment en plein roman ténébreux. Ombre de Pixérécourt, pardonne !… Un beau matin, Berlioz quitte Rome, emportant un poignard et des pistolets : son projet était de s’introduire sous un déguisement chez la belle infidèle, de la tuer et de se suicider après : « J’avais à punir, nous dit-il, deux coupables et un innocent… » A Florence, une modiste lui vend un costume de soubrette ; à Gênes, une seconde modiste lui refuse un second costume, le premier ayant été perdu en route ; vers Porto-Maurizio, Savone, le voyageur commençait à revenir à des sentiments moins féroces et l’instinct de la conservation l’aiguillonnait un peu. On se rappelle que tout élève qui franchissait sans permission la frontière italienne était regardé comme déserteur et rayé de la liste des pensionnaires de l’Académie ; cette considération n’était pas à dédaigner. Réflexion faite, Berlioz jugea prudent de s’arrêter sur la pente du crime ; il avait continué de courir en poste le long des falaises de la Corniche et il se trouvait, non à Vintimille, comme il le dit dans ses Mémoires, mais à Diano Marina, petite ville de l’ancien duché de Gênes, aux environs d’Oneille. De là, il écrivit à M. Horace Vernet, directeur de l’Académie de France à Rome, une lettre dont nous ne possédons que des fragments.

« Diano Marina, 18 avril 1831.

«…Un crime odieux, un abus de confiance dont j’ai été pris pour victime, m’a fait délirer de rage depuis Florence jusqu’ici. Je volais en France pour tirer la plus juste et la plus terrible vengeance ; à Gênes, un instant de vertige, la plus inconcevable faiblesse a brisé ma volonté, je me suis abandonné au désespoir d’un enfant ; mais enfin j’en ai été quitte pour boire l’eau salée, être harponné comme un saumon, demeurer un quart d’heure étendu mort au soleil et avoir des vomissements violents pendant une heure ; je ne sais qui m’a retiré ou m’a vu tomber par accident des remparts de la ville. Mais enfin je vis, je dois vivre pour deux sœurs, dont j’aurais causé la mort par la mienne, et vivre pour mon art[16]… »

Il résulte de cette lettre que le pauvre amoureux, volontairement ou non, se serait laissé choir du haut des remparts de Gênes dans la Méditerranée ; les Mémoires sont muets sur cet accident. Ils se bornent à constater le repentir du fugitif, sa soudaine résolution de rebrousser chemin et enfin sa rentrée au bercail.

Rome, qui attire à elle tant de cœurs chrétiens et artistes, n’exerça qu’une influence médiocre sur son nouveau commensal. C’est que la musique y était négligée ou jetée dans une voie déplorable ; les Italiens abusaient déjà des orchestres bruyants ; ils raffolaient « des clarinettes cafardes, des trombones rugissants, des grosses caisses furibondes, des trompettes saltimbanques », ensemble instrumental désigné sous le nom de musique militaire. On chantait platement de plates cavatines dans les salons ; les théâtres, avec leurs habitudes méridionales, donnaient des opéras taillés sur le même patron, chantés par des gens prudents, incapables de ressentir la moindre émotion en scène ; Palestrina, dans les églises, n’existait plus qu’à l’état de souvenir. Pour une âme éprise des grandes émotions musicales, Rome, ce merveilleux musée des chefs-d’œuvre plastiques, représentait la solitude et le néant.

Il n’y avait donc pour un musicien qu’un parti à prendre ; emporter en bandoulière un fusil de chasse, tirer de la poudre aux moineaux des Abruzzes, pincer les cordes d’une guitare, noter les mélodies populaires, saisies au vol, réciter l’Énéide sur le sommet des montagnes et maudire les cavatines, les cabalettes, les trilles, les fioritures, les prime donne assolute, les ténors aux longs cheveux, les librettistes à l’imagination glacée. Oh ! comme il était doux de se séparer de tout cela, de s’endormir, en liberté, à l’ombre d’un rocher sauvage, de s’asseoir au foyer d’une hôtellerie, dans quelque pays perdu ! Les auberges de la campagne romaine abondent en détails pittoresques ; quand les contadini, ayant attaché leurs chevaux dans la cour de l’osteria, entrent, à la tombée de la nuit, dans la salle commune où se vident les fiasques, leurs splendides haillons, leurs longs chapeaux pointus, leurs barbes touffues et mal peignées, forment l’assemblage le moins rassurant qui se puisse imaginer. C’est bien au milieu de ces paysans (ou de ces bandits) qu’une intelligence en éveil et à l’affût de la couleur devait trouver la Sérénade et l’Orgie des brigands de la symphonie d’Harold.

Les excursions de Berlioz à Subiaco, à Alatri, au mont Cassin, à Arcinasso, ne le consolaient que médiocrement de l’incurable ennui qu’il éprouvait dans la Ville éternelle.

…Enfin, enfin, il lui fut permis de quitter cette Italie qu’il ne revit jamais et où, contrairement à tant d’autres, moins difficiles, il n’avait pu s’acclimater. Son ardeur de rentrer dans la lutte et de se conquérir une place en vue était vraiment furieuse. On s’occupa de ses faits et gestes à Paris, dès qu’il y fut ; et, à ce propos, qu’on nous permette d’ouvrir une parenthèse. Nous croyons que la vie des grands hommes doit être murée ni plus ni moins que celle des simples particuliers ; mais quand un amour comme l’amour de Berlioz pour miss Smithson a occupé les badauds et les journaux d’une ville d’un million d’âmes, cet épisode ne rentre plus dans l’ordre des galanteries ordinaires ; il appartient à l’histoire. Nous nous en emparons.

Miss Smithson était venue à Paris avec une troupe de comédiens anglais, chargés de populariser Shakespeare de ce côté-ci du détroit. La tâche était ardue ; les Français ne s’enthousiasment pas facilement pour ce qu’ils ne comprennent point et très-peu d’entre eux connaissaient la langue de Byron et d’Hudson Lowe. À la vérité, ce démon de Shakespeare est doué d’un tel génie communicatif que ses œuvres, même jouées en pantomime, établiraient entre lui et les spectateurs un courant de sympathie électrique. Les étudiants de la rive gauche firent fête à Roméo, à Hamlet, qu’ils connaissaient par les adaptations du bon Ducis ; miss Smithson fut engagée à l’Opéra-Comique pour y jouer un rôle muet dans l’Auberge d’Auray, de Carafa et d’Hérold. Elle s’était auparavant distinguée à Londres, à côté de Kean ; le vieux Kemble l’avait encouragée à persévérer et elle avait déployé les qualités les plus touchantes, les plus pathétiques, dans les rôles d’Ophélie, de lady Macbeth, de Desdémone, de Virginie, de Cordélia. Sa timidité était extrême ; aussi quand on lui annonça qu’un jeune musicien, déjà connu, s’était épris d’elle à une représentation de l’Odéon, quand on lui dit que ce romantique artiste ne rêvait plus qu’à elle, avait juré de ne plus composer que pour elle, miss Smithson refusa de croire à une aussi tenace passion. Un rédacteur du Galignani’s Messenger, M. Schutter, persuada à la charmante actrice d’assister à un concert où l’auteur de la Symphonie fantastique faisait entendre ce bel ouvrage ; en écoutant la phrase de l’adagio, cette phrase qui reparaît dans la Scène aux champs, dans la Marche au supplice, dans les fêtes orgiaques de la Nuit du Sabbat, Harriett Smithson comprit qu’elle était aimée. Elle consentit à recevoir son adorateur, elle lui permit d’espérer ; mais une union projetée dans des conditions aussi étranges ne se noue pas sans des alternatives de beau temps et de tempêtes, d’espoir et de désespoir. Il faut sans doute rapporter à quelque péripétie orageuse le billet qu’on va lire :

À MADEMOISELLE HENRIETTE SMITHSON.

Rue de Rivoli, Hôtel du Congrès.

« Si vous ne voulez pas ma mort, au nom de la pitié (je n’ose dire de l’amour), faites-moi savoir quand je pourrai vous voir.

« Je vous demande grâce, pardon, à genoux, avec sanglots !!!

« Oh ! malheureux que je suis, je n’ai pas cru mériter tout ce que je souffre, mais je bénis les coups qui viennent de votre main.

« J’attends votre réponse comme l’arrêt de mon juge[17].

« H. Berlioz. »

Agité par ces fiévreuses secousses, Berlioz s’échappait dans la campagne pour oublier les tourments qui le consumaient ; Liszt et Chopin le suivirent, toute une nuit, à travers la plaine Saint-Ouen. Dans une de ces pérégrinations, un soir, avant son départ pour l’Italie, il s’était endormi sur l’herbe gelée, scintillante de perles, en face de l’île de la Grande Jatte et du parc de Neuilly. Une autre fois les garçons du café Cardinal n’osaient le réveiller, pendant qu’il sommeillait, épuisé, le front sur une table de marbre. Pendant une semaine entière, on crut à son suicide ; il n’avait pas donné signe de vie, avait disparu de son domicile et on ignorait où il était allé. La mère et la sœur de miss Harriett faisaient, comme on pense bien, une opposition formidable aux projets des deux amants ; la famille de la Côte-Saint-André ne voulait pas davantage de ce mariage. Pour comble d’infortune, la malheureuse Ophélie se ruina et se cassa la jambe en descendant d’un cabriolet. Quoique les ressources pécuniaires d’Hector fussent des plus minces à ce moment-là, il ne balança plus à accomplir son dessein. Si mademoiselle Smithson était restée riche et célèbre, il aurait peut-être renoncé à ses projets ; pauvre et malade, il n’hésita plus : il l’épousa.

Ces premières années de mariage furent tout à la fois pénibles et charmantes. Le nouveau ménage, dont le budget, pour commencer, s’élevait à trois cents francs de capital[18], se fixa dans les quartiers les plus divers, tantôt rue Neuve-Saint-Marc, tantôt à Montmartre, dans une rue Saint-Denis dont il nous a été impossible de retrouver la trace. Liszt demeurait rue de Provence et rendait souvent visite aux jeunes époux ; on passait ensemble des soirées, pendant lesquelles l’admirable pianiste exécutait des sonates de Beethoven dans l’obscurité, afin que l’impression produite fut plus forte. Aussi, comme Berlioz défendait son ami dans les journaux où il avait l’habitude d’écrire, — dans le Correspondant, la Revue européenne, le Courrier d’Europe, et enfin les Débats ; comme il se fâchait quand les Parisiens volages essayaient d’opposer Thalberg à son rival ; une lionne montrant les dents n’est pas plus redoutable ! Gare à qui s’avisait de dire que Liszt n’était pas le premier pianiste des temps passés, présents et futurs ! Et ce qu’il donnait comme un axiome musical indiscutable, le critique le pensait ; car il n’aurait jamais pu trahir ses convictions et il affectait vis-à-vis des médiocrités un dédain voisin de l’impolitesse. Liszt, au surplus, lui rendait procédés pour procédés, transcrivant la Symphonie fantastique, jouant dans les nombreux concerts que le jeune maître donnait, l’hiver, avec un succès toujours croissant. Ici, rappelons quelques dates pour l’agrément des archéologues : la première audition de Sarah la Baigneuse et de la Belle Irlandaise eut lieu le 6 novembre 1834, au Conservatoire ; Harold fut donné au second concert de cette série : « On s’aborde partout en s’entretenant de la Marche des Pèlerins », disaient les feuilles du temps ; la mélodie du Cinq Mai et celle du Pâtre breton furent entendues pour la première fois le dimanche 22 novembre 1835. Berlioz et Girard, « l’excellent chef d’orchestre du Théâtre Nautique », plus tard, chef d’orchestre à l’Opéra, s’étaient associés ; mais, Girard ayant été insuffisant dans l’exécution de certains morceaux, l’union se rompit et Berlioz s’en alla tout seul aux Menus-Plaisirs ; car il changeait de salle de concerts aussi souvent que d’appartements privés, voyageant du Vaux-Hall à la rue Vivienne et du Garde-Meuble de la rue Bergère au Gymnase musical, situé sur le boulevard Bonne-Nouvelle[19]. Le bruit, commençait à se faire autour de son nom ; si l’argent lui manquait parfois, les ennemis déjà ne lui manquaient pas. M. Fétis jeune l’attaquait dans je ne sais quelle feuille de chou ; Arnal le parodiait au bal de l’Opéra, pendant que les masques dansaient des quadrilles, que les débardeurs faisaient vis-à-vis aux pierrettes, que la folie agitait ses grelots (style d’alors), et que Musard soufflait dans ses cornets à pistons : « Oui, messieurs, s’écriait Arnal, je vais faire exécuter devant vous une symphonie pittoresque et imitative, intitulée Épisode de la vie d’un joueur. Je n’ai besoin pour faire comprendre mes pensées dramatiques, ni de paroles, ni de chanteurs, ni d’acteurs, ni de costumes, ni de décorations. Tout cela, messieurs, est dans mon orchestre ; vous y verrez agir mon personnage, vous l’entendrez parler, je vous le dépeindrai des pieds à la tête ; à la seconde reprise du premier allegro, je veux vous apprendre même comment il met sa cravate. O merveille de la musique instrumentale ! Mais je vous en ferai voir bien d’autres dans ma seconde Symphonie sur le code civil. Quelle différence, messieurs, d’une musique comme celle-là, qui se passe de mille accessoires inutiles au vrai génie et n’a besoin pour se faire comprendre que de… trois cents musiciens ! Quelle différence, dis-je, avec les ponts neufs de Rossini ! Oh ! Rossini ! ne me parlez pas de Rossini ! un intrigant qui s’avise de faire exécuter sa musique dans les quatre parties du monde pour se faire une réputation !… Charlatan !… Un homme qui écrit des choses que comprendra le premier venu ! Tenez, c’est abominable ; et pour moi, la musique de Rossini est une chose ridicule ; elle ne me fait aucun effet, mais aucune espèce d’effet, voilà l’effet qu’elle me fait[20]. »

Dans la Caricature, un journaliste anonyme publiait un article intitulé : le Musicien incompris : « Le musicien incompris méprise profondément ce qu’on nomme vulgairement le public ; mais en compensation il n’a qu’une médiocre estime pour les artistes contemporains. Si vous lui nommez Meyerbeer : — Hum ! hum ! il a quelque talent, je ne dis pas, mais il sacrifie à la mode. — Et M. Auber ? — Compositeur de quadrilles et de chansons. — Bellini, Donizetti ? — Italiens, Italiens, musiciens faciles, trop faciles. — Par exemple, s’il traite très-cavalièrement le présent, il a une grande vénération pour tout ce qui date d’un siècle ; et quand vous lui parlez d’un opéra nouveau, d’un succès, il vous répond d’une voix attendrie : Ah ! que diriez-vous, si vous connaissiez le fameux Jacques Lenglumé (un incompris de la jeunesse de Louis XIV) ; quelle musique ! quel musicien !… Notre grand homme va chercher la solitude au huitième au-dessus de l’entresol ; là, après s’être parfumé d’une grande quantité de cigares, après avoir tourné trois fois sur lui-même, il se livre tout entier au feu qui le dévore. Il saisit sa guitare (le piano généralement tapoté lui semblant fort mesquin) et tombe, le poil hérissé, sur un sofa où il compose, compose jusqu’à extinction de chaleur naturelle. Il court surtout après la haute philosophie musicale ; pour lui la romance est un mythe qui doit exprimer une des faces les plus superficociquenqueuses de la vie humaine… Une fois lancé, rien ne l’arrête ; il invente des accords inouïs, des rythmes inconnus, des mélodies inaccessibles. Grâce à cet agréable procédé et à cet exercice violent, le compositeur échevelé arrive à produire une partition qui peut lutter avec les charivaris les mieux organisés et il obtient toujours le succès… non, la chute demandée[21]. »

L’allusion est on ne peut plus claire.

Tout en se défendant du bec et de l’ongle dans les journaux, l’auteur de la Symphonie fantastique prouvait son talent de la même façon que le philosophe grec prouvait le mouvement en se mettant à marcher ; il travaillait jour et nuit, il couvrait de croches et de doubles croches des liasses énormes de papier réglé. Paganini, qui devait lui faire, quatre ans après, un cadeau royal, lui commandait un morceau sur les Derniers instants de Marie Stuart[22] ; ce projet n’eut pas de suite ou fut transformé en un autre projet. Comme dans Harold en Italie, il y avait une partie d’alto principal que Paganini se chargeait de jouer et dont il voulait essayer l’effet sur le public anglais, un jour, à un concert de la rue Vivienne, Berlioz se trouva en face d’un géant aux ongles crochus, à la mine livide, à la chevelure tombant sur les épaules ; ce géant l’embrassa en lui disant : — Tu Marcellus eris ! Tu seras Beethoven ! — C’était Paganini.

Comme nous le rappelions plus haut, les bienfaits du grand artiste ne s’arrêtèrent pas à cette démonstration théâtrale. Un dimanche, le 16 décembre 1838, Berlioz, riche de gloire, mais pauvre dans le vrai sens du mot (il avait dû payer les dettes de sa femme, qui s’élevaient à un chiffre assez respectable), donnait au Conservatoire une séance musicale dont nous transcrivons le programme exact : 1º Symphonie d’Harold. 2º Grand air de Marie Stuart, d’Alari, chanté par Madame Laty. 3º Le Pâtre breton, chanté par Madame Stoltz. 4º Cantando un di, de Bari, chanté par M. Boulanger et Mademoiselle Bodin. 5º Solo de violoncelle par M. Batta. 6º Scène de l’Alceste de Gluck, par M. Alizard et Madame Stoltz. 7º La Symphonie fantastique.

Paganini assistait au concert ; deux jours après, il écrivit à son protégé le billet suivant[23] :

« Mon cher ami, Beethoven mort, il n’y avait que Berlioz qui put le faire revivre ; et moi qui ai goûté vos divines compositions dignes d’un génie tel que vous, je crois de mon devoir de vous prier de vouloir bien accepter, comme un hommage de ma part, vingt mille francs qui vous seront remis sur la présentation de l’incluse. Croyez-moi toujours votre affectionné. »Nicolo Paganini. »

Voici la réponse de Berlioz :

« O digne et grand artiste,

»Comment vous exprimer ma reconnaissance !!! Je ne suis pas riche, mais, croyez-moi, le suffrage d’un homme de génie tel que vous me touche mille fois de plus que la générosité royale de votre présent.

»Les paroles me manquent, je courrai vous embrasser dès que je pourrai quitter mon lit, où je suis encore retenu aujourd’hui. »H. Berlioz. »

Jules Janin, un ami de la première et de la dernière heure, écrivit de son côté la lettre qu’on va lire[24] :

« Cher Berlioz,

»Il faut absolument que je vous dise tout mon bonheur en lisant ce matin cette belle et bonne lettre de change et de gloire que vous recevez de l’illustre Paganini. Je ne vous parle pas, je ne parle pas seulement de cette fortune qu’il vous donne, trois années de loisir, le temps de faire des chefs-d’œuvre, je parle de ce grand nom de Beethoven par lequel il vous salue. Et quel plus noble démenti à donner aux petits-maîtres et aux petites-maîtresses qui n’ont pas voulu reconnaître votre Cellini comme le frère de Fidelio ! Donc, que Paganini soit loué comme le méritent ses belles actions, et qu’il soit désormais inviolable ; il a été grand et généreux pour vous, plus généreux que pas un roi, pas un ministre, pas même un artiste de l’Europe, les véritables rois du monde. Il vous a appuyé de son approbation et de sa fortune ; c’est maintenant plus que jamais qu’il faut louer ce grand musicien qui vous tend la main.

»Cher Berlioz, je vous embrasse bien tendrement, dans toute la joie de mon cœur.

»Jules Jamin.

»20 décembre, 1838. »

Paganini n’avait pas affaire à un ingrat.

D’abord, Berlioz lui dédia sa symphonie de Roméo et Juliette ; puis, il traduisit l’ode italienne que le poëte Romani avait écrite en l’honneur du roi des violonistes, après un concert donné par ce dernier au théâtre Carignano, à Turin. L’ode de Romani est peu connue, la traduction en est oubliée tout à fait ; ce poétique morceau méritait un meilleur sort. On en jugera par les strophes suivantes :

« Oh ! qui me rendra un seul des sons fugitifs que verse ton archet comme un torrent de splendeurs éthérées ? Peut-être, ô souffles des airs, de ces lieux où ils se perdraient épars, les reportez-vous au ciel conservateur de toute mélodie ? Oh ! dans quel astre d’amour les déposez-vous afin de rendre et plus douces et plus joyeuses les évolutions de sa sphère radieuse ? Oh ! laissez-moi me désaltérer dans cette source pure d’immortelle harmonie ? que je m’y plonge et que j’y nage avec ivresse comme l’alcyon au sein des mers, comme le cygne au sein des lacs !

»Vains désirs ! l’homme ne se délivre point du poids qui l’attache à la terre ; l’aile rapide du son ne saurait être liée… Que le souvenir nous charme encore, puisqu’il est tout ce que nous pouvons conserver. Lui, du moins, sera impérissable, ô Paganini ! et les symphonies divines échappées de tes cordes émues retentiront dans nos cœurs et dans notre mémoire comme un bien qui n’est plus, mais que l’on sent toujours !…

» Les nations qui sont par delà les Alpes et par delà les mers s’étonnaient, et la mère des chants, l’Italie elle-même, au bruit de ces mélodies inouïes, s’étonnait, comme firent les Thraces, quand, guidés par la lyre divine, faveur d’une déesse, ils serrèrent entre eux les premiers nœuds fraternels. Oui, tous étaient frappés d’étonnement, car des mains habiles et célestes avaient posé si loin les bornes de l’art, qu’il ne semblait plus possible de les reculer. Tous admiraient la puissance créatrice et souveraine donnée à un archet, et quand ils voulurent comparer, toutes les cordes qui, jusque-là, avaient vibré devant eux, leur parurent sourdes et inertes…

»Tout ce que la terre et le ciel et les flots ont de voix, tout ce que la douleur, la joie et la colère ont d’accents, tout est là dans le sein de ce bois creux ; c’est la harpe qui frémit et mêle ses soupirs aux nocturnes soupirs de la lyre d’Éolie, aux plaintes du vent parmi les branches et les feuilles ; c’est le pâtre entonnant sa chanson rustique en rassemblant son troupeau ; c’est le ménestrel invitant à la danse ; c’est la vierge se plaignant de ses peines à la lune silencieuse ; c’est le cri d’angoisse d’un cœur séparé du cœur qu’il aime ; c’est le badinage, c’est le charme, c’est la vie, c’est le baiser…

»Sur cette corde sont d’autres notes… que peut seul connaître le génie audacieux qui la tend et la modère ; mais l’Italie un jour avec transport les entendra… »

Nous avons emprunté ce morceau à un recueil, la Gazette musicale, qui fut, pour ainsi dire, le journal officiel de Berlioz, pendant vingt ans.

La Gazette musicale, fondée en 1834 par l’éditeur Schlesinger et continuée depuis par les frères Brandus, venait à un moment propice ; cette année était une année féconde pour l’art. Victor Hugo publiait Claude Gueux dans la Revue de Paris, Alfred de Musset jetait au vent les pages légères de Fantasio, Halévy donnait à l’Opéra-Comique les Souvenirs de Lafleur et surveillait à l’Opéra les répétitions de la Juive, Ingres peignait les portraits de M. Bertin et du comte Molé, Jules Janin passionnait Paris avec ses feuilletons étincelants, un journal littéraire, le Protée, paraissait sous les auspices de Louis Desnoyers et de Léon Gozlan, que les compositeurs d’imprimerie ne connaissaient pas bien encore ; car ils écrivaient ainsi son nom : Gorian ou Gozean. La Gazette musicale obtint tout de suite un vif succès, mêlé de scandale. Le gérant de la Gazette, M. Schlesinger, fut attaqué dans une salle de concert par un élève de M. Herz, nommé Billard, et un duel s’ensuivit ; M. Billard fut atteint au bas ventre ; heureusement que la balle, amortie, ne produisit qu’une violente contusion.

Les articles de Berlioz dans la Gazette musicale sont nombreux ; nous signalerons spécialement le compte rendu de la première représentation de l’opéra des Huguenots, qui devait s’appeler primitivement la Saint-Barthélemy, et dont le rôle de basse, illustré par Levasseur, devait être confié à Serda. Pendant les répétitions, on ne croyait guère au succès de l’ouvrage ; le chef d’orchestre s’arrêtait souvent pour dire à Meyerbeer : — Ce passage-là n’a pas le sens commun. — Eh bien ! répliquait Meyerbeer de sa voix flûtée et avec un léger accent gascon, si ma musique n’a pas le sens commun, c’est qu’elle en a un autre[25].

En fait de critique, on a généreusement prêté à Berlioz les opinions les plus saugrenues ; il aimait les Huguenots, il aimait Guillaume Tell ; il n’a jamais écrit sur le Pré aux Clercs le fameux article qu’on lui a tant reproché. En veut-on la preuve ? Qu’on se donne la peine d’ouvrir le Journal des Débats du 15 mars 1869, Jules Janin s’y avoue coupable du méfait dont un innocent, pendant un quart de siècle, a été victime :

« Certains critiques ont reproché à Berlioz d’avoir mal parlé d’Hérold et du Pré aux Clercs. Ce n’est pas Berlioz, c’est un autre, un jeune homme ignorant et qui ne doutait de rien en ce temps-là, qui, dans un feuilleton misérable, a maltraité le chef-d’œuvre d’Hérold. Il s’en repentira toute sa vie. Or cet ignorant s’appelait (j’en ai honte !) il faut bien en convenir… Monsieur, Jules Janin. »

Malgré cette déclaration formelle, on trouvera encore des obstinés qui parleront avec horreur du feuilleton sur le Pré aux Clercs.

Mais Berlioz n’aimait pas Mozart ?

Il ne l’aimait pas ?… Nous allons citer ses propres paroles au sujet d’Idoménée : « Mozart… Raphael !… Quel miracle de beauté qu’une telle musique ! comme c’est pur ! quel parfum d’antiquité ! C’est grec, c’est incontestablement grec, comme l’Iphigénie de Gluck, et la ressemblance du style de ces deux maîtres est telle dans ces deux ouvrages qu’il est vraiment impossible de retrouver le trait individuel qui pourrait les faire distinguer[26]… » En fouillant dans la collection du Journal des Débats, nous rencontrerions bien d’autres témoignages de la fausseté des sentiments attribués au réformateur musical que M. Ingres et bien d’autres considéraient comme un monstre : immanissimum et foedissimum monstrum. Une fois pour toutes, établissons que Berlioz ne prétendait nullement au rôle que certains compositeurs ont tenu depuis. Il ne se vantait pas d’être le seul de son espèce et ne croyait point qu’avant lui, la musique fût une science ignorée, ténébreuse, inculte ; loin de renier les anciens, il se prosternait avec vénération devant les dieux de la symphonie, il brûlait devant leurs autels l’encens le plus pur. Son unique prétention (et elle nous paraît justifiée) était de continuer la tradition musicale en l’agrandissant, en l’améliorant, grâce aux ressources modernes : « J’ai pris la musique où Beethoven l’a laissée », disait-il avec quelque orgueil à M. Fétis. — Il y avait du vrai dans cette assertion.

Dès 1835, les journaux annoncèrent que Berlioz s’occupait d’écrire un opéra sur un livret d’Alfred de Vigny ; il s’agissait de Benvenuto sans doute, qui ne parut sur la scène que trois ans plus tard. En France, tout compositeur qui n’aborde pas le théâtre est condamné à l’obscurité ; Berlioz se rendait bien compte de cet axiome et cherchait à se produire dans la musique dramatique. Un instant, il obtint le poste de directeur des Italiens[27] ; mais la presse opposante cria au favoritisme et répandit le bruit que M. Bertin, des Débats, avait fait obtenir à son feuilletoniste le sceptre directorial, pour que mademoiselle Louise Bertin, qui composait, elle aussi, fît jouer, salle Ventadour, les ouvrages qu’on lui refusait ailleurs. Devant cette malveillance caractérisée, Berlioz se retira ; il n’avait pas trop à se plaindre du Gouvernement qui lui commandait tantôt un Requiem, tantôt une Marche funèbre et triomphale, toutes les fois qu’il était question de célébrer les victimes de Juillet.

Le Requiem fut exécuté dans diverses villes de France, notamment à Lille, d’où Habeneck envoya à l’auteur une lettre de félicitation[28]. Mais ce n’étaient là que des succès relatifs. La grosse partie allait se jouer à l’Opéra, où les études de Benvenuto Cellini étaient poussées avec activité. Le soir de la première représentation, une horrible cabale fut organisée contre la pièce ; le parterre siffla, grogna, hurla ; les ennemis de la famille Bertin imitèrent les cris des animaux les plus divers pour faire payer à l’infortuné musicien l’honneur qu’il avait d’écrire dans une feuille ministérielle. Où la politique va-t-elle se nicher ! Duprez, habituellement si applaudi, ne réussit pas à conjurer l’orage ; madame Stoltz et madame Dorus-Gras eurent beau être charmantes, on leur tint rigueur ; les musiciens de l’orchestre s’associèrent au ressentiment du public. Deux d’entre eux, pendant les répétitions, avaient été surpris jouant l’air J’ai du bon tabac, au lieu de jouer leur partie.

Vaincu dans cette bataille inégale, l’auteur de Benvenuto ne se découragea point ; il avait la foi qui transporte les montagnes. Dès 1842, il commença par la Belgique la série de ces voyages à l’étranger qui furent pour lui la compensation et la revanche des insuccès parisiens. Si la France résistait au génie de Berlioz, l’Allemagne, la Russie, la Suisse, le Danemark pressentaient chez ce lutteur incompris une force bizarre et peut-être nouvelle : ainsi Cologne écoutait attentivement l’ouverture des Francs Juges, Mayence et Leipzig ne tardaient pas à acclamer le même morceau. Romberg, premier violon du Théâtre-Allemand à Saint-Pétersbourg, réussissait à faire entendre le Dies Iræ du Requiem et envoyait à l’éditeur Schlesinger un compte rendu enthousiaste ; Hambourg, de son côté, se prononçait pour le maître ; la contagion gagnait la ville de Copenhague, qui accourait au concert de M. et de madame Mortier Fontaine pour applaudir à l’ouverture de Waverley ; Winterthur, dans le canton de Zurich, imitait Cologne, Copenhague et Hambourg. Cependant Winterthur est une ville si peu considérable, que nous avons eu quelque peine à la découvrir sur la carte.

Les siffleurs de Benvenuto, en apprenant ces nouvelles du dehors, commencèrent à réfléchir ; si, par hasard, ils s’étaient trompés !… Il y eut une espèce de revirement dans le public et l’on vit, un jour, des conscrits entonner, dans la rue, le motif de la Marche funèbre et triomphale en se promenant du Palais-Royal aux Italiens et à l’Opéra. Le cortège se composait d’une centaine de jeunes gens précédés de vivandières, de sapeurs, de tambours-majors et de porte-drapeaux[29].

« A Bruxelles, nous dit le compositeur dans ses Mémoires, les opinions sur ma musique furent presque aussi divergentes qu’à Paris. » C’est là que nous nous trouvons pour la première fois en présence de mademoiselle Récio, que Berlioz devait épouser à la mort d’Henriette Smithson ; mademoiselle Récio chanta dans les concerts de son futur mari ; nous ignorons avec quel succès. Le voyage en Allemagne fut beaucoup plus décisif pour la gloire du musicien que l’excursion en Belgique ; depuis longtemps, Berlioz était attendu de l’autre côté du Rhin. Nous osons à peine révéler la vérité, car elle est triste à dire ; triste pour nous, Français, et pour notre goût artistique. Pendant que nous marchandions à notre compatriote de maigres applaudissements, la capitale de la Prusse le traitait en triomphateur ; on lui accordait le théâtre royal et les premiers artistes de la ville, le roi accourait de Potsdam à franc étrier, se mêlait à l’enthousiasme de ses sujets (malgré l’étiquette), demandait pour ses bandes militaires la Fête chez Capulet[30]. Bien mieux : le maître de la chapelle ducale de Brunswick, M. Georges Muller, venait, après l’audition de Roméo et Juliette, déposer une couronne sur la partition[31]. Mendelssohn enfin, qui dédaignait tant son camarade de Rome, échangeait avec lui son bâton de chef d’orchestre, à propos du Sabbat de la Symphonie fantastique, exécuté presque en même temps que la Première Nuit du Sabbat, à Leipzig. Le compositeur parisien remercia par une lettre le compositeur allemand ; nous avons eu la chance inespérée de retrouver le texte du billet :

Leipzig, 2 février 1843.

Au chef Mendelssohn.

« Grand chef, nous nous sommes promis d’échanger nos tomawacks ! Voici le mien, il est grossier, le tien est simple !

»Les Squaws seules et les Visages-Pâles aiment les armes ornées. Sois mon frère, et, quand le Grand-Esprit nous aura envoyés chasser dans le pays des âmes, que nos guerriers suspendent nos tomawacks amis à la porte du conseil[32]. »

Nous n’insisterons pas. Il nous est douloureux de constater que la justice et le sentiment du beau se sont rencontrés ailleurs que chez nous et, qui pis est, chez nos plus implacables adversaires. Au moment où l’Allemagne tressaillait aux accents des mâles symphonies du maître, nous raffolions, nous, d’opéra-comique ; nous essayions d’implanter ce genre absurde dans les cinq parties du monde et une troupe de chanteurs se préparait à s’embarquer dans le port de Brest. La troupe était au complet ; elle avait une prima donna, une dugazon, un ténor, des barytons, un régisseur. Quant à sa destination, on ne la devinerait jamais. Ces messieurs et ces dames allaient faire connaître les beautés du Domino noir, de Zampa, et de Fra Diavolo aux sauvages des îles Marquises[33] !!!!!

En juin 1843, Berlioz revint à Paris pour s’occuper d’un opéra, la Nonne sanglante, qu’il n’acheva jamais. Il trouva chez lui, en rentrant, un ordre de l’empereur de Russie, lui enjoignant d’arranger des plains-chants grecs à seize parties, en quadruple chœur. Vers la même époque, il fut nommé membre de l’Académie romaine de Sainte-Cécile, puis il reprit ses concerts. Concert à la salle Herz (3 février 1844) et première audition de l’ouverture du Carnaval romain ; concert spirituel à l’Opéra-Comique, le samedi saint, 6 avril ; concert aux Italiens, où il s’emporte contre deux dames qui causaient dans une loge tandis qu’on exécutait la Marche des Pèlerins[34] ; enfin concerts au palais de l’Industrie et au Cirque des Champs-Élysées (janvier 1845). Là, fut joué un morceau dont nous avons complétement perdu la trace : l’ouverture de la Tour de Nice, écrite par l’auteur, pendant un séjour de quelques semaines dans un vieux donjon, sur le bord de la mer. Le morceau était, paraît-il, tout à fait bizarre, entrecoupé de sifflements, de hurlements, de cris de chouettes, de bruits de chaînes. Il ne plut guère à l’auditoire et l’auteur fut sans doute du même avis que ses juges, puisqu’il remplaça sur l’affiche l’ouverture de la Tour de Nice par le Désert de Félicien David, artiste charmant, frais éclos, et qui n’en était plus à faire jouer, sous la direction de Valentino, des nonetti pour instruments à piston[35].

Après l’Allemagne du Nord, Berlioz visita l’Autriche. « Nos dames, écrivait un Viennois, portent des bracelets, des bagues et des boucles d’oreilles à la Berlioz, c’est-à-dire avec son portrait[36]. » Les peintres recherchaient l’honneur de reproduire ses traits et il n’accorda cette faveur qu’à un M. Kriuber qui exposa, au foyer de l’Opéra, l’image du musicien à la mode, entourée de lauriers. « C’était bien la peine, disait un vieux professeur, de travailler cinquante ans à notre édifice musical ; en deux heures, ce diable de Français a tout renversé. » Drôles de mœurs ! Pendant que Berlioz dirigeait ses concerts, un poëte hongrois lui jeta des vers pour l’engager à venir à Pesth. Il prit la route opposée ; il s’en fut à Prague, où le directeur du Conservatoire, M. Kittl, lui amena tous ses élèves pour que ceux-ci assistassent aux répétitions. Au moment de son départ de l’Autriche, Berlioz entendit un critique de Breslau prononcer cette parole : « Eh bien, il nous laisse de sa chaleur, au moins pour un an ! »

S’il laissait de sa chaleur aux autres, il allait se refroidir, lui, en passant à Paris par la plus douloureuse épreuve qu’il eût subie jusqu’alors : l’épouvantable fiasco de la Damnation de Faust à l’Opéra-Comique (6 décembre 1846). Les deux ou trois cents personnes qui assistèrent à l’exécution de cette légende dramatique furent ravies, transportées ; malheureusement elles n’étaient que deux ou trois cents. Le Paris de la fin du règne de Louis-Philippe s’intéressait beaucoup plus à la politique qu’aux choses de l’intelligence, les badauds s’occupaient des mariages espagnols ; deux fabricants de cachemires, M. Cuthbert et M. Biétry, s’adressaient dans le Constitutionnel des correspondances qui passionnaient l’Europe. Au lieu de répondre à l’appel du symphoniste, la noblesse du faubourg Saint-Germain resta chez elle, la haute finance se garda bien de manquer l’heure de la Bourse, — car le concert avait lieu en plein jour, — les artistes firent la sourde oreille, les boutiquiers continuèrent à préférer la Dame blanche ; ce fut une déroute auprès de laquelle celle de la Bérésina aurait passé pour une retraite en bon ordre.

Par un assez étrange hasard, le sujet de Faust, si profondément tudesque et septentrional, doit à nos compositeurs nationaux une grande partie de sa popularité. Je me garderai bien de louer la Damnation au détriment de l’opéra, plus moderne, de M. Charles Gounod ; les deux œuvres ont des tendances diverses et se complètent l’une par l’autre. La scène du jardin : voilà le tendre et incomparable éclat qui illumine le Faust de M. Gounod. Mais, à propos d’illumination, je me rappelle qu’un soir, à l’Opéra, mes yeux ne pouvaient se détacher du petit appareil de lumière électrique qui, placé dans les combles du théâtre, versait des feux artificiels sur le jardin de Marguerite. J’avais beau me dire : « Me voilà loin de Paris, dans une vieille cité aux enseignes grimaçantes, sous les arbres, près des fleurs ; l’orchestre prend le soin de traduire en sons merveilleux les sentiments que ma pauvre petite éloquence serait incapable d’exprimer… » — Peine perdue ! la machine électrique de là haut m’ôtait toute illusion ; elle me rappelait à la prosaïque réalité, elle me chuchotait dans son langage de machine : « Ne sois pas dupe de ces gens qui s’agitent là sur les planches et qui s’abîment la voix pour gagner de quoi acheter plus tard une maison de campagne où ils iront abriter leur esquinancie. Méphistophélès meurt d’envie de s’aller coucher ; Faust n’a qu’une pensée : ménager ses notes hautes, aussi précieuses pour lui que des obligations de chemins de fer. Quant à Marguerite, qui débute, et qui a refusé, le jour même, un engagement pour la province, elle réfléchit qu’elle a eu tort de ne pas accepter les offres qu’on lui faisait. »

Avec le Faust de Berlioz, de pareilles désillusions ne sont pas à craindre. Comme il n’y a ni décors, ni coulisses, ni rampes, ni maillots, ni pourpoints, ni ballerines, ni marcheuses, ni même de souffleur, la musique se charge de tous les frais et vous emporte toute seule sur l’aile des chimères. Un décor ?… À quoi bon ? Le musicien vous conduit où vous voulez en vingt-cinq mesures. Voulez-vous boire avec les étudiants dans la taverne d’Auerbach ?… À merveille ! buvez. Le magicien donne un nouveau coup de sa baguette ? Nous voici sur les bords de l’Elbe, près des sylphes qui frôlent les calices humides de rosée, sous les étoiles qui nous regardent en clignotant, comme des curieuses qu’elles sont de ce qui se passe chez nous… Attention ! Nous avons eu à peine le temps de tourner la tête et le diable nous tient déjà compagnie devant la maison de Marguerite : Petite Louison, que fais-tu dès l’aurore… Oui, cet enchanteur de Berlioz dédaigne les machinistes ; sans le secours de leur métier, il nous fait voyager, tout simplement, dans le ciel et dans les enfers, sur la terre et sur l’onde, dans les nuages, dans l’Empyrée, dans le passé et dans l’avenir.

La Damnation de Faust rivalise avec les ouvrages des plus grands maîtres et n’est pas effacée par eux ; elle lutte contre le poëme de Gœthe sans se laisser dominer par lui, elle rencontre Schubert et sa Marguerite au rouet ; Schubert est vaincu. Mais savez-vous à quel sublime génie cette partition fait surtout songer ?… Quand vous entendez la dernière partie de l’œuvre, quand vous suivez la « course à l’abîme », si vertigineuse qu’un frisson vous saisit comme si vous étiez sur le bord d’un précipice, quand les horribles cris des démons saluent la chute de Méphisto et de sa victime, quand l’orchestre se livre à des saturnales enragées auxquelles succèdent les ineffables joies du paradis, quand vous écoutez le langage de Swedenborg mêlé aux hymnes des élus, oh ! alors, savez-vous à qui vous pensez ? Vous songez involontairement à Michel-Ange ; oui, vous revoyez en imagination les gigantesques peintures de la chapelle Sixtine, et aucune autre comparaison ne peut s’offrir à votre esprit : il est impossible que l’analogie ne vous frappe pas, pour peu que vous ayez l’habitude de faire des rapprochements entre les différentes parties de l’art.

Maintenant que la Damnation de Faust a reconquis la brillante place qu’elle doit occuper désormais dans les annales de la musique, il serait profitable et curieux de relire les critiques du temps. Parlant du magnifique chœur de la Pâque, un rédacteur d’un journal illustré insinuait que « cette résurrection ressemblait à un De Profundis » ; la Danse des paysans, ajoutait-il, « ne me paraît pas des plus réservées (chaste critique, va !) ; le rhythme en est pesant et empêtré et ne donne pas une haute opinion de la grâce et de la légèreté des Hongroises. » Le compte rendu signé par M. Scudo serait à citer d’un bout à l’autre : « Cette étrange composition (la Damnation de Faust) échappe à l’analyse… La Marche hongroise est un déchaînement effroyable… un amoncellement monstrueux… La chanson du Rat et de la Puce manque de rondeur, d’entrain, de gaieté… L’idée mélodique de la Danse des sylphes est empruntée à un chœur de la Nina de Paisiello : Dormi, ô cara… Dans la troisième partie, il n’y a d’un peu supportable que quelques mesures d’un menuet, etc., etc. » M. Scudo était un Italien désagréable, qui avait échoué dans la carrière de la composition et qui avait réussi dans la spécialité du dénigrement de l’école française. On lui connaissait des torts nombreux ; entre autres celui d’avoir écrit d’insipides romances longtemps chantées dans les pensionnats. Il se croyait une autorité et il n’était qu’un autoritaire, mal élevé d’ailleurs ; ses propres haines l’ont tué. Il a éclaté de rage, comme la grenouille de la Fontaine ; il est mort, délaissé et fou.

Après l’exécution de son chef-d’œuvre, Berlioz était ruiné ; il devait une somme considérable qu’il n’avait pas. Grâce à la générosité de quelques amis, il put aller moissonner des roubles, en Russie, et s’acquitter enfin envers les personnes qui l’avaient aidé dans l’infortune. « Vous gagnerez là-bas cent cinquante mille francs ! » lui avait dit Balzac. — On sait qu’en imagination l’auteur de la Comédie humaine remuait les millions à la pelle ; Berlioz ne gagna pas la somme annoncée, mais il rapporta de quoi faire honneur à ses engagements. À ce moment-là, la direction de l’Opéra de Paris était sur le point de devenir vacante ; le directeur, M. Léon Pillet, parlait de se retirer, et sa succession était briguée par MM. Duponchel et Roqueplan, qui, malgré leur zèle, malgré leurs démarches, n’avaient pas obtenu l’appui du ministère de l’intérieur. Ces messieurs recommandèrent leur candidature à Berlioz ; ils furent nommés, par l’influence du Journal des Débats. Avant cette nomination, les solliciteurs, comme on pense, étaient tout feu, tout flammes ; ils comptaient reprendre Benvenuto Cellini, jouer la Nonne sanglante, confier à l’homme auquel ils devaient leur titre de directeurs un poste important ; une fois le décret ministériel signé, ces belles résolutions s’évanouirent comme par enchantement. Les relations devinrent de plus en plus froides entre MM. Duponchel, Roqueplan, et leur ancien ami ; celui-ci, comprenant qu’ils étaient gênés avec lui, qu’on le prenait pour un malfaiteur auquel il ne fallait pas ouvrir les portes de l’Académie de musique, écrivit à ses obligés qu’il les dégageait de toute reconnaissance à son égard et qu’il était engagé par l’impresario Jullien pour conduire l’orchestre du théâtre de Drury-Lane, à Londres. Cette détermination terminait la crise ; enchantés d’être débarrassés d’un importun qu’ils ne voulaient ni accueillir ni mécontenter, MM. Roqueplan et Duponchel feignirent l’étonnement en public, mais, en particulier, ils ne dissimulèrent pas leur joie.

« Votre lettre, répondirent-ils, nous a causé de la surprise et du regret. Les termes affectueux dans lesquels vous l’avez conçue ne nous permettent pas de vous supposer le moindre ressentiment des lenteurs involontaires qui ont retardé la conclusion de nos conventions. Nous aimons à penser que vous n’avez pas voulu étouffer votre génie musical dans les limites d’une place qui a quelque chose d’administratif, et que vous préférez, à votre âge, dans toute la force de votre talent, courir toujours les nobles aventures de l’art. Quant à notre regret, il est sincère ; cela nous servait et nous honorait de mettre à la tête d’un de nos services les plus importants le nom d’un homme qui rattache à lui toutes les idées de progrès et de rénovation. Nous perdons un de nos plus glorieux drapeaux pour la campagne que nous entreprenons ; il nous reste à compter sur les bonnes promesses qui terminent votre lettre et à espérer qu’elles ne seront pas vaines[37]. »

De quelles promesses était-il question ? Nous l’ignorons ; elles furent emportées avec tant d’autres dans le tourbillon de la révolution de 1848. La saison musicale, à Drury-Lane, s’ouvrit par une représentation de Lucia de Lammermoor, jouée par madame Dorus Gras, le baryton Pischek, le tenor Reeves et la basse Withworth. En même temps, on donnait le Génie du Globe, ballet de la composition de M. Maretzek, maître du chant, audit théâtre[38]. La salle était peu garnie ; Lucia, opéra fort démodé, même en Angleterre, n’attirait plus la foule, et Berlioz, qui avait fait une mauvaise affaire en liant sa destinée à celle de Jullien, devina que cette équipée se terminerait par une banqueroute. Ses prévisions ne tardèrent pas à se réaliser ; pour comble de malheur, les événements politiques, en France, tournèrent à la tragédie des barricades et aux massacres de juin. Berlioz faillit perdre sa modeste place de bibliothécaire au Conservatoire ; si cette catastrophe était arrivée en un pareil moment, il n’aurait plus eu qu’à se suicider. Mais il connaissait Victor Hugo, et le grand poëte, alors au pouvoir, réussit à congédier les affamés qui flairaient d’un peu trop près les rogatons d’appointements que le Conservatoire alloue à ses bibliothécaires.

Sous la seconde République, les artistes, presque tous enrôlés dans la garde nationale, n’eurent guère d’occasions de se distinguer. En ce qui concerne le musicien dont nous écrivons la vie, nos notes, si abondantes parfois, sont insignifiantes ici ; nous trouvons à peine à signaler un concert au palais de Versailles (29 octobre 1848), un autre concert à Londres, après lequel, dans un souper, miss Dolby, miss Lyon et Reeves chantèrent, en l’honneur du maître, des glees ou anciens madrigaux anglais[39]. L’année suivante, le baron Taylor offrit à Berlioz la médaille d’or que certains admirateurs de la Damnation de Faust avaient fait frapper en souvenir de cette œuvre trop rarement entendue. Le goût de la symphonie commençait à se répandre à Paris. On essaya de fonder une société, avec deux cents exécutants et choristes, donnant ses séances dans la salle Sainte-Cécile, rue de la Chaussée-d’Antin : ce fut là que Berlioz fit exécuter la seconde partie de son Enfance du Christ, attribuée (sur le programme) à Pierre Ducré, musicien imaginaire, chimérique, ayant vécu, disait-on, au XVIe siècle ; il fallait bien détourner les soupçons et désarmer la critique hostile. Le secret avait été bien gardé ; tout le monde fut pris à cette plaisanterie. Léon Kreutzer, qui n’était pas dans la confidence, écrivait deux jours après : « Cette pastorale m’a paru assez jolie et modulée assez heureusement, pour un temps où l’on ne modulait jamais… » Une dame enthousiasmée disait à un journaliste : « Ce n’est pas votre Berlioz qui ferait cela ! »

Le faux Pierre Ducré ressentit quelque amertume de ce succès calomnieux pour ses œuvres antérieures. L’Enfance du Christ, complétée et remaniée, fit recette à la salle Herz, pendant plusieurs soirées de suite[40]. Ce triomphe ne consola pas Berlioz du second échec que Benvenuto venait de subir à Londres, où les partisans de la musique italienne et de la vieille Société philharmonique dominaient encore. Le public de Weimar fut d’un avis contraire à celui du public anglais. Benvenuto, à Weimar, prit une revanche éclatante de ses autres déconvenues. Berlioz, étant venu à la représentation, on le célébra en langue allemande, en français, et même en latin. Nous avons découvert les paroles d’un toast, mis en musique par Raff, et chanté en chœur par l’élite des Weimarquois : c’est à pouffer de rire :

Nostrum desiderium

Tandem implevisti :
Venit nobis gaudium
Quia tu venisti.

Sicuti coloribus
Pingit nobis pictor ;
Pictor es eximius,
Harmoniæ victor.

Vives, crescas, floreas,

Hospes Germanorum
Et amicus maneas
Neo-Wimarorum[41].

Vives, crescas, floreas, répétait le chœur des convives, en buvant du vin de Champagne : il n’y a que les Allemands pour s’amuser de la sorte. Berlioz, triste et préoccupé, ne retrouvait un peu de gaieté que hors de chez lui, au milieu de ces populations étrangères qui lui décernaient des honneurs dignes d’un proconsul mené au Capitole. Il venait de perdre sa femme, Henriette Smithson, et de se remarier avec mademoiselle Récio, l’ex-cantatrice de Bruxelles, dont le talent n’était pas toujours à la hauteur de l’ambition, si nous en jugeons par ce fragment de correspondance : « Plaignez-moi, mon cher Morel ; Marie a voulu chanter à Mannheim et à Stuttgart et à Heckingen. Les deux premières fois, cela a paru supportable, mais la dernière !… et l’idée seule d’une autre cantatrice la révoltait[42]… »

Indépendamment de ses ennuis privés, Berlioz ne manquait pas non plus de tracas officiels ; ainsi, à l’Exposition de 1855, on lui infligeait la charge de membre du jury, sous prétexte qu’à l’Exposition de Londres il avait rempli le même office ; on souffrait que, la veille de l’ouverture, il organisât un immense Te Deum à Saint-Eustache ; mais, pour la fermeture, on lui commandait une cantate, l’Impériale :

Du peuple entier les âmes triomphantes

Ont tressailli, comme au cri du destin,
Quand des canons les voix retentissantes

Ont amené le jour qui vient de luire enfin !…

Si l’Impériale passa comme une étoile filante, le Te Deum marqua davantage ; quand on grava ce gigantesque morceau, les rois de Hanovre, de Saxe, de Prusse, l’empereur de Russie, le roi des Belges, la reine d’Angleterre, s’empressèrent de prendre part à la souscription : Beethoven avait été moins heureux, lorsque, pour faire éditer sa Messe, il ne rencontra que trois souscripteurs ; deux riches habitants de Vienne et… Louis XVIII. Au début du règne de Napoléon III, on ne jouait nulle part de la musique de Berlioz, c’est vrai ; seulement, il faut bien le reconnaître, le compositeur était comblé d’honneurs. Il avait reçu une avalanche de décorations ; l’Aigle rouge à Berlin, l’ordre de la maison Ernestine à Weimar, la croix de la Légion d’honneur ; il était correspondant de plusieurs sociétés, membre honoraire du Conservatoire de Prague, que dis-je ? il faisait partie de l’Académie… de Rio-de-Janeiro[43]. L’Institut — le vrai, celui qui siège à l’extrémité du pont des Arts — ne pouvait manquer de s’attacher un homme si dédaigné par la vile multitude et si favorisé par les souverains. Un des intimes de Berlioz, l’intelligent facteur d’orgues M. Édouard Alexandre, s’employa à soutenir la candidature de son ami. Il s’agissait de conquérir la voix d’Adam ; or, l’auteur du Chalet n’avait guère de points de contact avec l’auteur de la Symphonie fantastique et le rapprochement était difficile : « Voyons, voyons, dit M. Alexandre à Berlioz, qui ne voulait se résoudre à aucune démarche ; réconciliez-vous avec Adam ; que diable ! c’est un musicien ; vous ne pouvez nier cela ?… — Aussi, je ne le nie point, dit l’autre ; mais pourquoi Adam, qui est un grand musicien, s’obstine-t-il à s’encanailler dans le genre de l’opéra-comique ; s’il voulait, parbleu ! il ferait de la musique comme j’en fais ! » M. Alexandre ne se découragea pas, et, se rendant chez Adolphe Adam : « Mon cher ami, vous donnerez votre voix à Berlioz, n’est-ce pas ? Vous avez beau ne pas vous entendre avec lui, vous savez aussi bien que moi que c’est un musicien… — Un grand musicien certes (et le petit Adam rajusta ses lunettes sur son nez), un très grand, très grand… Seulement, il fait de la musique ennuyeuse ; s’il voulait, il en ferait d’autre… il en ferait tout aussi bien que moi !… »

Ce fut une scène digne de Molière[44].

« Mais, parlant sérieusement, dit Adam, Berlioz est un homme d’une grande valeur. Je vous donne l’assurance, que, après Clapisson, auquel nous avons tous déjà promis, Berlioz aura le premier fauteuil vacant. »

L’institut nomma Clapisson.

Hélas ! bizarrerie du sort : Adam mourut. Le pays fit une grande perte. Le premier fauteuil vacant fut le sien et ce fut Berlioz qui l’occupa. Il fut élu par dix-neuf voix contre six données à Niedermeyer, six à Charles Gounod et deux à Panseron. MM. Leborne, Vogel et Félicien David s’étaient présentés aussi. Ce dernier échec de Félicien David contre Berlioz rendit Azevedo, ce critique de mauvais aloi, furieux contre Berlioz[45].

De 1856, année où nous sommes arrivés, à 1863, année des Troyens, nous ne distinguons pas dans la vie du compositeur un grand nombre d’événements importants. Il organise, chaque année, un festival à Bade ; il y fait représenter son ravissant opéra de Béatrice et Bénédict ; la jeunesse de la ville de Gior (en allemand : Raab) lui envoie une adresse de félicitation ; les artistes du Conservatoire de Paris lui font une ovation, peu de temps après le Tannhäuser ; le Grand-Théâtre de Bordeaux s’avise de jouer Roméo et Juliette ; voilà tout, ou à peu près tout. Ah ! j’oubliais !… Il surveille les répétitions d’Alceste ; quoique inspirant peu de confiance à l’administration de l’Opéra, on le juge capable de remplir cette besogne d’obscur manœuvre.

Pendant ce temps, un nouveau théâtre lyrique s’élevait sur les rives de la Seine, et les faiseurs de partitions, si délaissés d’ordinaire, commençaient à espérer qu’on allait enfin s’occuper d’eux. Le livret des Troyens, lu dans divers salons, y avait rencontré une approbation unanime ; même l’empereur Napoléon III, ayant entendu parler de la chose, invita Berlioz à dîner ; mais on causa de la pluie et du beau temps : « Je me suis splendidement ennuyé ! » écrivit le lendemain le convive de Sa Majesté Impériale. — À un autre dîner mensuel où se réunissaient MM. Fiorentino, Nogent-Saint-Laurens, Édouard Alexandre, Paul de Saint-Victor, Carvalho, on s’inquiéta plus sérieusement de Didon et d’Énée ; M. Carvalho, le directeur du Théâtre-Lyrique, n’avait pas besoin d’encouragement ; il connaissait l’œuvre, il l’admirait et il comptait bien la révéler aux masses, comme il avait révélé Faust.

La première représentation des Troyens fut assez calme ; les spectateurs qui se souvenaient de Benvenuto Cellini s’attendaient à des péripéties ; le divertissement de la Chasse causa seul quelques rires, dus plutôt à l’interprétation de ce ballet qu’aux modulations hardies de l’orchestre. En revanche, l’air de Didon au premier acte, le fameux septuor et le duo : Nuit d’ivresse et d’extase… allèrent aux nues, alle stelle. Certains opéras modernes contiennent des morceaux plus soutenus, plus amples, que le septuor des Troyens, mais aucun de ces morceaux ne peut soutenir la comparaison avec lui au point de vue du sentiment pittoresque et de l’originalité poétique. C’est un diamant qui brille d’un éclat inouï ; cela ne ressemble ni à la Bénédiction des poignards, ni à la Sérénade de Don Juan, ni au trio de Guillaume Tell, ni à la pastorale du Prophète ; cela tient de la symphonie et du drame, de l’ode pindarique et de la méditation lamartinienne, cela bruit comme un souffle et frissonne comme une caresse ; cela palpite, rêve, soupire, émeut… Les battements du cœur s’apaisent avec l’écroulement des vagues de la mer africaine, le parfum des orangers s’exhale de cette musique divine, et l’esprit s’endort bercé dans un palais des Mille et une Nuits.

Rien n’était fait pour déplaire davantage aux Parisiens de 1863 ; l’homme de génie qui avait écrit les Troyens eut contre lui à peu près toute la presse, sérieuse ou légère. Cham, dans le Charivari, fit une caricature : le Tannhäuser (en bébé) demandant à voir son petit frère. Au théâtre Déjazet, on joua une parodie où des acteurs, coiffés de casques ridicules, exécutaient un horrible vacarme, avec des casseroles, des gongs chinois, des scies ébréchées, des paires de pincettes ; nous nous rappelons cette ignoble parade, plus digne de divertir les sauvages qui mangèrent le capitaine Cook que d’amuser les Athéniens de la décadence.

Il faut rendre justice à M. Carvalho ; le chapitre que Berlioz lui a consacré dans les Mémoires est inexact ; l’amertume de la défaite a envenimé la plume de l’auteur. Nous disons défaite, car les Troyens n’obtinrent qu’une trentaine de représentations, suivies, il est vrai, par l’élite du monde musical ; Meyerbeer n’en manqua pas une, et je le vois encore au fauteuil de balcon qu’il occupait, très-attentif, donnant fréquemment des marques de vive satisfaction. M. Carvalho avait consacré une partie de ses bénéfices antérieurs à la mise en scène des Troyens ; accordons, qu’il se soit trompé sur certains détails, c’est possible ; qu’il ait essayé de ramener au goût mesquin du public une œuvre conçue selon les larges traditions de l’antiquité, c’est probable ; il n’en a pas moins risqué sa fortune et son avenir.

M. Alexandre, le plus intime ami de Berlioz, aujourd’hui son exécuteur testamentaire, me disait l’autre jour : « Le monde musical doit beaucoup à Carvalho ; il ne m’appartient pas d’énumérer tout ce que l’art lui doit de reconnaissance ; je n’ai aucune autorité pour le faire ; mais ce que j’ai le devoir de vous prier de consigner dans cette notice, pour laquelle vous me demandez des renseignements, c’est le cœur, le dévouement, le désintéressement de Carvalho pour monter les Troyens, autant que faire se pouvait, d’une façon digne du maître que personne, plus que lui, ne respectait ni n’admirait.

» Carvalho, oubliant tout pour une aussi grande question artistique, fit des sacrifices tels, qu’ils pesèrent sur sa vie entière. Voilà ce qu’il ne faut pas oublier. »

Ce n’est pas à nous à le lui reprocher et personne n’oserait le faire.

Les Troyens avaient été la suprême espérance de Berlioz ; leur chute causa sa longue agonie de six ans. À partir de ce moment, ses idées devinrent de plus en plus sombres ; les souffrances physiques ne lui laissèrent plus aucun repos. Il avait tant compté sur son opéra ! Au sortir de la répétition générale, il était allé chez madame d’Ortigue, la digne femme d’un de ses plus vieux amis. Il lui avait fait l’effet d’un spectre, tant il était pâle, maigre, décharné : « Qu’y a-t-il, s’écria-t-elle effrayée ? Est-ce que la répétition aurait mal tourné, par hasard ?… — Au contraire, dit l’autre en se laissant tomber sur une chaise. C’est beau, c’est sublime !… » — Et il se mit à pleurer[46].

Il était déjà affaibli et malade ; dans sa jeunesse, il s’était quelquefois amusé à se laisser avoir faim pour connaître les maux par lesquels le génie pouvait passer ; son estomac, plus tard, dut payer ces coûteuses fantaisies. Il vécut dans son appartement de la rue de Calais, retiré et dégoûté de tout, entouré de passereaux effrontés auxquels il donnait du pain qu’ils venaient picorer sur sa fenêtre, près de son immense piano à queue, de sa harpe et du portrait de sa première femme, Henriette Smithson. Sa belle-mère, madame Récio, le soigna avec une vigilance et un dévouement exceptionnels ; ses amis prirent à tâche de lui faire oublier les injustices du sort et personne n’en a eu de plus attentifs, de plus fidèles que lui : Édouard Alexandre, Ernest Reyer, M. et madame Massart, M. et madame Damcke, la famille Ritter, et combien d’autres que je ne puis citer ; la liste en serait trop longue. Il s’était mis à apprendre le français à un jeune compositeur danois, M. Asger Hammerik, aujourd’hui directeur du Conservatoire de Baltimore. « Je suis bien à plaindre, disait-il quelquefois ; voilà ma belle-mère qui me parle en espagnol, ma bonne en allemand, et vous, avec votre danois, vous me déchirez les oreilles[47] !… »

La mort de son fils unique, Louis Berlioz, emporté par la fièvre, aux colonies, acheva de terrasser le glorieux vaincu. Louis Berlioz avait choisi la carrière de marin ; son père l’adorait avec une passion dont on retrouvera la trace dans les Lettres. Il y avait eu entre eux des brouilles passagères ; mais elles finissaient toujours par une réconciliation où le pauvre père cédait. Ce Berlioz, si hautain, si rogue, si absolu, avec la plupart des gens qu’il coudoyait dans la vie, il devenait tendre et humble avec son fils, il descendait aux supplications, il avait des raffinements d’amour paternel. Que de bons conseils il donnait à son enfant chéri : « Tu es jeune, tu es fort, ne te laisse pas aller à l’ennui, au découragement, et songe qu’avec les avantages que tu as et la santé, on peut surmonter bien des obstacles[48]. » — « Cher Louis, écrivait-il encore à propos de certaines fredaines de jeune homme, tu ne trouveras jamais en moi un censeur tartufe de morale[49]… » « Figure-toi que je t’ai aimé même quand tu étais tout petit ; et il m’est si difficile d’aimer les petits enfants ! Il y avait quelque chose en toi qui m’attirait. Ensuite cela s’est affaibli à ton âge bête, quand tu n’avais pas le sens commun ; et, depuis lors, cela est revenu, cela s’est accru, et je t’aime comme tu sais, cela ne fera qu’augmenter… Ah ! mon pauvre Louis, si je ne t’avais pas[50] !… » L’année suivante, hélas ! il le perdait, ce fils adoré, et il se replongeait, fou de douleur, dans l’anéantissement, dans le silence, dans la nuit.

Vainement essayait-on de lui proposer des distractions : « Mon cher Damcke, répondait-il à une invitation, je me donne le luxe de rester couché. Ainsi, excusez-moi auprès de S… si vous le voyez. J’ai pris mon parti ; je ne veux plus subir aucun genre de servitude ; je ne veux plus rien entendre de force ; rien louer de force. Qu’on me laisse mourir tranquille. Je vous pardonne seulement de me forcer à vous aimer[51]… »

Une artiste dont il aimait le talent, mademoiselle Bockholtz-Falconi, parvint cependant à l’arracher à la torpeur où il se complaisait en le mettant en relations avec M. Herbeck, maître de chapelle de la cour à Vienne, qui le demandait pour diriger la Damnation de Faust. Berlioz accéda aux désirs de M. Herbeek et n’eut pas à s’en repentir. D’autres propositions magnifiques l’attirèrent chez la grande-duchesse Hélène de Russie, qui le logea dans son propre palais, à Saint-Pétersbourg, et ne lui permit de partir que comblé de distinctions, de gloire et d’argent.

En revenant des bords de la Néva, Berlioz éprouvait une grande fatigue ; sa maladie nerveuse empirait. Il était allé trouver le célèbre docteur Nélaton, qui, après l’avoir ausculté, palpé, interrogé, lui avait dit : « Êtes-vous philosophe ? — Oui, avait répondu le patient. — Eh bien, puisez du courage dans la philosophie, car vous ne guérirez jamais[52]. » Assuré de mourir dans un assez bref délai et en proie à des tortures épouvantables, le vieux maître se décida à changer de lit de souffrances. — « Je vais m’étendre sur les gradins de marbre de Monaco… Le soleil me réchauffera peut-être… Oh ! la belle Méditerranée et les orangers aux doux parfums !… » Telles étaient ses pensées — nous allions dire ses rêves — en prenant le chemin de fer. On l’accueille à l’hôtel des Étrangers de Nice comme une ancienne connaissance, on l’accable de témoignages de respect et de sympathie. Des bouffées de jeunesse lui remontent au cerveau ; il se rappelle sans doute cette tour crevassée, pleine de rats et de chats-huants, ouverte à tous les vents du ciel, dénudée, romantique, dont il avait fait autrefois son domicile légal. Il veut se promener encore dans ces jardins embaumés, sur ces falaises qui contrastent par leur immobile blancheur avec l’azur des vagues. Le voilà à Monaco, près des buissons de cactus, s’enivrant des senteurs d’une végétation presque orientale. Mais son regard se trouble, son pied chancelle ; il tombe, on le relève, la face ensanglantée. Le lendemain, même accident. Deux Anglais qui passaient sur la terrasse de Nice le ramènent à son appartement, où il reste huit jours soigné par les gens de l’hôtel. Dès qu’il peut prendre le train, il retourne à Paris où l’attendaient sa belle-mère, madame Récio, et sa fidèle servante, qui poussent des cris d’horreur en le revoyant défiguré.

Le séjour à Nice ne fut pas le dernier voyage de Berlioz. Quelque temps après sa chute dans les rochers, il fut invité à se rendre à un festival orphéonique qui se donnait dans sa province natale, à Grenoble. Ce dernier épisode rappelle vraiment le dénoûment des pièces de Shakespeare et l’homme qui avait le mieux compris le génie du poëte anglais devait avoir une fin assez semblable à celle du roi Lear, de Macbeth ou d’Othello. Pour bien peindre cette scène suprême, il faudrait que l’histoire empruntât les couleurs du drame. Qu’on se figure une salle resplendissante de lumières, ornée de tentures officielles, une table chargée de mets délicats, une réunion de joyeux convives attendant un des leurs qui tarde à venir. Tout à coup, une draperie s’entr’ouvre et un fantôme apparaît : le spectre de Banquo ? non ; mais Berlioz à l’état de squelette, le visage pâle et amaigri, les yeux vagues, le chef branlant, la lèvre contractée par un amer sourire. On s’empresse autour de lui, on l’acclame, on lui serre les mains, — ces mains tremblantes qui ont conduit à la victoire des armées de musiciens. Un assistant dépose une couronne sur les cheveux blancs du vieillard. Celui-ci contemple d’un œil étonné les amis, les compatriotes qui l’accablent d’hommages tardifs mais sincères. On le félicite, il ne paraît s’apercevoir de rien. Machinalement, il se lève pour répondre à des paroles qu’il n’a pas comprises ; à ce moment, un vent furieux, venu des Alpes, s’engouffre dans la salle, soulève les rideaux, éteint les bougies ; des rafales soufflent au dehors et des éclairs déchirent la nue, illuminant d’un fauve reflet les assistants muets et terrifiés. Au milieu de la tempête, Berlioz est resté debout ; il ressemble, environné de lueurs, au génie de la symphonie, auquel la puissante nature ferait une apothéose, dans un décor de montagnes et avec l’aide du tonnerre, musicien gigantesque.

Dès lors, tout fut fini.

Le lundi, 8 mars 1869, dans la matinée, Hector Berlioz, de retour à Paris, rendait le dernier soupir. Ses obsèques eurent lieu à l’église de la Trinité, le jeudi suivant ; l’Institut avait envoyé une nombreuse députation, les cordons du poêle étaient tenus par MM. Camille Doucet, Guillaume, Ambroise Thomas, Gounod, Nogent Saint Laurens, Perrin, le baron Taylor ; la musique de la garde nationale précédait le cortège jouant des fragments de la Symphonie en l’honneur des victimes de Juillet. Sur le cercueil étaient (souvenir touchant) les couronnes données par la Société Sainte-Cécile, par la jeunesse hongroise, par la noblesse russe, et enfin les derniers lauriers de la ville de Grenoble.

Il était mort !… la réparation commençait…

Il dort maintenant sur cette haute colline qui vit couler le sang des martyrs ; là-bas, au-dessus de nous, écoutant peut-être les bruits tumultueux de l’immense ville. Aux anniversaires, de pieuses mains viennent déposer sur son tombeau des bouquets de fleurs promptement fanées par l’intempérie des saisons ; j’y ai vu des roses blanches, aussi blanches que le lys, et des violettes répandues en pluie odoriférante, sur la pierre, sur le fer, et jusque dans la boue qu’avait produite le piétinement des passants. Il se repose là des tracas de sa vie agitée, attendant l’heure de la justice, lente à venir. Aucune rue ne porte son nom, aucun théâtre ne possède sa sombre effigie, aucun ministère (et il y en a eu pourtant beaucoup !) n’a songé à lui rendre des honneurs quelconques ; de toutes les gloires musicales de la France, la France n’en oublie qu’une, celle dont elle peut le mieux se glorifier devant le monde entier. D’autres musiciens passeront ; que dis-je ? ils ne sont déjà plus… Berlioz est resté et son souvenir grandit, comme ces ombres qui, à mesure que décroît le soleil et que le temps s’écoule, deviennent plus accusées, plus nettes, et s’allongent sur le sable d’or.

Daniel Bernard.

  1. Mémoires de Berlioz, publiés chez M. Calmann Lévy.
  2. Extrait des registres de la mairie de la Côte-Saint-André.
  3. Renseignements communiqués par la famille.
  4. Lettre du 25 juillet 1832. Vente des autographes du chevalier R…y. 30 novembre 1862.
  5. Mémoires, p. 182.
  6. Grotesques de la musique, p. 279. Édition Michel Lévy. Voyage en France : lettres à Édouard Monnais.
  7. Cette anecdote est insérée dans les Mémoires, mais fort en abrégé. Je la donne telle que je la tiens d’un ami intime, à qui Berlioz l’avait racontée souvent.
  8. Mémoires, p. 21.
  9. Renseignements communiqués par M. le vicomte de Spoelberch de Lovenjoul.
  10. Mémoires, p. 37.
  11. Cahier des dépenses de Berlioz ; manuscrit autographe communiqué par madame Damcke.
  12. Lettre autographe, vendue par M. Laverdet : 30 mars, 1863.
  13. Voir la lettre XXV adressée à Liszt.
  14. Correspondance de Mendelssohn, traduite par M. A.-A. Rolland, p. 127.
  15. . Voir la lettre XXVII de notre recueil.
  16. Collection de M. le baron de Trimont.
  17. Lettre communiquée par M. Alexis Berchtold.
  18. Mémoires, p. 190, et lettres à son fils.
  19. Voir la Gazette musicale, passim : aux nouvelles de la semaine.
  20. Gazette musicale, année 1835, p. 23.
  21. Le journal la Caricature. Numéro du 16 mai 1841.
  22. Gazette musicale, 26 janvier 1834.
  23. Mio caro amico, Beethoven estinto, non c’era che Berlioz che potesse farlo revivere ; ed io che ho gustalo le vostre divine composizioni, degne di un genio qual siete, credo mio dovere di pregarvi a voller accettare in segno del mio omaggio venti mila franchi i quali vi saranno rimessi dal signor baron de Rothschild, dopo che gli avrete presentato l’acclusa. Credete mi sempre, il vostro affetionatissimo amico. Nicolo Paganini. Parigi, le 18 décembre 1838.
  24. Gazette musicale, année 1838.
  25. Gazette musicale, année 1836, p. 73.
  26. Gazette musicale, p. 39, année 1836.
  27. Gazette musicale, année 1838, p. 242.
  28. Ibid., p. 275.
  29. Gazette musicale, année 1842, p. 86.
  30. Ibid., année 1843, p. 169.
  31. Ibid., p. 115.
  32. Collection de madame Vieweg de Brunswick. Ce billet a été reproduit dans la nouvelle édition de l’ouvrage du docteur Nohl : Musiker Briefe, p. 74, Leipzig, Dander et Humblot, 1873.
  33. Gazette musicale, année 1843, p. 348.
  34. Gazette musicale, année 1844, p. 167.
  35. Ibid., année 1840, p. 179.
  36. Ibid., année 1845, p. 411.
  37. Gazette musicale, année 1847, p. 294.
  38. Ibid., p. 403.
  39. Gazette musicale, année 1848, p. 58.
  40. Voici la distribution des personnages : la sainte Vierge, madame Meillet. — Saint Joseph, M. Meillet. — Hérode, Depassio. — Père de famille, Battaille. — Un récitant, Jourdan. — Un centenier, Chapron. — Polydorus, M. Noir. — Le trio des flûtes était joué par MM. Brunot, Magnier et Prumier.
  41. Gazette musicale, année 1855, p. 171.
  42. Lettre à M. Auguste Morel, datée de Francfort.
  43. Gazette musicale, année 1857, p. 286.
  44. Renseignements communiqués par M. Édouard Alexandre.
  45. Gazette musicale, année 1856, p. 202.
  46. Renseignements fournis par madame d’Ortigue.
  47. Lettre de M. Asger Hammerik à l’auteur de la Notice.
  48. Lettre à son fils, du 7 septembre, sans autre mention.
  49. Lettre inédite à son fils, datée de Bade, 23 août.
  50. Lettre du 13 novembre 1865.
  51. Lettre inédite.
  52. Anecdote racontée par Berlioz lui-même à l’auteur de cette biographie.