Cours d’agriculture (Rozier)/FÉCONDATION

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Hôtel Serpente (Tome quatrièmep. 448-458).


FÉCONDATION, Botanique. Terme employé en botanique pour désigner l’art par lequel les plantes conçoivent & se reproduisent.

Tous les êtres animés sont sortis des mains de l’auteur de la nature, avec la propriété singulière de se perpétuer. Chaque individu, doué de cette portion de puissance créatrice, tantôt en jouit indépendamment d’un autre individu, tantôt, ne pouvant se suffire à lui même, il retrouve, dans un autre de son espèce, tout ce qui est nécessaire pour remplir les vues du souverain conservateur. Ainsi, la multiplicité des individus assure la conservation des espèces. Combien souvent le mélange d’espèces différentes n’en a-t-il pas fait voir de nouvelles !

La génération animale & la fécondation végétale ont de tous temps piqué la curiosité de tous ceux qui, non contens d’admirer les merveilles de la nature, osent entrer dans son sanctuaire & ne craignent point de l’y interroger. Mais jusqu’à présent la nature a paru se refuser à nos recherches : on a bien découvert à peu-près par quel moyen elle remplissoit cette importante opération. On a fait, jusqu’à un certain point, l’anatomie parfaite des organes qui sont employés dans les deux règnes ; mais ce qui annonce que nous n’avons pas découvert encore & saisi le vrai point, c’est le grand nombre de systèmes qui ont été imaginés pour expliquer le mystère de la génération animale & végétale : presque tous vraisemblables, ils semblent rendre raison de la plus grande quantité des phénomènes ; mais combien de fois la nature si féconde & si variée n’échappe-t-elle pas à nos solutions & n’offre-t-elle pas des faits constans qui démentent les théories les plus ingénieuses. Nous ne nous occuperons ici que de la fécondation botanique.


Travail sur le mot Fécondation.


§ I. Les deux sexes reconnus dans les plantes.

§ II. Description des Anthères ou parties mâles.

§ III. Description des parties femelles.

§ IV. Différens Systêmes imaginés sur la Fécondation végétale.

§. V. l’embryon existe dans l’ovaire avant la Fécondation ; Preuves.

§. VI. La Fécondation végétale se sait par simulation.

§. I. Les deux sexes reconnus dans les plantes.

Au mot Arbre nous avons établi la différence des sexes dans le régne végétal, & depuis très-long-temps l’on avoit découvert que les plantes jouissoient d’une faculté de se reproduire, analogue à celle des animaux. Pline même & Théophraste avoient observé qu’il falloit le concours du palmier mâle pour féconder le palmier femelle. Les botanistes modernes ont fait grand nombre d’observations sur cet objet. Dès le seizième siècle, un botaniste polonois, nommé Zaluzianski, avoit très-bien distingué le sexe dans les végétaux, & reconnu que dans les uns il se trouvoit réuni, tandis qu’il étoit séparé dans les autres sur deux individus ; & l’exemple du palmier mâle & du palmier femelle sert de preuve & de démonstration à l’explication qu’il donne de la fécondation végétale. Camerarius, vers la fin du dix-septiéme siècle, fut encore plus loin, car il reconnut que les graines du mûrier, de la mercuriale, du maïs, ne mûrissoient point lorsqu’on avoit soigneusement enlevé les étamines ; ce qui ne lui avoit pas réussi sur le chanvre ; enfin, il parle des étamines comme des parties femelles de la plante. Cette précieuse découverte n’eut pas d’abord tout le succès qu’elle méritoit, & MM. Tournefort, Grev & Malpighi ne virent dans ces mêmes étamines que des vaisseaux excrétoires, propres à travailler & épurer les sucs qui devoient servir de nourriture au jeune fruit. Ce n’a été qu’au commencement de ce siècle que MM. Géoffroy, Vaillant, & sur-tout le Chevalier von Linné, ont reconnu pleinement le véritable usage des étamines & du pistil, & ce dernier a même établi son fameux système des plantes sur la disposition de ces parties mâles & femelles, qui paroissent absolument nécessaires pour la fécondation. Depuis ces savans observateurs, les expériences & les travaux des Gléditsch, de Juisseu, Bonnet, & Duhamel, n’ont fait que les confirmer. C’est une vérité fondamentale de botanique, qu’en général, dans toutes les plantes, l’organe de la reproduction réside dans le pistil & les étamines.

La description détaillée de ces parties devient donc absolument nécessaire pour l’intelligence de tout ce que nous allons dire ; & le rapport singulier que l’on remarque entre les parties de la génération des végétaux & celles des animaux, nous frappera d autant plus, que leur mécanisme nous sera mieux connu. L’imagination même, soutenue & animée par les brillans phénomènes de la nature, ne voit plus dans l’acte de la fécondation que l’hyménée des plantes ; la corolle s’arrondit & forme un palais où se célèbrent les noces, tandis que le calice est le lit conjugal, dans le sein duquel va se passer le grand mystère ; les étamines sont les parties mâles dont les filets sont les vaisseaux spermatiques ; les anthères, les testicules, & la poussière fécondante, la liqueur séminale ; tandis que le pistil devient la partie femelle, dont le stigmate est la vulve, le style le vagin, & le germe est l’ovaire.
§. II. Description des parties mâles.

L’anthère ou sommet de l’étamine, est, comme nous l’avons vu à ce mot, une petite bourse dans laquelle est renfermée la poussière fécondante. Que l’on jette les yeux sur la gravure qui l’accompagne, & l’on en remarquera facilement la forme, sur-tout dans les fig. 7 & 8, où l’on peut distinguer les grains de la poussière fécondante ; chacun de ces grains est lui-même une petite boîte qui renferme dans une espèce de vapeur ou de liqueur extrêmement subtile, & qui paroît huileuse, un nombre prodigieux de grains, d’une petitesse extrême, qui paroissent être les vrais agens de la fécondation. M. Needham a prouvé que ces petites boîtes sont organisées de manière que lorsqu’elles viennent à être humectées, elles s’ouvrent par un mouvement en quelque sorte spontané, & dardent au loin les grains avec la vapeur dans laquelle ils sont renfermés. M. Duhamel à soupçonné qu’elles étoient adhérentes, d’abord dans l’intérieur des anthères, par de très-courts pédicules ou cordons ombilicaux, si déliés, que le microscope n’a pu encore les découvrir ; dans le temps de la fécondation ces pédicules se brisoient & laissoient les grains de la poussière fécondante en liberté. M. Bonnet va encore plus loin, & d’après son ingénieux système de l’emboîtement des germes, il soupçonne que chacun des petits grains en contient d’autres plus petits, qui en renferment encore de plus tenus. Nous aurons lieu de revenir sur cette idée.

Plusieurs savans se sont occupés à découvrir de quelle nature étoit la poussière fécondante, & d’après plusieurs tentatives, il paroît résulter qu’elle est de nature huileuse & inflammable, puisqu’elle brûle à la flamme d’une bougie, comme une résine. Si on en écrase une certaine quantité dans un morceau de papier, il en sera bientôt imbibé comme d’une véritable huile. L’esprit de vin en tire une teinture légère, mais il ne la dissout pas ; enfin, la nature de la cire le prouve très-bien, & l’on fait que la cire brute n’est rien autre chose que la poussière des étamines, que l’abeille ramasse sûr différentes fleurs.

§ III. Description des parties femelles.

La structure du pistil n’est pas moins ingénieuse, & peut servir beaucoup pour nous conduire dans le labyrinthe où nous allons entrer. Voyez au mot Pistil, les dessins que nous en donnons, & comme les détails lui appartiennent naturellement, nous y renvoyons, en nous contentant seulement de faire observer ici que le pistil est un tube plus ou moins élevé, surmonté d’un stigmate qui représente exactement la vulve, puisqu’il est susceptible de s’entrouvrir, & laisser un passage à la poussière fécondante, qui, rencontrant cette ouverture toute formée au moment de la fécondation, ou l’obligeant de se développer en titillant & irritant les fibres végétales qui composent le stigmate, pénètre à travers, descend dans la cavité du tube, qui fait alors l’office des trompes de fallope, & va féconder le germe. Il est assez facile d’observer ces différentes parties : prenez une fleur de lis ou même de tulipe, tout y est plus apparent ; détachez les pétales & les étamines, afin d’isoler absolument le pistil ; si vous le considérez attentivement, vous remarquerez qu’il est surmonté d’un corps de forme triangulaire dans le lis, qui ressemble à la loupe un morceau d’éponge. Cependant ce stigmate renferme une ouverture, tantôt triangulaire, tantôt ronde, tantôt linéaire. Enfoncez au milieu une épingle & vous verrez bientôt l’ouverture se développer sous vos yeux, & vous offrir l’évasement d’un entonnoir. Si l’on coupe longitudinalement le pistil, on peut suivre cette ouverture depuis son orifice jusqu’à l’autre extrémité du pistil, & l’on peut remarquer qu’elle porte sur l’embryon placé dans l’ovaire.

Lorsque le pistil est trop petit, il est très-difficile de découvrir & l’ouverture & la cavité intérieure. Il est cependant de fait que quelques pistils, même assez gros, ne paroissent point tubulés, comme l’a très-bien observé M. Adanson. Sans doute la nature a imaginé, dans ces cas, un moyen de propager l’action de la poussière fécondante jusqu’au germe ; peut-être encore cette action est-elle analogue à celle par laquelle elle féconde les embryons de certaines plantes indépendamment des étamines. Au mot Pistil, nous ferons observer les variétés que les pistils offrent pour leur forme & leur situation ; nous n’en avons pas besoin ici, il suffit que nous sachions, en général, ce que c’est que la poussière fécondante & le pistil.

§. IV. Divers Systèmes sur la Fécondation végétale.

D’après la connoissance & la description des organes mâles & femelles des plantes, on a imaginé différens systèmes sur la fécondation. On peut, en général, les ranger sous trois classes. Les uns veulent que les embryons préexistent dans l’ovaire ; d’autres, qu’ils résident & appartiennent à la poussière fécondante ; & les troisièmes, enfin, qu’ils n’engendrent dans l’ovaire, par le concours des principes fécondans mâles & femelles. On sent facilement que ces trois systèmes sont nés des trois systèmes principaux discutés pour la fécondation animale.

Dans le premier, on considère l’embryon comme existant tout formé dans l’ovaire de la femelle, mais dans un état d’engourdissement, de sommeil & même de mort ; qui attend, pour vivre, que la liqueur séminale, ou la poussière fécondante du mâle vienne le stimuler, le réveiller, & lui inspirer le souffle de la vie. Ainsi le poulet existe dans l’œuf, indépendamment du mâle ; de même l’embryon, le germe végétal existe dans l’ovaire à la base du pistil, indépendamment des étamines.

C’est tout le contraire dans le second système. Le mâle seul jouit de la faculté productrice, & la femelle n’est que le moule dans lequel le germe se façonne & reçoit les premiers élémens de la vie ; c’est alors la liqueur séminale des mâles, & la poussière fécondante des étamines, qui renferment les individus qui vont naître.

Le troisième système naît de réunion de tous les deux, & le mâle & la femelle concourent également à la fécondation commune. Ce système le plus ancien & le plus admis jusqu’à présent, croit que le fœtus est le résultat de la combinaison des liqueurs séminales du mâle & de la femelle, & que de cette espèce d’amalgame l’animal est produit. Dans les plantes pareillement, on suppose que le pistil ou plutôt l’ovaire renferme un principe, qui combiné & mélangé avec celui de la poussière fécondante, forme un mixte, un embryon. Ce fameux système qui paroît, au premier abord, le plus conforme aux loix simples de la nature, a eu de très-grands défenseurs, & les molécules organiques n’ont pas peu contribué à le faire valoir. Il est vrai que l’existence de ces molécules organiques mâles & femelles, qui s’accrochoient dans l’utérus pour former un animal ou une plante, n’ayant pas été démontrée avec assez d’évidence, on a abandonné depuis longtemps cette preuve si séduisante.

§. V. l’embryon existe dans l’ovaire avant la Fécondation ; preuves.

Les fécondations naturelles étoient un fait démontré aux yeux des observateurs les moins accoutumés aux phénomènes de la nature. Mille observations confirmèrent cette vérité, & démontrèrent ensuite la possibilité des fécondations artificielles. On connoît l’observation de MM. de Jussieu & Duhamel, sur un arbre de térébinthe femelle, qui ne produisit pendant long-temps que des semences infécondes, & qu’ils parvinrent à faire fructifier utilement en approchant pendant la fleuraison un arbre de térébinthe mâle. Qui ignore que M. Gleditsch, voyant dans le jardin royal de Berlin un palmier femelle, que l’on y élevoit depuis plus de quatre-vingts ans, & qui n’avoit jamais porté de fruit, parce qu’il n’y avoit point de palmier mâle, ne pouvant se procurer l’arbre lui-même, imagina de faire venir une certaine quantité de la poussière de ses étamines, & la sema sur les fleurs femelles de ce palmier. Le succès couronna cet essai ; & quoique la poussière qu’il employa eût été neuf jours en route, les fleurs fécondées produisirent des fleurs qui donnèrent des semences fécondes. Mais la manière dont ces fécondations s’opéraient, n’en étoit pas moins enveloppée d’un voile épais. M. l’Abbé Spallanzani un des plus fameux observateurs de ce siècle, cherchant quelques vérités à travers les obscurités que ceux qui l’avoient précédé avoient semées dans cette carrière, a éclairci jusqu’à un certain point ce grand mystère, & a fait connoître où & dans quel temps se formoit l’embryon. Nous ne nous attacherons qu’à les recherches qui regardent le règne végétal. Un des moyens les plus certains qui devoient le conduire à la vérité, étoit d’examiner soigneusement l’état de l’ovaire des plantes avant la fécondation, lorsque les fleurs sont encore fermées ; dans le moment où elle s’exécute, lorsque la corolle est ouverte, & après cette époque, lorsque les pétales sont tombés. Et en effet, s’il est prouvé que l’embryon existe dans l’ovaire avant la fécondation, il sera également démontré qu’il appartient à la femelle, & qu’il n’a besoin que d’un stimulant pour vivre. Si, au contraire, il ne paroît qu’à l’époque de la fécondation ou même après, il y aura tout lieu de croire qu’il appartient au mâle, ou du moins qu’il doit son existence aux deux principes réunis. Ces recherches demandoient des expériences délicates & un observateur aussi exact, aussi scrupuleux qu’accoutumé à bien voir, & M. l’Abbé Spallanzani jouit éminemment de toutes ces qualités.

Ce savant fit ses premières observations sur une plante de cette espèce de genêt que Linné a nommé spartium junctum, genêt d’Espagne. En examinant les boutons long-temps avant qu’ils soient épanouis, on distingue les pétales repliés sur eux-mêmes, & recouvrant les organes de la génération ; les anthères sont à la vérité garnis de la poussière fécondante, mais elle n’est pas à son état de maturité. À la base du pistil est une espèce de silique, qui est proprement l’ovaire, & qui n’a environ qu’, de ligne de longueur. Cette silique est remplie de petits grains ronds, logés dans autant d’enfoncemens particuliers, & retenus par une espèce de pédicule ; ce sont les semences futures, mais elles ne contiennent ni enveloppe extérieure ni lobes intérieurs ; ce n’est qu’une substance spongieuse semblable à une gelée un peu raffermie. Voilà donc les semences existantes long-temps avant la fécondation.

Peu de temps avant l’épanouissement, toutes les parties sexuelles sont plus grosses & plus aisées à distinguer ; mais les petites semences ne sont pas plus avancées, & elles n’offrent ni les lobes ni la plantule. Ce ne fut qu’après la chute des pétales, qu’elles commencèrent à prendre la forme d’un cœur, & à offrir une petite cavité pleine d’une goutte de liqueur mobile. Au vingt-unième jour cette cavité avoit pris beaucoup d’accroissement, & s’étoit avancée vers la base du cœur ; au vingt-cinquième, elle étoit plus grande encore, & montroit un petit corps bleu, gélatineux, à demi-transparent, attaché par ses deux bouts aux parois de la cavité ; au trentième, la semence n’avoit plus la forme d’un cœur, mais celle d’un rein ; le petit corps contenu dans la cavité étoit plus grand, moins diaphane, moins gélatineux, mais nulle apparence encore d’organisation. Ce ne fut qu’au quarantième que le petit corps parut enveloppé d’une membrane subtile, un peu visqueuse ; il remplissoit toute la cavité, & on pourroit le diviser facilement en deux portions, qu’on reconnoissoit pour être les lobes, & entr’eux on appercevoit la plantule ; enfin, ces lobes & leur membrane subtile étoient entourés d’une espèce de peau qui formoit la partie extérieure de la semence.

D’après ces observations de M. l’abbé Spallanzani, on voit, 1°. « que les semences du genêt d’Espagne existent dans l’ovaire plusieurs jours avant la fécondation ; 2° qu’elles restent quelque temps sans apparence d’organisation, puisqu’il se forme dans leur intérieur une cavité pleine de liquide ; 3°. qu’après la fécondation, l’on voit paroître dans cette cavité un petit corps attaché à ses parois, qui grossit tous les jours ; & enfin montre les deux lobes & la plantule ; 4°. enfin, que la semence parvenue à sa maturité est composée de ces deux lobes, enveloppés d’une membrane subtile, laquelle est recouverte par une sur-peau. »

Les embryons ne se manifestent donc qu’après la chute des fleurs, & par conséquent après la fécondation, quoique les petites semences, ou pour mieux dire, leurs enveloppes, apparaissent assez long-temps auparavant.

Il faut avoir grand soin dans tout ceci, de ne pas confondre l’embryon & la semence ; la semence est l’enveloppe, l’œuf qui renferme L’embryon.

Les fleurs des fèves, des pois, des haricots, celles du raifort, du pois chiche, de la citrouille & de quantité d’autres, ont offert le même ordre de développement, & par conséquent la même conclusion.

M. Duhamel avoit reconnu pareillement la préexistence des semences à la fécondation, car suivant lui, les semences sont fécondées dans l’intérieur des poires, c’est-à-dire, dans l’ovaire.

Il sembloit donc démontré que L’embryon ne paroissoit qu’après la fécondation, &, à s’en rapporter aux apparences, M. Spallanzani pouvoit conclure que ces embryons ne s’étant jamais montrés dans l’ovaire qu’après l’action de la poussière des étamines, ils dépendoient directement de cette action, & que préexistans dans cette poussière, ils s’insinuaient dans l’ovaire au moment de la fécondation, & alloient se placer dans la semence. Cette conclusion, en apparence si naturelle, si elle étoit vraie, devoit être confirmée par l’analyse de cette poussière, dans laquelle on auroit dû trouver les embryons ; mais les recherches les plus exactes de cet auteur sur la poussière fécondante, ne lui offrirent absolument rien de satisfaisant, & il ne trouva rien à l’extérieur des globules des étamines qui ressemblât à ce qu’il cherchoit ; & dans leur intérieur, il ne distingua que cette vapeur oléagineuse, que tous les naturalistes connoissent, & dont nous avons parlé plus haut.

Il ne restoit plus qu’un moyen à M. Spallanzani, de s’assurer de la préexistence des embryons à la fécondation ; c’étoit de s’assurer si des fleurs que l’on empêcheroit d’être fécondées par le retranchement des anthères, présenteroient également des embryons développés dans l’ovaire ; car il est évident que, si ce développement avoit lieu, les embryons n’appartiennent alors qu’à l’ovaire & non aux étamines. En conséquence, il a fait des expériences sur des fleurs de trois genres différens ; 1° plantes, fleurs, étamines & le pistil unis ensemble ; 2°. fleurs dont les parties mâles & femelles sont séparées sous un même individu ; 3°. fleurs dont les parties sont séparées, mais sur différens individus.

2°. Il choisit, pour la première classe, le petit basilic, & il coupa toutes les anthères des étamines ; & quoiqu’il n’y eût aucune fleur de cette espèce dans tout le voisinage, les semences des fleurs mutilées se développèrent & mûrirent à l’ordinaire, comme si elles avoient été fécondées. Ce succès singulier fit craindre à M. Spallanzani, qu’au moment où il avoit coupé les anthères, il ne se fut répandu quelques grains de poussière sur le pistil ; il répéta l’expérience, & fit l’amputation des anthères sur quatre-vingt-deux boutons de fleurs, assez éloignés de l’époque de leur épanouissement. Aussi le résultat fut-il un peu différent ; presqu’en tiers de ces boutons mutilés périrent avant la maturité des semences ; dans d’autres, elles restèrent petites & mal conformées, il n’y eut guères que vingt-cinq boutons dont les semences acquirent le volume & la maturité ordinaires. On y reconnut les lobe, & la plantule, mais quand on les sema en terre, elles n’y germèrent point. On pourroit tirer de là cette conséquence directe, que le succès du développement des embryons, dépend en grande partie de l’action fécondatrice de la poussière des étamines ; mais que néanmoins elle n’est ni le véhicule ni l’auteur de ces embryons.

2°. Les fleurs de la courge, du cucurbite milopepo fructu clypeiformi, lui servirent de sujet d’expériences pour les plantes de la seconde classe. Il sema de la graine de ces plantes ; à mesure que les fleurs mâles paroissoient il les coupa, & ne laissa sur chaque pied que deux fleurs femelles ; malgré cette précaution ces fleurs se développèrent très-bien, les fruits grossirent & mûrirent dans le temps ordinaire ; les semences bien constituées & bien conformées, mises en terre, germèrent, & qui plus est, fournirent des plantes qui donnèrent à leur tour des semences aussi fécondes que les premières. Voilà donc une espèce de plante dans laquelle il est bien sûr que la fructification ne dépend aucunement de la poussière fécondante. Les fleurs de l’espèce de courge commune nommée cucurbite trullus, se trouvèrent également fécondes malgré l’amputation exacte des fleurs mâles.

2°. Les plantes à individus mâles & à individus femelles, le chanvre, l’épinard des jardins, & la mercuriale, furent essayées pareillement.

Camerarius avoit déjà observé que le chanvre femelle, quoi qu’absolument isolé du chanvre mâle, portoit des semences fécondes ; M. Spallansani, pour écarter absolument tout doute, sema des grains de chanvre au mois de novembre, soigna pendant tout l’hiver les plantes qui en provinrent, & au printemps, les plaça sur sa fenêtre où elles continuèrent à croître. Il jeta les individus mâles à mesure qu’il les reconnut ; les fleurs femelles s’épanouirent plus d’un mois avant que le chanvre semé dans les campagnes ne fleurît ; ainsi, il n’y avoit point à craindre qu’il pût arriver des poussières d’étamines étrangères qui jetassent du doute sur les résultats ; cependant ces fleurs produisirent des semences fécondes. Les épinards des jardins présentèrent les mêmes phénomènes : voilà donc deux espèces de plantes qui n’ont pas besoin du secours de la poussière des étamines pour le développement des embryons ; il n’en est pas de même de la mercuriale : M. Spallanzanì observa que la poussière des étamines est absolument nécessaire pour la fécondation de cette espèce de plante.

De toutes ces expériences, ce savant observateur conclut que, malgré les phénomènes que présente la mercuriale & quelques autres plantes, on doit regarder comme une vérité assurée, que dans un grand nombre de plantes les embryons se développent, & les semences se forment sans la participation de la poussière des étamines ; & comme il n’y a point de véritable génération dans les règnes organiques, que tout ce qui est, préexistoit au développement, il faut croire que les plantes dont les semences ne se forment pas sans la participation de la poussière des étamines, ne restent stériles que parce qu’il leur manque la condition nécessaire pour le développement des embryons ; de même que les œufs non fécondés restent stériles, quoique préexistans dans l’ovaire. Une autre conséquence de ces faits, c’est que les embryons n’appartiennent point à la poussière des étamines ; ils appartiennent donc à l’ovaire qui est leur siège naturel. Enfin, une troisième conséquence, non moins importante, c’est que l’embryon n’est pas le résultat de deux principes, l’un dépendant de la poussière des étamines, l’autre des pistils ; car une multitude de semences sont fécondes malgré l’amputation des parties sexuelles mâles.

Ces conclusions sont d’autant plus justes, qu’elles sont en rapport avec celles que MM. Bonnet & Spallanzani ont tirées des très-nombreuses observations qu’ils ont faites sur le règne animal, où ils ont remarqué que le fœtus préexiste à la fécondation. Une grande ressemblance que l’on retrouve encore entre ces deux règnes à ce sujet, c’est que quelques plantes se fécondent par le secours des étamines, tandis que d’autres sont fécondes par elles-mêmes ; il y a de même parmi les animaux, des hermaphrodites au sens le plus étroit, puisqu’ils se suffisent à eux-mêmes, comme les pucerons, les polypes, les animalcules des infusions ; & d’autres qui ont besoin du secours des deux sexes, comme tous les grands animaux.

§. VI. La Fécondation se sait par simulation & nutrition.

Il est clairement démontré, d’après tout ce que nous avons rapporté de M. Spallanzanni, que l’embryon existe dans l’ovaire dans les trois classes de plantes ; que cet embryon reçoit une vie, qu’il se développe, forme la semence, & devient en état de se reproduire lui-même en donnant naissance à une plante féconde. Nous avons vu que pour certaines plantes, & peut-être le plus grand nombre, l’action de la poussière fécondante étoit nécessaire à ce développement, tandis que dans quelques-unes elle n’est nullement nécessaire ; mais comment s’opère ce mystère ? Nous ne pouvons pas assurer que l’on l’ait découvert ; les preuves que nous avons données que l’embryon existe dans l’ovaire avant la fécondation, sont déjà un grand pas fait dans ce labyrinthe, & les conjectures de M. Bonnet nous paroissent si vraisemblables, que nous ne craignons pas de les adopter ici, sur-tout pour les plantes qui ont besoin du concours de la poussière fécondante. Cette poussière contient un fluide séminal, un vrai principe de vie, végétal, qui doit animer le germe renfermé dans l’ovaire. On peut se représenter ce germe & toutes les parties qui doivent un jour se développer, comme extrêmement concentrés, pliés & repliés sur eux-mêmes, & entrelacés les uns dans les autres avec un art infini. Dans cette idée, la fécondation ne formera rien, mais elle occasionnera le développement de tout ce qui étoit déjà formé. Pour cela, il ne faut que deux choses, l’une qui donne une première impulsion un premier mouvement à toutes ses parties, & qui par conséquent ait une force expansive assez considérable pour surmonter la résistance qu’oppose l’inertie ; l’autre, que ce même principe expansif puisse être lui-même un principe d’accroissement & de nutrition. Or, le fluide séminal renfermé dans la poussière fécondante réunit ces deux objets ; la nature le rapproche, comme nous l’avons vu, de la matière inflammable, & dès lors il contient un principe très-actif & d’une énergie singulière ; il doit donc agir avec une très-grande force. D’un autre côté, l’accroissement & la nutrition, (voyez ces mots) ne s’opèrent que par le dépôt des parties propres ; le fluide séminal doit produire le même effet par son interposition entre les mailles des parties de l’embryon. D’après cela, voici comme on peut concevoir la fécondation. L’embryon est dans l’ovaire, dans une espèce d’inertie totale & privé de son mouvement vital, mais il a tout ce qu’il lui faut pour jouir de ce mouvement ; le fluide séminal, parvenu jusqu’à lui à travers le pistil, lui imprime une première impulsion qui détruit son état d’inertie ; pénétrant ensuite dans l’intérieur même de l’embryon, il en écarte toutes les parties ; ce second mouvement en tout sens le dispose à recevoir la nourriture moins subtile & moins élaborée que la plante va lui fournir ; le fluide séminal lui-même se fixe dans les mailles de l’intérieur de l’embryon, & devient son principe de vie, soit par sa nature, soit par le mouvement qu’il lui a communiqué. Si par hasard les plantes étoient douées d’une certaine irritabilité ; (ce principe qui anime l’animal) si, comme l’observe très-bien M. Bonnet, cette force constitue chez lui, comme chez l’animal, la puissance vitale, le fluide subtil de la poussière des étamines produiroit dans le germe du végétal les mêmes effets essentiels que la liqueur spermatique dans le germe de l’animal ; il y exciteroit & y accroîtroit l’irritabilité, & par elle l’impulsion des liqueurs, dont résulteroit en dernier ressort l’évolution complète du tout organique.

Cette explication de la fécondation par stimulation & nutrition peut paroître vraisemblable dans les plantes ou la poussière des étamines semble concourir directement ; mais nous l’avouons, il paroît difficile de l’appliquer à celles dont les semences se développent & deviennent fécondes sans leur ministère. Les connoissances que l’on a acquises sur ces objets, ne sont pas encore assez étendues pour oser prononcer. Cependant dans ces mêmes plantes, l’embryon préexiste dans l’ovaire ; quel sera le principe de son évolution ? où réside-t-il ? & quand agit-il sur lui ? Suivant Spallanzani, il ne seroit pas impossible qu’il le fût par quelque principe séminal qui résideroit dans le pistil même. Il rapporte que ce soupçon doit son origine à l’observation qu’il a faite d’une espèce de poussière qui siégeoit sur le stigmate du pistil de quelques plantes, avant que celle des étamines eût sa maturité. M. Koelventer l’avoit aussi apperçu, & croyoit s’être assuré que cette poussière avoir un caractère analogue à celle des étamines ; mais il n’a point fait d’expériences ultérieures. Qu’il seroit intéressant qu’on en fît de suivies sur toutes les plantes auxquelles la poussière des étamines seroit inutile ! Cela répandroit le plus grand jour sur ce mystère.

On peut féconder artificiellement une plante en répandant sur son pistil, la soufrière de ses étamines ; mais on peut encore répandre sur son pistil la poussière des étamines d’une autre plante, ou de son espèce ou d’une espèce différente, & alors, quand la fécondation a lieu, il naît une nouvelle plante à laquelle on a donné le nom d’hybride, qui assez souvent tient des deux. La plante hybride est dans le règne végétal, ce que le mulet est dans le règne animal. Nous parlerons, au mot Hybride, de cette fécondation singulière, de la manière de la faire, de ses effets & des observations qui y ont rapport. (V. Hybride) M. M.