Cours d’agriculture (Rozier)/DIAMÈTRE

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Hôtel Serpente (Tome troisièmep. 677-680).


DIAMÈTRE, Botanique. Parmi les variétés que nous offrent le règne végétal, & qui dépendent le plus du climat, de la culture, & de l’âge de la plante, c’est, sans contredit, les diamètres des tiges, & leur hauteur qui doivent le plus étonner ; nous ne considérerons ici que les diamètres. Cultivez la même plante, le même arbre dans deux terreins différens, dans un sol maigre & marécageux, ou dans un bon sol & dans une terre bien meuble : à la différence du port de ces deux végétaux, vous croiriez d’abord qu’ils ne sont pas du même genre & les mêmes : l’un, maigre & peu élevé, annonce son état de langueur ; l’autre, fort & vigoureux, s’élance dans les airs ; ses tiges plus nourries & plus fortes, ont une grosseur proportionnée à l’abondante nourriture qu’il pompe de la terre, & qu’il tire de l’atmosphère. Voyez ce chêne antique, qui couvre de son ombre favorable une surface de terrein immense ; le temps a creusé son tronc ; le voyageur battu de l’orage s’y réfugie, il trouve sous ses branches, & dans sa cavité une retraite contre la tempête. L’orage cesse, il en sort gaiement en remerciant son bienfaiteur ; mais tout étonné, il admire l’étendue des branches, l’élévation de la tige & la grosseur du tronc ; il cherche autour de lui quelqu’arbre d’une pareille grosseur ; il en apperçoit d’aussi vieux, mais nul n’est aussi considérable. Quelle en peut être la cause ? Une veine d’excellente terre dans laquelle s’étend son pivot, est le principe de cette énorme différence.

Un savant auteur, M. Adanson, a voulu établir un systême de familles des plantes, en considérant leur diamètre ; mais il l’avoue lui-même, cette classification ne peut être que très-fautive. Rien de constant, rien de sûr dans cette division, tout ce qui dépendra du climat, de la culture & du sol ne pourra jamais devenir un caractère constant.

Tout ce qui est extraordinaire dans la nature, a droit à notre intérêt, & on lit avec plaisir les observations en ce genre, quand on peut compter sur leur vérité. M. Adanson, dans la Préface de ses Familles des plantes, a recueilli ce qu’on a de plus certain & de plus avéré sur la prodigieuse grosseur de quelques arbres. Peut-être ne sera-t-on pas fâché de le retrouver ici, afin de le comparer avec ce que l’on peut observer soi-même dans quelques forêts.

« Au rapport d’Evelin, on voyoit à Erford, en Angleterre, un fameux poirier qui avoit dix huit pieds de tour, c’est-à-dire, environ six pieds de diamètre, & il rendoit annuellement sept muids de poires. »

« On a vu des saules creux de vingt-sept pieds de circonférence au tronc, qui avoient par conséquent neuf pieds de diamètre. »

« Pline cite au liv. 16, chap. 44 de son Hist. nat. un yeuse ou chêne vert, qui, d’une seule souche, avoit produit dix tiges, chacune de douze pieds de diamètre. »

« Le même auteur dit au chap. 40, qu’il y avoit en Allemagne des arbres si gros, que leurs troncs creusés formoient des canots du port de trente hommes. Mais que sont ces arbres, ajoute M. Adanson, en comparaison des seiba ou benten de la côte d’Afrique, depuis le Sénégal jusqu’au Congo, dont on fait des pirogues de huit à dix pieds de large, sur cinquante à soixante pieds de long, capables de porter deux cents hommes, & du port ordinaire de vingt-cinq tonneaux de deux milliers, qui sont 50000 pesant. »

« Ray parle d’après Evelin, d’un tilleul mesuré en Angleterre, qui sur trente pieds de tige, avoit seize aunes, ou environ quarante-huit pieds de circonférence, c’est-à-dire, seize pieds de diamètre, & qui surpassoit infiniment le fameux tilleul du Duché de Wirtemberg, qui avoit fait donner à la Ville de Neustat, le nom de Nieustat Ander Grossen Lindern. Ce dernier avoit vingt-sept pieds ⅓ de circonférence, ce qui fait environ dix pieds de diamètre ; le tour de la pomme ou tête avoit quatre cens trois pieds, sur une largeur de cent quarante cinq pieds, du nord au sud, & de cent-dix-neuf pieds, mesuré de l’est à l’ouest. »

« Ray dit avoir vu en Angleterre plusieurs ormes de trois pieds de diamètre, sur une longueur de plus de quarante pieds : il rapporte encore qu’un orme à feuilles lisses, de dix-sept pieds de diamètre au tronc, sur quarante aunes ou environ cent vingt pieds de diamètre à sa pomme, ayant été débité, sa tête produisit quarante-huit chariots de bois à brûler, & que son tronc, outre seize billots, fournit huit mille six cens soixante pieds de planches ; toute sa masse ou matière fut évaluée à quatre vingt-dix-sept tonnes. On a vu dans le même pays un orme creux, à peu près de même taille, qui servit longtemps d’habitation à une pauvre femme, qui s’y retira pour faire ses couches. »

« Le même auteur cite deux ifs très-âgés, dont l’un avoit douze aunes de tour, c’est-à-dire, près de trente pieds, & l’autre de cinquante-neuf pieds de circonférence au tour, qui font près de vingt pieds de diamètre. »

« Harlei rapporte que dans le Comté d’Oxford en Angleterre, un chêne dont le tronc avoit cinq pieds quarrés, dans une longueur de quarante pieds, ayant été débité, ce tronc produisit vingt tonnes de matière, & que ses branches rendirent vingt-cinq cordes de bois à brûler.

« Plot, dans son Histoire naturelle d’Oxford, fait mention d’un chêne dont les branches de cinquante-quatre pieds de longueur, mesurées depuis le tronc, pouvoient ombrager trois cent quatre cavaliers ou quatre mille trois cent soixante-quatorze piétons. ».

« Au rapport de Ray, on a vu en Westphalie plusieurs chênes monstrueux, dont l’un servoit de citadelle, & dont l’autre avoit trente pieds de diamètre, sur cent-trente pieds de hauteur. On peut juger de la grosseur prodigieuse de ces arbres, par ce que dit le même auteur de celui dont furent tirées les poutres transversales du fameux Vaisseau appelle le Royal-Dovereing, construit par Charles I, Roi d’Angleterre : ce chêne fournit quatre poutres, chacune de quarante-quatre pieds de longueur, sur quatre pieds neuf pouces de diamètre ; il falloit que cet arbre eût au moins dix pieds de diamètre, sur une longueur de quarante-quatre pieds. L’arbre, continue Ray, qui servit de mât à ce vaisseau, mérite d’être cité, quoique d’un autre genre ; il avoit, dit-il, quatre-vingt-dix-neuf pieds de long, sur trente-cinq pieds de diamètre ; mais cette grosseur nous paroît bien disproportionnée à la hauteur de quatre-vingt-dix-neuf pieds, & à la largeur des plus grands navires qu’il soit possible de construire. »

« Les plus grands baobabs que j’aie eu occasion de mesurer au Sénégal, avoient soixante-dix-huit pieds de circonférence, c’est-à-dire, environ vingt-sept pieds de diamètre, sur soixante-dix de hauteur, & cent soixante pieds de diamètre à leur pomme ou tête ; mais d’autres voyageurs en ont vu de plus gros dans ce même pays ; Ray dit, qu’entre le Niger & le Gambie, on en a mesuré de si monstrueux, que dix-sept hommes avoient bien de la peine à les embrasser en joignant les uns aux autres leurs bras étendus, ce qui donneroit à ces arbres environ quatre-vingt-cinq pieds de circonférence, ou près de trente pieds de diamètre. Jules Scaliger dit qu’on en a vu jusqu’à trente-sept pieds. »

« Ray cite encore le rapport des voyageurs qui ont vu au Brésil un arbre qu’il ne nomme pas, de cent vingt pieds de tour, c’est-à-dire, de quarante-cinq pieds de diamètre, & qu’on conserve religieusement à cause de son ancienneté. »

« Il est dit dans l’Hortus Malabaricus, que le figuier appelé Atti-Meer-Alou par les Malabares, a communément cinquante pieds de circonférence, ce qui fait environ dix-huit pieds de diamètre. Mais Pline en cite de beaucoup plus gros. Il dit, liv. 12, chap. 5, que la conquête des Indes par Alexandre, en fit connoître qui avoient pour l’ordinaire soixante pieds de diamètre. »

« Pline, au chap. 1 du même livre, parle d’un platane de plus de quatre-vingt pieds de diamètre, dans la cavité duquel Mudanus soupa & coucha avec vingt-une personnes. »

« Pline continue, en citant un autre exemple d’un platane sur lequel le Prince Caïus soupa avec quinze personnes de sa suite. »

« Kirker, dans sa Chine illustrée, cite un châtaignier, du mont Etna, qui étoit si gros que son écorce servoit de parc, pour enfermer, pendant la nuit, un troupeau entier de moutons, pecorum. »

« Nous ne devons pas passer sous silence ces arbres merveilleux, dont il est fait mention dans les dernières histoires de la Chine, quoi que nous n’en ayons pas beaucoup de détails. Le premier de ces arbres se trouve dans la province de Suchu, près de la ville de Kien ; il s’appelle Siennich, c’est à-dire, arbre de mille ans : il est si vaste, qu’une seule de ses branches peut mettre à couvert les moutons. On ne dit pas le nom du second ; il croît dans la province de Chekiang : il y en a de si gros, que quatre-vingts hommes peuvent à peine en embrasser le tronc, qui a, par conséquent, environ quatre cens pieds de circonférence, ou cent trente pieds de diamètre. »

« Quand même ces divers faits, dont on auroit peine à citer un plus grand nombre d’exemples aussi avérés, n'auroient pas une exacte précision, ils ne peuvent néanmoins laisser aucun doute sur l’existence de certains arbres d’une grosseur qui paraît si disproportionnée à celle des arbres actuellement existans en Europe ; & ces baobabs, de vingt-sept pieds de diamètre, que j’ai vus au Sénégal, & ceux de trente à trente-sept pieds, qui ont été vus par tant d’autres voyageurs en Afrique, suffisent, ce me semble, pour constater la possibilité de l’existence des platanes de quatre-vingt-un pieds, cités par Pline, & peut-être des arbres de cent trente pieds vus en Chine. »