Cours d’agriculture (Rozier)/CLÔTURE

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Hôtel Serpente (Tome troisièmep. 406-410).


CLÔTURE. Il est étonnant qu’on ait mis en problême, s’il convenoit de clorre ses champs ! À l’article Communaux, communes, on fera voir le mal qui résulte du droit de parcours ; il est également question ici des avantages des clôtures en elles-mêmes.

Les gaulois nos ancêtres, & les romains, au rapport de Varron & de tous les anciens auteurs agronomes, faisoient grand cas des clôtures, & en comptoient quatre espèces ; la naturelle, formée par des haies ; la champêtre, des pieux ou des broussailles ; la militaire ou fossé, dont le bord intérieur du champ étoit rechaussé par la terre tirée de ce fossé ; l’artificielle ou en maçonnerie. Cette dernière se subdivisoit encore en quatre ; en pierres, c’étoit l’usage du canton de Tusculum ; en briques cuites, c’étoit l’usage des gaulois ; en briques crues, dans la terre de Sabine ; enfin, en terre & cailloux entassés entre deux planches, (c’est le pisay, voyez ce mot) tels qu’il s’en trouvoit en Espagne & dans le canton de Tarente.

Que l’on entoure de murs ses jardins, que l’on soit fermé chez soi, la prudence semble l’exiger ; mais enclorre ainsi de grandes possessions, je ne conçois rien à cette jouissance exclusive, & c’est l’acheter bien chèrement. Quand même on auroit sur les lieux la pierre, le sable & la chaux à bon prix, il est toujours très-dispendieux de mettre lit de pierre sur lit de pierre ; enfin, de bâtir. Si on considère la mise des fonds, on verra qu’avec la masse de cet argent mort, on auroit pu presque doubler ses possessions, & avoir l’intérêt de cet argent. Si le temps qui détruit & renverse tout, respectoit ces folies, elles seroient plus pardonnables ; mais un jour viendra qu’on sera forcé d’acheter une seconde fois son terrein, par les réparations, reconstructions & réédifications de ces murs qui, d’un parc, avoient fait une prison. Hommes riches, jouissez à votre manière ; je vous la pardonne, parce qu’elle fait vivre des ouvriers ! Les gens sensés n’imiteront pas votre exemple, & ils emploieront un même nombre d’ouvriers plus utilement. C’est pour ne pas être exposés aux voleries des paysans. Le prétexte est spécieux ! Ils voleront par an pour une pistole, & vous en dépensez mille en clôture. Ce n’est pas faire valoir son argent, & vos murs ne vous empêcheront pas d’être volés, d’être pillés, si on en a envie, à moins que vos murs ne ressemblent aux clôtures des religieuses ; & encore !

Les clôtures doivent avoir pour objet, 1.o d’empêcher les animaux de pénétrer dans les possessions ; 2.o de former des paravents aux arbres, aux moissons ; &c. 3.o d’accélérer la maturité des récoltes ; 4.o de bonifier les champs.

Une simple haie d’aubépin ou épine blanche, dans le nord & le centre du royaume, suffit & forme une barrière impénétrable aux hommes & aux animaux. Voyez l’article Haie, & la manière de les former. Le jonc vaudroit encore mieux, s’il ne talloit pas de racines, & si sa graine & ses racines ne s’emparoient pas promptement d’une partie du champ. Dans les provinces méridionales, le grenadier, le porte-chapeau ou paliure, produiroient le même effet. Je ne connois pas de meilleure clôture que celle d’un fossé bien entretenu, la terre de ce fossé jetée sur le champ, & ses bords couverts d’une haie formée par des arbrisseaux analogues aux climats ; mais je demande que ces bords soient plantés d’arbres du pays, & assez près les uns des autres pour forcer leur tige à s’élever, en l’aidant par l’élagage. (Voyez le mot Baliveau)

Si le terrein est en pente, on sent que la partie supérieure du fossé retiendra les eaux pluviales, les empêchera de ruisseler dans le champ, & d’en entraîner la bonne terre. Cette eau supérieure creuseroit des ravins sur les côtés de la pente, & il faut les prévenir. On creuse, à cet effet, dans toute la longueur de cette pente, de petits réservoirs ; on les multiplie, & on les creuse autant qu’il est nécessaire, jusqu’à ce que la retenue inférieure de chaque réservoir soit de niveau avec l’endroit où l’eau tombe du réservoir supérieur, ou la première eau qui coule dans cette pente. La largeur du réservoir doit être égale à celle du fossé ; sa longueur dépend du niveau, & la force de sa retenue de l’un & de l’autre. Une retenue d’un pied de largeur suffit lorsque le réservoir a six pieds de longueur, sur dix-huit à vingt-quatre pouces de profondeur. On ne risque rien de donner dix-huit pouces d’épaisseur. On voit que par ces retenues successives, l’eau coule toujours, pour ainsi dire, d’écluse en écluse, & que chaque écluse contribue à maintenir une espèce de niveau, de manière que la chute de l’eau est peu considérable, & qu’elle ne peut pas creuser. Une précaution cependant à avoir, consiste, après les grandes pluies, & surtout les pluies d’orage, de nettoyer ou recreuser ces petits réservoirs : cette opération exige sans cesse l’œil du maître, & que lui ou un homme de confiance soit présent lors du recurement. Voilà, me dira-t-on, un sujet de dépense, j’en conviens ; mais je prie d’observer, 1.o qu’il n’y a jamais de dégradation du sol, surtout si on a eu le soin de tenir la partie supérieure du sol de la retenue, garnie de gazon sur lequel l’eau coule sans l’endommager ; 2.o que la terre qui remplit ces petits réservoirs est une terre déposée par l’eau, & que cette terre est un excellent engrais, jetée sur le champ ; 3.o que le sol du champ n’est jamais dégradé par des ravins, puisque l’eau de la partie supérieure qui l’auroit recouvert, est conduite dans les petits réservoirs, & ainsi de suite jusque dans le fossé inférieur où se trouve le dégorgeoir général de toutes les eaux. Si on compare la conservation du champ & le produit de l’engrais, on ne plaindra pas la petite dépense occasionnée par l’entretien des réservoirs. Avec de semblables précautions, on ne verroit pas aujourd’hui une multitude de coteaux, même en pente douce, décharnés jusqu’au vif. L’entretien du seul fossé supérieur auroit suffi, & au-delà, à renouveler la terre que les eaux pluviales entraînent successivement du sommet à la partie inférieure ; la terre du fossé inférieur serviroit chaque année à diminuer la pente du champ. De pareilles terres font toujours d’excellens engrais.

Si la possession se trouve dans une plaine, il est également nécessaire de l’entourer de fossés & de haies : 1.o ces fossés servent à recevoir & à conduire toutes les eaux du champ dans la partie la plus basse, & par conséquent à empêcher que les plantes ne soient submergées & ne pourrissent par la stagnation des eaux, surtout pendant les hivers pluvieux. 2.o Dans les pays naturellement secs, ces fossés sont autant de réservoirs qui conservent pendant longtemps, une masse d’humidité dont la fraîcheur se communique parallèlement à une très-grande distance. 3.o Dans les pays plats, comme sur les coteaux, ils défendent l’entrée des champs aux bestiaux & animaux en tout genre. 4.o Rien n’est aussi utile que les clôtures en haies parsemées d’arbres, pour mettre les moissons à l’abri des vents. Le pays est sec ou humide, en raison du climat, ou par lui-même. Si c’est un bas fonds, par exemple, comme en Hollande, la terre, enlevée du fossé, & jetée sur ses bords, retiendra l’eau, formera un canal, l’empêchera de se répandre sur le champ, & des moulins nommés pouldres, sans cesse mus par les vents, porteront les eaux surabondantes dans des canaux supérieurs, & de canaux en canaux dans la mer : mais comme tous les pays ne ressemblent pas à la Hollande, & qu’on n’est pas sans cesse forcé de lutter contre l’eau, dans la crainte de la submersion, je cite cet exemple seulement pour prouver ce que la nécessité sans cesse présente a fait imaginer à ce peuple industrieux. Je ne crois pas qu’il existe en France aucun bas fonds semblable qui soit cultivé : s’il existe, il est métamorphosé en étang, & son produit égale celui qu’on en retireroit par la culture. Laissons donc les extrêmes pour nous attacher aux circonstances plus communes. Un fonds simplement aquatique, est desséché par les fossés, & ce fonds est nécessairement destiné aux prairies naturelles qui élèvent graduellement le sol. S’il est simplement humide, la clôture est également nécessaire, parce que l’herbe qui y pousse est aigre, & fournit une très-médiocre nourriture au bétail ; mais si ce fonds est cultivé, & par exemple semé en blé, il n’est pas rare de voir les blés versés, & souvent périr sur terre avant leur maturité. Les sols bas, en général, sont toujours très-productifs, parce qu’ils sont les réceptacles de l’humus, ou terre soluble (voyez ce mot) des champs supérieurs : dès-lors les épis sont garnis de beaucoup de grains très-nourris, & par conséquent pesans ; dès-lors la tige fatiguée par le moindre tourbillon de vent, plie sous le poids, s’incline, se couche sur sa voisine qui ne peut la soutenir, & de proche en proche, toutes les tiges sont couchées sur terre. Une haie parsemée d’arbres, se seroit opposée au vent, & l’épi seroit resté sur sa tige droite.

Si le champ est naturellement sec, les haies dont on parle produiront un effet admirable. L’expérience a démontré qu’un terrein boisé est beaucoup plus couvert de rosée, qu’un terrein qui ne l’est pas ; que les arbres attirent l’humidité de l’atmosphère, & qu’ils lui en rendent une grande quantité par leur transpiration qui s’exécute pendant le jour. Les plantes qui se trouvent dans la circonférence de pareilles haies, doivent donc jouir de plus de fraîcheur, de plus d’humidité que si elles n’avoient point de clôture.

Peut-être conclura-t-on de ce point de fait, qu’il est inutile de clorre ainsi les terreins bas, & on aura raison, si ces terreins bas ne sont pas environnés de fossés capables de les dessécher. En effet, l’herbe de pareils terreins est presque toujours aigre & chargée de rouille.

Si les vents du sud ou du nord, ou tels autres vents sont impétueux, comme dans un grand nombre de provinces de ce royaume, soit dans l’intérieur des terres, soit près de la mer ; c’est-là que les haies boisées seront d’un avantage inappréciable. Les vents du nord y produisent un froid plus grand, proportion gardée, que les gelées mêmes, & un froid de cinq à six degrés y est plus cuisant, plus âpre & plus sensible qu’un froid de dix degrés derrière un petit abri. L’évaporation est en raison du courant d’air ; de sorte que cette grande évaporation produit sur les plantes des effets infiniment plus funestes que les grands froids. Entre mille preuves que je pourrois citer, je me contente de parler du froid du mois de février 1782, qui a singulièrement endommagé les oliviers exposés à un courant d’air, & n’a fait aucun mal à ceux abrités par de grands arbres, quoique dans la même position. Qu’après des pluies d’été, malheureusement si rares dans nos provinces méridionales, survienne un vent du nord, il est toujours violent, & en peu de jours la terre est aussi sèche qu’avant la pluie. Des haies boisées remédieroient à ce fléau, parce qu’elles briseroient le courant d’air. Les hollandois, peuple patient, infatigable & laborieux, & sans cesse attaché à combattre les élémens qui ne cessent de lui faire la guerre, ne sont parvenus à établir des cultures réglées au Cap de Bonne-Espérance, que lorsque leurs possessions ont été circonscrites, coupées & recoupées par des lisières de bambou. C’est avec ce roseau, prodigieux par son élévation, qu’ils sont venus à bout de braver les ouragans les plus furieux.

Tout le monde convient que la France est à la veille de manquer de bois de chauffage & de bois de construction ; mais à quoi sert de voir le mal, d’en gémir, de se lamenter, si les propriétaires, protégés par le gouvernement, ne concourent à prévenir avec lui cette disette ? On ressemble beaucoup au maître d’école de la fable, qui perd un temps précieux à sermoner un enfant tombé dans l’eau, au lieu de l’en tirer.

Je ne vois qu’un seul moyen d’y remédier, sans rien ou presque rien ôter à la culture. Les haies boisées, les clôtures des champs le fourniront, La Normandie, l’Angoumois, &c. ont depuis longtemps fourni cet exemple, auquel peu de personnes ont fait attention. Chaque propriétaire n’est pas en état de faire le sacrifice du terrein pour des forêts ; leur plantation est presque toujours au-delà de ses forces ; mais il est toujours assez aisé, s’il veut les clorre par des haies & par les arbres du pays. Varron conseilloit beaucoup ces sortes de clôtures ; mais je vois, avec peine, qu’il conseille l’ormeau. Je conviens que cet arbre croît aussi bien dans nos provinces du nord que dans celles du midi ; mais je redoute ses racines, & je les vois s’étendre souvent à plus de dix toises ; elles tracent entre deux terres, dévorent la substance des moissons, & si on n’a pas le soin de détruire les rejetons qui s’élancent des racines, le guéret est bientôt couvert de jeunes ormeaux. Je préfère le chêne à tous les arbres ; planté près à près, souvent élagué, il fait une belle tige, & les émondures, une excellente nourriture d’hiver pour les troupeaux : après lui, le hêtre, le frêne, mais toujours les arbres les mieux venans dans le pays. J’en exclus le mûrier, à cause de ses racines traçantes, & tous les arbres de ce genre. Au mot Haie, je démontrerai que le terrein occupé par une haie, rapporte plus que tout autre de grandeur égale. Pères de famille, qui aimez vos enfans ! plantez des haies, boisez-les ; vous y trouverez votre bois de chauffage, & les bois nécessaires pour les réparations de vos bâtimens, & pour le charronnage.