Cours d’agriculture (Rozier)/CORBEAU, CORBINE, CORNEILLE, FREUX et CHOUCAS

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Marchant (Tome onzièmep. 441-448).


CORBEAU, CORBINE, CORNEILLE, FREUX et CHOUCAS. Tous ces oiseaux prennent indistinctement, chez le commun des hommes, le nom de corbeaux. Ils constituent néanmoins des espèces distinctes qui ne se mêlent point entr’elles, et qui diffèrent par les habitudes aussi bien que par quelques marques extérieures : du reste, ils sont tous du même genre, celui du corbeau, dont les caractères sont d’avoir le bec épais et fort, à pièce supérieure convexe, à bords tranchans, et, dans plusieurs espèces, à échancrure vers la pointe ; les narines couvertes de soies qui se dirigent vers la pointe du bec ; le bout de la langue divisé ; trois doigts séparés en avant et un en arrière ; enfin le doigt du milieu tenant au doigt extérieur jusqu’à la première articulation.

Ce genre fait partie de l’ordre des Pies. (Voyez ce mot.)

Le plus gros, et en même temps le plus courageux de cette noire tribu, est le corbeau proprement dit, (corvus corax Lin.) Il est de la grosseur d’un bon coq, et sur le fond noir de son plumage se jouent des reflets de bleu luisant, principalement aux ailes et à la queue ; il y a aussi un peu de roux mêlé à la teinte moins foncée du ventre ; le bec, les pieds, la langue et le palais, tout est noir, comme les plumes, dans cet animal, excepté l’iris de l’œil, qui est varié de cendré et de roussâtre. La femelle est plus petite, d’un noir moins décidé, et armée d’un bec moins fort. Les jeunes ressemblent plus aux femelles qu’aux mâles adultes, mais lorsqu’ils viennent d’éclore ils ont une teinte jaunâtre ; c’est aussi la couleur des vieux à leur extrême vieillesse : ces oiseaux vivent au delà d’un siècle.

Suivant d’anciennes allégories, que la mythologie a consacrées, le corbeau étoit d’une blancheur éclatante, et il ne devint noir que pour avoir trop parlé ; ce fut une vengeance d’Apollon. Ce dieu avoit prêté l’oreille aux faux rapports que lui fit cet oiseau sur l’infidélité de Coronis, et, dans un premier accès de fureur, il tua sa maîtresse ; il ne tarda pas à se repentir d’une action que la passion et la jalousie ne peuvent excuser, et, pour punir l’oiseau délateur, il le couvrit d’une robe lugubre. Si cette fable avoit pu se réaliser plus généralement, que de gens qui se sont fait de la délation un jeu infâme, seroient devenus, dans ces derniers temps, aussi noirs que le corbeau !

Ce n’est pas la seule fable à laquelle le corbeau ait donné lieu ; son croassement, aussi lugubre que son plumage, sa physionomie grossière, ses appétits dégoûtans, l’ont fait regarder comme un être sinistre et de mauvais augure. Cent contes ont été débités au sujet de cet oiseau ; quelques uns sont encore répétés de nos jours, et trouvent des gens assez simples pour y croire. Dans tout cela, il n’y a de réel qu’une fausse application de choses fort naturelles, que faits mal vus ou exagérés, et que l’effet de ce penchant qui entraîne les hommes vers le merveilleux et les dispose à la crédulité.

Si l’on abjure toute prévention, et que l’on observe les mœurs des corbeaux, on trouvera ces oiseaux aussi intéressans, j’ajouterai aussi aimables, qu’ils ont paru d’abord rebutans et odieux. Ils ne le cèdent à aucune espèce en amour et en constance ; chaque couple demeure uni et toujours amoureux ; les tourterelles, qui méritèrent d’être consacrées à la déesse des Amours, ne se livrent pas à des caresses plus douces, graduées avec plus d’art, et plus voluptueuses. Mais la comparaison entre ces oiseaux ne doit pas être portée plus loin, si. on ne veut pas qu’elle devienne tout à l’avantage du corbeau qui, loin d’avoir le naturel volage de la tourterelle, ne cesse de chérir la compagne qu’il a choisie, ne la quitte point et lui demeure fidèle. L’on cite des couples de corbeaux, que des observateurs ont suivis pendant quarante ans et plus, et qui n’ont pas cessé, pendant ce long espace de temps, de rester unis, de s’aimer et de se prodiguer des caresses ; en sorte que c’est chez ces animaux, qui inspirent la répugnance quand ils ne sont pas connus, qu’il faut chercher l’exemple des sentimens les plus tendres et les plus durables, ainsi que le modèle des bons ménages.

Les crevasses des rochers escarpés, les cimes des plus hauts arbres isolés, de vieilles tours abandonnées, sont les lieux où les corbeaux placent, dès les premiers jours de mars, et quelquefois plus tôt, leur nid et les fruits de leurs amours. Trois couches superposées l’une à l’autre composent ce nid qui est fort grand ; à l’extérieur ce sont des rameaux et des racines, au milieu, des matières dures, telles que des os de quadrupèdes, et à l’intérieur des gramens, de la mousse et de la bourre. La ponte est de quatre à six œufs parsemés de petites taches et de traits noirâtres sur un fond bleu pâle mêlé de vert. L’incubation dure vingt jours, et le mâle et la femelle en partagent la fatigue et l’ennui ; ils partagent également le soin de nourrir leur famille naissante, et ce soin se prolonge très-long-temps ; car leurs petits tardent beaucoup à se pourvoir eux-mêmes et à quitter le nid et les environs : le père se charge de leur défense, et il y apporte tant de chaleur et d’intrépidité, qu’il parvient à préserver sa progéniture de la serre de l’oiseau de proie.

Tel est le corbeau dans sa solitude, et, si l’on peut s’exprimer ainsi, dans son intérieur ; mais lorsqu’il s’en éloigne et qu’il se livre à ses goûts immondes, il cesse d’inspirer de l’intérêt. Sa voracité paroit insatiable, ses appétits révoltent, et sa méchanceté contre tout ce qui n’est pas l’objet de ses affections le rend dangereux. Les voieries infectes, les charognes pourries qu’il évente de loin, sont pour lui une nourriture de choix ; à défaut de ces repas dégoûtans, il se jette sur les rats, les grenouilles, les coquillages, les œufs et les petits des oiseaux, les insectes et même les fruits et les grains : il recherche aussi la chair vivante des quadrupèdes qu’il ne craint pas d’attaquer en se cramponnant sur leur dos. L’on a vu un corbeau se fixer sur le dos d’un âne, l’assaillir à grands coups de bec, le faire courir à toutes jambes dans la campagne, et lui entamer les chairs. Un voyageur moderne rapporte que les corbeaux très-nombreux en Laponie viennent avec hardiesse prendre le poisson pendu pour le faire sécher, et qu’ils poussent l’audace jusqu’à attaquer les moutons, à qui ils arrachent les yeux et déchirent le ventre. (Acerbi, Voyage au Cap Nord.)

La domesticité, à laquelle les corbeaux se façonnent néanmoins facilement, n’adoucit pas leur férocité ; ils ne craignent ni les chiens, ni les chats, et les attaquent quelquefois avec tant de fureur, qu’ils les mettent à mort ; ils se jettent même sur les personnes qu’ils ne connoissent point, et sur les enfans. Les papiers publics ont fait mention récemment d’un accident malheureux qu’il est bon de répéter, afin d’engager les habitans des campagnes à prendre plus de précautions qu’ils n’en prennent ordinairement.

Un homme du village de Schornsheim, au canton de Werstadt, département du Mont-Tonnerre, avoit attrapé et enfermé dans une chambre un corbeau dont il faisoit son amusement. Un jour qu’il étoit allé aux champs avec sa femme et une partie de ses enfans, il laissa dans un berceau une petite fille âgée de six mois ; le corbeau étoit attaché par une corde dans la même chambre. Une des sœurs de l’enfant, de retour à la maison paternelle, entend pousser d’horribles cris à la petite fille ; elle lui voit tout le visage ensanglanté, et auprès d’elle le cruel animal qui dévoroit les morceaux de sa chair. En effet, l’innocente créature avoit déjà un œil arraché, l’autre très-mal traité, la langue dévorée jusqu’au gosier, les lèvres déchirées, etc. etc.

Dans l’état de sauvage ou en domesticité, le corbeau a l’habitude de faire des provisions et de cacher ce qu’il peut attraper, sur-tout les pièces d’argent et tout ce qui brille ; il met à ce manège beaucoup de patience et d’adresse. M. Vieillot, savant ornithologiste et observateur très-judicieux, raconte, dans le Nouveau Dictionnaire d’Histoire Naturelle, qu’un corbeau élevé chez lui avoit porté une à une, et caché sous une pierre, quantité de petites monnoies ; il avoit de même caché dans sa loge, et recouvert avec de la paille et des bûchettes, cinquante œufs qu’il avoit pris fort adroitement l’un après l’autre et sans en casser un seul, dans un panier à haut bord ; enfin il découvrit plusieurs fois le pot-au-feu sans endommager le couvercle ; et quoique l’eau du pot fût bouillante, il parvint à en tirer la viande et les légumes, et à les emporter dans sa cachette : si on ne l’eût veillé de près, il n’auroit que trop souvent répété ce petit manège.

Cet oiseau, vrai sépulcre ambulant, exhale l’infection ; sa chair, toujours dure et coriace, inspire le dégoût, et la faim seule peut la faire trouver supportable à manger, quand l’oiseau a été nourri de fruits et de grains. Sa dépouille n’est pas inutile ; les dessinateurs paient plus cher les grandes plumes de ses ailes que les plus belles que l’oie fournit ; et ces mêmes plumes sont employées par les luthiers, pour emplumer les sautereaux des clavecins et des pianos.

La Corbine ou Corneille Noire (corvus corone Lin.) se distingueroit difficilement du corbeau, si elle n’étoit plus petite. Quelques habitudes qui lui sont particulières servent aussi à ne pas la confondre avec une espèce dont elle est, en général, très-rapprochée.

Cette corneille passe l’été dans les grandes forêts ; elle n’en sort que pour aller chercher sa nourriture, et pendant l’hiver. C’est un oiseau nuisible au gibier, et même au cultivateur ; il est très-friand d’œufs de perdrix, et tue aussi les perdrix en temps de neige ; il dévaste les noyers dont il recherche les fruits avec avidité. Cependant ses goûts destructeurs ne se portent pas toujours vers des objets utiles ; il rend aussi quelques services à l’agriculture, en suivant la charrue et dévorant les grosses larves d’insectes que le soc met à découvert.

Les corbines vont en troupes qui se mêlent souvent à celles des freux et des corneilles mantelées ; le soir, elles se rassemblent, paroissent s’être fixées un rendez-vous, et vont passer la nuit dans les bois, au haut des plus grands arbres. Elles pondent cinq à six œufs tachetés de brun, sur un fond vert bleuâtre. L’on m’a assuré que, tant que les petits sont dans le nid, ils sont très-bons à manger, et aussi délicats que les poulets, parce qu’alors les père et mère ne les nourrissent que de fruits, de grains, de vers, et de menu gibier ; mais je n’ai pas été tenté de faire l’essai de ce mets. J’ai vu les pêcheurs de l’Archipel grec, amorcer leurs lignes avec la chair des corbines, coupée par morceaux.

Le corbeau et la corbine ne sont point des oiseaux voyageurs ; ils restent constamment dans nos pays et dans les mêmes cantons ; ils changent seulement de séjour en été et en hiver. Il n’en est pas de même (de la Corneille mantelée (corvus cornix Lin.) qui ne paroît dans nos climats que dans la froide saison.

Plus grosse que la corbine, elle l’est moins que le corbeau ; une espèce de manteau d’un gris blanchâtre la couvre depuis les épaules jusqu’à l’extrémité du corps ; le reste est d’un noir à reflets bleuâtres.

On voit les corneilles mantelées en assez grandes bandes, quelquefois en compagnie des freux et des corbines, sur les terres cultivées, les prairies et les routes. Elles vivent de limaçons, de vers et d’autres petits animaux, que l’agriculture signale comme ses ennemis. Notre intérêt nous commande donc de ménager cette espèce.

Il faudroit en dire autant du Freux (corvus frugilegus Lin.) s’il n’avoit pas l’habitude d’enfoncer fort avant son bec dans les terres ensemencées, pour y chercher les grains, les racines des plantes encore tendres, et les vers. Cependant la quantité de larves d’insectes qu’il détruit doit, ce me semble, le faire ranger au nombre des oiseaux plus utiles que nuisibles.

Le freux, que dans les environs de Paris l’on nomme frayonne, est un peu plus grand que la corbine, avec laquelle il arrive souvent de le confondre. Son habitude de fouiller dans la terre lui donne un caractère distinctif, facile à saisir : les plumes qui garnissent la base de son bec s’usent et se détruisent par le frottement, et laissent à nu une peau qui paroît parsemée d’une matière blanche et farineuse ; mais ce n’est que quand le freux est adulte qu’il devient chauve en partie. L’oiseau est noir, avec des reflets pourprés sur le corps et les ailes, et des reflets verts sur la queue ; son bec est plus droit, plus grêle que celui de la corbine, et comme râpé.

Cette espèce n’est point carnivore ; elle est à demi-sédentaire et à demi-voyageuse ; car, outre les freux qui ne quittent pas nos contrées, il en vient d’autres à l’automne pour y passer l’hiver. Ils forment des troupes nombreuses, nichent près les uns des autres sur les arbres, dès le mois de mars, deviennent très-criards à l’époque des couvées, quittent le canton pendant deux ou trois mois, aussitôt que leurs petits sont assez forts pour les suivre, et se rallient le soir comme les corneilles. Les œufs qui composent leur ponte, au nombre de quatre ou cinq, ont la même couleur que ceux des corbeaux.

Les freux sont presque toujours maigres ; et, quoiqu’ils ne se nourrissent pas de charognes, comme la corneille et le corbeau, ils ne sont guères meilleurs à manger.

Quiconque a vu des peuplades d’oiseaux noirs habiter et faire retentir de leurs cris aigus et perçans les combles des vieux châteaux abandonnés, les plus hautes tours des églises, sur-tout celles dont l’architecture est gothique, connoît le Choucas (corvus monedula Lin.) auquel on donne, dans divers lieux de la France, les noms de chicas, chocas, chocotte et cornillon. Sa grosseur est celle d’un pigeon, et son plumage presqu’entièrement noir, avec des reflets violets et verts ; du cendré se mêle à cette teinte sombre derrière la tête, aussi bien que sur le cou, et chaque plume de la gorge porte un trait blanchâtre ; cette dernière couleur est celle de l’iris de l’œil.

Cette espèce offre les mêmes traits d’affection et de constance entre le mâle et la femelle, et entre ceux-ci et leurs petits, que j’ai dépeints en parlant du corbeau ; mais chaque couple ne vit pas isolé, et ils nichent, pour ainsi dire, en société dans leurs tristes et sombres manoirs, où sur les rochers, et quelquefois à la cime des arbres les plus élevés. Quatre, cinq ou six œufs verdâtres, et tachetés de brun, forment leur ponte. Quand les petits peuvent voler, c’est-à-dire au milieu de l’été, les choucas abandonnent les vieux édifices et les clochers, et n’y reviennent qu’à l’automne. Leur nourriture est à peu près la même gué celle des freux.

De tous les oiseaux dont il est question dans cet article, le choucas est celui qui se prive le mieux ; il aime, comme le corbeau, à cacher les objets qui ont quelque éclat, de même que les différentes choses dont il se nourrit, et qu’il ne peut pas consommer à l’instant.

Chasse du Corbeau, de la Corbine, de la Corneille, du Freux et du Choucas. Malgré les distinctions que l’Histoire naturelle établit entre ces espèces, je n’ai fait qu’un seul article de leurs chasses, parce qu’à cause de la conformité de leurs habitudes ou de leurs appétits, on peut tendre des pièges semblables à ces différens oiseaux, en se rappelant toutefois que le freux n’est point carnivore, qu’il ne partage les goûts des corneilles que pour certains végétaux, tels que les glands, les fèves de marais, et que les productions seules de cette nature peuvent faire, pour les deux espèces, la base d’un appât commun.

L’extrême défiance qui caractérise tous ces oiseaux, la subtilité de leurs sens, les rend très-difficiles à chasser au fusil. L’époque la plus favorable pour en détruire beaucoup avec cette arme, est celle de la ponte et de la couvaison ; tous sont très-attachés à leurs nids ; ceux des corneilles sont isolés, placés loin les uns des autres, sur de grands arbres dans les futaies. Les freux, au contraire, se rassemblent sur le même arbre, en assez grand nombre, et y bâtissent jusqu’à dix ou douze nids. Lorsque les petits commencent à essayer leur vol, ou les voit tournoyer par nuées au milieu desquelles le plomb peut faire de grands ravages.

Hors le temps de la ponte, un moyen, d’attirer les corbeaux et autres à la portée du fusil, est d’élever, dans les lieux fréquences par eux, sur un juchoir isolé, un grand duc, un hibou, ou une chouette. La haine qu’ils, partagent avec les autres habitans de l’air pour ces oiseaux de nuit, les attire autour de celui qu’on leur a offert, et donne lieu au chasseur embusqué convenablement de les tirer à bonne portée. Ce même instinct les fait aussi donner souvent dans les pipées, sur-tout si l’on a la précaution de tendre pour eux des gluaux très élèves. Enfin, on a un troisième moyen de les approcher avec la machine dite Vache artificielle. (Voyez ce mot.)

La plupart de ces oiseaux suivent volontiers le gros bétail, et si l’on peut se placer au milieu d’un troupeau que le coup de fusil n’effarouche point, on aura souvent occasion de les tirer.

Parmi les pièges appâtés qu’on leur peut tendre, il faut distinguer les hameçons, ainsi que les collets et pinces à ressort, décrits à la chasse des Canards. Les hameçons pour corbeaux sont les mêmes que pour les canards, avec cette seule différence qu’ils sont armés de cuivre à la longueur de quatre pouces au dessus du crochet, pour que la corde ou attache ne soit pas exposée à être coupée par l’oiseau. Lorsqu’on veut tendre aux corbeaux et corneilles avec des hameçons, il est bon de semer à l’avance, et plusieurs jours de suite, dans un lieu bien situé, des morceaux de chair à demi-putréfiée, afin que le sentiment en soit plus fort. Il faut préférer, aux viandes dites de boucherie, les charognes, et particulièrement les intestins des poulets, pigeons, lapins, lièvres, et autres gibiers.

Lorsque cette amorce a été souvent répétée pour vaincre la méfiance des oiseaux, et que l’on voit qu’ils ont dévoré les appâts, qui leur étoient offerts, ou couvre la même place d’hameçons attachés à des piquets enfoncés en terre jusqu’à la tête, et on les garnit des mêmes viandes dont on se sera servi jusqu’alors, sur-tout de celles qu’on voit qu’ils ont préférées. Leur voracité en fera rester un grand nombre accrochés aux hameçons.

Si l’on veut se servir des collets à ressort et des pinces d’Elvaski, on peut le faire avec avantage lorsque la neige est sur la terre, parce qu’on en couvre le ressort et qu’on ne laisse paroître que la chair dont il est garni. Celle chair est attachée à la marchette, et comme l’oiseau, en la voyant, voudra l’arracher et l’emporter, cela conduit à placer le ressort dans une situation renversée, c’est-à-dire, de manière que la marchette soit en l’air, afin que le gibier détende le piège en la tirant à lui, au contraire de ce qui a lieu pour la chasse aux canards, où ceux-ci doivent faire tomber la même pièce en marchant dessus.

Les noix, les fèves de marais, les glands, sont des mets recherchés des combines, des corneilles et des freux ; un chasseur inventif peut en tirer des appâts efficaces.

De bons oiseleurs recommandent, entre autres, d’offrir aux corbines et freux des fèves de marais, dans la pulpe desquelles on aura enfoncé des aiguilles rouillées. La digestion les dégage de leur enveloppe, et elles déchirent les intestins de l’animal qui les a introduites dans son estomac.

Il est un autre appât très-destructif pour les races carnivores. C’est celui de chairs hachées et saupoudrées de noix vomique : on laisse les deux substances se pénétrer réciproquement, pendant vingt-quatre heures, et l’on en forme des boulettes que l’on expose à l’avidité des corbeaux et des corneilles. Cette préparation commence par les enivrer, au point qu’on peut dans cet instant les saisir ; mais si on les laisse reprendre leurs sens, ils retrouvent assez de forces pour se sauver dans leurs retraites accoutumées, où ils finissent au reste par mourir. Celle préparation indiquée dans tous les Traités de chasse, est dangereuse ; et on risque d’en rendre les chiens les premières victimes : c’est là souvent une perte sensible pour une ferme. Si l’on s’apperçoit à temps qu’un chien se soit empoisonné avec ces appâts, on peut le guérir en le forçant à boire de l’eau mêlée de vinaigre, de jus de citron, ou de tout autre acide. Il seroit peut-être un autre moyen de prévenir ce danger : ce seroit de mélanger la noix vomique avec de la chair de chien, ainsi qu’on recommande de le faire, quand on prépare cet appât pour le loup ; attendu qu’on a remarqué que les chiens n’attaquoient point les charognes de leur espèce.

Le piège des cornets de parchemin, enduits de glu sur les bords intérieurs, et garnis dans le fond de morceaux de chair, est si connu, que je me contenterai de le citer, en ajoutant que cette méthode est d’ailleurs peu efficace, et ne peut avoir d’autre but que de se donner un instant de divertissement, quand elle réussit. Les chasseurs expérimentés font encore moins de cas de la chasse décrite dans plusieurs ouvrages, et qui consiste en ce que plusieurs hommes vêtus de noir se tapissent sur de grands arbres un peu isolés, dans une futaie, tandis que d’autres vont, à coups de perche ou autrement, troubler le sommeil des corneilles qui, agitées et mises en mouvement, se jettent autour des hommes vêtus de noir, qu’elles prennent, disent les auteurs de ces ouvrages, pour des tas de corneilles, et qui peuvent à peine suffire à tordre le cou de la proie qui leur arrive. Je n’ai trouvé encore aucune autorité de poids qui garantît cette expérience. Mais je citerai, avec pleine confiance, une chasse bien plus divertissante, décrite par M. Vieillot. Lorsqu’on a pu se procurer une corneille ou corbine vivante, on l’attache par terre, couchée sur le dos, au moyen de deux piquets à crochet renversé, qui la saisissent de chaque côté à l’origine des ailes. Dans cette position gênante, l’oiseau qui a les serres et le bec libres, s’agite, pousse des cris plaintifs, et attire bientôt autour de lui une foule de corneilles, qui semblent vouloir lui donner du secours. Mais la prisonnière, en cherchant à se tirer d’embarras, saisit avec son bec et ses pattes celles qui se mettent à sa portée, et les retient sans lâcher prise, jusqu’à ce que l’oiseleur vienne les lui enlever.

On n’emploie communément les filets, pour prendre des corbeaux et corneilles, que dans une espèce de trébuchet fait sur le modèle de celui qui est connu sous le nom de piège à rossignol. Cependant c’est avec des filets tendus dans la neige, que les Groënlandais, au moyen d’appâts placés au centre de l’embûche, enveloppent des bandes nombreuses de ces oiseaux. Je serois assez porté à croire que dans des cantons qu’ils fréquentent beaucoup, on pourroit leur tendre avec succès, sur-tout pendant les neiges, les nappes à canards, en plaçant au milieu de la forme l’appât d’une charogne ; peut-être aussi en se servant, pour appelant ou appeau, d’une corbine on corneille vivante, attachée par les ailes de la manière que j’ai indiquée ci-dessus. Au reste, voici la construction du trébuchet employé vulgairement : le châssis, qui en fait la base et sur lequel est monté un filet dont la force et la grandeur sont proportionnées à celle de l’oiseau, est formé par l’assemblage de quatre petites pièces de bois de neuf lignes d’équarrissage. Les deux montans ont dix-huit pouces de long et les deux traverses dix, ce qui forme un rectangle ou carré long, dont la hauteur est presque double de la largeur ; parallèlement à un des grands côtés est monté un cylindre qui a aussi environ neuf lignes de diamètre, et dont l’axe, formé par deux pointes, s’engage dans deux trous placés aux extrémités correspondantes des deux traverses ou petits côtés ; autour de ce cylindre et sur le milieu de sa longueur, un fil de fer est roulé en spirale et enfoncé par une de ses extrémités au centre du rouleau retenu par l’autre bout dans le montant du châssis : il forme le ressort connu sous le nom de ressort à boudin, qui se serre et se roidit lorsqu’on force le cylindre à rouler sur son axe. Dans ce cylindre ainsi monté, on implante avec force les deux bouts aiguisés d’un fort fil de fer coudé carrément, lesquels, enfoncés à chaque extrémité du rouleau, forment avec lui un second châssis qui bât-sur celui de bois et lui sert de recouvrement. On attache alors près des branches du fil de fer qui forme trois des côtés de ce second châssis, et sur le quatrième grand côté de bois le long duquel joue le cylindre, un fil de la même force que celui qui fait le ressort de la machine. Les choses étant dans cet état, l’on conçoit que l’on ne peut ouvrir d’équerre le châssis de fil de fer, qu’il ne fasse faire avec lui un quart de tour au rouleau dans lequel il est implanté ; ce quart de tour opère la tension du ressort à boudin, et si l’on retient le piège en cet état au moyen de petits bâtons disposés en 4 de chiffre, on y pourra prendre les différentes espèces de corneilles en plaçant et amorçant cet engin convenablement. Pour espérer quelque succès de cette chasse, il faut employer un assez grand nombre de ces pièges, et attacher au bâton qui sert de marchette ou perchant au 4 de chiffre, des viandes ou autres substances les plus recherchées des oiseaux pour lesquels on l’aura tendu.

Mais l’inconvénient de cette espèce de piège est que l’appareil en est trop apparent, et peut aisément exciter la méfiance des oiseaux. Cette considération a déterminé M. Clavaux à s’occuper des moyens de le perfectionner, et de chercher une construction dans laquelle les pièces ou châssis qui doivent envelopper le gibier soient pour ainsi dire dérobés à sa vue. Pour obtenir ce résultat, il a conclu que la meilleure disposition possible seroit celle où les deux châssis pourroient être tous deux, mobiles et s’étendre ouverts, et renversés à plat sur la terre avec laquelle ils paroissent en quelque sorte se confondre, soit par leur couleur, soit en les recouvrant de poussière, de feuilles ou de menues herbes. Il a fallu ensuite combiner un ressort qui les retînt dans cette position, et qui, garni d’un appât, pût être détendu par l’oiseau qui s’envelopperoit ainsi lui-même.

Pour parvenir à ce but, M. Clavaux a fait exécuter une machine fort ingénieuse, qu’il a bien voulu me communiquer pour en enrichir cet Ouvrage. Voy. au mot Filet à ressort. (S.)