Cours d’agriculture (Rozier)/CHÂSSIS

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Hôtel Serpente (Tome troisièmep. 144-150).


CHÂSSIS, jardinage. (Voyez Planche 5) Se dit en général d’un bâti de bois peint à l’huile, & garni de panneaux de vitres : ceux qui désirent ne pas revenir souvent à sa construction, font les panneaux en fer. Après ce métal, le bois de chêne est à préférer, celui de châtaignier vient ensuite. On doit choisir des bois parfaitement secs, sans quoi la chaleur humide des couches, unie à l’action du soleil, fait tourmenter & déjeter le bois ; les verres ne pouvant suivre leurs différentes courbures, se fendent & éclatent. Le châtaignier, une fois bien sec, n’a pas le défaut de se déjeter. Voyez au mot Caisse, la manière de préparer & de passer les bois en couleur.

Les Hollandois, amateurs de tous les genres de végétaux utiles & curieux, & singulièrement attentifs à perfectionner les individus, ont imaginé cette espèce de serre chaude ; les Anglois les ont imité, & le reste de l’Europe s’est modelé sur leur exemple. Ces deux nations ont à combattre contre une humidité presque perpétuelle : la chaleur de l’été, dans leur climat, n’étant pas assez active pour répondre à leurs soins, ils ont été obligés de chercher les moyens de concentrer, de retenir la chaleur, & de soustraire les plantes précieuses à l’humidité surabondante qui commence par les faire jaunir, & les conduit insensiblement à la pourriture.

De la manière de construire les châssis. Ils sont composés de la caisse & des panneaux à vitres.

De la caisse. La longueur est indéterminée, & doit être proportionnée aux besoins. Il n’en est pas de même pour la largeur : le jardinier placé devant la caisse A, Fig. 1, doit toucher facilement avec la main, le côté opposé. Ainsi la largeur sera de trois pieds & demi, & quatre pieds au plus ; la hauteur depuis trois jusqu’à quatre pieds sur le devant, & cinq pieds ou cinq pieds & demi sur le derrière. Je conviens que ces proportions ne sont pas généralement adoptées, & que pour l’ordinaire, ces caisses sont tenues plus basses, parce que l’on creuse en terre pour donner de la profondeur, & la fosse est remplie de fumier. Cette méthode, quoique la plus usitée, a les inconvéniens dont je parlerai.

Tous les bois qui concourent à former la caisse doivent avoir au moins deux pouces d’épaisseur ; chaque planche doit être emboîtée à rainures BBB sur toute sa longueur, & à queue d’aronde dans ses extrémités. Ces précautions sont de rigueur, parce que la chaleur & l’humidité font singulièrement travailler le bois. Les personnes prudentes font encore garnir les angles avec des bandes de fer fortement clouées.

Des vitreaux. On multiplie les panneaux CCC suivant la longueur de la caisse. Ces panneaux ou châssis ne doivent pas avoir plus de trois pieds & demi de largeur ; à quatre pieds ils commencent à être embarrassans & lourds à soulever, à moins qu’on ne fixe une corde en E, & que passant ensuite par une poulie attachée contre un mur, ou un pied droit, on ne soulève le châssis à l’aide de cette corde. Si chaque carreau de vitre avoit son cadre en bois, comme dans les châssis de nos fenêtres, l’eau des pluies s’écouleroit difficilement, & pénétreroit dans la couche. Pour éviter cet inconvénient, les liteaux qui soutiennent les vitres, sont placés sur la longueur du châssis de haut en bas : garnis d’une rainure, ils reçoivent la vitre & la supportent, de manière que l’extrémité inférieure de chaque vitre est placée en recouvrement sur la vitre qui vient après, de la même façon que les ardoises ou les tuiles plates sont placées sur nos toits.

Il y a deux manières de retenir & de fixer ces vitres. La première consiste à enfoncer des pointes dans les bois du cadre à chaque bout de la vitre, & de remplir la rainure avec du mastic de vitrier. Ce mastic est composé avec du blanc de céruse, passé au tamis de soie, & pétri avec de l’huile de lin ou de noix, ou de navette. Elle doit auparavant avoir été cuite, & rendue plus sécative par un nouet de litharge, suspendu au milieu de l’huile pendant la cuisson. Comme la céruse est fort pesante, & coûte beaucoup plus cher que la craie connue sous les noms de blanc de Troye, blanc d’Espagne, &c. les vitriers la substituent au blanc de céruse ; alors le mastic se gerce, s’écaille & se détache par lambeaux. Il ne faut pas oublier de garnir de mastic les deux endroits où se terminent les carreaux de vitre placés en recouvrement. Ce mastic produit deux effets : il empêche l’introduction de l’air extérieur dans l’intérieur ; & comme de l’intérieur il s’élève beaucoup d’humidité de la couche, cette vapeur se condense contre le verre, & s’insinue dans l’endroit du recouvrement, en occupe tout l’espace ; de sorte que si le froid est rigoureux, l’eau se glace, occupe un plus grand volume, & fait éclater la vitre la plus foible.

La seconde manière consiste, après que les vitres sont placées, clouées & mastiquées, de couvrir les bords du châssis avec des planches minces, de même largeur qu’eux, & de les retenir par des clous à vis. Cette précaution est assez inutile si les rainures sont bien faites & bien entretenues de mastic, suivant le besoin.

On doit soulever ces châssis de bas en haut. En bas est la manette E destinée à cet usage, & en D sont les éparres garnies de leur gond, ou de ferrures à charnières, qui facilitent le haussement ou l’abaissement.

Plusieurs personnes ne placent point de panneaux sur les côtés, & continuent le massif de la caisse jusqu’en haut, pour soutenir les châssis. L’expérience m’a prouvé leur utilité. Dès qu’il paroît un rayon de soleil, ou lorsque le temps est doux, on ouvre le petit châssis F ; on ouvre également celui qui lui correspond à la partie opposée, & ces deux ouvertures renouvellent l’air de la couche, & par le courant qui s’établit, entraînent les vapeurs humides.

On est dans la mauvaise habitude de placer ces caisses contre des murs. Il faut moins de bois il est vrai, mais on ne fait pas attention que la pierre est un très-bon conducteur de la chaleur, & par conséquent que celle que le mur absorbe est une privation pour la couche. Ceux qui entendent mieux leurs intérêts, plafonnent avec des planches le fond de la couche, parce que le bois est moins conducteur de la chaleur que la pierre, & l’effet de l’augmentation de cette petite dépense, dédommage amplement par une plus grande conservation de la chaleur. Veut-on se convaincre, par une expérience bien simple, de la différence des effets des conducteurs de la chaleur ? Supposons que le froid soit de cinq degrés. Placez à l’extérieur de votre appartement, par exemple sur la fenêtre, une planche. On ne disconviendra que la planche & la pierre qui, pendant plusieurs heures, auront été exposées à la rigueur du froid ne soient au même degré. Que l’on place actuellement une partie de la main sur la planche, & l’autre partie sur la pierre, & même l’extrémité de la main sur du fer, on éprouvera plus de froid dans la partie de la main qui couvre le fer, un peu moins sur la pierre, & beaucoup moins sur le bois.

Le thermomètre appliqué sur ces trois corps indiquera le même degré de froid. D’où vient donc la différence que nous éprouvons ? C’est que la chaleur de notre main (Voyez le mot Chaleur) est d’environ vingt-huit à trente degrés de chaleur : dès-lors ces trois corps paroissent froids, chacun à leur manière, parce qu’ils absorbent notre chaleur & se l’approprient ; mais le fer, comme meilleur conducteur de la chaleur, se l’approprie davantage & plus promptement que la pierre & que le bois. Ce que nous éprouvons s’applique à la couche dont il est question. La pierre, meilleur conducteur de la chaleur que le bois, nuit à la couche. C’est encore cette raison qui m’engage à rejeter les couches faites dans des fosses, parce que la terre absorbe la chaleur du fumier au détriment des plantes. Il résulte de ce qui vient d’être dit, que c’est une erreur de construire en pierre le corps de la caisse qui doit supporter les châssis : il faut du bois, & rien de plus. La caisse doit être isolée, parce que cet isolement facilite les réchauds, suivant l’exigence des cas. On ne peut en donner si la caisse est toute en pierre, & ils produiront peu d’effet si la caisse est adossée contre un mur. En parlant des couches (Voyez ce mot) on expliquera ce que signifie le mot réchaud. Le fond de la caisse garni en bois, garantit la couche & les racines, par conséquent, des dents & des ciseaux des insectes, puisqu’il leur est impossible de s’y introduire. Combien de couches détruites par les seules taupes-grillons ! (Voyez ce mot)

Le Hollandois, toujours économe, simplifie, autant qu’il le peut, les objets. Le climat qu’il habite le nécessite à recourir aux châssis pour les semis de tabac. À la place des vitres, il se sert de papier collé sur le cadre ; mais comme ce papier seroit détrempé, & ensuite dissous par la pluie, il a le soin de l’imbiber de graisse, & l’eau coule sans l’endommager. Voici son procédé. Le papier collé sur son cadre, il le présente sur un réchaud garni de charbons allumés ; lorsque le papier est bien chaud sans être roux, il passe légèrement par-dessus du sain-doux, & la chaleur du papier le fait fondre. Il fait la même chose à tous les carreaux. Cette opération rend le papier plus diaphane, & la clarté sous le châssis, lorsque le soleil ne donne pas, est plus douce, plus forte que celle produite par la vitre.

Les châssis en plan incliné, & tels qu’on vient de les décrire, avoient été regardés comme les meilleurs. Le sieur Mallet, jardinier, demeurant à Paris, au-dessus de la barrière de Reuilly, fauxbourg de Saint-Antoine, fit, en 1778, connoître des châssis de nouvelle forme, qui méritent la préférence, à tous égards, sur les premiers ; ils équivalent à des serres chaudes. Il les a nommés châssis physiques. L’auteur va parler.

« La découverte de mes châssis physiques est le fruit d’une longue suite d’observations & d’expériences que j’ai faites sur la fermentation des fumiers, & sur la raréfaction de la lumière qui traverse des verres bombés. On n’obtient des châssis plats, dont on fait usage par-tout, que des choses communes & imparfaites, parce que les plantes y éprouvent alternativement de grands contrastes de température, & qu’elles sont privées de l’air quand elles sont fermées.

» Les baches hollandoises (ce sont les châssis dont on vient de parler) ne servent ordinairement que pendant l’été, pour les ananas & pour les petits pois de primeur ; mais l’air étouffé que ces plantes y respirent, l’humidité & la moisissure inévitable des murailles sont cause que les fruits des ananas conservent toujours plus d’acide, & ne sont jamais parfaitement mûrs.

» Les serres chaudes n’ont d’autre mérite que d’y conserver les plantes exotiques dans l’hiver : leur entretien est très-coûteux, & tout ce que l’on fait venir par l’artifice a beaucoup moins de saveur & d’odeur.

» Au contraire, mes châssis physiques sont très-économiques, en ce qu’ils n’exigent point de feu. Le degré de chaleur naturelle de Saint-Domingue, qu’on y obtient constamment sans peine pendant l’été, la quantité d’air libre & pur qui s’y raréfie, donnent aux fruits une qualité supérieure, quoique étrangère à notre climat.

» La longueur des châssis est arbitraire, elle dépend de la volonté des personnes ou des terreins où on veut les placer. La Planche 5, Figure 2, représente la façade de devant du châssis, avec un des châssis ouvert, ainsi qu’un des panneaux de derrière. La Figure 3 représente la façade vue par derrière, & la Figure 4 le profil.

» La longueur du châssis, dont on parle, est de vingt pieds ; sa largeur de quatre pieds, & il a cinq pieds de hauteur, dont deux pieds six pouces forment la couche ; les deux autres pieds six pouces servent pour le vitrage bombé.

» Le vitrage est composé de seize panneaux, huit sur le devant, les huit autres sur le derrière formant le demi-ceintre. Il ne s’en trouve que quatre sur le dessin, c’est un défaut que je corrige. À chaque panneau de devant, il y a un vagistas au second rang de vitre ; aux deux côtés, il s’en trouve un pour établir un courant d’air quand il est à propos. Les panneaux de derrière sont aussi des vagistas qu’on ouvre dans l’été, soit pour établir le courant d’air, soit pour diminuer la trop grande chaleur.

» Au-dessus du niveau de la caisse, sur le derrière, jusqu’aux vitraux, il y a un espace en bois de vingt pouces, de même épaisseur de la caisse, qui est la cause de la répercussion de la lumière & de la raréfaction de l’air qui se fait dans le châssis.

» Sur un châssis de vingt pieds, il doit y avoir trois portes de derrière pour faire aisément des arrosemens, & pour différens travaux.

» Chaque panneau, de deux pieds six pouces de large, est soutenu sur les côtés par cinq courbes, en comptant les deux extrémités. Ces courbes formant le demi-ceintre, doivent avoir six pieds, sur un châssis de quatre de large ; leur diamètre sera de quatre pouces carrés sur la couronne du châssis ; dans le milieu, il y a quatre traverses de même épaisseur, qui soutiennent tous les panneaux. Afin que le châssis soit plus solide, on fait entrer les traverses dans les courbes ; & comme les courbes & les traverses n’empêchent pas de faire les couches, on les assujettit ensemble avec des bandes de fer d’un pouce de large, qu’on attache à demeure.

» Les panneaux de devant sont soutenus par des charnières à clef, afin qu’on puisse les ôter aisément chaque fois qu’on fait une couche nouvelle. Au bas de chaque panneau de devant, il y a une verge de fer avec des crans de douze en douze pouces, pour donner de l’air au châssis dans les grandes chaleurs.

» Quant à la caisse, elle ne sauroit être trop solide ; c’est pourquoi je conseille d’employer des planches de chêne de vingt pieds de longueur, de la plus grande épaisseur, pour faire en deux ou trois planches les deux pieds six pouces de hauteur, & deux pouces d’épaisseur, en y joignant en sus des barres à queue, distantes de quatre en quatre pieds. — Je conseille en outre de border l’extrémité de la caisse en dedans, d’une barre de fer de six lignes d’épaisseur, sur un pouce de large, afin qu’elle ne se déjette point par l’action du soleil. On empêche l’écartement de la caisse dans le milieu, par trois bandes de fer d’un pouce carré. Le châssis étant monté sur une petite muraille, ou assise de pierres de taille jusqu’au niveau de la terre, creusée en goutière large pour recevoir l’eau, il faut avoir une grande justesse, afin qu’il ne reste point de passage pour l’air, entre le bois & la pierre qui doit le porter. Il est encore essentiel de faire peindre le bois & le fer de ce châssis à l’huile en dedans & en dehors, & de leur donner une nouvelle couche chaque année au printemps, après qu’on a enlevé les réchauds.

» Les personnes qui veulent cultiver tout à la fois des figues, des ananas, des melons, des fraises, des petits pois, &c. doivent se procurer une certaine quantité de châssis. Pour lors mes trois châssis doivent être mis en usage : chaque espèce de plante réussit mieux, cultivée séparément dans un châssis que dans un autre, par rapport aux différens degrés de chaleur que chaque forme de ceintre procure. Par exemple, mon châssis de vingt pieds est excellent pour faire des melons, des fraises, des haricots, des roses, des lilas de Perse, des hyacintes, & pour y soutenir des ananas pendant l’hiver.

» Le ceintre aux deux tiers est parfait pour y obtenir de beaux fruits d’ananas pendant l’été, & pour y avoir beaucoup de petits pois.

» Le ceintre de huit pieds, sur une caisse de cinq pieds de large, est supérieur pour une figuerie, pour de grands lilas, & pour y faire passer différens seps de raisin muscat qui réussit admirablement bien. On pratique en dedans un treillage, sur les courbes, à un pied du vitrage. Le raisin qu’on fait en serre chaude est beaucoup moins bon que celui-ci.

» On sera peut-être étonné que la différence de ceintre en fasse une de six degrés entre le petit & le grand ; dans la même position, l’obliquité des réflexions du soleil sur les vitrages, produit cet effet ; & comme le châssis aux deux tiers de ceintre, a six pieds de hauteur, & que le ceintre plein en a sept, la plus grande quantité d’air peut encore y contribuer. »

Si l’on compare actuellement les châssis du sieur Mallet avec les anciens, on reconnoîtra aisément leur supériorité qui tient seulement à la courbure du vitrage. Sur les châssis en plan incliné, les rayons du soleil, depuis son lever jusqu’à son coucher, tombent perpendiculairement sur le verre, tout au plus pendant quelques minutes, au lieu que sur les châssis ceintrés, les rayons sont presque toujours perpendiculaires depuis neuf heures du matin jusqu’à trois. On n’ignore pas que c’est à cette perpendicularité des rayons qu’est due la plus ou moins grande chaleur. En hiver le soleil est plus près de nous qu’en été, mais en hiver ses rayons sont plus obliques ; voilà la cause de leur peu de chaleur.

Tous les châssis quelconques tiennent plus au luxe qu’au besoin, excepté les châssis à papier des Hollandois, que nos jardiniers ordinaires devroient adopter. Ils leur serviroient à semer les plantes printanières, & les mettroient à l’abri des rosées froides, ou des gelées tardives des mois de Mars & d’Avril ; presque par-tout ils font des couches, & la chaleur rend les jeunes plantes qui poussent, beaucoup plus susceptibles des impressions de l’atmosphère.