Cours d’agriculture (Rozier)/CHOLERA-MORBUS

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Hôtel Serpente (Tome troisièmep. 295-297).


CHOLERA-MORBUS, ou Trousse-Galant, Médecine rurale. Le cholera-morbus, ou trousse-galant, est une maladie aiguë, dans laquelle le malade rend, par haut & par bas, une quantité prodigieuse de substances aigres, bilieuses, jaunes, vertes & noirâtres : ces évacuations abondantes sont précédées & suivies d’anxiétés, de tranchées, de foiblesses, d’évanouissement & de convulsions.

Le cholera-morbus a son siège dans le premier des intestins, celui qui communique à l’estomac, & qu’on désigne sous le nom de duodenum.

C’est dans l’automne que cette maladie a coutume de paroître, plutôt que dans les autres saisons de l’année, sur-tout si l’été a été très-chaud, si les fruits aigrelets ont été rares, si on en a négligé l’usage pour tempérer l’acrimonie de la bile, & si on a mangé beaucoup de fruits cruds, lourds & indigestes.

Cette maladie peut encore exercer ses ravages, lorsqu’un sujet quelconque est tourmenté depuis long-temps par des passions violentes & profondes, & qu’il est forcé, par les circonstances de la vie, de les renfermer dans son sein. Après des indigestions fortes & souvent répétées, soit par la gourmandise, soit par la foiblesse des organes de la digestion, il n’est pas rare de voir paroître le cholera-morbus. L’usage des émétiques & des purgatifs violens ; l’usage des plantes vénéneuses & des poisons tirés des autres règnes de la nature, donnent aussi naissance à cette affreuse maladie.

Elle est des plus meurtrières ; souvent on la confond avec l’indigestion, & on donne des remèdes chauds, & des émétiques qui précipitent la mort du malade. Il n’est pas rare de voir les tempéramens les plus forts succomber aux violentes secousses du mal, en moins de trois jours : les personnes qui réunissent toutes les causes qui peuvent déterminer l’apparition de cette maladie, succombent dans un espace de temps moins long. Nous en avons observé, sur-tout dans les grandes villes, où tous les fléaux destructeurs du genre-humain semblent s’être réunis à l’envi ; nous en avons vu, disons-nous, expirer en moins de vingt-quatre heures.

Le malade attaqué du cholera-morbus ou trousse-galant, éprouve d’abord des anxiétés vers les trobicules du cœur, dans la région de l’estomac, les nausées se font sentir, le vomissement suit ; il est composé de matières bilieuses, jaunes, vertes, mucilagineuses & noirâtres. Les foiblesses s’emparent du malade ; la diarrhée suit le vomissement ; elle est annoncée par des coliques plus ou moins violentes, & les matières qui sortent par cette voie, sont de même nature que celles qui se sont fait jour par le vomissement ; il est tourmenté par la soif la plus ardente. Les syncopes suivent ces évacuations, & elles sont plus ou moins rapprochées, suivant la quantité des évacuations, soit par le vomissement, soit par la diarrhée.

Les évacuations sont quelquefois si prodigieuses, qu’on voit le malade maigrir sensiblement d’une heure à l’autre ; ses extrémités deviennent froides, le poulx se concentre, & il est petit & foible pendant toute la durée de cette crise violente ; le malade expire bientôt dans un état convulsif.

Le traitement de cette maladie est d’autant plus difficile, qu’elle est effrayante, & que le plus souvent la terreur s’empare des gens qui environnent le malade, & qu’ils précipitent les secours sans ordre & sans intelligence.

Quoique cette maladie soit le plus souvent mortelle, elle est moins meurtrière de nos jours qu’elle l’étoit autrefois ; les anciens employoient les saignées & les purgatifs, & aucun malade ne réchappoit : les ignorans n’ont conservé des anciens que cette méthode pernicieuse, & ils ont les mêmes succès.

Lorsqu’un malade est attaqué du cholera-morbus, ou trousse-galant, il faut lui faire boire abondamment l’eau de poulet, ou de veau très-légère, de la dissolution de gomme arabique dans de l’eau, ou le mucilage des graines de lin & autres, & de temps en temps quelques verres de lait d’amandes ou émulsion.

Il faut lui baigner les pieds dans l’eau tiède, & lui donner souvent des lavemens composés comme les boissons ci-dessus, qu’il faut rendre plus épaisses.

En usant de ces moyens, on adoucit l’acrimonie de la cause matérielle de la maladie, on en facilite la sortie ; au lieu que ces substances fortes & spiritueuses, renferment, par leur action astringente, cette même cause matérielle, & la gangrène s’empare rapidement du malade.

Lorsque les évacuations sont suffisantes, & que les forces du malade commencent à s’épuiser, on applique sur son estomac, des cordiaux, de la thériaque & autres ; on lui donne quelques petites cuillerées de bon vin, mais il faut la plus grande modération ; & on lui fait prendre des calmans, pour parer aux accidens présens, & pour prévenir ceux qui menacent : cet instant est le seul dans lequel on puisse placer les calmans ; donnés avant, ils retiendroient la cause matérielle dans les parties, & nuiroient beaucoup. Nous ignorons quel est le médecin qui, le premier, a employé les calmans dans cette maladie, & à l’époque prescrite : nous lui rendons le tribut d’éloges qu’il mérite, pour le service qu’il a rendu à l’humanité. Le calmant qui réussit le mieux, c’est le laudanum liquide de Sydenham, donné à dix gouttes, dans une cuillerée d’eau distillée quelconque : on en continue l’usage, en observant essentiellement de ne pas en porter la dose au point de le rendre somnifère, mais de le donner comme calmant. L’expérience doit diriger l’intelligence du médecin dans l’administration de ce remède. Lorsque les accidens effrayans sont calmés, & même disparus, il faut continuer encore quelque temps l’usage du laudanum, pour éviter les rechutes ; & terminer la guérison par des purgatifs amers & à petite dose : c’est dans l’usage de ces derniers moyens qu’il faut les lumières & la prudence d’un homme consommé dans la science de la médecine.

Les bains, la dissipation, le régime & le calme dans l’ame, doivent achever de rétablir la santé dans son état florissant. C’est à la cause qui a déterminé la maladie, qu’il faut porter l’attention la plus scrupuleuse. M. B.