Cours d’économie industrielle/1837/5

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Texte établi par Adolphe-Gustave Blaise, Joseph GarnierJ. Angé (1837-1838p. 82-108).


CINQUIÈME LEÇON.


Séance du 12 décembre 1837.


MACHINES.


Sommaire. Les machines ont eu des avantages et des inconvénients. — Ceux-ci sont dus à la soudaineté des inventions, et principalement de la machine a vapeur et du métier à filer. — Ces découvertes ont été le point de départ de toutes les autres. — Les ouvriers n’ont pas seuls ressenti les effets des machines, ils ont affecté également les capitalistes, les commerçants et les agriculteurs.
Examen des attaques dont les machines ont été l’objet. — Réfutation de M. de Sismondi. — On ne peut interdire l’usage des machines. — On ne peut supprimer les brevets d’invention. — Comparaison de deux peuples, l’un travaillant avec des machines, l’autre les repoussant. — Le progrès industriel est devenu un devoir pour nous. — Les machines ne profitent pas seulement à l’industrie qui les emploie, mais à toutes les industries. — Erreur de M. de Sismondi, sur la limite de la production et sur les besoins existants. — Une augmentation de production a pour résultat une augmentation de revenus, et celle-ci un accroissement de consommation. — Exemple de la Saintonge et du Nord, de la Normandie et du Limousin, de la Flandre, de l’Alsace, de l’Artois, des Vosges.
Examen des avantages moraux qu’ont eus les machines par rapport à l’homme, aux femmes et aux enfants. — Abus des machines : trop longue durée du travail. — Cet abus est plus difficile qu’on ne pense, à faire disparaître. — Craintes que les machines ont fait concevoir à Montesquieu et Colbert. — Comparaison des pays à machines et sans machines : Irlande et Angleterre, Espagne et Belgique. — Accroissement de la population dans les villes de fabrique : Glasgow, Manchester, St-Quentin, Reims, Mulhouse, etc.
Toutes les sciences, tous les arts, ont participé aux progrès des machines : étirage du plomb, laminage du fer, clichage, boutons, estampage, pipes, omnibus, bateaux à vapeur, gaz, chemins de fer, carcels, alcools de fécule, blanchissage au chlore, indigo, bleu de prusse, papeterie, tannerie, soude factice, acide pyroligneux, etc.
Le plus grave inconvénient des machines, c’est de placer les ouvriers sous la dépendance des capitalistes. Il disparaît chaque jour. — Lois contre les Coalitions ; elles ont été rapportées en Angleterre, il faut en faire autant en France. — Histoire des diverses inventions.


Vous avez vu comment l’accroissement des capitaux et la division du travail avaient conduit à l’invention des machines. Nous devons examiner maintenant quelles ont été les conséquences de l’emploi de ces nouveaux instrumens de production sur l’industrie et le bien-être des travailleurs.

Comme tout ce qui est conçu par l’esprit des hommes, les machines ont eu des avantages et des inconvénient. En même temps qu’elles enlevaient le travail à quelques individus, elles l’offraient à d’autres ; elles créaient des produits et en même temps des consommateurs : en un mot, elles déplaçaient des existences, mais elles n’en détruisaient aucune.

Si elles se fussent introduites graduellement dans l’industrie, elles eussent laissé aux individus quelles remplaçaient le temps de chercher une occupation ailleurs de se créer une nouvelle industrie et de nouveaux revenus. Mais, vous le savez, il n’en fut pas ainsi, elles sont arrivées tout-à-coup, elles ont été inventées à la fois et sans qu’auparavant on en eut jamais entendu parlé.

Les deux premières machines qui furent inventées remontent à la fin du XVIIIe siècle ; ce sont la machine à vapeur et le métier à filer. Leur importance et les modifications qu’elles apportèrent dans tout le système de fabrication, forcèrent bientôt de changer tous les instrumens qui devaient leur être subordonnés, surtout à la première(1). C’est la brusque découverte de ces machines puissantes qui a donné tant d’importance à la question qui nous occupe, c’est à la soudaineté de leur apparition que sont dues toutes les complications que nous étudions aujourd’hui.

Le jour où, grâce aux travaux de Watt, la machine à vapeur devint un moteur permanent et économique, l’industrie se développa en Angleterre où, jusque là la cherté des salaires avait été un obstacle qu’on n’avait pu franchir. Perpétuellement disponible, la machine à vapeur remplaça avantageusement les roues hydrauliques qui manquent souvent d’eau et les manèges qui sont d’un entretien coûteux ; elle devait être adoptée partout avec empressement, mais à plus forte raison dans un pays où le combustible était abondant et à bas prix.

Le perfectionnement du moteur des fabriques fut le premier pas, le point de départ d’une foule d’autres améliorations qui, pour être secondaires, n’en ont pas moins eu d’importans résultats.

Les industries qui en ont le plus profité sont celles qui ont pour objet la conversion des matières textiles : coton, laine, soie, chanvre, lin, etc, en fils et en tissus : aujourd’hui leurs produits réunis s’élèvent à plus de quinze cent millions de francs.

Du perfectionnement de ce que les Anglais appellent powen-loom est découlé également un grand nombre de progrès qui ont opéré à leur tour dans l’industrie une révolution tout-à-fait radicale, dont les ouvriers ne se sont pas seuls ressentis, mais qui a affecté aussi les capitalistes, les entrepreneurs, les négocians et les agriculteurs.

En présence de ces faits, il est inutile de demander quelle a été la cause des perturbations qui ont déplacé quelques existences, et anéanti quelques fortunes ; nous devons simplement nous borner à rechercher si l’on a fait tout ce qui était possible pour se défendre contre ces inconvénient contre cette perte de travail momentanée il est vrai, mais qui n’en a pas moins été douloureuse pour les journaliers qui ont eu à la supporter.

Cette question tient de trop près à celle de la division du travail dont elle est une conséquence, pour que nous ne trouvions pas sur le terrain où elle nous place, les mêmes adversaires que ceux que nous y avons trouvés l’autre jour. Au premier rang des auteurs qui ont proposé de réglementer le travail et de débarrasser les ouvriers des soucis que leur cause l’invention des machines, nous trouvons donc M. de Sismondi.

Cet écrivain a proposé de mettre les travailleurs dépossédés de leurs fonctions par l’invention d’une machine nouvelle, à la charge du fabricant qui l’adopte ; comme dans certaines contrées agricoles, les fermiers sont tenus de pourvoir à la subsistance des journaliers inoccupés. Mais cette mesure, que le désir de soulager la misère des ouvriers qui se voient enlever leur pain par l’emploi des machines peut inspirer à un homme de bien ne saurait être adoptée par des hommes d’état qui voient plus loin que le moment présent et dont le devoir est de ne pas engager l’avenir. Or, c’est ce qui arriverait si la législation plaçait de nouveau les travailleurs industriels sous la dépendance absolue de ceux que l’on a appelés avec raison les hauts barons d’une féodalité nouvelle.

Dans un autre passage de ses Nouveaux principes M. de Sismondi propose encore d’anéantir les privilèges dont jouissent les inventeurs, c’est-à-dire de mettre leur découverte en circulation, de la jeter dans le domaine public parce que, dit-il, « en en conservant la jouissance exclusive à l’inventeur on lui donne le monopole du marché contre les autres producteurs ses compatriotes. Il en résulte que les consommateurs nationaux y gagnent fort peu, que l’inventeur y gagne beaucoup, que les autres producteurs y perdent et que leurs ouvriers meurent de misère. Si, au contraire, toutes les inventions sont immédiatement révélées, immédiatement soumises à l’imitation de tous les rivaux de l’inventeur, le zèle pour de pareilles découvertes se refroidira et l’on ne les regardera plus comme un expédient par lequel on peut enlever des pratiques à ses concurrens. »

M. de Sismondi a grande raison de dire que si les inventions sont immédiatement révélées, le zèle pour de pareilles découvertes se refroidira ; et il se refroidira si bien qu’il disparaîtra même tout-à-fait et que les hommes industrieux iront porter leurs inventions dans des contrées où les droits du génie sont mieux appréciés et mieux récompensés. Il arrivera alors ce qu’il vous est facile de prévoir en comparant deux peuples dont l’un utiliserait toutes les découvertes toutes les machines possibles, tandis que l’autre les repousserait pour employer un plus grand nombre de bras.

Supposez, par exemple, que la France soit le pays où, par une philantropie que j’appelerai homicide, le législateur ait défendu l’emploi des machines dans les arts et l’industrie, et que l’Angleterre ou la Belgique soit le pays au contraire où des récompenses, des privilèges soient offerts et décernés aux inventions utiles, à celles qui économisent des bras et du temps. Que résultera-t-il pour les deux pays de cette position si différente ?

D’un côté on file à la quenouille, on tisse à la main, on blanchit au pré, on imprime à la table deux couleurs au plus et on a de grosses toiles de grosses cotonnades communes irrégulières et qui reviennent à plus de 40 sous l’aune. De l’autre côté au contraire, on file au métier, on tisse à la mécanique, on blanchit au chlore, on imprime quatre couleurs au rouleau, on sèche au cylindre chauffé par la vapeur ; et pour résultat on obtient pour 16 à 20 sous des toiles, des indiennes, plus fortes et de meilleur teint que celles de 40.

La conséquence de ces deux systèmes, c’est que les femmes qui n’ont que 35 sous à mettre par aune d’étoffe, ne peuvent pas acheter de robe tous les ans dans le pays sans machines ; tandis que celles qui habitent le pays à mécaniques peuvent en avoir deux par année. C’est encore que le pays où l’on produira à 16 sous fera tous ses efforts pour faire entrer ses étoffes dans le pays où elles se vendent 40, et qu’il sera secondé dans ses entreprises de contrebande par les habitants mêmes du pays protégé contre les machines. C’est que non seulement on perdra de cette manière la plus forte partie des débouchés intérieurs, mais encore tout espoir de placement sur les marchés étrangers. Qu’arrivera-t-il alors de ce système ? Que feront les ouvriers qui auront rempli les fonctions des machines ? À qui vendront-ils leurs produits quand les prix seront trop élevés pour être atteints par les revenus des nationaux, et trop différents des prix étrangers pour que leur qualité inférieure leur fasse obtenir la préférence sur les places de commerce des autres pays ? Seront-ils plus heureux de cet état d’infériorité qui privera la plupart d’entre eux de tout travail dans l’avenir comme dans le présent, que des momens de malaise qu’ils ont à supporter aujourd’hui, moments qui sont difficiles à passer sans doute, mais qui au moins ne sont que transitoires et ne durent que quelques instants ?

Nous pouvons donc conclure hardiment que lors même que le moyen serait trouvé de pouvoir défendre entièrement l’emploi des machines, cette mesure ferait le malheur de tous ; parce qu’elle remplacerait une souffrance passagère par un mal permanent. Quant aux moyens d’exécuter la loi, que j’ai, dans cette hypothèse, admis un instant comme découverts j’en nie la possibilité. Je demande quels sont les instruments qui seront considérés comme machines et comme tels défendus, et ceux dont l’usage sera permis. Tout ce qui nous entoure, tous les objets dont nous nous servons, ne sont-ils pas des machines ou les produits des machines ? La charrue n’est-elle pas une machine ? Le lévier, la houe, la presse, ne sont-ils pas des machines ? Le tour, le rabot, la lime, le burin, ne sont-ils pas encore des machines ? Si vous prohibez l’emploi des agens mécaniques, n’aurez-vous pas à répondre à une armée de copistes qui viendront se plaindre de la concurrence de la presse d’imprimerie, et alors rayerez-vous de l’histoire la découverte de Guttemberg ? Écouterez-vous aussi les doléances des propriétaires de chevaux et de mulets qui seuls autrefois faisaient les transports, et qui sont devenus inutiles en grande partie depuis l’amélioration des routes et de la navigation ? Non, Messieurs, il ne peut pas être permis d’apporter d’obstacles aux développements des machines dans l’industrie, parce qu’on ne peut les empêcher partout à la fois ; rester en place quand tout le monde avance, c’est reculer ; et en industrie, reculer c’est mourir.

Si nous considérons les machines sous un autre point de vue, nous verrons qu’il ne nous est pas possible de renoncer, je ne dis pas à leur emploi, mais encore à leur perfectionnement. Les machines sont le double produit des capitaux et de l’intelligence, et renoncer à leur usage, à leur invention, c’est abandonner nos richesses, c’est nous suicider moralement. Vous le savez en effet et je vous l’ai dit déjà l’an dernier : (V. 1re Leçon, page 5.) Tous les grands progrès qui ont été faits depuis un siècle en civilisation, en sciences, en industrie, sont dus à trois grands peuples la France, l’Angleterre et les États-Unis d’Amérique. C’est de-là que sont parties toutes les améliorations qui se sont opérées dans la condition des hommes ; ce sont ces trois grandes nations, parmi lesquelles la France occupe une belle place, qui ont fait avec un admirable dévouement toutes les expériences tous les essais d’organisation politique et industrielle, auxquels ont doit la légère augmentation de bien-être dont jouissent aujourd’hui des millions de travailleurs de tous les pays. Une louable émulation s’est établie entre ces peuples et chacun d’eux ne voudrait céder le pas aux deux autres, car le progrès est pour eux plus qu’un besoin, plus qu’une nécessité ; c’est un devoir !

Lorsque, frappé des inconvénients qui résultent des machines, on veut placer en regard les avantages qu’elles procurent, on ne doit pas se borner à considérer les services spéciaux qu’elles rendent à l’industrie qui les emploie, car celle-ci n’en ressent pas seule les heureux effets. Ainsi que cela est arrivé pour la machine à vapeur et la machine à filer, l’invention d’une machine a souvent amené ou nécessité la découverte ou le perfectionnement de beaucoup d’autres. Que l’on parvienne à trouver, par exemple, un procédé de fabrication du fer qui en réduise le prix de 15 à 20 pour cent, et ce ne seront pas seulement les maîtres de forge qui profiteront de cette économie, mais encore tous les industriels qui emploient le fer, tous les consommateurs qui achètent des objets dont la confection a nécessité le concours de machines et d’instruments dont le fer compose la principale matière première. Il en sera de même si l’invention dont il s’agit, concerne la fabrication du coton, celle de la laine ou toute autre ; la réduction de prix qui en résultera aura pour conséquence, malgré l’opinion contraire de M. de Sismondi, d’augmenter la consommation, ce qui occupera un plus grand nombre d’ouvriers et ajoutera à la richesse publique en créant de nouveaux revenus.

Depuis qu’à l’exemple de l’Angleterre, chaque peuple a voulu se faire le fabricant et le boutiquier de l’univers, l’invention des machines est devenue une loi à laquelle tout le monde a été contraint d’obéir ; il n’y a eu de chances de succès que pour ceux qui ont travaillé sans relâche à améliorer leurs méthodes, à perfectionner leurs instruments. La supériorité a été le partage de ceux qui ont le plus inventé et qui, à chaque découverte nouvelle, en ont fait chaque jour succéder une autre. Sans cette marche continuellement progressive, le premier inventeur eût été bientôt atteint par ses concurrens auxquels il n’aurait pas pu cacher longtemps son secret, et qui lui eussent repris les débouchés qu’il aurait pu s’ouvrir d’abord, grâce à la supériorité de ses produits ou à leur bon marché.

C’est parce que M. de Sismondi a nié que toute diminution de prix d’une marchandise d’un usage habituel, avait pour résultat un accroissement de consommation qu’il s’est opposé aux développements des machines, et qu’il a demandé avec tant d’instance qu’on y apportât des obstacles. Suivant lui, vous le savez, (V. 4e Leçon, p. 74) les revenus ne s’accroissent que comme deux, quand la production augmente comme quatre ; or la consommation ayant pour limite la somme, non pas de tous les besoins existants mais de ceux qui ont un revenu ; la production, qui doit se régler sur la consommation, ne peut s’élever sans danger au delà du chiffre des revenus disponibles. Telle est, Messieurs, la base du système de M. de Sismondi, mais ainsi que j’ai essayé de vous le faire voir dans notre dernière leçon cette base même est fausse, et avec elle tout le système qu’elle supporte. Non, quand la production s’accroît les revenus ne lui sont pas inférieurs non, il ne faut pas considérer dans ce calcul, seulement le bénéfice net du dernier producteur ; mais encore les profits et les salaires de tous ceux qui ont concouru à la production depuis le cultivateur, le bucheron ou le mineur, jusqu’au marchand en détail et à ses commis.

En procédant ainsi, on reconnaît que toute augmentation de production entraîne une augmentation de revenu, sinon supérieure, au moins égale ; parce qu’il suffit qu’il y ait un capital disponible pour faire l’avance de la production, pour que tous les profits, les salaires les revenus qui permettent de consommer, soient créés ensuite. On ne peut jamais connaître les besoins existants, car ils restent toujours ignorés tant qu’ils ne possèdent pas les moyens de se satisfaire. La production est antérieure à la consommation et c’est elle qui la règle, car c’est d’elle que découlent tous les moyens d’échange ; c’est elle qui donne du travail, qui occupe les bras de l’ouvrier, les connaissances du savant, le savoir de l’ingénieur ; et qui leur donne une rémunération en échange de leurs services.

Les besoins existants ne sont donc pas, ne peuvent donc pas être, la limite de la production ; parce qu’ils ne sont pas fixes, et qu’ils augmentent ou diminuent suivant le degré d’activité de la production agricole et manufacturière. Les besoins ne sont pas fixes : comparez en effet la liste des objets regardés aujourd’hui comme de première nécessité, même pour la famille du plus humble artisan, avec l’inventaire de ce qui composait autrefois l’ameublement et le costume de plus d’un bourgeois aisé. Sans doute si vous appliquiez la production de 1836 à la consommation de 1750, y vous auriez un excédant considérable ; mais cela tient à ce que les salaires de 1836 n’ont pas été partagés entre les consommateurs de 1750. À toutes les époques il s’est trouvé des gens qui sont parvenus à dépenser 50 mille francs par an et même plus, on peut être certain que dans le même temps les ouvriers, les marchands, les cultivateurs, eussent trouvé le moyen de consommer un revenu de 12 à 1 500 francs ; si donc, il y a un siècle, la consommation était si restreinte, ce n’était pas qu’il manquât de besoins à satisfaire, c’est que les revenus correspondants n’existaient pas. Depuis lors, chaque progrès dans les arts a stimulé et accru la production, celle-ci a augmenté les profits et les salaires, et ces derniers ont provoqué la manifestation de besoins qui jusqu’alors n’avaient été que des désirs à peine avoués tant leur satisfaction semblait impossible ou tout au moins éloignée.

Quelques exemples rendront encore plus sensible l’évidence de ce raisonnement.

Avant qu’on nouveau procédé de distillation n’eût été adopté dans la Saintonge, on y brûlait moins de vin, on y faisait moins d’eau-de-vie que maintenant, et elle était de qualité très inférieure ; par suite de ce perfectionnement on fait plus et mieux ; on vend plus facilement, avec de plus grands avantages, et en plus grande quantité.

Passez dans le Nord, et voyez les progrès qu’a faits la culture des plantes oléagineuses depuis que les moyens d’extraction ont été perfectionnés, et que l’on retire plus d’huile de la même quantité de matière, grâce aux presses hydrauliques etc.

Partout où l’industrie du mécanicien se développe, toutes les autres industries sont en voie de prospérité, ainsi qu’il est facile de s’en convaincre en comparant les pays les plus riches à ceux qui le sont moins. Prenez par exemple la Creuse où il n’y a pas de machines, et la Seine-Inférieure où il y en a de tant de sortes ; où en est l’agriculture dans ces deux départements ? Est-elle plus avancée dans le Limousin que dans la Normandie et les habitants comment sont-ils meublés, habillés et nourris dans ces deux provinces de la France ? Ne remarquez-vous pas la même aisance générale, chez l’ouvrier des fabriques comme chez le cultivateur, en Flandres, dans l’Artois, en Alsace, dans les Vosges ?

Matériellement donc, les machines n’ont pas les inconvénients qu’on leur attribue, voyons si les reproches d’immoralité qu’on leur adresse sont mieux fondés.

Nous avons vu déjà qu’elles avaient arraché l’homme à l’exploitation brutale dont il était l’objet ; ce n’est plus sa force que l’on recherche aujourd’hui, mais son intelligence, son habileté, son adresse. Un mécanicien est mieux payé qu’un tourneur de roue, l’ouvrier qui sait réparer lui-même son métier reçoit plus que celui qui est obligé de recourir à l’aide d’un contre-maître ; c’est la différence qui existe entre les ouvriers anglais et français.

Ce sont aussi les machines qui ont permis de donner aux femmes, du travail proportionné à leur force, qui les a fait sortir de cette éternelle minorité à laquelle les anciennes lois organisatrices de l’industrie les avaient condamnées. Cette amélioration dans le sort des femmes est un signe non équivoque de civilisation : chez les sauvages, elles remplissent les fonctions de bêtes de somme dans les campagnes, leur condition n’est guère plus supportable ; dans les villes au contraire qui doivent leur prospérité aux machines et à l’industrie, elles sont employées à un travail qui n’a rien de dégradant, et où elles peuvent faire usage de la délicatesse de leurs organes, de l’habileté de leurs doigts, du tact exquis dont elles sont douées.

Les machines ont encore émancipé les enfants qui n’avaient été jusqu’ici qu’une charge souvent bien lourde pour leurs parents, et qui sont devenus un moyen d’augmenter le bien-être de la famille.

Malheureusement, Messieurs, on ne s’est pas borné à tirer des machines les avantages qu’elles offrent, la convoitise de l’homme en a abusé comme de toutes les bonnes choses ; car après avoir fait servir les machines à économiser la force de l’homme, on s’est autorisé de la permanente activité de l’instrument pour exiger autant de services du bras qui le dirige, de l’œil qui le surveille ; ce qu’on a retiré de la fatigue du travail, on l’a reporté sur la durée. Les journées de 12 heures ont été étendues à 14 et 15, et il n’est plus resté aux anciens manœuvres élevés aux fonctions d’ouvriers, qu’un temps à peine suffisant pour satisfaire des appétits bruts ; il n’ont pas eu celui de vivre , de penser. C’est là un grave inconvénient et je suis prêt à le reconnaître avec tous ceux qui l’ont signalé, mais j’ai cherché en vain comment il était possible de le faire disparaître. On a proposé je le sais de régler par une loi le maximum de la durée du travail. Au premier abord ce remède semble suffisant, et la loi d’une exécution facile, mais en admettant que cela soit comme on l’espère je recherche les effets de la loi et je suis conduit à reconnaître qu’elle n’est point admissible parce qu’elle aurait pour résultat de tuer l’industrie. Quelle serait en effet la position de nos fabricants qui, conformément à la loi ne feraient fonctionner leurs machines que 10 ou 12 heures par jour, vis-à-vis de leurs concurrents des autres pays qui travailleraient 14 ou 15 heures ? Les forcerez-vous à payer à leurs ouvriers un salaire aussi fort pour 12 heures que pour 15 ? S’ils réduisent le prix de la journée d’un quart ou d’un cinquième, comment les ouvriers pourront-ils vivre, quand déjà leur salaire actuel est insuffisant ? Et s’ils le laissent intact, comment soutiendront-ils la concurrence avec des prix de revient augmentés de 20 à 25 pour cent ?

Il en est donc, vous le voyez, d’une loi pour fixer la durée du travail, comme de celle qui interdirait l’emploi des machines ; elles sont également impossibles parce qu’elles ne peuvent être générales. Cette mesure ne peut être applicable qu’au travail des enfants, et c’est une question sur laquelle je reviendrai elle ne l’est pas à celui des hommes qui auraient le droit de dire : « En m’empêchant de travailler au-delà des heures fixées vous me privez d’un supplément de salaire dont j’ai besoin ; vous me faites mourir de faim pour me laisser reposer. » Je sais bien qu’il est cruel pour tout homme de cœur qui pénètre dans une fabrique, de voir écrit en traits de souffrance, sur le visage des malheureux qui y sont enfermés tout le jour, les conséquences funestes d’un système manufacturier poussé à l’excès. Je comprends parfaitement qu’en présence de la misère dont cette population ouvrière si nombreuse porte la livrée, on se prenne à vouloir une solution immédiate à cette question de haute politique et d’hygiène générale, mais je le répète, cette solution est plus difficile à trouver qu’on ne le suppose ; parce que, à côté du soulagement qu’on espère donner au malheur, se trouve le mal certain que l’on causera à ceux dont on prétend adoucir la position.

Les plaintes élevées contre les machines ne se sont pas fait entendre seulement de nos jours ; Montesquieu lui-même s’en rendit l’écho, voici ce qu’il disait à propos des moulins à eau : « Les machines dont l’objet est d’abréger l’art ne sont pas toujours utiles. Si un ouvrage est à un prix médiocre et qui convienne également à celui qui l’achète et à l’ouvrier qui le fait, les machines qui en simplifieraient la manufacture, c’est-à-dire qui diminueraient le nombre des ouvriers seraient pernicieuses ; et si les moulins à eau n’étaient partout établis, je ne les croirais pas aussi utiles qu’on le dit, parce qu’ils ont fait reposer une infinité de bras, qu’ils ont privé bien des gens de l’usage des eaux, et ont fait perdre la fécondité à beaucoup de terres. » Vous le voyez, Messieurs, le génie même n’est pas à l’abri de l’erreur, et dans cette circonstance nous surprenons Montesquieu à désirer que le peuple soit renvoyé à la meule, le châtiment des esclaves chez les anciens. Quelles ne seraient pas ses plaintes contre nos moulins à l’anglaise.

Colbert lui-même fut effrayé de l’envahissement des agents mécaniques dans l’industrie, lui qui cependant avait entrepris et exécuté tant de réformes qui eurent des résultats aussi perturbateurs pour le moins que ceux qui ont été amenés par les machines. Un mécanicien ayant été présenté un jour à ce célèbre ministre, s’efforça de lui expliquer les avantages d’une machine qu’il venait de construire et qui pouvait remplacer plusieurs ouvriers, et lui demanda son appui pour faire adopter son invention dans les fabriques. Colbert lui répondit : Allez porter ailleurs votre machine, nous avons ici trop de bras a occuper pour songer a les rendre inutiles. Et quand il fut sorti, il ajouta en s’adressant aux personnes qui l’entouraient : Un homme comme cela, mais c’est à étouffer.

Si tant et de si puissantes accusations n’avaient été adressées aux machines, je croirais superflu de vous donner de nouvelles preuves de la supériorité des pays qui les ont adoptées sur ceux qui les ont repoussées ; mais ces accusations subsistent, et comme on les renouvelle chaque jour, elles ont fait naître dans les esprits une certaine indécision sur la manière dont cette question devait être décidée ; vous me permettrez donc de citer encore quelques faits propres à faire cesser cette indécision.

Je prendrai mon premier exemple dans un pays très rapproché de nous, et je comparerai la position de l’Irlande où il n’y a pas de machines, avec l’Angleterre qui renferme tant de manufactures créées depuis l’invention des machines. D’un côté nous verrons le paysan irlandais cultiver la terre, engraisser des bestiaux dont il ne mange pas, et se nourrir toute l’année de pommes de terre dont il n’a pas toujours une quantité suffisante ; de l’autre côté l’ouvrier anglais qui achète les bœufs et les légumes de l’Irlande ; celui-ci portant l’hiver de bons habits de drap bien chaud et l’été des vêtements d’étoffe légère, habitant de petits cottages bien propres, bien aérés et suffisamment vastes ; tandis que l’autre sera à peine couvert de quelques haillons, et que sa famille et une partie de son bétail auront pour demeure commune la seule pièce qui compose sa misérable cabane.

Comparant ensuite deux peuples qui le furent unis un instant que par la force et dont l’un autrefois soumis à l’autre lui est aujourd’hui de beaucoup supérieur malgré l’exiguïté de son territoire, je comparerai la Belgique à l’Espagne, l’ancienne province à sa métropole. S’il était un pays en Europe où les machines n’aient point pénétré, l’Espagne pourrait certes revendiquer l’honneur de s’être conservée pure de tout contact avec ces inventions diaboliques, nulle part plus de précautions n’ont été prises pour s’opposer à leur adoption, nulle part l’industrie n’a été resserrée et étouffée dans des langes plus étroits, dans des règlements plus prohibitifs rien en quelque sorte ne pouvait entrer dans le pays ; rien non plus ne pouvait en sortir. La Belgique nous offre un spectacle tout-à-fait différent ; là, l’industrie a établi ses machines, elle les a perfectionnées, elle a donné du travail à tous ceux qui en manquaient ; là, au lieu de repousser les inventeurs, on les a protégés, on les a encouragés ; quand un homme de talent sans fortune a conçu une idée, il a pu trouver les moyens de la mettre à exécution car là, deux compagnies au capital de plus de 200 millions de francs ont réuni les petites épargnes pour les faire servir à entreprendre et à exécuter de grandes choses. Avec deux organisations si opposées, l’une qui proscrit l’industrie et les machines, l’autre qui n’existe que par les machines et l’industrie quel a été le sort des deux pays, dans quel état est la fortune publique, quelle est la position des hommes qui vivent du travail de leurs bras ? En Belgique : l’aisance, le bien-être, la tranquillité règnent ; l’agriculture y est prospère, les impôts facilement perçus, le peuple, après les heures de travail, va chercher à accroître ses connaissances dans des cours publics. En Espagne : les impôts ne sont pas payés, le trésor obéré, les troupes sans solde et, comme les habitants, sans vêtements et sans chaussures, l’agriculture négligée ; et pardessus tout l’ignorance et la paresse ajoutent encore à tous les maux en servant d’aliment à la guerre civile.

Avant de terminer, je veux répondre encore à un argument avec lequel M. de Sismondi combat les machines. Elles ont, dit-il, pour résultat éloigné de concentrer l’industrie entre les mains des plus riches. On fait avec de grands capitaux et peu de bras ce qui exigeait autrefois le concours d’un plus grand nombre d’ouvriers. Il y a économie pour l’entrepreneur à travailler en grand, mais il y a perte pour la société, parce que les petites manufactures disparaissent et qu’au lieu d’avoir beaucoup de petits fabricants aisés, vous n’avez que quelques grandes fortunes et beaucoup de malheureux ; or il vaut mieux activer la production et la rendre avantageuse, le luxe même exagéré d’un grand manufacturier ne vaudra jamais la consommation de cent ménages.

Si les choses se passaient comme M. de Sismondi l’affirme, il est certain qu’on devrait s’empresser de mettre obstacle aux développements de cette aristocratie nouvelle qui serait due aux machines ; mais il n’y a qu’un seul inconvénient à ce système, c’est qu’il est réfuté par les faits, c’est que les pays où les machines sont les plus nombreuses et les plus perfectionnées sont ceux aussi qui ont le plus de population, et chez lesquels son accroissement est le plus rapide, ainsi qu’on le remarque en Angleterre et en France. Dans chacun de ces pays la population industrielle a plus rapidement augmenté que la population agricole ; c’est ainsi que Glasgow, Liverpool, Manchester, Birmingham, ont vu doubler et tripler depuis 25 ans le nombre de leurs habitants[1]. Il en a été de même en France dans toutes les villes d’industrie à St Quentin, Mulhouse, Reims, St.-Étienne, Rouen[2] etc. J'ajouterai encore : Les villes manufacturières sont mieux bâties, mieux pavées, mieux éclairées que celles qui n’ont pas d’industrie, les connaissances spéciales et l’instruction y sont plus généralement répandues que partout ailleurs.

Toutes les sciences, tous les arts ont participé aux progrès des machines, et tous ont fourni à l’industrie leur contingent de découvertes.

On a étiré le plomb en cylindres de 2 pieds de long et plus, sur 6 pouces de diamètre ; on a perfectionné le laminage du fer ; on est parvenu à percer dans une feuille de fer-blanc 3000 trous par pouce carré ; au moyen du cliché on a reproduit à l’infini les formes d’un ouvrage et on a pu distribuer ensuite les caractères qui ont servi à en composer un autre ; les boutons ont été frappés au mouton ; au lieu de ciseler, des bronzes, on les a estampés ; les pipes elles-mêmes ont été faites à la mécanique.

Les omnibus sont des machines relativement aux cabriolets, aux fiacres qui avaient réclamé d’abord, ce qui ne les empêche pas de se multiplier aujourd’hui. Les bateaux à vapeur sont des machines comparés aux bâtiments à voiles ; les chemins de fer aux routes royales ; l’éclairage au gaz à l’éclairage à l’huile, les carcels aux quinquets. Le procédé de blanchissage au chlore découvert par Berthollet, la soude factice due à Chaptal, l’épuration des huiles, l’extraction des alcools de fécule, le remplacement de l’indigo par le bleu de prusse, l’emploi du coton dans la fabrication du papier, le collage à la cuve, les méthodes abrégées pour tanner les cuirs, la distillation de l’acide pyroligneux etc., etc., sont autant de découvertes et d’inventions qui équivalent à des machines, et qui rendent leur emploi obligatoire.

Après des preuves si multipliées de l’utilité des machines, tout le monde, je l’espère, sera convaincu de la nécessité dans laquelle nous sommes non seulement de les conserver mais encore de les perfectionner. Ce point important bien arrêté, je m’empresserai de reconnaître qu’elles ont eu un inconvénient grave, mais purement humain, c’est-à-dire qu’il est possible de le détruire ; cet inconvénient est celui qui résulte de la dépendance presqu’absolue dans laquelle les ouvriers se trouvent placés par rapport à ceux qui les emploient. Heureusement que si les machines l’ont causé elles peuvent aussi le faire disparaître. Si elles ont d’abord concentré les moyens de travail dans un petit nombre de mains, elles ont successivement accru ce nombre ; de sorte que les coalitions entre les maitres, si faciles autrefois et que la loi réprimait si mollement, sont devenues presque impossibles ; l’association des travailleurs telle qu’elle a été comprise en Angleterre a été un moyen d’arracher les ouvriers au joug du capitaliste, et l’un et l’autre se sont beaucoup mieux entendu depuis que la loi a reconnu l’égalité entre eux, qu’elle a cessé de protéger l’un pour l’autre ; c’est-à-dire depuis que l’édit concernant les coalitions d’ouvriers a été rapporté et qu’ils sont devenus libres de stipuler eux-mêmes les conditions de leur concours au travail commun, qu’ils ont pu le refuser ou en augmenter le prix sans craindre la prison et l’amende ; cette réforme légale a eu d’excellents résultats en Angleterre, car depuis qu’elle a été opérée on n’y a pas vu éclater une seule coalition d’ouvriers. Il serait important que cette justice fût enfin rendue aux travailleurs français.

Ad. B. (des V.)




(1) Afin de faciliter les recherches, je crois devoir placer ici quelques renseignements sur la date des principales inventions dont M. Blanqui parle dans cette leçon.

MACHINE À VAPEUR.

Denis Papin, protestant, né à Blois, avait été forcé de s’expatrier à l’époque de la révocation de l’édit de Nantes, il se réfugia en Angleterre puis en Allemagne, où il remplit les fonctions de professeur. Dès 1690, il avait publié un mémoire dans lequel il avait consigné une description parfaitement claire de la machine à feu, dite machine atmosphérique telle qu’il l’avait inventée ; car ce n’était plus l’éolypile d’Héron, l’appareil à élever l’eau au-dessus de son niveau, de Salomon de Caus, ni la machine semblable de Worcester. Dans la machine de Papin, la vapeur ne se formait plus dans des balles de cuivre, mais dans des cylindres munis de soupapes et de pistons. Après avoir fait le vide au moyen de la poudre, il l’opéra par le refroidissement, en éloignant le feu du cylindre, et il transforma le mouvement de va et vient du piston en un mouvement de rotation. La machine de Newcomen et Cawley, exécutée en grand en 1705, était, sauf quelques détails de construction, la même que celle proposée en 1690 et 95 par D. Papin, et qu’il avait essayée en petit.

Jusque vers la fin du XVIIIe siècle, on fit peu d’usage de la machine de Papin, perfectionnée par Newcomen et Cawley, parce que l’art de construire de grands corps de pompe parfaitement cylindriques, et d’ajuster hermétiquement des pistons intérieurs, était peu avancé. Ce fut en 1769 que Watt, dont le nom devait devenir si célèbre plus tard, construisit sa première machine améliorée, c’est-à-dire avec condenseur à part. En 1773, il s’associa avec Mathew-Boulton de Birmingham, et fonda avec lui l’établissement situé sur la colline de Soho, qu’il dirigea jusqu’en 1814, époque à laquelle il se retira des affaires (il avait alors 79 ans). Pendant cette longue carrière industrielle et scientifique, il ne cessa de travailler au perfectionnement des machines à feu ; on lui doit la condensation de la vapeur dans un vase séparé et la pompe à air ; inventions qui à elles seules ont diminué de plus d’un tiers la dépense de combustible nécessaire pour mettre en mouvement des machines atmosphériques ; on lui doit également la machine à vapeur à double effet, la machine à détente, l’enveloppe du corps de pompe, le parallélogramme articulé, le régulateur à force centrifuge, etc.

Voici dans quel ordre M. Arago, auquel j’ai emprunté les détails qui précèdent, range les différents inventeurs de la machine à vapeur.

1615 Salomon de Caus (français) songe à faire servir la force élastique de la vapeur aqueuse à la construction d’une machine hydraulique.
1690 Papin (français), conçoit la possibilité de faire une machine à vapeur et à piston, il combine le premier la force élastique de la vapeur d’eau, avec la propriété dont cette vapeur jouit de se précipiter par le froid. Le premier aussi il propose de faire servir une machine à vapeur pour faire tourner un arbre ou une roue, et donne un moyen pour atteindre ce but ; c’est encore lui qui propose la première machine à feu et à double effet, mais à deux corps de pompe. Il peut également être considéré comme le véritable auteur des bateaux à vapeur dont il parle dans ses ouvrages.
Avant 1710, cet habile physicien avait imaginé la première machine à vapeur à haute pression, sans condensation ; ce fut lui qui inventa la soupape de sûreté.
1705 Newcomen, Caweley et Savery (anglais), découvrent que la condensation de la vapeur devait s’opérer au moyen d’une injection d’eau froide sous forme de gouttelettes dans la masse même de la vapeur.
1718 Beighton (anglais), invente le Plug-Frame qui ouvre et ferme les soupapes.
1758 Fitz Gerald (anglais), se sert d’un volant pour régulariser le mouvement de rotation.
1769 Watt (anglais), opère la condensation dans un vase séparé, et signale le parti que l’on peut tirer de la détente de la vapeur ; il invente la première machine à double effet et à un seul corps de pompe. En 1784, il imagine son parallélogramme articulé et appliqué à ses machines, le régulateur à force centrifuge connu avant lui.
1778 Washbrough : (anglais), emploie la manivelle coudée pour transformer le mouvement rectiligne du piston en mouvement de rotation.
1801 Murray de Leeds (anglais), remplace le plug-frame par son tiroir mu par un excentrique.
1801 Trevithick et Vivian (anglais), construisent les premières machines à vapeur à haute pression.
BATEAUX À VAPEUR.

On trouve dans des auteurs fort anciens la preuve de la substitution des roues à palettes aux rames ordinaires pour diriger les bâtiments.

1693 Papin (français), parle des moyens de mettre les roues à palettes en mouvement, au moyen de la machine à feu qu’il avait inventée en 1690.
1699 Duquet (français), se livre à des expériences pour constater les avantages de ce mode d’impulsion.
1737 Jonathan Hull (anglais), publie la description d’une machine propre à faire marcher les navires dans les temps de calme, à les faire entrer et sortir des ports contre le vent et la marée ; il présente cette machine comme inventée par lui, bien qu’elle fût déjà décrite par Papin, et il propose de la mettre en action avec la machine de Newcomen, qui s’était, ainsi qu’on l’a vu, borné à améliorer la machine de Papin.
1778 Perier (français), construit un bateau à vapeur, le premier qui ait été fait.
1778 Le Marquis de Jouffroy (français), fait à Beaume-les-Dames, des essais sur une grande échelle.
1781 Le Même, établit sur la Saône un bateau à vapeur de 46 mètres de long et de 1 m. 5 de large.
1791,93 Miller et lord Stanhope (anglais), font des essais sur l’emploi de la vapeur et des roues à palettes pour faire marcher les bateaux.
1801 Symington (anglais), fait de semblables essais dans un canal d’Écosse.
1803 Livingston et Fulton (américains) font à Paris des essais pour établir des bâtiments à vapeur.
1807 Fulton (américain), construit à New-York le premier bateau à vapeur faisant un service régulier entre cette ville et Albany.
1812 Le premier bateau à vapeur est mis en activité en Angleterre, sur la Clyde.
1815 Le second commence à faire la traversée de Yarmouth à Norwich.
MÉTIERS À FILER LE COTON.
1733 Dans un petit village de Litchfield, un ouvrier obscur, John Wyatt, obtient par des moyens mécaniques, le premier écheveau de coton.
1738 Paul Lewis, associé de Wyatt, fait une ébauche de carde cylindrique.
1768-75 Plus tard un perruquier, Richard Arkwhright de Preston, améliore ces deux machines, et construit la carde sans fin et le métier continu ; quelque temps après, il invente ses têtes d’étirage.

1777 James Hargreaves, tisserand, invente dans le même temps la Spinning Jenny, (Jeanne la fileuse.)

Après lui Samuel Crompton, aussi tisserand, combine les deux machines d’Arkwright et d’Hargreaves, et en fait une machine donnant du fil beaucoup plus fin ; il appelle cette machine Mull-Jenny.
TISSAGE DU COTON.
1738 John Kay, invente la navette volante.
1784 Edmond Cartwright, docteur en théologie, conçoit l’idée de faire un métier à tisser mécanique, il le construit en 1785 et le complète en 1787.
BLANCHIMENT DES ÉTOFFES.
1785 Berthollet (français), découvre les moyens de blanchir les étoffes au chlore en quelques heures.
1786 Walt (anglais), importe ce procédé dans son pays.
IMPRESSION DES ÉTOFFES.
1785 Bell, invente le mode d’impression des étoffes au moyen de cylindres gravés, au lieu de planches plates. C’est ce procédé que M. E. Grimpé devait perfectionner en inventant une machine pour graver les cylindres.

Je bornerai là cette espèce de notice chronologique, l’espace ne m’a pas permis d’entrer dans de plus longs détails, mais ce que j’ai donné suffit pour démontrer ce que M. Blanqui avance dans le passage auquel se rattache cette note ; c’est que toutes les inventions et les découvertes importantes faites dans l’industrie, sont contemporaines du perfectionnement des machines à vapeur par Watt, qu’elles l’ont suivi même. Il en a été de la sorte pour le métier à filer ; du moment où il a été généralement adopté, les tisserands n’ont pu convertir en étoffes tous les filés qu’on leur apportait en cannettes. Il y avait engorgement de coton filé, faute de bras pour le tisser ; mais, dit M. Simon, de Nantes, auquel j’emprunte ces paroles, le génie des inventions ne fit pas faute à ce nouveau besoin, qui était devenu le sujet de toutes les conversations ; ce fut dans une discussion sur ce sujet, discussion à laquelle assistait le docteur Cartwright qui, de toute sa vie, n’avait étudié un mot de mécanique, qu’il lui vint à l’idée de construire son métier à tisser, qui fut d’abord très imparfait, parce qu’il avait négligé de voir d’abord ce qui avait été fait avant lui, mais qu’il perfectionna ensuite, ainsi que je l’ai dit plus haut.

Pour compléter la notice qui précède, j’aurais dû donner aussi quelques détails sur les inventions qui concernent la laine, le chanvre et le lin, la soie, etc. ; mais alors, au lieu d’une notice, il m’aurait fallu faire plusieurs volumes, tout ce que je puis dire, c’est que presque toutes ces machines, celles du moins qui concernent la laine, ont eu pour principes les mécaniques de Lewis Paul, d’Arkwright, d’Hargreaves et de Crompton.


Note du R.—Ad. B. (des V.)



  1. « La seule paroisse de Manchester a vu s'élever sa population de 41,032 habitants en 1774, à 270,961 en 1831 ; Liverpool de 34,050 en 1770, à 165,175 ; Glasgow de 28,300 en 1763, à 202,426.

    Au commencement du règne de George III, en 1760, toutes les manufactures de coton réunies de la Grande-Bretagne, n’occupaient pas plus de 40,000 personnes. Les machines sont inventées, elles donnent à un seul homme, le moyen de produire autant de coton filé que 250 ou 300 en eussent produit antérieurement, et au lieu de diminuer le nombre des ouvriers employés, elles l’élèvent à 1,500,000, c’est-à-dire 37 fois plus qu’avant leur création. »

    (Histoire des manufactures de coton dans la Grande-Bretagne, par Ed. Baines.

  2. Population en 1789 1836
    de St-Quentin 9,018 20,570
    St-Étienne 28,392 41,534
    Rouen 64,922 92,083

    Notes du R. — Ad. B. (des V.)