Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier/1/1

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Texte établi par Maurice Tourneux, Garnier frères (1p. 71-73).

NOUVELLES LITTÉRAIRES



I

Le premier homme de la littérature française, M. de Voltaire, vient de célébrer nos derniers succès de Flandre. Lorsqu’il faisait de bons vers, il déchirait sa patrie ; il lui consacre maintenant des vers vides et languissants. Son ouvrage est une épître à Mme la duchesse du Maine[1] : le style en est prosaïque, les pensées triviales, la contexture irrégulière. Il n’y a ni plan, ni tour, ni force, ni délicatesse dans cet avorton ; vous n’y trouverez de supportable, madame, que quelques vers de sentiment sur M. de Bouflers.

— Un ouvrage intitulé Ascanius ou le Jeune Aventurier[2] commence à faire du bruit. C’est l’histoire du prince Édouard depuis la malheureuse affaire de Culloden jusqu’à son retour en France ; on y voit une suite des périls qu’il a courus, des disgrâces qu’il a essuyées, des aventures qu’il a eues. Cette relation est mal écrite et mal fondue ; mais il y règne un air de vérité, de simplicité et de candeur qui attendrit et qui persuade ; le titre de ce livre est injurieux au jeune héros, le détail lui est favorable. On le blâme seulement d’avoir désespéré trop facilement ; sa fermeté aurait pu inspirer de la confiance aux vaincus et rétablir peut-être les affaires. Quoi qu’il en soit, le prince a paru chagrin de la publication de cette histoire. Par son ordre et sur ses mémoires, M. de Bougainville travaille à un ouvrage entier et exact sur cette matière.

— Vous connaissez, madame, le théâtre anglais ; il est sans mœurs, sans décence, sans règles ; ces insulaires sont naturellement si sombres, si tristes, si mélancoliques, que les scènes les plus fortes, les plus hardies, les plus outrées, ne le sont jamais trop pour les distraire ou pour les toucher. Les Français, qui dans leurs voyages ont le ridicule de n’estimer que leur pays, ont la manie, lorsqu’ils sont chez eux, de ne guère goûter que ce qui est étranger ; leur folie est maintenant pour la tragédie anglaise. Le président Hénault vient d’en publier une dans ce goût-là, qui occupe tous les esprits ; elle est en prose ; tous les événements d’un règne tumultueux y sont renfermés ; les personnages qui y agissent sont sans nombre : on l’intitule François Second[3]. L’auteur a cherché à y jeter quelque intérêt en faisant contraster les factions des Guises et des princes du sang, lesquelles déchirèrent alors les entrailles de la France. Malgré cela, l’ouvrage est très-froid ; tout son mérite se réduit à être bien écrit et bien raisonné. Ce M. Hénault est ici un homme à la mode ; il a passé sa jeunesse dans la congrégation de l’Oratoire, où il a fait de très-bonnes études. Sorti de sa retraite, il a débuté dans le monde par des chansons charmantes, talent qui, chez une nation aussi frivole que la nôtre, conduit quelquefois à la grande réputation. Il a publié depuis un Abrégé de l’Histoire de France, morceau précieux qu’on n’estime ce qu’il vaut que quand on l’a lu dix fois. Jamais personne n’a mieux connu peut-être et n’a mieux fait connaître le gouvernement, les intérêts, le génie des Français, que cet excellent écrivain.

— Nos comédiens, qui échouent souvent avec d’excellentes pièces, viennent de réussir avec une médiocre ou même mauvaise ; elle est intitulée Amestris[4]. Le style de cet ouvrage est naturel, mais faible ; le sentiment vrai, mais usé ; les situations amenées, mais un peu froides. On peut louer cet ouvrage d’être bien filé, on y doit blâmer les caractères, qui sont tous misérables. Vous trouveriez ici plus de détails, madame, sur cette tragédie, si on ne m’avait averti que vous lisiez le Mercure de France. Comptez sur les extraits que vous y verrez, ils sont assez exacts, mais rabattez beaucoup des éloges. Nous sommes accoutumés à y voir élever aux cieux des rapsodies où il n’y a pas le sentiment commun et qui ont été sifflées à la première représentation.

— Toute l’Europe attend, depuis le commencement de ce siècle, l’Anti-Lucrèce du cardinal de Polignac. Ce poëme va paraître dans huit ou dix jours : j’aurai l’honneur de vous faire l’histoire de l’auteur et de l’ouvrage.

— L’Académie française, qui distribue tous les ans un prix de poésie, vient de couronner pour la seconde fois un jeune homme nommé Marmontel, rimeur exact, mais sans génie. Le sujet du poëme était la clémence de Louis XIV perpétuée dans son successeur. Tous les siècles sont condamnés à entendre l’éloge d’un prince qui, quoique grand, fut pourtant trop loué pendant sa vie. Le fondateur du prix était idolâtre de ce prince célèbre, et il a jugé à propos de lui dresser des autels. Cet homme si zélé pour la gloire du roi était l’évêque de Noyon et de la maison de Clermont-Tonnerre. Il est fameux parmi nous par les idées risibles qu’il s’était formées sur l’excellence de la noblesse. Lorsqu’il prêchait, il appelait ses auditeurs « canaille chrétienne ». C’est une coutume inviolable à l’Académie française que celui qui est reçu fait l’éloge de son prédécesseur. M. de Noyon viola cet usage parce qu’il succédait à un roturier. Ce prélat s’était chargé de faire le panégyrique de je ne sais quel saint ; il lut dans sa vie qu’il n’était pas noble, et aussitôt il s’alla dégager. M. de Noyon avait un neveu qui était colonel ; ce jeune officier écrivait à Louvois pour lui demander quelque grâce : il mit au haut de la lettre : « Monseigneur », et il ajouta immédiatement : « Ne montrez pas ma lettre à mon oncle, car il me déshériterait ».

Ce prélat traita les MM. de Harlay de bourgeois, dans un cercle ; quelques jours après, il alla pour dîner chez le premier président du Parlement, qui était chef de cette maison. Ce magistrat le refusa, en disant qu’il n’appartenait pas à un petit

  1. Sur la victoire de Lawfelt.
  2. Traduit de l’anglais par d’Intraiguel. Lille et Lyon, 1747, in-8o ; et Edimbourg, 1763, avec le titre de l’Ascanius moderne, ou l’Illustre Aventurier.
  3. François II, roi de France, tragédie en cinq actes et en prose. Paris, 1747, in-8 ; seconde éd. enrichie de notes, s. 1. (Paris), 1768, in-8o.
  4. Par Mauger, Représentée le 3 juillet 1747.