Cours d’agriculture (Rozier)/CHARDON À FOULON

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Hôtel Serpente (Tome troisièmep. 44-48).


Chardon à Foulon ou à Bonnetier. (Voyez Pl. I, page 43) M. Tournefort le place dans la cinquième section de la douzième classe, qui comprend les herbes à fleurs flosculeuses, dont les fleurons sont portés chacun dans un calice particulier, & il l’appelle dipsacus sativus. M. von Linné le place dans la tetrandrie monogynie & le nomme dipsacus fullonum. Ce n’est point un chardon ; on le place ici à cause de sa dénomination françoise.

Fleurs, composées de fleurons portés sur un réceptacle commun, mais séparés par des cloisons. La fleur B est un tube menu presque égal dans sa longueur ; les étamines sont au nombre de quatre & un seul pistil qui n’en est pas entouré comme celui des fleurons des chardons. La corolle repose dans le calice C en forme de tube terminé par une lame recourbée en dessous. À la base ou réceptacle général est un calice E formé par des découpures linéaires pointues, dentées, épineuses.

Fruit. Les semences D sont placées en forme de colonne, couronnées par le rebord du calice propre dont on vient de parler.

Feuilles, adhérentes à la tige qui les traverse à leur base, dentées, épineuses en leurs bords, avec une côte dans le milieu, armée en dessus d’épines dures.

Racine A, en forme de fuseau, fibreuse, unie, blanche & pivotante.

Port. Tige de trois ou quatre pieds de haut & souvent plus lorsqu’elle est cultivée dans un sol qui lui convient ; roide, creuse, cannelée, hérissée de quelques épines ; les fleurs naissent au sommet disposées en tête longue ; les feuilles opposées.

Lieu. Cultivée dans les champs ; elle naît au bord des chemins, fleurit en Mai, Juin & Juillet : la plante est bisannuelle.

Propriétés. La racine est inodore, d’une saveur amère. Elle est sudorifique, diurétique. C’est un urinaire assez actif pour chasser les graviers contenus dans les reins & dans la vessie ; elle favorise la curation de la jaunisse par obstruction des vaisseaux biliaires. Elle ne convient point aux phthisiques, & on lui a attribué sans preuve suffisante la propriété de guérir la fièvre quarte & la fièvre tierce.

Usage. On tire de toute la plante une eau distillée qu’on dit ophtalmique & qui est assez inutile. La racine sèche se donne depuis demi-once jusqu’à une once, dans une décoction de six onces d’eau.

Culture & usages économiques. Aucune substance n’a pu, jusqu’à ce jour, suppléer à cette espèce de chardon, soit pour le service des bonnetiers, des drapiers, &c. Le chardon qui vient naturellement, ne forme pas des pignes ou des pommes, ou des bosses assez fortes. Par ces mots, on désigne, dans différentes provinces, l’amas des calices E, en forme de tête, après que la fleur en est tombée. La France ne consomme pas tout le chardon qu’elle récolte ; elle en exporte beaucoup en Hollande & dans les pays des manufactures de draps. Le chardon se vend à une mesure qu’on nomme balle. Elle est composée de 200 poignées, & chaque poignée de 50 têtes ou pommes, ou bosses, ou pignes, ce qui fait 10 000 têtes. Les grosses têtes sont appelées mâles, & sont communément réservées pour les bonnetiers ; les moyennes & les petites sont pour la draperie. Les pointes ou clochets du chardon sauvage, ne sont pas en général assez fortes ni assez dures ; il faut donc, de toute nécessité, recourir à celles du chardon cultivé.

La meilleure terre pour la culture du chardon est, sans contredit, celle qui convient au chanvre. Si on ne veut pas faire ce sacrifice, on pourra se contenter d’une terre inférieure en qualité ; & il est même prouvé que les sols argileux & crayeux donnent des récoltes passables. Ces généralités sur la nature du sol doivent nécessairement être subordonnées à la manière d’être du climat dans lequel on travaille. Par exemple, dans la Flandre, dans la Normandie, dans l’Artois, &c. où cette culture est en recommandation, le chardon réussit dans les terreins argileux, parce que les pluies y sont fréquentes ; mais si on le cultivoit ainsi dans les provinces où l’eau est rare, les sécheresses longues, & la chaleur vive & soutenue, il est constant que la production seroit maigre & chétive, parce que les racines ne sauroient pivoter dans un pareil sol, & la terre durcie particulièrement à la surface, étrangleroit le collet de la plante. C’est donc à chaque particulier à étudier la terre qui lui convient, & à ne jamais perdre de vue la loi de la nature, qui indique que toute plante dont la racine est destinée à pivoter, doit avoir un sol où elle puisse pivoter à son aise. Or, comme la racine du chardon est en même temps pivotante & fibreuse elle exige donc un sol bien meuble & profondément défoncé. Je conviens que ce que je viens de dire ne s’accorde pas exactement avec le sentiment de quelques auteurs, qui disent qu’un ou deux labours suffisent à cette plante. Si on met les deux cultures en comparaison, on en verra la différence. Étudiez la manière d’être de la racine d’une plante, & elle vous indiquera l’espèce de culture & les terreins qui lui conviennent.

Quand faut-il semer ? Les auteurs ne sont point encore d’accord sur ce point, parce que chacun a écrit pour son canton, se persuadant que le reste du royaume devoit suivre la même loi. La nature indique elle-même le moment de semer. La plante est en pleine fleur en Mai, Juin, Juillet, suivant les climats, & mûre un mois après. Si on ne coupe pas ses têtes, les graines s’en détachent, tombent à terre, y germent, donnent de grandes feuilles ; la plante brave la rigueur du froid pendant l’hiver, enfin élance sa tige au retour de la chaleur, fleurit & mûrit, &c. voilà la loi de cette plante, dictée par la nature. L’homme, que doit-il donc faire ? La suivre, & ne pas la contrarier.

Quelques auteurs conseillent de semer la graine au printemps. Dès-lors la plante est obligée de faire en quelques mois, ce que l’autre opère dans une année, car cette dernière, semée, mûrit seulement un mois plus tard que les autres, & par conséquent elle n’a pas eu le temps de se fortifier & de prendre le même embonpoint, ni la même vigueur que la première. Suivons donc la marche de la nature, quand elle l’indique d’une manière si positive.

Je conviens que par cette seconde méthode, on a moins à sarcler ; mais cette légère dépense est complétement couverte par le produit.

La manière d’être de la racine, la largeur des feuilles, la hauteur que la tige acquiert dans un bon terrein, indiquent que meilleure est la terre, plus la plante profite ; qu’elle exige beaucoup de nourriture, & par conséquent qu’on ne doit pas ménager les engrais ; que plus le fumier sera consommé, meilleur il sera ; que les fumiers longs & pailleux sont plus utiles que les autres dans les terres argileuses, parce qu’ils tiennent leurs parties plus long-temps séparées & soulevées. Le fumier de mouton, bien pourri, y produira de bons effets, parce qu’il contient beaucoup de substances graisseuses, huileuses & salines, qui se combinent avec ces espèces de terre. (Voyez le mot Amendement.)

Plusieurs auteurs ont conseillé de semer le chardon dans le même temps que les jardiniers sèment le cardon, c’est-à-dire, vers la fin de Février ou en Mars, ou au commencement d’Avril, suivant le climat. C’est la loi du jardinier, mais ce n’est pas celle de la nature. Je préférerois cependant cette méthode à celle de semer en Septembre ou en Octobre dans les pays froids & pluvieux, & je préfère celle-ci pour les provinces méridionales du royaume. Il est aisé d’en sentir les raisons.

Comment faut-il semer ? L’usage varie. Les uns sement à la volée, & hersent ensuite ; d’autres, après que le terrein est bien labouré, font des trous d’un pouce de profondeur, y jettent trois ou quatre grains, & les recouvrent de terre. Quelques-uns laissent entre ces trous un espace d’un pied en tout sens, & d’autres un pied & demi. Il est plus avantageux, quoique plus long, de planter que de semer, & je préfère la distance d’un pied & demi ; la plante a, par ce moyen, la facilité d’étendre & de multiplier ses branches, & par conséquent ses têtes.

Pour tirer parti du terrein laissé entre chaque rangée, des cultivateurs sèment des navets, des panais, des carottes, &c. Sans approuver cette méthode, elle est utile si on a soin d’arracher ces racines aussi-tôt après l’hiver ; ce travail sera avantageux pour les chardons, & par la même opération on détruira les mauvaises herbes.

Parmi ceux qui sèment dans des trous, il y en a qui disposent le terrein en tables de six à dix pieds de largeur. Ce travail est surnuméraire, si on ne craint pas l’effet de la trop grande humidité ou de la submersion ; mais, dans l’un ou l’autre cas, il est indispensable, parce que la rigueur du froid, jointe à l’aquosité, fait périr souvent les plantes.

Dès que les grains ont germé, dès que la plante a pris une certaine consistance, c’est le cas, dans les deux méthodes, d’arracher les plantes surnuméraires les moins bien venues, sans cependant déchausser ou attaquer les racines des plantes qui doivent rester sur pied. Il ne seroit pas prudent d’exécuter rigoureusement ce sarclage ; il convient de le répéter à la fin de l’hiver, & alors de laisser seulement les pieds qui doivent produire. Les plantes arrachées à cette époque, serviront à remplacer celles qui auront péri par une cause quelconque. Je le répète, ce chardon ne craint pas le froid le plus rigoureux de France, s’il n’est pas planté dans un sol qui retienne l’eau.

Des soins à donner à la plante. Il est important de sarcler souvent ; la plante profite de ce petit travail, & sa substance n’est pas dévorée par les mauvaises herbes. Dès que ses feuilles sont assez grandes, le sarclage devient inutile, elles étouffent les plantes qui naissent à leur pied. Dans les pays méridionaux, si on peut, lorsque le besoin l’exige, arroser les plantations, on sera assuré d’avoir une récolte abondante.

La récolte des têtes est longue, parce qu’elles ne mûrissent pas toutes en même-temps. L’époque de cette récolte est indiquée par la chute des fleurs qui se détachent de leur calice. Ainsi, tous les deux jours, il faut parcourir la chardonnière, couper la tige, qui soutient la pomme, à la longueur d’un pied, ranger dans la main & par paquets ces tiges coupées, & mettre cinquante tiges au paquet ; lier chaque poignée avec de l’osier, les exposer sur le champ au gros soleil, suivant quelques-uns ; & si on craint la pluie, les porter sous des hangars. On suspend ces paquets, & on les attache, les têtes en bas, à des cordes, afin qu’un libre courant d’air, les dessèche plus vite. Lorsque la dessiccation est complète, les paquets sont secoués sur des planchers bien nets, afin d’en recueillir la graine. Ces procédés ne sont pas sans défauts.

1o. Lorsque la pomme est desséchée par le soleil, elle jaunit, elle rougit, & les piquans ou crochets deviennent trop roides. 2o. Cette graine n’est jamais bien mûre, & il faut en semer le double en pure perte. Il vaut mieux laisser sur pied le nombre de tiges proportionné à la quantité de semences dont on a besoin, &, de temps à autre, parcourir la chardonnière ; secouer sur un paillasson, ou sur tel autre réceptacle, les pommes qui paroissent bien mûres, & on sera assuré de n’avoir que des graines bien nourries.

Lorsque tous les paquets sont complétement desséchés, il faut les porter dans un lieu où l’on ne craigne pas les effets de l’humidité, & les mettre en monceaux, afin qu’ils tiennent moins de place.

Les pommes de chardon les plus estimées, sont celles dont la forme est parfaitement cylindrique, alongée, & dont les crochets sont fins & roides.

Les possesseurs d’un grand nombre de ruches à miel, feront très-bien de multiplier cette plante autour de leur habitation ; l’abeille aime beaucoup ses fleurs, & elle trouve dans un petit espace, une récolte très-abondante, puisqu’une seule pomme contient plus de six cens fleurs séparées les unes des autres, & dont le fond du calice est rempli de la substance sucrée dont elle compose son miel.