Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier/7/1767/Octobre

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Texte établi par Maurice Tourneux, Garnier frères (7p. 429-461).

OCTOBRE.

1er octobre 1767.


Ceux qui observeront avec attention l’esprit public de cette nation le trouveront toujours porté à l’excès sur quelque objet de prédilection dont le charme absorbera pour le moment toutes ses facultés. La durée de la passion dominante est ordinairement en raison inverse de sa vivacité, et comme le Français est susceptible d’une sorte de pétulance inconnue aux autres nations, il ne faut point s’étonner de le voir se passionner et éprouver successivement le même degré de chaleur pour les objets les plus opposés. Je regarde, pour le dire ici en passant, cette extrême vivacité, jointe à un caractère naturellement gai, comme la source de la supériorité, que cette nation a toujours eue en Europe. Je sais qu’elle n’a jamais pu se laver du reproche d’inconstance et de légèreté, je sais que sa vivacité, dont j’entreprends ici de faire l’éloge, l’a souvent exposée à de terribles revers, et mise quelquefois à deux doigts de sa perte ; mais elle l’a aussi toujours tiré de l’abîme où elle l’avait précipitée ; et pour jouer un rôle constamment brillant, il n’y a sans doute rien de mieux que de se remuer sans cesse et en tout sens, de revenir toujours et de tous côtés à a charge ; rebuté ici, de se remontrer incontinent ailleurs avec la même confiance, et de savoir se tirer du plus grand abattement par un effort du plus grand enthousiasme. Tel a été toujours le caractère du Français, et à force de se présenter au jeu, il a dû avoir la chance sur les mesures et les opérations plus sages, plus réfléchies, mieux raisonnées, et mieux combinées des autres nations.

Cette légèreté a aussi toujours donné un air d’enfantillage aux occupations les plus sérieuses et les plus graves. Elle n’a point préservé ses enfants de jouer des couteaux, d’ensanglanter leur théâtre aussi souvent que d’autres peuples d’un caractère plus sévère, elle ne leur a point épargné les horreurs du fanatisme ; mais il est singulier que dans les moments les plus horribles, le rire et la plaisanterie aient été voisins des plus grandes atrocités, que les fureurs de la Ligue et les commotions de la Fronde aient pu produire tant de chansons et de satires gaies.

Aujourd’hui que des mœurs plus douces et des temps plus tranquilles ont succédé à cette fièvre violente et longue que toute nation est peut-être condamnée à éprouver une fois dans le cours de son existence, nous portons cet enfantillage dans nos occupations, dans nos affaires, dans nos goûts, dans nos amusements. Tout est affaire de parti et de passion dans une nation dont l’esprit est doué de tant d’activité, et dont l’élite est cependant retenue dans l’oisiveté par la forme de son gouvernement. Mais, malgré cet air de frivolité, qui sera sans doute aussi durable en France que l’empire des grâces et des agréments, on ne peut se cacher que l’esprit public de cette nation a éprouvé depuis environ dix-huit ans une révolution très-avantageuse, et qu’au milieu du sommeil dans lequel on cherche à le retenir, il s’achemine vers un caractère de solidité dont la génération suivante se ressentira. Le goût de l’instruction et de la philosophie s’est répandu, et si nous conservons notre frivolité naturelle, nous l’avons du moins portée sur des sujets sérieux et utiles, et le goût des choses insipides et frivoles a passé. L’économie politique et rurale, le commerce, l’agriculture, les principes du gouvernement, le droit public des nations, voilà dans le moment les objets de la passion dominante.

J’avoue que ce serait se faire illusion que de se flatter que les nombreux ouvrages que cette passion enfante puissent avoir la moindre influence réelle sur la prospérité publique. Le gouvernement seul est l’instrument efficace de la félicité commune ou du malheur public ; ses opérations peuvent seules hâter ou retarder les effets d’une administration heureuse. Je donne mille ans à toutes ces sociétés royales d’agriculture, établies depuis quelques années par lettres patentes dans tous les coins du royaume, pour faire le moindre bien, pour opérer la moindre amélioration dans la culture des terres. Que le gouvernement abroge la taille arbitraire, qu’elle devienne réelle et invariable, qu’il ne dépende plus d’un subddélégué, d’un commis, d’augmenter ou de diminuer la part de chaque contribuable, suivant ses lumières ou son caprice, ou même sa passion ; que cette taxe reste assise sur le champ, sans égard aux personnes ; qu’elle soit forte, si vous voulez, même exorbitante, mais qu’elle ne puisse hausser ni baisser pour un champ. sans que les autres du même district subissent la même loi ; et par cette seule opération, le gouvernement aura assuré au cultivateur l’état le plus heureux et le plus florissant, et celui-ci se passera volontiers de toutes les savantes productions de nos laboureurs en chambre ; et s’il avait du temps de reste pour lire nos livres d’agriculture, ce ne serait assurément pas pour s’instruire, mais pour hausser les épaules sur les bévues, les inepties et les pauvretés dont ils sont remplis.

Indépendamment des sociétés royales que le gouvernement autorise et protège, il s’est formé dans Paris une société de cultivateurs, d’économistes politiques, qui n’ont écouté que la vocation de leur patriotisme, et qui n’ont d’autre titre de s’occuper de la chose publique que le zèle pour son bien. Les colonnes de cette société sont le vieux docteur Quesnay, médecin, et M. le marquis de Mirabeau, connu sous le nom de l’Ami des hommes, parce qu’il a intitulé ainsi un de ses ouvrages. Un jeune homme, M. Dupont, et un prémontré, appelé l’abbé Baudeau, sont les principaux apôtres de cette école. On a fait tout ce qu’on a pu pour lui donner un air de secte ; elle a son culte, ses cérémonies, son jargon et ses mystères. Quesnay s’appelle le Maître, d’autres s’appellent les Anciens ; l’économie rurale, s’appelle la science par excellence. Tous les mardis on s’assemble chez M. de Mirabeau. On commence d’abord par bien dîner ; ensuite on laboure, on bêche, on pioche, on défriche, et on ne laisse pas dans toute la France un pouce de terrain sans valeur ; et quand on a bien labouré ainsi pendant toute une journée dans un bon salon bien frais en été ou au coin d’un bon feu en hiver, on se sépare le soir bien content et avec la bonne conscience d’avoir rendu le royaume plus florissant.

Je ne blâme pas cet enthousiasme et cette confiance un peu comiques. Je conviendrai volontiers que ce sentiment ne peut prendre sa source que dans le cœur d’honnêtes gens, de bons citoyens ; mais je voudrais que ces messieurs fussent aussi éclairés qu’ils sont bien intentionnés. Je voudrais que leurs idées ne fussent pas si brouillées, qu’au lieu d’idées ils ne nous payassent pas si souvent de mots qui ne signifient rien, et qu’ils voulussent ou pussent penser, avant d’écrire et de nous endoctriner. À cette condition je leur pardonnerais volontiers l’air et le ton capables qu’ils affectent ; je leur pardonnerais même, quoi qu’il put m’en coûter, un style presque toujours barbare et apocalyptique, et je me résoudrais peut-être à lire exactement les Éphèmérides du citoyen, ouvrage périodique où ils déposent leur pensée pour le bonheur de la race actuelle et de la postérité. Mais j’avoue que je suis fâché, quand j’ai vaincu mon dégoût pour un style plein de dureté, d’âpreté et de solécismes, quand je me suis creusé la tête pour trouver un sens à des expressions obscures, louches et hétéroclites qui n’en ont point, je suis fâché, dis-je, de ne trouver au bout d’une longue et pénible lecture autre chose qu’un lieu commun, que je savais depuis longtemps, emphatiquement étalé et souvent exagéré au delà de ses véritables bornes, ou bien un mot sans idée et un principe vide de sens. Alors l’humeur me saisit, et dans ma colère, si j’en avais le pouvoir, je ne sais si je ne ferais pas un beau jour enlever tout le mardi de M. de Mirabeau avec ses bêches, pioches et charrues, et le transporter dans les landes de Bordeaux ou dans quelque autre terrain ingrat pour lui apprendre a défricher autrement qu’à coups de langue ou de plume.

Je me souviens d’avoir lu un ouvrage tout entier de ces messieurs, qui n’était assurément pas agréable à lire, et où je n’ai jamais pu comprendre autre chose sinon que la grande culture demandait de grosses avances et rendait de gros profits, tandis que la petite culture n’exigeait que de petites avances, et ne donnait aussi que de petits profits. Je crois que, Dieu me pardonne, sans avoir l’honneur d’être économiste affilié, j’aurais découvert cette importante verité à moi tout seul, si l’on m’avait interrogé. Voilà le lieu commun ; en voici l’exagération. C’est que ces messieurs ne veulent point de petite culture qui se fait par les bœufs, et qu’ils établissent partout les grandes charrues et les chevaux. En vain leur objecte-t-on qu’une terre légère ne doit pas être cultivée comme une terre forte, qu’un mauvais terrain demande d’autres soins que le bon. Ces messieurs vous répondront froidement qu’il n’y a point de mauvaise terre. Ils veulent dire qu’il n’y a point de terre si mauvaise qu’elle ne puisse être rendue féconde à force de travail et de dépense. Voilà de leurs oracles, et on ne peut leur nier qu’en couvrant le roc le plus aride seulement de deux ou trois pieds de bonne terre sur la surface, et en labourant, fumant, cultivant cette surface, je ne réussisse à tirer quelque chose d’un sol ingrat qui ne produisait rien. Il ne s’agit plus que de trouver le moyen de faire toute cette dépense que les économistes m’imposent, avant que j’aie rendu mon roc fertile ; c’est un secret que j’attends du patriotisme de ces messieurs. Je me souviens qu’un jour M. le marquis de Mirabeau nous confiait avec une bonhomie charmante qu’il n’y avait point de mauvais terrain, et que c’était des contes tout purs. C’était chez Mme la duchesse d’Enville. Il voulait prouver à cette dame, aussi respectable qu’illustre par sa naissance, qu’il ne tenait qu’à elle de rendre sa terre de la Rocheguyon, dont le terrain est sablonneux et mauvais, aussi fertile que les plus beaux cantons du royaume. Il est vrai qu’il lui fit dépenser toute sa fortune et celle de toute sa maison à cette amélioration ; mais aussi la terre de la Rocheguyon produisait le double. La maison de La Rochefoucauld n’aurait plus eu d’autre revenu ; mais le terrain de la Rocheguyon eut été excellent et susceptible de la grande culture comme les plaines de Brie. Je fis cependant à l’améliorateur une petite observation. « Si tous les propriétaires de mauvaises terres, lui dis-je, se mettaient en tête de les améliorer, ne pourraient-ils pas faire un tort considérable aux propriétaires des bonnes terres : car, à force de les enlever pour rendre les leurs meilleures, ils les dégraderaient sans doute ? On aurait rendu les mauvais terrains bons, en rendant les bons mauvais. En ce cas, les propriétaires des bonnes terres s’opposeraient sans doute à cet enlèvement, et il en résulterait des guerres qui pour le coup seraient de véritables guerres de propriété. À quoi ces messieurs du mardi pourvoiront, je me flatte, en établissant dans toute l’Europe des bureaux pour la distribution de la bonne terre à un prix raisonnable. » Je dis encore à M. de Mirabeau que j’étais étonné que le roi de Prusse, ayant été si longtemps le maître de la Saxe, n’eût pas employé ce temps à faire enlever toute la bonne terre de ce pays pour en couvrir les plaines sablonneuses du Brandebourg. « C’est, me dit M. de Mirabeau sérieusement, que ce prince n’entend rien aux principes de l’économie rurale. »

Ces idées creuses que ces messieurs nous donnent pour profondeur ne sont pas les seuls griefs que j’aie contre le respectable mardi des économistes ruraux assemblés chez l’Ami des hommes. J’ai des reproches plus graves à leur faire.

Premièrement, ils ont un langage apocalyptique et dévot. Ils voudraient faire de l’agriculture une science mystique et d’institution divine, et ils joueraient volontiers le rôle de théologiens dans cette partie. Le mardi de M. de Mirabeau deviendrait ainsi la Sorbonne du labourage, et les membres de cette Sorbonne s’opposeraient, autant qu’il dépendrait d’eux, aux progrès de la philosophie. M. de Mirabeau a poussé cette pauvreté jusqu’à se faire avocat des moines. Il tire son apologie de ce que les champs des moines et des ecclésiastiques sont pour la plupart mieux cultivés que les champs des laïques, et ne considère pas que ces derniers sont hors d’état de bien cultiver leurs champs précisément parce que les premiers sont en état de si bien cultiver les leurs. Tous les impôts, toutes les charges, sont pour le peuple, tandis que toutes les immunités, tous les profits, sont pour les biens de l’Église. Je sais que les économistes n’ont plus osé insister depuis sur la nécessité et l’utilité des moines ; mais ils ont en général une pente à la dévotion et à la platitude bien contraire à l’esprit philosophique qui se répand de toutes parts en Europe, et mon avis est que préalablement et sans nouvelle preuve de zèle ils reçoivent tous la première tonsure des mains du barbier de l’Archevêché.

En second lieu, ils se sont tous faits prôneurs et fauteurs de l’autorité despotique, et plusieurs d’entre eux ont poussé l’absurdité au point d’avancer que toute constitution de gouvernement, hors la monarchique, est essentiellement vicieuse. Il est vrai qu’ils établissent un despotisme légal, et qu’ils lui donnent pour guide l’évidence, de sorte que l’autorité qui a un pouvoir illimité ne peut cependant rien faire qui ne soit conforme au vœu de la loi, et que l’évidence du bien règle toutes ses opérations ; mais s’il y a quelque chose d’évident dans ce bavardage, c’est que ces messieurs nous prennent pour des enfants qui se payent de mots, ou, ce qui est de la plus grande évidence pour moi, qu’ils sont eux-mêmes en enfance, et, pour parler leur langage, que, dans un siècle éclairé, le despote légal est nécessité, par l’évidence, de leur accorder des loges dans les petites-maisons comme aux plus fiers des déraisonneurs de son empire. Ce triste système de despotisme légal dirigé par l’évidence est né de l’exagération de deux lieux communs. On a dit que le gouvernement d’un despote éclairé, actif, vigilant, sage et ferme, était de tous les gouvernements le plus désirable et le plus parfait, et l’on a dit une vérité ; mais il ne fallait pas l’outrer. Moi aussi, j’aime de tels despotes à la passion. Il ne s’agit plus de calculer, suivant le système de probabilités politiques, combien il se trouvera de despotes de cette espèce dans une suite de cinquante, par exemple ; si chaque empire en trouve un ou deux dans cette série, je lui conseille de s’en féliciter. Ce sont les despotes endormis sur le trône qui font le malheur des nations. Or si la morale vous dit que le trône est l’endroit le moins propre au sommeil, l’histoire vous apprendra que c’est cependant le lieu ou l’on sommeille le plus. Si cela n’était point, les noms des Titus et des Antonins ne seraient pas des noms si chers et si sacrés à l’humanité. L’autre lieu commun sur lequel ces messieurs ont fondé leur système du despotisme légal est que plus le dépôt des lumières générales et publiques est considérable chez une nation, plus son gouvernement sera garanti du danger de tomber dans des erreurs et de faire des fautes ; mais exagérer ce lieu commun jusqu’à attribuer à un terme abstrait, au mot évidence, la vertu infaillible de préserver le gouvernement de toute erreur et de toute faute, c’est tomber dans une étrange extravagance. Sur cent opérations que le gouvernement est dans le cas de faire journellement, il n’y en a pas une qui ne soit trop compliquée pour ne pas rester problématique aux yeux de l’homme d’État le plus pénétrant et le plus consommé dans les affaires. Cependant il faut opérer, il ne s’agit pas de rester dans l’inaction ; et messieurs du mardi rural auraient beau dépêcher des provisions d’évidence dans tous les cabinets de l’Europe, je doute qu’aucun despote légal ni aucun ministre put en tirer le moindre soulagement dans ses perplexités. Le fanal de Quesnay et Mirabeau luit d’une lumière si faible, si vacillante, si incertaine, que je ne conseille à aucun pilote politique de s’y fier. Et puis, quand on aura remedié aux erreurs et aux bévues par l’évidence tout court, les passions ne feront donc plus aucun mal, ne causeront plus aucun désordre public ? Ces messieurs ne font pas assez de cas des passions pour les faire entrer dans leurs calculs politiques, ou bien quand ils daignent en faire mention, ils les garrottent et les enchaînent également par l’évidence ; il est d’expérience journalière que rien n’arrête la passion comme un argument en bonne forme. J’ai été tenté quelquefois d’envoyer au mardi de M. de Mirabeau le syllogisme suivant, bien sur que les membres ruraux le signeraient comme infaillible. « Si quelque chose est évident, de toute évidence ; de cette évidence déclarée par ces messieurs irrésistible, c’est que le système qui a prévalu en Europe de faire des emprunts publics pour les besoins de l’État, et d’en employer ensuite les revenus à acquitter les intérêts dus a ces emprunts, que ce système, dis-je, est non-seulement ruineux, mais absolument meurtrier, et qu’il expose tôt ou tard le gouvernement qui l’adopte à l’alternative inévitable, ou de ruiner la plus riche portion de ses sujets par une banqueroute générale, ou d’écraser et d’abîmer la plus petite portion de ses sujets par des impôts exorbitants et destructeurs. Donc il est évident que non-seulement les gouvernements de France et d’Angleterre n’emprunteront plus une obole, mais qu’il est même impossible qu’ils aient contracté, depuis un siècle environ, toutes ces dettes immenses dont le détail effraye quelquefois dans les papiers publics. Donc il est constant et certain que l’évidence du mal résultant inévitablement de ces emprunts n’a jamais pu permettre à aucun despote légal de charger la chose publique du fardeau d’une dette nationale… » La plupart des raisonnements politiques de ces messieurs sont exactement de cette force.

Mon dernier grief centre le mardi des laboureurs-économistes, c’est qu’ils sont ennemis des beaux-arts. Tout homme qui n’est pas à la queue d’une charrue est à leurs yeux un citoyen inutile et presque pernicieux, à moins qu’il ne soit du mardi de M. de Mirabeau. Ils oublient à tout moment que le cultivateur serait réduit à un état de pauvreté bien grand s’il n’y avait de consommateurs que des cultivateurs. Cependant si ces messieurs avaient jamais calculé combien le travail d’un seul homme peut en nourrir d’autres, ils auraient vu que, pour le bien du laboureur, il ne faut pas que tout le monde laboure. S’ils avaient le jugement aussi sain et aussi droit que les intentions, ils auraient conçu que de ce que l’agriculture est écrasée en ce royaume, par une foule de mauvaises lois et de mauvaises pratiques, il ne s’ensuit pas que les arts, ni même un luxe nécessaire dont ils sont les enfants, soient la perte de l’art le plus utile de tous, celui qui nourrit et répand l’abondance parmi tous les enfants de la famille. S’ils avaient enfin un peu de goût, ils auraient senti qu’on peut bien passer à Jean-Jacques Rousseau ses incartades contre les lettres et les arts, parce que ses sophismes sont ingénieux et pleins de nerf et d’éloquence ; mais que des gens qui écrivent platement et d’une façon barbare n’ont nulle espèce de droit à notre indulgence par leurs rêveries.

En général, le mardi rural dans sa constitution actuelle me paraît être dans cet état mitoyen de pauvreté d’esprit, d’idées brouillées, de lueurs, d’abandon, de présomption, de confiance, où étaient les apôtres en attendant le Paraclet après l’ascension de leur patron. Pénétré de cet état de viduité, je m’humilie devant le souverain distributeur de toute lumière, et le prie, avec ferveur, de répandre son esprit d’entendement sur ces bons laboureurs, et de leur ôter l’esprit d’exagération et l’abondance des mots vides de sens, afin qu’ils apprennent à parler et à écrire intelligiblement, é savoir ce qu’ils diront, à fuir l’emphase ténébreuse servant de passeport aux lieux communs, à labourer, bêcher, piocher, défricher, fumer, engraisser, dégraisser, dessécher, arroser, améliorer, féconder, fertiliser tous les champs de la terre dans toute sa circonférence, de l’extrémité d’un pôle à l’autre, avec un peu plus de profit pour l’utilité commune et un peu plus d’avantage pour leur propre récolte. Amen.

— Les fêtes magnifiques et brillantes que M. le prince de Condé a données cet été à Chantilly ont fait pendant quelque temps l’entretien de tout Paris. Ces fêtes se sont succédé pendant trois semaines avec une variété charmante. Les attentions du prince pour tous ceux qui étaient venus y prendre part les ont encore rendues plus agréables. Tous les villages à deux lieues à la ronde ont assisté à un bal champêtre qui fut donné de nuit sur la grande esplanade qui se trouve devant les superbes écuries de Chantilly. Cette esplanade était magnifiquement illuminée ; on y avait dressé un grand nombre de tentes. Les paysans et paysannes avaient tous reçu des habits de bazin blanc ornés de rubans. Le prince dansait indistinctement avec les dames et les paysannes. Voici des couplets adressés à M. de Pont-de-Vesle, qu’un nain de douze ans, habillé en Amour et renfermé dans un ananas, à chanté pendant le dessert du souper qui a terminé ces fêtes.

Sur l’air : Lisette est faite pour Colin.


Sous différents traits tour à tour
SousJ’ai paru pour vous plaire ;
Mais à vos regards en ce jour
SousJe m’offre sans mystère :
Reconnaissez en moi l’Amour
SousQui cherche ici sa mère.

Mais dans mon cœur en ce moment
SousJe sens un trouble naître ;
Ici chaque objet est charmant ;
SousAh ! que le tour est traître !
Maman ! Maman ! Maman ! Maman !
SousComment vous reconnaître ?

Vous refusez de m’éclaircir,
SousDe me tracer mes routes ;
Chacun aime à me voir souffrir,
SousVous riez de mes doutes !
Eh bien ! je vais vous en punir,
SousEn vous adoptant toutes.

VERS


à mettre au bas du portrait de Mlle d’iligny

par M. Dorat


TuPar les talents unis à la décence
Tu te fais respecter et chérir tour à tour ;
TuPASi tu souris comme l’Amour,
TuPATu parles comme l’innocence.

— Malgré les bombes qu’on a fait pleuvoir sur la vieille masure de la Sorbonne, et qui auraient du aiguillonner le zèle et le courage de ses défenseurs, il devient aujourd’hui très-problématique que cette illustre carcasse veuille publier la censure de Bélisaire et il se pourrait très-bien que le travail du R. P. Bonhomme, cordelier de la grande manche, et le feu soutenu du syndic Riballier, fussent perdus pour l’édification publique. La plupart des graves docteurs rient sous cape des étrivières que la discipline de Ferney a si nerveusement appliquées sur les épaules du brave Riballier : tant le zèle dévorant de la maison du Seigneur diminue parmi nous, dans ces jours de tiédeur et d’indifférence ! Des personnes instruites prétendent que la Sorbonne sollicite actuellement un ordre de la cour, ou à son défaut un ordre de son proviseur, M. l’archevêque de Paris, qui lui défende de publier sa censure ; mais ni le proviseur ni le gouvernement ne se soucient de gêner la sacrée Faculté par un ordre exprès dans l’exercice du droit incontestable qui lui est acquis de temps immémorial de se rendre ridicule et méprisable. On dit seulement que M. l’archevêque de Paris a jeté au feu le mandement qu’il avait préparé contre Bélisaire.

Dans le fait, le bonhomme Bélisaire a de grandes obligations à la Sorbonne d’avoir bien voulu se couvrir de ridicule à son égard. Sans cette circonstance, son succès à Paris n’aurait pas été fort solide, et il serait actuellement oublié. Mais les pamphlets et les coups d’étrivières partis de Ferney ont tenu les yeux du public ouverts sur cette production, qu’il avait d’abord assez froidement accueillie ; et le suffrage dont divers princes et têtes couronnées l’ont honoré à rendu ce livre agréable à la nation. On a lu avec admiration les lettres de l’Impératrice de Russie et du roi de Pologne, ainsi que la lettre charmante du prince royal de Suède. La reine de Suède a accompagné la sienne du don d’une boîte superbe dans les cartouches de laquelle on voit les principaux tableaux de Bélisaire exécutés en émail. C’est joindre la plus ingénieuse galanterie à la magnificence royale.

Mais si M. Marmontel est quitte du mandement de l’archevêque et de la censure de la Sorbonne, il n’a pas été assez heureux pour esquiver le coup de dent du vieux Piron. Ce poëte octogénaire, tout aveugle et dévot qu’il est, n’a pas oublié l’art de faire des épigrammes. Dans celle que vous allez lire, il a accouplé l’auteur de Bélisaire avec son détestable parodiste, l’avocat Marchand, qui a publié une parodie de Bélisaire sous le titre d’Hilaire.

L’un croit que par son Bélisaire
Télémaque est anéanti ;
L’autre prétend que son Hilaire
Vaut le Virgile travesti ;
Voilà, l’Hélicon bien loti !
Maçon de l’Encyclopédie,
Et vous l’homme à la parodie,
À bas trompette et flageolet !
Que l’un reste à l’Académie ;
Que l’autre aille chez Nicolet !

— On a donné ces jours derniers, sur le théâtre de la Comédie-Italienne, un opéra-comique nouveau en deux actes, intitulé le Double Déguisement. La pièce est de M. Houbron, et la musique de M. Gossec[1]. Une jeune fille se déguise en homme, un jeune homme se déguise en fille. Tous les deux se sauvent sous ce travestissement de chez leurs parents, qui voulaient les marier contre leur gré. Tous les deux se rencontrent dans une hôtellerie sans se connaître, et deviennent épris l’un de l’autre. Tous les deux sont surpris dans cette hôtellerie par leurs pères, qui ont couru, après eux, chacun de son côté. Voilà l’idée d’une pièce dénuée de toute vraisemblance et exécutée de la manière du monde la plus détestable. J’ai admiré la patience du parterre de n’avoir pas étourdi le sieur Houbron à tout jamais à force de sifflets. Il en faudra aussi à M. Gossec, s’il continue à travailler avec les Houbrons et les Desboulmiers. Cette pièce n’a eu qu’une représentation.

Il a débuté sur ce théâtre un acteur nouveau, nommé Vendeuil, dans les rôles de Clairval. Cet acteur, qui est de la troupe particulière de M. le duc de Noailles, n’est pas mal de figure, il a la voix passable ; mais il est froid et maussade. Clairval est déjà un amoureux honnêtement froid ; si son double est encore plus transi que lui, ces deux amoureux nous gèleront cet hiver infailliblement. Deux petites filles prussiennes, âgées de sept et huit ans, dansent, depuis quelque temps, sur ce théâtre avec beaucoup de succès. Leur père s’appelle M. Le Fèvre.

— On a fait à Paris une édition de Charlot, ou la Comtesse de Givry, nouvelle pièce dramatique en vers et en trois actes, représentée sur le théâtre de Ferney. Le nom de M. de Voltaire fera enlever cette édition bien vite, mais c’est peu de chose. Ce n’est pas tant le mauvais qui choque dans cette pièce que l’absence du bon. Le rôle de Guillot est cependant bien bas et de bien mauvais goût, et celui de Babet ne vaut pas grand’chose. Ma foi, rien ne vaut, dans cette pièce, que l’auteur aurait pu intituler la Force du naturel. Destouches a fait sur la fin de sa vie une mauvaise comédie sous ce titre ; mais, chez lui, c’est deux filles qu’on a échangées en nourrice ; ici, c’est deux garçons. Quoique ce fond soit mauvais et aussi peu philosophique que peu naturel, je sens pourtant que M. Sedaine, s’il l’avait entrepris, en aurait fait une pièce charmante ; mais c’est qu’il y aurait mis sa force comique, son naturel, sa vérité, ses mots précieux ; il n’y a rien de tout cela dans la pièce de l’illustre patriarche. On voit bien cependant quelle vient d’une main accoutumée à tailler des pièces pour le théâtre. On voit aussi que la Partie de chasse de Henri IV, par Collé, a fait faire la comtesse de Givry. Il est très-bien que, dès le commencement de la pièce, il soit toujours question du roi, qu’on l’attende toujours, qu’il soit, pour ainsi dire, le principal personnage, et qu’il ne paraisse pas. Cela est fait avec esprit. Nos mœurs sont si mesquines, ou bien nos représentations théâtrales sont si éloignées de la vérité, qu’on n’a encore su mettre un roi en comédie sans le rendre plat et maussade.

M. l’abbé Gougenot, conseiller au grand conseil, honoraire de l’Académie royale de peinture et de sculpture, vient de mourir dans un âge peu avancé. Il était l’ami intime de Pigalle et le fournisseur des idées de ses monuments.

— Jean-Baptiste Massé, peintre du roi, conseiller de l’Académie royale de peinture et de sculpture, est mort aussi, âgé de plus de quatre-vingts ans. Cet artiste excellait en son temps dans la miniature, et les portraits qu’il a faits sont fort estimés des connaisseurs. C’est lui aussi qui a fait graver sur ses dessins les peintures de la galerie du salon d’Hercule de Versailles, et qui a présidé à toute cette grande entreprise.

M. l’abbé Millot, ancien grand vicaire de Lyon, prédicateur ordinaire du roi, vient de publier des Éléments de l’histoire de France depuis Clovis jusqu’à la fin du règne de Louis XIV. Deux volumes in-12, chacun de cinq cents pages. Voilà donc encore un abrégé ! Peu s’en faut, cependant, que je ne fasse grâce à celui-là. Le style de l’auteur est un peu plat et parfois décousu ; mais il règne un assez bon esprit dans son ouvrage, et il faut savoir gré à un grand vicaire d’avoir, en général, des principes de droit public sains, et de préférer la cause du genre humain à l’intérêt et à l’ambition de l’Église. Je me sens du faible pour ce prêtre. On peut, du moins, mettre ce livre entre les mains de la jeunesse sans craindre de lui empoisonner l’esprit par une foule de maximes détestables que le fanatisme et la fourberie ont l’insolence de professer comme des maximes d’État. M. l’abbé Millot est philosophe et vrai autant que son habit peut le permettre. Je voudrais qu’il eût plus d’imagination, plus de nerf et d’onction dans son style, et je lui conseillerais d’écrire l’histoire : car je le crois honnête homme. Son abrégé est, moins concis que celui de M. le président Hénault. Il ne comprend pas tant de choses que celui-ci ; mais il développe davantage les principaux faits. Il prétend que cela est nécessaire pour qu’ils fassent de l’effet sur l’esprit de la jeunesse, et je crois qu’il a raison.

M. Clerc, ci-devant médecin de l’hetman des cosaques, et actuellement médecin de Villers-Cotterets, petite ville à dix-sept lieues de Paris, de l’apanage de M. le duc d’Orléans, vient de publier une Histoire naturelle de l’homme considéré dans l’état de maladie, ou la Médecine rappellée à sa première simplicité. Deux gros volumes in-8°, de cinq cents pages chacun. Ce livre est écrit très-agréablement, et c’est ce qui lui a procuré une sorte de succès parmi les gens du monde qui ne sont pas en état de juger du fond. À Paris, tout le monde ; et surtout les femmes, a la manie de parler médecine, et auprès de l’ignorance un charlatan agréable a beau jeu. Le succès du livre de M. Clerc ne signifie donc rien pour moi : car, à m’en rapporter au jugement d’un savant et habile médecin, cet ouvrage n’est qu’une rapsodie faite sans jugement de ce que Bœrhaave et d’autres grands médecins modernes ont écrit ; il est rempli de contradictions et d’absurdités frappantes, parmi lesquelles celle qui assigne à la médecine à peu près la même évidence qu’à la géométrie ne vous échappera pas. L’auteur parle sans cesse d’Hippocrate, et l’on s’aperçoit aisément qu’il ne l’a jamais lu.

M. Le Cat, docteur en médecine, chirurgien à Rouen, a publié cet été un Traité des sensations et des passions en général, et des sens en particulier. Deux gros volumes in-8°. Je ne sais si M. Le Cat est bon chirurgien et bon médecin, mais je sais, à n’en pouvoir douter, que ce n’est pas un bon esprit et un bon philosophe.

— On vient de traduire de l’anglais le Voyage autour du monde fait, en 1764 et 1765, sur le vaisseau de guerre anglais le Dauphin, commandé par le chef d’escadre Byron. Volume in-12 de près de quatre cents pages. C’est ce vaisseau qui, dans le cours de son voyage entrepris conjointement avec le Tamer, a retrouvé cette nation de géants appelés Patagons. Voilà pourquoi le public a acheté cette traduction avec une extrême avidité. Mais on ne trouve, dans tout le volume, que trois ou quatre pages concernant les Patagons, outre la préface ou le traducteur a recueilli tout ce que les voyageurs en avaient précédemment rapporté. Le reste n’est qu’un journal de marin, bien succinct, qui peut être utile aux navigateurs, mais qu’on parcourt cependant avec une sorte de plaisir, parce qu’il vous promène par tout le globe et dans les contrées les plus éloignées.


15 octobre 1767.

Du mardi des laboureurs et économistes ruraux est sorti cet été un ouvrage qui a fait quelque sensation dans le public parce qu’il avait été magnifiquement annoncé, mais qui est bientôt si parfaitement tombé que le libraire n’en est pas à se repentir, je crois, d’en avoir fait deux éditions à la fois, l’une in-4°, l’autre in-12. Cet ouvrage est intitulé l’Ordre naturel et essentiel des sociétés politiques. L’auteur est M. Le Mercier de La Rivière, ancien conseiller au parlement de Paris, et depuis, deux fois de suite, intendant de la Martinique.

Lorsque les Anglais firent la conquête de cette île, M. de La Rivière fut pris et renvoyé en France. À la paix, la cour le nomma de nouveau et il retourna dans son intendance ; mais bientôt les cris du commerce de France s’élevèrent contre lui et devinrent si forts qu’on fut obligé de le rappeler. Ce rappel eut les désagréments et les suites d’une disgrâce. Le commerce de France lui reprochait d’avoir favorisé, sans doute par des motifs d’intérêt personnel, le commerce des Anglais au préjudice du commerce national. M. de La Rivière répondait que le commerce français, au sortir d’une guerre aussi malheureuse et aussi funeste pour lui, était hors d’état de porter la moitié des choses essentielles à la conservation de la colonie dans l’état d’épuisement et de détresse ou elle se trouvait alors ; que cet état pressant ne lui avait laissé d’autre choix que celui d’admettre les Anglais pour approvisionner la colonie, ou bien de la laisser mourir de faim. Il me semble que les personnes au fait de ce procès sont persuadées que M. de La Rivière avait en ceci les vues très-justes, et que les mesures qu’elles lui avaient fait prendre étaient indispensables ; mais en même temps on ne le croit pas exempt du reproche d’avoir fait le commerce pour son propre compte, et ce reproche, lorsqu’il tombe sur un homme public, est toujours lié au soupçon de concussion. Cependant, la vie que M. de La Rivière a menée depuis son retour en France n’est pas Celle d’un homme opulent. Il présenta a son arrivée un mémoire apologétique de son administration à M. le duc de Choiseul, dont il se répandit des copies manuscrites dans le public. J’avoue que ce mémoire me parut l’ouvrage d’un homme d’État, et qu’il m’est encore incompréhensible que l’Ordre essentiel des sociétés politiques ait pu partir de la même plume.

Messieurs du mardi avaient annoncé ce livre comme une production merveilleuse. À la vérité, ils s’en attribuaient d’avance toute la gloire ; ils assuraient qu’il contenait leurs idées, leurs principes et leurs vues, que c’était le Newtonianisme rural pour les dames[2] et que la profondeur de la science y était mise à portée de nous autres pauvres diables, qui n’avions pas le bonheur d’être initiés dans ses mystères. De cette manière, MM. Quesnay et de Mirabeau s’associaient modestement au sublime Newton, en laissant à M. de La Rivière le rôle du peu sublime Algarotti.

Mais ce qui avait surtout prévenu le public en faveur de ce livre, ce fut le suffrage qu’on savait que M. Diderot lui avait accordé. Ce suffrage en imposa à beaucoup de nos juges qui ont coutume de s’informer de l’air du bureau avant de se permettre un avis ; d’autres, plus décidés, furent confondus qu’un livre tel que l’Ordre essentiel des sociétés eût pu s’attirer l’approbation d’un homme tel que M. Diderot. Mais tout s’explique dans ce monde quand on veut un peu faire attention aux circonstances. Premièrement, mon ami Denis Diderot est excellent juge en fait de choses excellentes, en fait de productions qui méritent quelque attention et qui donnent quelque prise à son sens profond et exquis. Quant aux mauvaises qui n’ont ni idées, ni talent, ni style, et qui ne peuvent fixer son attention par aucun côté, elles ne lui disent rien du tout ; et s’il faut qu’il s’en occupe malgré lui, il trouve plus court de les refaire dans sa tête. Alors il lit dans le livre ce qui n’est que dans son imagination, et, prêtant ainsi à un pauvre homme son génie et sa vue, il en fait avec très-peu de frais un homme merveilleux. Sa bienveillance naturelle, qui le porte à désirer que tous ceux qui écrivent fassent de belles choses, lui fait peu à peu semer ses dons dans une terre ingrate. Plus un auteur est pauvre, plus il lui prodigue du sien ; et lorsque dans cette disposition on sait exciter en lui à propos son penchant à l’enthousiasme, il fera aisément d’un ouvrage commun une production sublime, et croira que plus il se sera échauffé en sa faveur, plus il l’aura rendu meilleur. Je me souviendrai toujours de l’enthousiasme avec lequel il me vanta un jour un manuscrit que je trouvai fort médiocre. « Enfin, dit-il, voyant qu’il ne pouvait me convertir, ce que j’y ai trouvé surtout de beau et d’admirable est une chose qui n’y est point, mais qu’à la première entrevue je dirai à l’auteur d’y mettre. » Un éclat de rire, qui partit malgré moi, le fit revenir de cette charmante ivresse. C’est bien dommage que les pauvres d’esprit profitent si mal de ses dons, et que malgré sa munificence sans bornes ils restent toujours si deguenillés. Ce généreux philosophe avait d’abord lu l’Ordre essentiel des sociétés par ordre de M. de Sartine, pour voir si ce livre pouvait être permis dans le système actuel de contrainte que le gouvernement a adopté. Le principe de l’auteur, qui regarde la liberté de la presse comme une chose précieuse au bien public, plut au philosophe. À qui ne plairait-il pas ? Le philosophe sut ensuite que M. de La Rivière voulait aller en Russie, et s’attacher peut-être à l’Impératrice, et qu’il recherchait même son amitié dans cette vue. Dès lors, son désir naturel de rendre service l’emporta, et l’ouvrage de M. de La Rivière devint de jour en jour meilleur. Je puis certifier, que M. Diderot y a lu de très-belles choses que je n’ai jamais pu y trouver, lorsque le livre est devenu public. Il m’en avait cité pendant six semaines tant de traits, tant d’idées excellentes, que je ne doutais plus que ce livre ne pût être mis à côté de l’Esprit des lois. Charmant philosophe, attrapez-moi toujours de même ! Que m’importe de jeter un mauvais ouvrage où je ne vous retrouve plus, pourvu qu’en attendant vous m’en ayez fait un bon ! Il est vrai qu’un des grands chagrins de ma vie, c’est de vous voir perdre votre temps avec tant de rapsodies que les mauvais auteurs vous apportent, tandis que vous pourriez vous occuper si utilement pour la satisfaction du public et pour votre propre gloire. Pour revenir à M. de La Rivière, j’avoue que son livre me paraît un des mauvais ouvrages qui aient paru depuis longtemps, et que je ne me souviens guère d’avoir essuyé une lecture plus pénible et plus assommante. Je mets en fait qu’il n’y a pas une seule idée juste dans cet ouvrage qui ne soit un lieu commun et une chose triviale. La plupart de ces lieux communs sont si ridiculement outrés et exagèrés qu’ils en sont devenus absurdes. L’auteur a l’air d’un homme ivre d’eau. On avait vanté sa logique et l’enchaînement de ses idées ; c’est la logique du plus terrible déraisonneur qu’il y ait dans toute l’Europe lettrée. Si son style était un peu plus emphatique et moins plat, il aurait l’air ou d’un homme en délire qui a besoin d’être saigné, ou d’un homme qui se moque de ses lecteurs. Mais la platitude de son style lui donne l’air d’un expert arithméticien qui combine des nombres en dormant et au hasard, et qui ne fait pas un calcul qui ne soit faux. Il me rappelle mon précieux chevalier de Lorenzi, qui, ayant perdu un jour deux parties d’échecs à un petit écu, l’une contre M. Helvétius, l’autre contre moi, me donna un petit écu et me dit : « Vous paierez M. Helvetius, au moyen de quoi nous sommes quittes. » Le même précieux chevalier, ayant fait la partie, avec trois de ses amis, de revenir de Saint-Cloud à pied par le bois de Boulogne, tint ce discours mémorable à l’un des trois qui pressait la compagnie de se mettre en route pour arriver à temps : « Il n’y a rien, dit-il, qui vous presse. D’ici à Paris, il y a deux lieues. Nous sommes quatre ; c’est une demi-lieue par tête. » Voilà une image fidèle de la puissance de raisonnement de M. de La Rivière, excepté que celui-ci n’a pas le piquant du chevalier de Lorenzi. Je suis bien fâché que ce cher chevalier soit allé rêver quelque temps à Florence ; le départ de M. de La Riviére ne m’a pas fait le même chagrin.

J’ai parlé de la platitude de son style ; ce n’est pas le moindre grief que j’aie contre lui. On a beau dire ; l’élévation du style est l’effet immédiat et la preuve certaine de l’élévation des idées et des sentiments, et il ne faut pas croire qu’avec une âme terre à terre on soit appelé à instruire les hommes. Quand on ne sait pas élever son âme au niveau et à la dignité de son sujet, on peut être un fort honnête homme sans doute, mais il ne faut pas vouloir faire le précepteur des rois et des nations.

Je n’entreprendrai point ici de combattre dans les formes les idées de M. de La Rivière. Il n’est point de bon esprit qui ne sente à chaque page l’abus des mots et le vide des raisonnements. Son livre est d’ailleurs déjà si profondément oublié que ce serait s’attaquer à une chimère. L’auteur a cru qu’en entassant à chaque fois une douzaine d’impossible l’un après l’autre il s’était réellement rendu maître des possibilités, et qu’en mettant à tout la sauce de physiquement nécessaire et de physiquement impossible, d’incommutablement appartenant, d’essentiellement déterminant, il avait donne à ses raisonnements une force irrésistible inconnue jusqu’à ce jour. Mais toutes ces plates et fastidieuses formules qu’on retrouve à chaque page de son livre, et qui en rendent la lecture si déroutante, ne servent qu’à lui donner l’air d’un déraisonneur d’autant plus intrépide qu’il ne se doute jamais de la véritable difficulté de la question.

Sa première partie, qui traite de la meilleure constitution de gouvernement, est un chef-d’œuvre de galimatias : son despote légal à qui il faut un pouvoir illimité, et que l’évidence met dans l’impossibilité physique d’en abuser et de faire jamais le moindre mal à son peuple ; qui a néanmoins besoin d’un corps de magistrats pour être les gardiens de la certitude et pour attester aux peuples que le souverain suit l’évidence, le tout, pour montrer la nécessite physiquement essentielle des parlements de France et de leur droit de faire des remontrances, et cela, parce que l’auteur a été autrefois conseiller au Parlement, et qu’aucun écrivain de droit public en France ne peut s’écarter des préventions parlementaires sans risquer d’être cité à la barre, et même, suivant l’exigence du cas, décrété de prise de corps ; ce despote légal et ses satellites sont dignes de figurer dans les petites-maisons à côté du père éternel, ayant M. de La Rivière comme héraut d’armes à leur tête. Il ne faut jamais avoir connu les hommes, il faut n’avoir ni lu ni ouvert aucun monument historique pour écrire des rêves pareils.

Toute la théorie des impôts, qui fait la seconde partie, et qui est exactement calquée sur les principes de MM. les économistes ruraux, n’est qu’un fatigant et insipide commentaire du lieu commun qu’il ne faut pas imposer un pays au delà de ses forces. Je vous défie de tirer de tout ce bavardage aucune autre vérite utile. Le droit qu’on attribue au souverain de partager en sa qualité de co-propriétaire dans le produit net n’est qu’une pure tournure, sous laquelle M. de La Rivière présente cette vérité incontestable qu’il n’est pas juste de prendre à ses sujets plus qu’ils ne peuvent donner. Cette tournure serait même dangereuse, si quelque chose de ces messieurs pouvait être, en ce qu’accordant au plus fort la co propriété de tout, ils l’invitent au partage du lion, du moins jusqu’à ce que l’évidence ait changé l’essence des choses. L’idée de lever l’impôt immédiatement sur le produit net, au prorata du produit net, est une chimère des plus complètes, car ce produit net est par son essence incertain, variable, inconnu et caché ; et comment asseoir une imposition publique et permanente sur une base si mouvante ? Dans cette contestation éternelle du gouvernement qui a besoin, et du sujet qui se dit hors d’état de payer, comment déterminer avec justice ce qui peut être payé au fisc de l’État par une province, sans que les habitants soient foulés ? C’est ce tarif que messieurs les économistes sont priés de faire passer au sceau de l’évidence à leur première assemblée. Avant l’évidence de ce tarif, l’évidence de leur théorie sur l’impôt sera aussi inutile que vox clamantis in deserto.

La troisième partie du livre de M. de La Rivière, qui traite de l’industrie et de ses effets, est la moins déraisonnable ; elle renferme cependant assez de propositions outrées et hasardées. Poser d’un côté pour principe que la consommation est la mesure de la reproduction, comme la reproduction est la mesure de la richesse publique, et soutenir de l’autre que l’industrie n’est jamais productive, tandis qu’elle augmente évidemment la consommation, dire que l’argent n’est rien du tout, que la balance du commerce est une pure chimère, au lieu de prouver, comme je le crois aisé, que tous les peuples ont pris jusqu’à présent de faux moyens pour fixer cette balance chacun à son avantage, c’est, ce me semble, avancer avec confiance d’assez grandes extravagances.

Les bornes de ces feuilles ne me permettent pas de m’étendre davantage. Tout ce tas de sophismes se réduit pour le produit brut au mot évidence, aux formules physiquement impossible, physiquement nécessaire, et pour le produit net à zéro. Malgré notre manie de nous occuper de tous ces grands objets, il faut convenir qu’on a écrit jusqu’à présent bien peu de choses satisfaisantes sur la science du gouvernement. C’est que les bons esprits sont rares, et que les bavards gâtent tout. Je ne mets point en doute qu’un bon esprit, en partant du principe de M. de La Rivière, et établissant le droit de propriété comme un droit sacré et illimité dans son exercice, et comme le fondement et l’origine de toute société politique, n’eût pu faire un bon ouvrage ; mais il aurait cherché à assurer le fondement contre la force des passions et des opinions qui de toute éternité ont tout fait et continueront à tout faire parmi les hommes. Je ne crois pas que les mots passion et opinion se trouvent une seule fois dans le livre de l’Ordre essentiel des sociétés politiques ; je ne crois pas qu’il soit arrivé à l’auteur de citer un seul trait d’histoire dans tout le cours de ses rêveries. Cela seul prouve ce qu’il faut penser de son ouvrage.

M. de La Rivière ayant désiré de faire sa cour à l’Impératrice de Russie, Sa Majesté Impériale lui en a accordé la permission, sur le compte avantageux qui lui a été rendu de sa personne et de ses lumières ; elle lui a même fait payer douze mille livres pour les frais du voyage. L’économiste s’est mis en route huit jours après la publication de son ouvrage, et a ainsi sagement évité le spectacle de sa chute. Il a emmené avec lui sa femme et sa maîtresse dans la même voiture. Cette dernière est une petite chanteuse du concert de la reine, qui ne fera pas fortune en Russie par sa manière de chanter. M. de La Rivière ressemble au bonhomme Abraham, voyageant entre Sara et Agar ; mais le bon patriarche fit une très-méchante action en abandonnant la servante Agar au milieu du désert de Bersabée. C’est de quoi je crois le patriarche de l’évidence et de l’ordre essentiel incapable.

— Si vous envoyez l’auteur de l’Ordre essentiel des sociétés politiques passer le fleuve de l’oubli, vous ne manquerez pas de mettre a sa suite l’Ami de ceux qui n’en ont point, qui vient de publier un Système économique, politique et moral, pour le régime des pauvres et des mendiants dans tout le royaume. Volume in-12 de deux cent soixante-dix pages. Cet ami est M. l’abbé Méry, qui a déjà écrit d’autres pauvretés.

M. de Massac, membre de la Société d’agriculture de Limoges, est aussi très-digne de passer le fleuve. Il a écrit un Mémoire sur la manière de gouverner les abeilles dans les nouvelles ruches de bois. Passe pour cela. Ce mémoire peut amuser ou ennuyer quelque honnête campagnard ; il n’y a pas grand mal. Mais je ne passe pas à M. de Massac son autre Mémoire sur la qualité et sur l’emploi des engrais. Jamais les fermiers et les laboureurs ne prendront leur fumier dans le Mémoire de Massac. Au delà du fleuve, sans miséricorde !

— L’auteur de la Réduction économique, ou de l’Amélioration des terres par économie, qui ne se nomme pas#1, le passera immédiatement avec les abeilles et les engrais de M. de Massac, malgré les gros bénéfices économisés dont il est l’inventeur.

M. l’abbé Baudeau, prémontré pour la forme et économiste rural dans l’âme, a voulu annoncer ou prévenir l’Ordre essentiel de M. de La Rivière par une Exposition de la loi naturelle, qui n’a que soixante-dix pages et qui ne coûte que douze sols. Cet écrit peut avoir en effet le double objet, et de servir d’introduction à la lecture du livre de M. de La Rivière, et de vous convaincre que ce dernier n’a aucune idée qui n’appartienne au mardi rural en toute propriété ; en sorte qu’une portion du produit net de ce livre doit rester à l’auteur pour la dépense de son temps, papier, encre et autres frais de barbouillage et d’impression, mais la plus grande partie de ce produit net doit revenir à MM. Quesnay, Mirabeau et Cie, comme propriétaires fonciers des idées, ayant physiquement et [3] incommutablement droit au partage. J’ai déjà remarqué que le profit du produit net pour le lecteur est égal à zéro, celui de la gloire pour les auteurs est pareillement égal à zéro : ainsi ce partage ne leur prendra pas beaucoup de temps, et ne sera pas sujet à discussion.

Je hais les bavards, et malheureusement M. l’abbé Baudeau a prouvé, en ses soixante-dix pages, sa vocation incontestable au métier de bavard et de diseur de mots. Il veut réduire tout le droit naturel et tout le droit des gens à cette loi unique que chacun se fasse le meilleur sort possible, sans attenter aux propriétés d’autrui. Il appelle cela une règle primitive du droit naturel. Il prétend qu’avant toute agrégation et toute convention. — cela veut dire avant toute réunion en société ; mais il faut parler le style de ces messieurs, — avant toute agrégation donc, la loi naturelle était attributive du droit de jouir de ses propriétés, prohibitive de l’usurpation des propriétés d’autrui. Et pour prouver cette assertion, il appelle monstres tous ceux qui refuseront de l’admettre. J’avoue que je suis un de ces monstres-là, quoique dans le fond je me tienne pour aussi honnête homme au moins que le prémontré exposant la loi naturelle. Celle qu’il donne pour telle, qu’il regarde comme fondamentale, qu’il prétend avoir existé avant la société, l’est si peu, que les hommes ne se sont réunis en société que par la nécessité de la faire observer, cette loi. Voulez-vous savoir ce que c’est qu’une loi naturelle ? En voici une : Tu ne mettras pas ton doigt dans la mèche d’une chandelle allumé. Et savez-vous pourquoi c’est là une loi naturelle ? C’est que s’il vous prend fantaisie d’y manquer, vous vous brûlerez le doigt, et que cela vous fera mal, et que vous n’aimez pas le mal. Aussi je ne crois pas qu’aucun enfant ait fait plus d’une expérience pour chercher à enfreindre cette loi. Toute loi qui n’a pas sa sanction avec elle ne mérite pas ce nom, surtout, dans le code de droit naturel.

Il n’y a rien de juste ni d’injuste sous le ciel, quoique M. de La Rivière dise sans cesse : Ceci est d’une justice absolue, et cela d’une injustice absolue. Le terme juste est par son essence relatif, et suppose nécessairement un rapport. La justice ne peut exister qu’entre êtres de la même espèce. Et quel est son fondement ? L’égalité du sort, l’incertitude de sa chance : voilà le véritable fondement de toute morale et de toute justice. Le malheur que j’éprouve peut t’accabler demain. Si tu te permets tout envers les autres, ils se permettront tout envers toi. Monarque absolu d’un grand empire, tu peux sans doute te livrer aux fureurs les plus insensées ; mais tu ne peux pas non plus te garantir du risque d’être précipité de ton trône, et ton supplice peut devenir le signal de l’allégresse publique. Nous naissons tous avec les mêmes besoins, nous mourons tous au bout d’un certain temps, nul ne peut lutter seul contre tous : voilà la source de toutes nos vertus ; voilà la véritable sanction, non de la loi naturelle qui n’a rien statué à cet égard, si ce n’est que cent livres pèseront éternellement le double de cinquante, mais des lois sociales et politiques conformes au génie de l’homme. Je crois l’avoir déjà dit : Affranchissez un seul de nous de la loi générale ; créez un homme immortel, ou bien accordez-lui une vie de deux mille ans seulement, ou bien garantissez-lui ses quatre-vingts années de vie exemptes de tout revers, de tout malheur, qu’il en ait la certitude ; et vous en aurez fait le plus exécrable, le plus méchant de tous les hommes. C’est que vous aurez détruit la mesure commune qu’il y a entre nous et lui. Il sera méchant et ne sera point injuste. Il comptera votre vie pour rien, il vous en privera pour le plus petit de ses intérêts. Et pourquoi la compterait-il pour quelque chose, lui qui est sur de son sort et qui ne peut courir aucun risque ? Cette égalité du sort est si essentielle à la morale que celle-ci n’existe plus dès que l’autre a cessé. Nous n’observons aucune loi avec les animaux, si ce n’est notre convenance. Notre cruauté s’accroît même à proportion que leur petitesse nous dérobe le spectacle de leurs souffrances, c’est-à-dire une impression pénible que nous craignons. Vous écrasez un insecte sans pitié, sans remords, sans la plus légère attention. C’est que vous ne trouvez aucun rapport entre vous et lui ; la mort lui est cependant à coup sur aussi amère, la douleur aussi horrible qu’à vous. Vous avez fait de la chasse le plus noble de vos exercices. Ceux qui en font leur amusement journalier sont-ils cruels, barbares, atroces ? Sont-ce des monstres ? Non, vous en avez connu qui sont sensibles, généreux, compatissants, bienfaisants ; qui ont mille vertus, qui sont chéris, estimés, respectés. Pourquoi est-il donc plus barbare de forcer un homme que de forcer un cerf ? Pourquoi le spectacle d’une mère avec son enfant dans ses bras, courant et se dérobant à une meute de chiens que vous auriez lachés après elle, déchirée enfin par vos dogues, elle et son enfant, après mille efforts inutiles pour échapper au danger, pourquoi ce spectacle ne vous paraîtrait-il pas aussi intéressant que les angoisses d’un animal doux, noble, fier, pacifique, qui ne vous a jamais offensé, qui ne vous a jamais fait aucun tort, et dont vous vous plaisez à prolonger le supplice par les raffinements les plus barbares ? Quand M. l’abbé Baudeau aura trouvé la solution de ces questions, je l’écouterai sur la loi naturelle. Alors il retranchera aussi de son Exposition sa triste incartade contre la traite des nègres. Le président de Montesquieu a tout dit sur ce sujet dans son charmant et délicieux chapitre de l’Esprit des lois. Si vous voulez le comparer au paragraphe de l’abbé Baudeau, vous verrez précisément la distance d’un homme de génie à un polisson emphatique.

Le droit des gens n’est pas plus heureusement traité dans cette Exposition que la loi naturelle. L’auteur, qui en sa qualité d’économiste va à l’économie, ne lui donne pas un autre fondement que sa règle primitive établie pour base au droit naturel. Les peuples, dit-il, ne sont pas autre chose que des hommes, donc leurs droits et leurs devoirs doivent être jugés suivant la jurisprudence ordinaire.

Le prémontré ne sait ce qu’il dit. Le rapport des nations entre elles ne peut et ne doit être jugé suivant les lois de particulier à particulier. L’état des nations est un état de forces qui se contrebalancent : c’est le rapport d’un homme à un autre homme si vous voulez ; mais dans l’état dénaturé, la société a donné naissance à mille vertus touchantes qui en font le charme, et qui ne peuvent avoir lieu entre nations. Le chapitre des sacrifices seul est immense. Une des plus grandes douceurs de la société, c’est de faire un sacrifice à son ami ; nous passons notre vie dans ces sacrifices mutuels, même à l’égard des indifférents. À tout moment nous nous départons de notre intérêt, et nous nous en trouvons fort bien. Rien de tout cela ne peut exister entre nations. Un roi qui se sacrifierait réellement pour l’intérêt d’une puissance voisine ne serait pas un prince généreux et magnanime, mais un sot et même un homme injuste. C’est qu’il n’est pas juste de prodiguer le sang et les trésors d’une nation autrement que pour son propre intérêt. La probité même entre nations n’est pas la même qu’entre particuliers. Celle-ci n’est pas variable. Votre parole est inviolable, vous en êtes esclave lors même qu’elle devient par le changement des circonstances directement contraire à votre intérêt. C’est que votre intérêt à vous particulier, proprement dit, n’est pas ce qu’il y a de plus intéressant pour vous. Il n’en est pas de même d’une nation. Sa parole donnée finit avec son intérêt, et est enfreinte infailliblement le moment après et sans injustice, quoi qu’en disent les docteurs. Dans l’espace de vingt années la cour de Vienne a signé trois traités éternels par lesquels elle cède au roi de Prusse la Silésie à perpétuité. Si le prince de Prusse, après la mort de son oncle — que Dieu conserve ! — veut s’en rapporter à ces trois traités éternels, et en conséquence licencier ses troupes, changer de système, négliger ses alliés, se mettre en un mot hors de défense, il verra ce que c’est que l’éternité de ces traités, et le prémontré prouvera sans doute, le mardi après la prise de Breslau, d’une manière victorieuse que si la maison d’Autriche s’était gouvernée suivant les principes de l’évidence, elle aurait religieusement gardé sa parole.

Je suis las de ces inepties. Il serait bien à désirer que quelque homme de génie ou quelque excellent esprit voulut en dépouiller une bonne fois la science du droit public et la mettre au niveau du ton et de la philosophie de son siècle. À défaut d’un créateur ou d’un restaurateur de cette science, je tenterais infailliblement cette entreprise au-dessus de mes forces s’il m’était permis de m’affranchir de mes occupations pendant quelques années.

— Le 4 de ce mois, jour de saint François, la fête du grand patriarche a été célébrée à Ferney par sa nièce, Mme Denis, et les poëtes commensaux, en présence du régiment de Conti et de tous les notables du pays de Gex. La relation que j’ai vue de cette fête ne parle à la vérité ni de grand’messe ni de Te Deum chantés le matin dans la chapelle du château ; mais en revanche on a joué et chanté le soir sur le théâtre du château. La fête a été terminée par un feu d’artifice, un grand souper, et un bal qui a duré fort avant dans la nuit, comme disent les gazetiers, et ou le patriarche a dansé, suivant sa coutume, jusqu’à deux heures du matin. Les deux pièces qu’on a représentes sont la Femme qui a raison et Charlot, ou la Comtesse de Givry. C’est la nouvelle comédie que M. de Voltaire vient de faire, et dont j’ai eu l’honneur de vous parler.

Voici quelques fragments qu’on nous a envoyés de cette fête.

VERS

récités sur le théâtre de ferney

à la suite des deux comédies, le jour de saint françois,

par M. de chabanon.


L’Église dans ce jour fait à tous ses dévots
Célébrer les vertus d’un pénitent austère :
Si l’Église a ses saints, le Pinde a ses héros ;
Et nous fêtons ici le grand nom de Voltaire.
Et nousJe suis loin d’outrager les saints,
Et nousJe les respecte autant qu’un autre ;
Et nousMais le patron des capucins
Et nousNe devait guère être le vôtre.
Et nousAu fond de ses cloîtres bénis,
Et nousOn lit peu vos charmants écrits :
Et nousC’est le temple de l’ignorance ;
Et nousMais près de vous, sous vos regards,
Et nousLe dieu du goût et des beaux-arts
Et nousTient une école de science.
Et nousDe ressembler aux saints, je crois,
Et nousVoltaire assez peu se soucie ;
Et nousMais le cordon de saint François
Et nousPourrait fort bien lui faire envie :
Et nousCe don, m’a-t-on dit quelquefois,
Et nousNe tient pas au don du génie.
Et nousAllez, laissez aux bienheureux
Et nousLeurs privilèges glorieux,
Et nousLeurs attributs, leur récompense :
Et nousS’ils sont immortels dans les cieux,
Votre immortalité sur la terre commence.

Après ce compliment, on chanta les couplets suivants sur le théâtre de Ferney, à l’honneur et en présence de son patron.


Mme DENIS,

faisant présenter deux corbeilles de fleurs par deux enfants.



Ces enfants vous offrent nos vœux,
CesEn vous rendant hommage ;

Nos cœurs sont ingènus comme eux
CesEt sentent davantage.

Mme DENIS,

en qualité de Mme duru dans la femme qui a raison.

J’ai d’une charmante maison
CesFait le portrait fidèle ;
L’auteur qui donne la leçon
CesDonne aussi le modèle.

Mme DUPUITS,


nièces du grand corneille.

Saint François nous prête son nom
CesPour les jeux qu’on apprête ;
Mais il n’est pas dans la maison
CesLe vrai saint que l’on fête.

Mme DE LA HARPE.

Ferney du plus beau de ses jours
CesFête l’anniversaire,
Mais chez les Muses c’est toujours
CesLa fête de Voltaire.

Mme CONSTANT D’HERMENCHE

Ces vers d’un sentiment flatteur
CesSont la plus simple image ;
Vous qui parlez si bien au cœur,
CesAgréez son langage.


On lisait en caractères d’or sur le frontispice de la décoration du feu d’artifice, au nom de l’artiste qui l’avait peinte :

Aux plus nobles talents mes efforts réunis
CesÀ vos regards osent paraître.
Tous les beaux-arts vous sont soumis,
CesLe génie est leur premier maître.

— On a donné, le 13 de ce mois, de nouveaux fragments à l’Opéra, car, dans cette boutique, on ne vit que de fragments et de rogatons. Ce qu’il y a de nouveau dans ce spectacle se réduit à un acte de Théonis, par M. Poinsinet, et un acté d’Amphion, dont les paroles sont de M. Thomas.

Le terrible Poinsinet, qui ne se montre jamais sur nos théâtres que sous le masque du dieu de l’Ennui, fait, par l’acte de Théonis, son entrée dans la salle de l’Opéra. Puisse-t-il s’y tenir toute sa vie, être secondé dans ses productions lyriques par des musiciens de sa force et de son mérite, et ne plus jamais travailler pour les autres théâtres ! L’ennui a été de tout temps de l’essence de l’Opéra français. L’acte de Théonis, psalmodié par feu M. Mouret, ou feu M. Boismortier, aurait fait la plus belle chute du monde ; mais, rapiécé en musique par MM. Trial et Berton, il a eu un peu de succès. Il y a surtout à la fin un tambourin qui a enlevé la paille[4], et qui est charmant. Ce tambourin fera la fortune de M. Poinsinet. Son berger Dorilas, s’adressant suivant l’usage de l’Opéra, aux oiseaux, commence l’acte ainsi :

Chers habitants de ces riants bocages,
CesHeureux oiseaux, chantez plus bas ;
N’agitez plus les airs de vos ramages :
CesThéonis ne vous entend pas.

On croirait qu’à cause de cela, il faudrait les prier de chanter plus haut, puisqu’ils ont affaire à une sourde. Tout l’acte est écrit ridiculement, platement et durement.

Quant à l’acte d’Amphion, c’est autre chose. Il est de M. Thomas, qui écrit un peu autrement que M. Poinsinet. Vous lirez la déclaration d’amour du sauvage avec plaisir : c’est un beau morceau de poésie erse. Il est vrai qu’il n’y a d’ailleurs ni imagination, ni invention dans cet acte, et que ce sauvage cède à la fin bien ridiculement sa maîtresse à Amphion, mais cela vient de ce que M. Thomas a eu trop de confiance en son musicien, et qu’il a espéré qu’il rendrait ce miracle vraisemblable par la force et la magie de son harmonie. Ce musicien est M. de La Borde, premier valet de chambre du roi. Son Amphion n’adoucit et ne dompte personne. C’est une musique d’amateur, plus froide que la neige des montagnes à laquelle le sauvage compare le teint de sa maîtresse. Cet acte n’est pas réussi. La décoration de la ville, qui s’élève aux sons et à la voix d’Amphion, a paru pitoyable. Nos mauvais plaisants ont conseillé au sauvage, après la cession de sa maîtresse et sa conversion à la vie civile, d’acheter une charge de grand maître des eaux et forêts, parce que, dans le commencement de l’acte, il parle sans cesse de forets, d’eaux et de montagnes.

— On a gravé, d’après le dessin de M. de Carmontelle, le portrait de Mlle Allard et celui de M. Dauberval, dansant, dans l’opéra de Sylvie qu’on a joué l’hiver dernier, un pas de deux qui eut un grand succès. Mlle Allard y représentait une nymphe de la suite de la chaste déesse, et par conséquent insensible à l’hommage du berger Dauberval. Ce berger triomphe enfin des rigueurs de la nymphe de Diane, mais M. de Carmontelle a pris le moment où son hommage est rejeté avec dédain. Cette nymphe et ce berger sont deux sujets charmants et de la première force du théâtre de l’Opéra. L’espérance de les voir danser fait supporter jusqu’à deux scènes de psalmodie braillée, qu’on appelle chant à ce théâtre. On vend cette estampe au profit de Mlle Allard. Dans deux mille ans, ce sera un monument bien curieux, et qui donnera à la postérité une étrange idée de ce que nous appellions grâce au théâtre et en danse.

M. Duni, auteur de plusieurs opéras-comiques du nouveau genre, ayant fait un voyage en Italie, sa patrie, quelques-uns de ses amis ont choisi son absence pour faire graver une de ses pièces intitulée le Rendez-vous. Ce compositeur, de retour depuis environ un mois, a trouvé chez lui les planches de cet ouvrage ; ainsi il pourra le vendre tout entier à son profit. Ses amis le lui ont dédié à lui-même par une épître qu’on trouve après le frontispice. Le Rendez-vous n’a eu que quatre représentations. La pièce, qui est de M. Legier, est froide et maussade. La musique en est agréable ; mais elle n’a pu faire supporter l’insipidité du poëte. L’air en rondeau : Quand on est bonne ménagère eut un succès prodigieux, et a conserve sa vogue malgré la chute de la pièce. Les éditeurs de cette pièce auraient dû donner la préférence à la Plaideuse de M. Duni sur ce Rendez-vous. Cette Plaideuse, dont M. Favart avait fait le poëme, n’eut point de succès non plus, M. Favart s’y fit huer ; mais la musique etait charmante. C’est sans contredit l’ouvrage le plus fort de M. Duni.

M. Midy, secrétaire du roi et académicien de Rouen, vient d’adresser une lettre à M. Panckoucke, libraire à Paris et imprimeur du Grand Vocabulaire français. Cette lettre contient une critique fort amère du premier volume de ce Vocabulaire, le seul qui ait paru jusqu’à présent. M. Midy a beaucoup d’humeur ; il reprend aigrement les auteurs sur un grand nombre de bévues commises dans ce premier volume, surtout dans les articles de mythologie, d’histoire et de géographie ancienne. J’observerai à M. Midy qu’on pourrait relever toutes ces fautes sans tant d’âcreté bilieuse, et que s’il n’y prend garde, les vocabulistes français, comme il les appelle, lui donneront la jaunisse ; car ils m’ont bien l’air de lui laisser bien des fautes à relever dans leur compilation. À en juger par l’échantillon de leur premier volume, on ne peut se cacher que cette compilation est faite avec une précipitation très-répréhensible, et que les auteurs manquent également, et de capacité, et de bonne volonté. Dans le fait, ils n’ont fait que de copier sans soin et sans discernement Moréri, et les autres dictionnaires, quoiqu’ils aient le front de faire l’éloge de leur dictionnaire aux dépens de tous les autres. Cette espèce de brigandage littéraire, si fort à la mode aujourd’hui, est contraire aux premiers principes de probité ; et M. Capperonnier aura à se reprocher d’avoir honoré le Vocabulaire français d’éloges si magnifiques et si peu mérités. Je suis bien plus choqué que M. Midy de certaines négligences. Celle avec laquelle la plupart des définitions sont faites est inexcusable ; mais M. Midy n’en veut qu’aux fautes d’érudition. Il tracasse aussi les auteurs sur leurs observations prosodiques ; mais il n’est pas toujours de bonne foi, ou du moins il n’a pas toujours raison. Ils disent par exemple dans le mot accabler : les deux premières syllabes sont brèves. À cela M. Midy leur oppose l’autorité de M. l’abbé d’Olivet, qui dit : able est long dans quelques verbes, comme il m’accable ; mais de ce que la seconde syllabe d’accable est longue, il ne s’ensuit nullement que cette seconde syllabe le soit aussi dans accabler. Au reste, si je ne craignais d’échauffer la bile de M. Midy je lui confierais que je me moque beaucoup de ces vétilles de prosodie dans une langue qui n’en observe aucune dans sa versification. Ces discussions sont ordinairement difficiles nugœ. M. Midy hait aussi bien cordialement l’Encyclopédie. Il a pris son parti de ne la pas lire. Ce serait pourtant le moment d’en relever les fautes à présent qu’elle est achevée. Mais on ne peut plus ni en empêcher la publication, ni en tourmenter les auteurs. Ainsi il n’y a plus de plaisir. N’est-il pas vrai, monsieur Midy ?

— La Lorraine compte parmi les hommes illustres le célèbre Callot, graveur, né en 1593, d’une famille noble. Vous connaissez l’esprit, la finesse et le caractère de ses figures. Le P. Husson, cordelier de Lorraine, vient d’écrire l’Éloge historique de cet artiste. En conscience, il n’appartenait pas à un plat cordelier de se mêler de l’éloge d’un artiste aussi spirituel que Jacques Callot.

— Un de nos graveurs et marchand d’estampes, appelé Basan, vient de publier un Dictionnaire des graveurs anciens et modernes depuis l’origine de la gravure, avec une notice des principales estampes qu’ils ont gravées, suivi du catalogue des œuvres de Jacques Jordaens et de Corneille Vischer. Deux parties in-12. Il y en a une troisième qui est la suite de ce dictionnaire, et qui renferme le catalogue des estampes gravées d’après Rubens, avec une méthode pour blanchir les estampes les plus rousses, et en ôter les taches d’huile. Les amateurs trouveront cette compilation commode.

— Nous devons déjà à Mlle de Saint-Vaast, compileuse, l’Esprit de Sully, qu’elle n’était pas en état de comprendre. Elle vient de donner l’Esprit des poëtes et orateurs célèbres du règne de Louis XIV, qu’elle a eu la permission de dédier à M. le Dauphin. Les faiseurs d’esprit sont des pirates qui viennent exposer aux marchés leur butin. Ils font ce métier d’autant plus impunément qu’on ne peut pas prendre la revanche sur eux. Mlle de Saint-Vaast ne fournira pas une ligne au faiseur de l’Esprit des auteurs célèbres du règne de Louis XV.

— On a aussi publié l’Esprit des poésies de La Motte-Houdard. Petit volume in-12 de plus de trois cents pages. C’est-à-dire qu’on a choisi dans ses odes, ses chansons, ses fables et ses poésies diverses. La Motte était un auteur ingénieux, spirituel et faible, sans génie ni goût véritable. Il a écrit dans la querelle de la supériorité des anciens sur les modernes, en faveur des derniers ; il était assez ignorant et assez abandonné de Dieu pour cela. Le goût de la bonne philosophie et de la bonne littérature a repris le dessus en France depuis une vingtaine d’années, et a fait oublier les pauvretés spirituelles de La Motte et consorts. Le recueil de ses œuvres, publié il y a dix ans, n’a fait aucune sensation. Le faiseur d’esprit a mis la vie de l’auteur à la tête de sa compilation.

— On vient de publier une rapsodie intitulée les Délassements champêtres, ou Mélanges d’un philosophe sérieux à Paris et badin à la campagne. Deux volumes in-12 assez forts[5]. Si votre loisir vous est cher, ne vous délassez pas avec ce philosophe badin, qui vous a déjà vendu ses platitudes sous différents titres.

— Ne vous délassez pas non plus avec Mme Le Prince de Beaumont, loueuse de magasins pour les jeunes personnes du sexe, et sans contredit une des plus insipides créatures qui existent. Elle vient de publier une Nouvelle Clarisse en deux volumes.

— Je marie Mme Le Prince de Beaumont à M. le marquis Caraccioli, auteur de la Conversation avec soi-même, et sans difficulté un des plus plats barbouilleurs de notre temps. Il a publié depuis peu deux volumes de Lettres récréatives et morales sur les mœurs du temps. Il nous menace d’en donner encore deux autres. Mme Le Prince et M. Caraccioli se feront par contrat de mariage un don mutuel de leurs œuvres à la décharge entière du public.

— Je crois que c’est à ce Caraccioli que le père P. Louis Viret, cordelier conventuel, a adressé sa Réponse à la Philosophie de l’histoire en forme de lettres. Volume in-12 de près de cinq cents pages. Réponds, réponds, mon ami. Ta masure devient si vieille que les étais que vous assemblez tout autour d’elle, toi, père Viret, et les gens de ton froc, ne serviront qu’à la faire écrouler plus vite. Vous ne savez pas, vous autres, que le raccommodage est ordinairement mortel à la vétusté.



  1. Le nom de cet auteur, mentionné par Grimm, est resté inconnu à Quérard ; l’Almanach des Spectacles indique M. A… comme auteur du Double Déguisement.
  2. Allusion au titre du livre d’Algarotti, le Newtonianisme des dames, traduit par Duperron de Castéra, 1752, 2 vol. in-12.
  3. Maupin.
  4. Se dit d’une chose excellente, singulière, décisive, par allusion à l’ambre qui a la vertu d’attirer la paille. (Littré.)
  5. Par J.-H. Marchand, avocat.