Cours d’agriculture (Rozier)/CIGUË

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Hôtel Serpente (Tome troisièmep. 350-353).
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CIGUË, (grande) (Voyez Pl. 6, page 196) M. Tournefort la place dans la première section de la septième classe, qui comprend les herbes à fleurs en rose & en ombelle, dont le calice devient un fruit composé de deux petites semences cannelées, & il l’appelle cicuta major. M. Von Linné la nomme conium maculatum, & la classe dans la pentandrie digynie.

Fleur B, composée de cinq pétales égaux, & en forme de cœur C, renfermant cinq étamines, & un pistil D. L’enveloppe générale de l’ombelle est composée de plusieurs folioles très-courtes, ainsi que la partielle.

Fruit E, strié, obrond, divisé en deux semences F, convexes, hémisphériques, cannelées extérieurement, & aplaties intérieurement.

Feuilles, embrassent la tige par leur base : elles sont ailées dans chacune de leurs divisions très-multipliées & très-fines, & la surface lisse.

Racine A, en forme de fuseau, jaunâtre en dehors, & blanche en dedans.

Port. La tige s’élève quelquefois à la hauteur d’un homme, suivant le sol sur lequel elle végète. Elle est lisse, branchue, parsemée de quelques taches brunes, tirant sur le violet. L’ombelle naît au sommet, & les feuilles sont placées alternativement.

Lieux. Les terreins aquatiques : elle se cultive, se multiplie aisément, & fleurit en mai ; la plante est bienne.

Propriétés. Toute la plante est nauséeuse par sa saveur & par son odeur. Plus elle approche de sa maturité, plus l’une & l’autre augmentent. Celle qui croît dans les pays chauds, est beaucoup plus active que celle qui végète dans les pays froids : on la regarde comme résolutive & narcotique. Il arrive très-souvent, par l’imprudence ou l’ignorance des cuisiniers ou des cuisinières, qu’ils prennent la ciguë encore jeune pour du persil, ou des carottes, &c. & qu’ils en préparent nos alimens. Cette méprise funeste excite un engourdissement quelquefois subit, le vestige, l’obscurcissement de la vue, le délire, les convulsions, le vomissement, le hoquet, l’ardeur & la douleur d’entrailles, l’écoulement du sang par les oreilles, l’écume à la bouche, &c. C’est un vrai poison, qui porte son action sur l’estomac : il l’enflamme, & le cautérise.

Aussitôt qu’on commence à s’appercevoir des premiers effets de la ciguë, il faut se hâter de débarrasser les premières voies par l’émétique, ou par l’usage copieux de l’eau chaude, comme il sera dit au mot Émétique, surtout lorsqu’on ne sera pas à même de se procurer promptement du tartre émétique. Si les signes de l’inflammation se sont déjà manifestés, la saignée est nécessaire, & on aura recours aux délayans, aux rafraîchissans & aux adoucissans. (Voyez ces mots.)

Voici quelques caractères essentiels, & faciles à saisir, même par les personnes les plus ignorantes, & qui les mettront dans le cas de distinguer le persil avec la ciguë. La couleur de la feuille du persil est d’un vert plus gai que celui de la ciguë, qui est brun. Le persil, froissé & écrasé dans les doigts, les imprègne d’une odeur aromatique, & la ciguë, d’une odeur désagréable & nauséeuse. La longue queue qui supporte les feuilles du persil, est pleine, & celle des feuilles de ciguë est cylindrique, c’est-à-dire, creuse.

M. Stork, célèbre médecin de Vienne en Autriche, a publié un recueil d’observations sur les effets de la ciguë, sur ses pilules : les essais souvent répétés en France, n’ont pas eu le même succès en Allemagne. L’usage intérieur de cette plante demande à être dirigé par une main prudente ; &, pour ne rien hasarder sur l’emploi d’une plante aussi dangereuse, je vais rapporter ce qu’en dit M. Vitet, dans son excellente Pharmacopée de Lyon.

L’extrait de ciguë, à haute dose, cause une espèce d’anxiété & de douleur sourde dans la région épigastrique ; il étourdit, cause des renvois, tient le ventre libre, sans augmenter sensiblement la sueur & cours des urines. À dose modérée, il ne produit sensiblement aucun accident fâcheux ; il retarde les progrès du cancer occulte & du cancer ulcéré ; quelquefois il guérit le cancer formé depuis peu de temps, & est capable de supporter l’application des feuilles récentes. Il est indiqué dans les écrouelles, dans les tumeurs dures & rebelles à l’action des autres remèdes. Dans les ulcères invétérés & de mauvais caractère, l’usage de la racine a été quelquefois accompagné d’un succès heureux dans les espèces de maladies décrites ci-dessus, où l’extrait des feuilles n’avoit pas réussi ; comme dans les tumeurs squirreuses du sein, des aines & des aisselles ; dans les obstructions du foie & de la rate.

Pour préparer l’extrait, prenez du suc exprimé des feuilles, faites-le évaporer au bain-marie, jusqu’à consistance d’extrait, molle & épaisse. Cet extrait est d’un brun noirâtre, d’une odeur médiocrement virulente, d’une saveur nauséabonde, légèrement âcre. On le donne depuis trois grains jusqu’à une drachme par jour, incorporé avec suffisante quantité de racine de réglisse, (voyez ce mot) pulvérisée ; ou, suivant l’indication, des feuilles de ciguë pulvérisées, pour former des pilules de trois grains chacune. Si vous voulez obtenir de bons effets de cet extrait, persistez pendant plusieurs mois à son usage interne, augmentez-en la dose par degrés insensibles, donnez le petit lait pour boisson, faites entrer dans la nourriture beaucoup de plantes urinaires, purgez par intervalle avec les sels neutres, en solution dans du petit lait ; appliquez des feuilles récentes sur la tumeur, tant qu’elles ne l’enflamment pas ; faites recevoir à la partie affectée la vapeur d’une forte décoction de feuilles ; tenez le ventre libre par des lavemens, maintenez la tumeur à un degré de chaleur modérée, soutenez les forces de l’estomac par des fortifians amers, réitérez la submersion de la partie ou de tout le corps, suivant l’indication, dans une forte infusion de feuilles de ciguë.

On donne la racine pulvérisée, depuis trois grains jusqu’à demi-drachme, délayée dans trois onces d’eau, ou incorporée avec un sirop ; depuis quinze grains jusqu’à une drachme, en infusion dans huit onces d’eau.


Ciguë aquatique. (Voyez, Planche 6, page 196.) MM. Tournefort & von Linné la placent dans la même classe que la grande ciguë. Le premier l’appele cicutaria palustris tenui folia ; &. le second, phellandrium aquaticum.

Fleur B, composée de cinq pétales C, égaux, ovales, & en forme de cœur. Le pistil D est composé de deux styles ; le calice E est un tube d’une seule pièce, membraneux, divisé à son extrémité en cinq dentelures qui couronnent l’ovaire.

Fruit F succède à l’ovaire, composé de deux graines G, ovoïdes, cannelées à leur surface extérieure, & aplaties à leur surface intérieure.

Feuilles ailées sur plusieurs rangs : celles du bas de la tige ont jusqu’à quatre ailes, tandis que celles du sommet n’en ont quelquefois qu’une ou deux. Les ailes sont elles-mêmes ailées, & les folioles distribuées, ainsi que les ailes, deux par deux, & terminées au sommet par une impaire : les folioles sont découpées irrégulièrement, & comme par lobes.

Racine A, en forme de fuseau garni de fibres.

Port. Ses tiges s’élèvent à la hauteur de trois pieds ; elles sont cannelées, creuses, rameuses. Les feuilles sont alternativement placées ; les fleurs naissent au sommet, disposées en ombelle. L’enveloppe universelle est souvent nulle ; quand elle existe, elle est composée d’une à trois feuilles menues ; les enveloppes partielles sont communément de trois à quatre feuilles linéaires.

Lieu. Les terreins aquatiques, les marais.

Propriétés ; plus vénéneuse que la grande ciguë, à laquelle on peut la substituer avec beaucoup de prudence. Son contre-poison est indiqué dans l’article précédent. Le lait, les bouillons gras, & autres liqueurs semblables ne sont pas inutiles.


Ciguë. (Petite) Voyez Planche 10, page 352, de la même classe que les deux précédentes. M. Tournefort l’appelle cicuta minor petro selino similis, & M. von Linné œthusa cynapium.

Fleur B, composée de cinq pétales C, étroits à leur base, larges, arrondis & recourbés à leur extrémité, & en forme de cœur ; le pistil D est composé de deux styles & de deux stigmates.

Fruit. L’ovaire se sépare à la maturité, produit deux capsules E, soutenues par un double pédicule, & renfermant les graines F.

Feuilles, grandes ailées, sur trois à quatre rangs & terminées en pointe ; les folioles qui composent les ailes, sont découpées profondément & irrégulièrement, & les découpures diminuent graduellement jusqu’à l’extrémité.

Racine A, en forme de fuseau, peu fibreuse.

Port. Les tiges s’élèvent à la hauteur de deux pieds environ, elles sont creuses cannelées, tachetées sur la surface de marques brunes ; l’ombelle naît au sommet, composée de six à dix rayons, portant chacun, à leur extrémité, une ombelle partielle.

Lieu. Dans les jardins, où elle ne se mêle que trop souvent avec les herbages, les terreins ombragés & humides. La plante est annuelle.

Propriétés. Il est aisé de la distinguer du persil, du cerfeuil, &c. par la saveur semblable à celle de l’ail, quoique moins forte. Elle est nauséeuse, résolutive, calmante intérieurement ; c’est un caustique très-dangereux à l’extérieur.

Usages. On n’emploie que l’herbe ; on pourroit, dans le besoin, la substituer à la grande ciguë. Ses contrepoisons sont les mêmes. Elle est moins vénéneuse que les deux précédentes ; mais elle l’est encore beaucoup. Il faut préférer, pour remède, la grande ciguë. On a décrit les deux autres espèces, afin de les faire connoître, & de prévenir par-là les accidens funestes qu’elles occasionnent.