Cours d’agriculture (Rozier)/FAISAN, FAISANDERIE

La bibliothèque libre.
Hôtel Serpente (Tome quatrièmep. 424-432).


FAISAN, FAISANDERIE. M. von Linné nomme le faisan phasianus ou oiseau des bords du Phase. C’est une espèce de coq sauvage qui se tient dans les bois, se nourrit de glands, de baies, de grains, de semences & d’insectes. La femelle se nomme Poule Faisane ou Faisande. Le faisan s’accouple avec nos poules ordinaires. Les Argonautes, après leur expédition à Colchos, rapportèrent cet oiseau en Grèce.

Section première.

Du Genre & des Espèces de Faisans.

Du genre. L’extrémité inférieure des pattes est garnie de quatre doigts dénués de membranes, trois devant, derrière, tous séparés environ jusqu’a leur origine ; les jambes couvertes de plumes jusqu’au talon ; Le bec en cône courbé, la tête dénuée de membranes charnues, les pieds nuds, la queue longue.

Des espèces. 1. Faisan ordinaire… Phasianus vulgaris, Lin. Il est à peu près de la grosseur d’un chapon. Les vieux faisans ont le bec blanchâtre, avec une membrane charnue, élevée des deux côtés, couvrant, pour ainsi dire, les narines. Les yeux ont l’iris jaune ; l’œil est entouré d’une large pièce couleur d’écarlate, mouchetée de petites taches noires sur le devant de la tête, & à la base de la mâchoire du bec ; les plumes sont noires avec une espèce de lustre pourpré ; le dessus de la tête & le dessous du cou sont ornés d’un vert obscur & reluisant comme de la soie ; le dessus de la tête est plus clair ; autour des oreilles, des plumes s’avancent en dehors ; les plumes du cou & celles de la gorge sont d’un pourpre luisant ; sous le menton & au coin de la bouche il y a des plumes noires bordées de vert ; le reste du cou au-dessous du vert est de même couleur que la poitrine ; les épaules, le milieu du dos & les côtés, au-dessous des ailes, sont couverts de belles plumes, dont les bouts sont noirs, & les bords teints d’une belle couleur qui paroît être noire ou pourprée, selon les rayons de lumière. Immédiatement après le pourpre de chaque plume, on distingue en travers, une ligne ou une couche d’or ; au-dessous de l’or est un jaune brillant qui s’étend aussi bas que le fond noir ; la couleur d’or ne se trouve pas immédiatement près du jaune ; elle est séparée par une ligne étroite & intermédiaire d’une espèce de pourpre luisant ; au bas du cou & sur le côté, on voit aux extrémités des plumes, une tache noire en forme de parabole : les dards ou flèches de toutes les plumes sont d’un jaune luisant. L’oiseau est entièrement bigarré de ces couleurs, tantôt plus obscures, tantôt plus claires. Les jambes, les pieds, les doigts, les serres, sont de couleur de corne : les doigts sont liés jusqu’à un certain point, par une membrane épaisse, ce qui ne se trouve dans aucun des oiseaux qui ne prennent point l’effort.

Le plumage de la femelle ressemble à celui de la perdrix ; elle est moins grosse que le mâle.

Les faisans se perchent pendant la nuit dans les hautes-futaies, & pendant le jour dans les taillis ; la femelle fait son nid à terre dans le fourré des buissons.

2. Faisan rouge de Chine. C’est le plus beau de tous les faisans ; il est huppé, son plumage doré, citron, couleur d’écarlate, d’éméraude, bleu céleste, brun jaune ; toutes ces couleurs qui tranchent les unes sur les autres, font un très-agréable mélange ; il porte une belle & longue queue. La femelle est plus petite que le mâle & son plumage moins richement varié.

3. Le faisan blanc de Chine est plus gros que le faisan commun ; le sommet de la tête est couvert de longues plumes noires, ayant un lustre de pourpre ; elles pendent au-dessus du col & forment une espèce de huppe ; celles du dos, du croupion, de la couverture des ailes, du dessus de la queue & des côtés du col, sont variées de trois à quatre lignes ; la gorge, la partie inférieure du col, la poitrine, le ventre, les côtés, les couvertures du dessous de la queue, sont d’un noir ayant un lustre de pourpre ; les plumes des ailes & celles de la queue sont blanches & rayées obliquement de noir. La femelle est plus petite ; les plumes du col, de la poitrine, du dos, du croupion, de la couverture des ailes, du dessus de la queue sont d’un brun tirant sur le roux ; le reste, en général, est d’un blanc sale, mêlé confusément de brun, & varié de bandes transversales noires.

4. Le faisan couronné des Indes. Il est presque aussi gros qu’un paon ; la tête, le col, le ventre, la poitrine, les côtés, les jambes & les couvertures du dessus de la queue sont d’un cendré bleu. La tête est ornée d’une belle huppe de la même couleur ; le dos, le croupion, les couvertures du dessus de la queue, & les plumes scapulaires sont d’un cendré foncé, mêlé d’un peu de marron pourpré à la partie supérieure du dos, & aux plumes scapulaires. Les plumes de l’aile sont d’un cendré bleu foncé & noirâtre ; celles de la queue de la même couleur ; mais leur bout est d’un cendré plus clair ; il y a de chaque côté de la tête, une tache noire oblongue dans laquelle l’œil est placé.

Il existe encore plusieurs autres espèces de faisans ; mais comme on ne les élève pas en Europe, il est inutile d’en parler : on peut à ce sujet consulter l’Histoire naturelle de M. de Buffon.

Section II.

De la Faisanderie.

Le faisan autrefois si rare dans nos provinces septentrionales, y est devenu très-commun ; les forêts commencent à en être peuplées, & on en trouve dans presque tous les parcs des grands seigneurs ; bientôt ils seront aussi nombreux que les lièvres & les perdrix. Par quelle fatalité faut-il que la sensualité & les plaisirs des grands soient onéreux à leurs vassaux ! s’ils deviennent plus nombreux, il sera inutile d’ensemencer les terres. La perdrix se contente de couper les premières feuilles du blé lorsqu’il pousse ; mais le faisan arrache le grain & le mange, & les champs voisins des bois sont bientôt dévastés. Il ne manquoit plus que cette calamité pour mettre le comble à la misère des habitans des terres limitrophes de celles des grands seigneurs.

Je n’ai jamais élevé de faisans, il faut donc parler d’après les autres.

« La faisanderie, (Diction. Encyclop.) est un lieu où l’on élève familièrement des faisans ; elle doit être un enclos de murs assez hauts pour n’être pas insultés par les renards, & d’une étendue proportionnée à la quantité de gibier qu’on doit élever : dix arpens suffisent pour en contenir le nombre dont un faisandier peut prendre soin ; mais plus une faisanderie est spacieuse, meilleure elle est ; il est nécessaire que les bandes du jeune gibier qu’on élève, soient assez éloignées les unes des autres pour que les âges ne puissent se confondre. Le voisinage de ceux qui sont forts est dangereux pour ceux qui sont foibles : cet espace doit-être d’ailleurs disposé de manière que l’herbe y croisse dans la plus grande partie, & qu’il y ait un assez grand nombre de petits buissons épais & fourrés pour que chaque bande en ait un à portée d’elle ; ce secours leur est nécessaire pendant le temps de la grande chaleur. »

Si on désire travailler moins en grand, on peut former par des murs ou avec un treillage en fil de fer, un quarré de trente à cinquante pieds sur toutes les faces, & tout le tour du bas de cette enceinte, sera garni en dedans de petites loges, chacune d’un pied & demi en tout sens, séparées les unes des autres par des cloisons, & fermées d’un treillis de fil de fer ou de filets de pêcheurs, ou simplement de bâtons gros d’un doigt, éloignés d’un pouce & demi ; chaque loge aura ses deux augets pour la mangeaille & l’eau de la faisane qu’on y mettra pour pondre & y couver. Les loges doivent être à l’abri des injures de l’air, par une bonne planche ou autre couverture. Les nids doivent être garnis de bonne paille ou de foin.

Pour peupler la faisanderie, il faut prendre de jeunes faisans de l’année ; ils s’apprivoisent bien mieux que les vieux ; les choisir gros & bien emplumés, bien éveillés ; un mâle suffit pour deux femelles & en tel nombre qu’on voudra les mettre dans la volière ; ne les y point laisser manquer de nourriture, & les visiter souvent afin de les accoutumer à être moins farouches. La faisane ne fait qu’une ponte par an, environ de vingt œufs. (Maison rustique).

Dans les endroits exposés aux chats, aux fouines, &c. on couvre les parquets d’un filet : dans les autres, on se contente d’éjointer les faisans pour les retenir. Éjointer, c’est enlever le fouet même d’une aile, en serrant fortement la jointure avec un fil ; il faut que ce qui fait séparation entre deux parquets, soit assez épais pour que les faisans de l’un ne voyent pas ceux de l’autre ; on peut à cet effet employer des roseaux ou de la paille de seigle ; la rivalité troubleroit les coqs, s’il se voyoient. On nourrit les faisans dans un parquet, comme les poules, dans une basse-cour, avec du blé, de l’orge, &c.

Section III.

De l’éducation des Faisans.

Cet article va être pris dans le Journal Économique du mois de Novembre 1771.

« I. Objet de la ponte. Au premier mars ou le 15 au plus tard, il faut s’occuper de mettre à part les poules que l’on destine pour pondre ; celles de deux ans sont préférables à celles qui n’en ont qu’un : on peut les garder jusqu’à trois ou quatre années dans l’intention de faire couver chaque année les œufs ; mais passé ce temps il faut songer à en avoir d’autres. »

» On a soin de choisir pour la ponte, celles qui sont en meilleur état ; ce qui se connoît à leurs plumes bien lisses & à la vivacité de l’œil. »

» On donne depuis cinq jusqu’à sept poules au même coq ; (& non pas seulement deux, comme il est dit plus haut ;) celui qui est le plus foible de corps, pourvu qu’il soit bien portant & l’œil vif, est toujours préférable. »

» On observera lorsqu’une fois les poules sont avec le coq, de ne point le laisser communiquer avec les poules d’un autre parquet : les faisans avant le premier mars, sont tous ensemble dans la faisanderie. »

II. « Nourriture pour échauffer les poules. Dès qu’elles sont mises dans le parquet où l’on veut qu’elles pondent, il faut, pour les échauffer, substituer le blé à l’orge qu’on leur donnoit pour nourriture ; si on veut les hâter encore davantage, on donnera un peu de chenevis & même quelques œufs durs hachés ; il faut cependant prendre garde de ne pas donner trop de chenevis, une poignée tout au plus tous les jours suffit à chaque parquet. » (Cette précaution démontre que nos provinces septentrionales sont un peu trop froides pour les faisans, & qu’ils réussiroient beaucoup mieux dans celles du midi ; en Corse le faisan multiplie très-bien dans les bois, sans qu’il soit nécessaire de veiller à sa nourriture). (Note de l’Éditeur.)

III. De la ponte. « Environ du 15 au 20 avril les poules commencent à pondre ; matin & soir on a soin de lever leurs œufs ; l’heure de la ponte la plus forte est vers les deux heures après-midi ; il faut avoir soin de ne pas les troubler, & qu’il n’y ait que celui qui les soigne qui en approche pendant ce tems ; une poule pond quelque fois deux jours de suite, mais ordinairement de deux jours l’un. Lorsqu’elle est dans le fort de sa ponte qui peut aller de douze à seize œufs, & qui dure environ un mois, il y a une reponte, c’est-à-dire, qu’une poule, après avoir pondu son premier nombre d’œufs, huit ou dix jours après, pond encore quatre ou cinq œufs, & quelquefois plus. »

On observera, à mesure que l’on ramassera les œufs, de les mettre dans un baquet ou autre vaisseau rempli de son, & que le lieu ne soit ni trop humide ni trop sec. »

» Si l’on voit le coq s’acharner plus particulièrement, comme il arrive quelquefois à une poule, & qu’elle vienne à avoir le croupion écorché, il faut frotter la plaie avec un peu de beurre, & prendre un petit linge auquel l’on fera deux ouvertures, par lesquelles passeront ses ailes ; le reste du linge tombera sur le croupion, il faut qu’il le dépasse d’un bon pouce. »

IV. Choix des couveuses. « Plus une poule est légère, meilleure elle est pour la sureté des œufs qu’on lui confie ; le nombre peut aller de douze à quinze, suivant qu’on voit qu’elle les tient facilement : il faut avoir soin de prendre des poules qui ne fassent que commencer à vouloir couver, ce qui se voit à l’état de leur ventre. On doit encore avoir attention de choisir les plus douces ; une bonne poule doit tenir ses œufs, se laisser approcher, & si on la touche, donner son bec sans le lever ; son cri doit être sourd & enroué : ce qu’on appelle glousser ; un cri aigu marque une poule qui n’a pas la volonté de couver. »

V. Couverie. « Ce lieu doit être retiré, tel qu’une écurie, ni trop chaud ni trop froid ; il faut en clorre les fenêtres ; plus il y fait sombre, plus les poules y restent tranquilles. Il faut, un jour ou deux avant de donner les œufs des faisans aux couveuses, les établir dans la couverie, & leur donner trois ou quatre œufs de poules, que l’on met dans leurs paniers, sur un bon lit de paille broyée ; le foin, à moins qu’il ne soit très-sec & bien vieux, s’échauffe, & c’est même nuisible aux couveuses ; alors le jour destiné, à mesure que l’on lève les poules pour les faire manger, (ce qui doit être vers les deux heures de l’après midi, l’air étant plus égal à cet instant) on substitue les œufs de faisans à ceux des poules, & l’on repose la poule doucement, observant si elle prend bien les œufs qu’on lui a substitués. »

VI. Soins pendant que les poules couvent. « Si l’on a douze couveuses, on peut en faire manger quatre à la fois, ayant quatre mues séparées ; si le nombre est plus grand, avec plus de mues l’on en fait manger également un plus grand nombre à la fois, ce qui épargne de l’embarras : on observera de remettre exactement chaque poule sur son même panier ; le temps de leur repas doit être d’un bon quart-d’heure : le principal est qu’elles se vident ; leur nourriture doit être le blé pur tandis qu’elles couvent. »

» Il faut beaucoup de propreté ; s’il se casse quelques œufs, les ôter à chaque fois qu’on lève les poules pour les faire manger ; ce qui doit se faire avec l’attention de glisser les mains légèrement sous le ventre, pour voir si elles n’ont point quelques œufs entre leurs ailes & leurs pattes ; si l’œuf cassé en a gâté d’autres, il faut les essuyer avec un linge & un peu d’eau tiède ; si la paille est trop mal-propre, enlever le dessus & en remettre de fraîche. »

» On doit aussi prendre garde si les poux ne gagnent quelques poules ; dès qu’on s’en apperçoit il est nécessaire de donner une autre couveuse. »

» Comme l’on ne peut guères se flatter d’éviter qu’il n’arrive d’accidens à quelques poules couveuses, il seroit très-avantageux de se précautionner, douze ou treize jours après celui où l’on a mis un nombre d’œufs couver, d’un nombre de poules presque égal à celui de celles qui couvent ; c’est à peu près à cette époque que les accidens peuvent commencer. »

» Ces nouvelles poules ou relais se placeront sur des paniers dans la couverie. On sacrifie, pour les entretenir à couver, quatre ou cinq œufs de poule sous chacune d’elles : voici l’avantage de cette méthode ; l’accident le plus à craindre est qu’une poule vienne à perdre sa chaleur, d’où il résulte un très-grand danger pour les œufs qu’elle couve. C’est à celui qui les soigne à juger, (lorsqu’il les lève pour les faire manger sous les mues) si les œufs sont à un bon degré de chaleur : la crête indique d’une manière certaine, l’état de la poule ; tant que sa crête reste d’un rouge frais, il n’y a rien à craindre ; mais dès qu’elle blanchit trop, c’est une marque que la poule languit ; il faut aussitôt avoir recours à son relais de poule & choisir la plus douce que l’on met sur les œufs de faisans, à la place de la malade, qu’il ne faut point cependant encore abandonner, puisqu’elle sera employée au moment d’éclorre, comme on le dira bientôt. »

» Elle demande, au contraire, plus de soins ; on la laissera se rafraîchir, lui donnant la liberté dans la basse-cour pendant une journée ; ensuite, (car ces poules sont souvent plus attachées à leurs œufs que d’autres) on la remettra sur le panier où étoit celle qu’on lui a substituée, & pour la rétablir entièrement, à chaque fois qu’on la fera manger, au lieu du temps ordinaire, on la laissera une ou deux heures sur la mue. »

» Si on n’est pas dans le cas d’employer toutes les poules de relais, il ne faut pas pour cela les regarder comme inutiles, puisque celles qu’on n’a point employées, amènent des poulets pour l’usage de votre basse-cour. »

VII. Du moment ou les œufs éclosent. « L’œuf de faisan va depuis vingt-trois jusqu’à vingt-sept jours avant d’éclorre ; ainsi dès que le vingt-troisième jour commence, il faut redoubler de soins. »

» On peut prévoir si les œufs viendront à bien, lorsqu’à cette époque, en passant légèrement la main dessus, ils rendent un son semblable à celui des noix pleines. »

» Dès qu’on apperçoit dans un panier quelques œufs becqués, c’est le moment, (si on a été dans le cas, pour ce panier ou pour d’autres, d’avoir recours, aux poules de relais) de faire usage des premières poules qu’on va rechercher, & qui fatiguées & impatientées d’avoir des poussins, ont le soin & la tendresse des bonnes mères ; les autres qui n’ont point encore achevé le temps de couver, ne seroient pas assez douces & on courroit même le risque qu’elles n’étouffassent les petits à mesure qu’ils sortiroient des œufs. »

» Il n’est pas besoin de dire que les œufs ayant été mis en même temps, tous les paniers partent presqu’au même moment ; il faut donc redoubler de vigilance, regarder d’heure en heure à chaque panier, afin de débarrasser les petits, qui, déjà éclos, pourroient s’étouffer, comme il arrive souvent lorsqu’ils fourrent la tête dans la coquille dont ils viennent de sortir. On jette les coquilles à mesure hors des paniers. »

» Lorsque tout est éclos, il faut les laisser sous leur mère encore vingt-quatre heures dans le panier ; la chaleur de la poule, pour les ressuyer leur est plus nécessaire que la nourriture : on fera seulement attention qu’il ne s’en étouffe, ou que les plus éveillés, gravissant sous les ailes de la mère, ne se jettent hors du panier ; on pare à cet inconvénient, en tenant le dessus du panier exactement fermé ; le dessus doit être d’osier à claire voie. »

» Environ après vingt-quatre heures, qu’on peut cependant prolonger pour gagner l’heure de midi, on essaiera de présenter aux petits des œufs de fourmis & un peu de jaune d’œuf émietté ; &, comme il s’en trouve toujours de forts, on peut, après avoir tenté ce premier repas, faire choix des plus vigoureux & les mettre quinze ensemble sous une même mère dans des boîtes destinées à cet usage. La bonne manière est de mettre deux de ces boîtes, l’une au bout de l’autre, pendant les cinq ou six premiers jours : les petits ont plus d’espace pour se promener & vont d’une mère à l’autre, observant de couvrir de claies fines, ou d’un petit filet la partie des boîtes qui est découverte, de crainte que les petits ne s’élancent par dessus… Revenons aux plus foibles ; il faut les laisser passer encore une nuit sous leurs mères, & attendre au lendemain pour les mettre au même régime que les autres. »

VIII. Nourriture & soins des élèves. « La nourriture doit, dans les premiers temps, être l’œuf de fourmi, & le jaune d’œuf haché très-menu avec son blanc, joint à un peu de mie de pain ; l’avoine ou l’orge suffit alors aux mères. »

» On a soin tous les jours de lever un moment les poules hors de la boîte, pour la nettoyer des fientes qui feroient tort & abymeroient les petits. »

» Au bout de douze ou quinze jours, si le temps est beau, l’on peut désunir les boîtes & laisser, par ce moyen, la liberté aux petits de courir sur un gazon ou dans une luzerne, s’il y en a dans le parc ; il faut aussi toujours mettre les boîtes à l’exposition du levant, & les tourner à mesure que le soleil avance ; on observera dans les commencemens, s’il y avoit le matin une trop grande rosée, d’attendre un peu plus tard à ouvrir la boîte ; on observera aussi que, si le soleil étoit trop ardent, il faudrait approcher les boîtes d’une charmille, d’un ombrage ; un soleil trop vif leur seroit nuisible. Dès qu’ils se fortifient, les soins diminuent & le plaisir augmente ; la nourriture ne varie que par l’augmentation du chenevis & du blé qu’on leur donne également en grain, quand on s’apperçoit qu’ils peuvent le prendre. »

» L’œuf de fourmi, base essentielle de leur nourriture, ne doit jamais être épargné, sans néanmoins en donner trop ; l’excès en deviendrait dangereux ; si l’on croyoit leur appétit, ils en mangeroient toujours ; si cependant on en manquoit, on pourrait y substituer le ver blanc de charogne, dont la préparation sera détaillée ci-après. Il est encore une chose très-analogue à leur goût : c’est l’orge que l’on peut se procurer aisément, en semant de manière qu’on puisse toujours en avoir de verte du premier juillet au premier septembre ; on coupe tous les jours de petites gerbes de cette orge verte, qu’on met devant eux ; ils se jettent avec plaisir dessus & piquent ce grain tendre, rempli d’un lait qui leur est très-bon. »

» On observera de laisser aux petits, à mesure qu’ils se fortifient, une pleine liberté ; la mère, toujours demeurante à la boîte, les empêche de trop s’éloigner ; au moindre signal de l’heure des repas, on les voit accourir jusqu’à ses pieds. »

» À deux mois ils pourront absolument se passer de mère ; on peut ainsi supprimer l’œuf de fourmi ; le blé, l’orge & le sarrasin suffisent alors. Cependant, à l’égard de la mère, plus on la tient captive, moins les petits deviennent sauvages, s’éloignant peu du lieu où elle demeure, & se branchant pour la nuit, sur les arbres voisins du lieu où est la boîte. Ce n’est qu’à la fin d’octobre qu’ils commencent à s’éloigner un peu, & à battre le pays ; mais avec un peu de grains qu’on observe de conserver dans le premier lieu de leur éducation, on est sûr de les retenir, & fidelles au séjour de leur enfance, ils ne manqueront pas d’y faire leur ponte au printemps suivant, préférablement à tout autre lieu. »

IX. Observations particulières. « Ceux qui ne voudroient point avoir l’embarras de conserver, pendant l’hiver, des poules faisanes pour la ponte de l’année suivante, peuvent, vers la fin de février, en ratrapper dans le parc ou bois où elles sont plus adonnées, le nombre qu’ils veulent ; cela se fait aisément en mettant le blé ou l’orge qu’on leur donne, sous de grandes mues qu’on abat par le secours d’un cordeau qui se tient à la main, restant caché derrière un arbre à quelque distance. »

» Il est sensible que ceux qui voudroient se procurer des faisandeaux plus hâtifs, peuvent gagner le mois que dure la ponte, en formant aussitôt une couvée particulière des premiers œufs que donnent les poules ; mais quand il s’agit de peupler un canton, & qu’on projette un élève un peu nombreux, il est beaucoup plus simple de diminuer les embarras que demanderoit cette même suite d’opérations, s’il falloit, pendant le mois que dure la ponte, mettre, d’un jour à l’autre, des œufs couver ; le meilleur parti est donc de faire couver en deux temps ; si on attendoit que la ponte fût entièrement finie, il se trouveroit des œufs pondus depuis un mois, ce qui seroit un terme un peu long pour la sureté du germe de l’œuf ; ainsi, prenant un juste milieu, au bout de quinze jours de ponte, on peut mettre couver tout à la fois les œufs pondus pendant ce terme ; & à la fin de l’autre quinzaine, on fera une seconde couvée de tous les œufs pondus depuis : ce parti est le plus sage, & donne le temps de trouver plus à son aise de bonnes couveuses. »

» La maladie la plus à craindre pour ces animaux, est le dévoiement ; ce qui leur arrive lorsqu’il survient du froid & des orages qui répandent une grande humidité dans l’air ; il est difficile d’y remédier : cependant leur état demande plus de soins ; le plus sûr est de séparer à l’instant les infirmes, que l’on porte, avec une ou deux mères, si leur nombre l’exige, à une distance suffisante, pour qu’ils ne puissent pas communiquer avec les autres. On leur donne un peu plus de jaune d’œuf & de chenevis pour tâcher de les fortifier ; il faut aussi mettre un peu de sel & de mâchefer dans l’eau, ou ce qui est encore plus actif, plonger un fer rouge dans l’eau qui doit servir à remplir les terrines. On ne sauroit trop porter attention, dans le commencement, à la propreté que demandent ces petits animaux, nettoyer exactement chaque jour les boîtes, & lorsqu’on a commencé l’usage de l’eau, la renouveler deux fois par jour, crainte qu’elle ne s’échauffe trop ; ce sont des soins par lesquels on préviendroit la maladie qui, une fois établie, ravage sans laisser presque d’espérance d’arrêter la contagion. »

» Personne n’ignore que le faisan se plaît particulièrement dans les bois les plus fourrés & un peu montueux ; il leur faut aussi toujours de l’eau : des mares, pourvu qu’elles ne tarissent jamais, suffisent. »

» Quand dans une terre l’on a ces avantages, & qu’on y joint le soin de semer quelques arpens de sarrasin en différentes places, en observant de le laisser mourir sur pied, l’on peut se flatter de les fixer aisément. S’il y a des vignes aux environs, on tire un grand avantage du marc du raisin, que l’on jette en différentes places du bois ; si pendant l’hiver, il tombe beaucoup de neige, les gardes ont soin de la balayer de dessus le marc ; les faisans l’aiment prodigieusement, & l’on peut même être sûr que s’il en vient des environs, ils ne s’en éloignent plus quand une fois ils en ont fait connoissance. »

» Au défaut de marc de raisin, si on s’apperçoit que le sarrasin mort sur pied ne suffit pas, & qu’il y ait une grande abondance de neige, il faut y suppléer en y jettant un peu d’orge ou du maïs, vulgairement nommé blé de turquie, gros millet. »

» Il faut encore ajouter au nombre des choses qui leur conviennent, les carrotes, les pommes de terres, les choux pommés, l’oseille, les laitues, le persil & les panais : les deux derniers légumes particulièrement sont, par leur qualité échauffante, très-bons à donner aux poules faisanes, pour avancer la ponte, & même pendant qu’elle dure, ils mangent très-bien aussi, les pois, les fèves, & la graine que donne l’aubépine ; on dit même le gland. »

J’ajouterai à ce mémoire très-détaillé, que, pour prévenir le dévoiement auquel ces oiseaux sont très-sujets pendant les temps humides, le marc de raisin, duquel ils sont si avides, seroit un excellent remède ; néanmoins il me paroît tel, qu’il avanceroit la ponte. Il est aisé de sentir sur quelle base portent ces deux assertions.