Cours d’agriculture (Rozier)/FORÊT

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Hôtel Serpente (Tome cinquièmep. 1-12).
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FORÊT. Grande étendue de pays couvert de grands arbres… Encore un degré de luxe dans la capitale, & à son imitation, dans les provinces ; & un demi-siècle sera à peine écoulé, qu’on ne trouvera dans le royaume que les forêts de la couronne, & celles des gens de main-morte. Plus la rareté, & par une suite indispensable, plus le prix des bois augmente, & plus on en coupe & on en détruit. Cette valeur exorbitante fait ouvrir les yeux du propriétaire qui ne voit que le moment présent, & qui veut jouir : aussi-tôt l’abbatis est décidé ; à peine en a-t-il touché le montant que cet argent est dissipé en superfluités, & bientôt le vendeur & le consommateur se trouvent privés de toute ressource.

Toutes les forêts qui appartiennent au roi, sont celles dont le produit net en argent est le plus modique ; cette vérité est assez connue. Celles des gens de main-morte rendent beaucoup plus, parce que, heureusement, ils sont surveillés, & ils ne peuvent couper leurs bois sans des formalités très-grandes & très-dispendieuses ; mais, sous différens prétextes de réparations vraies ou apparentes, & de bois en décours, les précieux quarts de réserve sont sacrifiés à l’avidité des commendataires & des religieux, plus qu’aux besoins réels. Les seules forêts appartenantes aux chartreux, sont complètement bien soignées, entretenues, conservées ; & les soins qu’en ont toujours pris ces pieux solitaires, ont engagé le gouvernement à les soustraire de l’inspection du tribunal des eaux & forêts : si les autres ordres religieux, si les abbés & les prieurs commendataires étoient animés du même esprit, & agissoient d’après les mêmes principes que les chartreux, leurs forêts suffiroient presqu’à la consommation du royaume. Il faut cependant excepter celle de Paris, de ce gouffre immense qui dépeuple les bois à plus de trente lieues à la ronde.

Il n’existe aucune province dans le royaume où la disette du bois ne se fasse sentir du plus au moins, & dans quelques-unes elle est extrême, par exemple, dans les provinces méridionales ; j’en ai dit les raisons au mot Défrichement. Les Gaules jadis étoient couvertes par des forêts, & leurs druydes y trouveraient à peine aujourd’hui un asile pour exercer leur culte religieux : d’un extrême on a passé à un autre. Il résulte donc de la disette des bois où le royaume se trouve réduit, que la meilleure spéculation en agriculture, & digne d’un père de famille, est de semer du gland, des châtaignes, de la graine de hêtre, de pin, de sapin ; en un mot, de convertir en forêts toutes les terres d’un médiocre produit, & surtout celles qui font éloignées des habitations, ou dont la culture est trop dispendieuse. Je l’ai déjà dit au mot DÉFRICHEMENT ; cultivons moins de superficie, mais cultivons mieux. Les terres productives ne nous manquent pas, mais les bras sont trop rares ; la richesse de l’état dépend de la multiplicité des petits tenanciers, & les grandes possessions sont toujours mal cultivées. Les petits tenanciers ne peuvent pas convertir leurs héritages en forêts, parce qu’ils doivent vivre avec leurs produits ; cependant rien ne les empêche de suivre l’exemple des normands, de clorre leurs possessions avec des haies plantées en chêne, en hêtre ; avec le temps ces arbres s’élèvent, & leur émondage fournit chaque année du bois de chauffage. On objectera, (car que n’objecte-t-on pas quand il s’agit d’introduire de nouvelles coutumes, même les plus avantageuses) que les champs doivent être exposés à de grands courans d’air capables de dissiper promptement les rosées, les brouillards ; mais en Normandie la chaleur y est plus que tempérée, puisque le raisin n’y sauroit mûrir ; cependant l’héritage y est environné par des haies & par de grands arbres ; (au mot HAIE je décrirai la manière dont elles sont construites) & malgré cette espèce de rempart, les moissons y sont superbes et les récoltes assurées. Dans les provinces où il règne des vents violens, les lisières d’arbres sont encore plus nécessaires, & sans cette sage précaution, les possessions de l’industrieux hollandois du cap de Bonne-Espérance, seroient presque tous les ans anéanties par les ouragans si communs dans ce parage ; le bambou y supplée aux arbres forestiers. Si le petit tenancier se refuse à la plantation des arbres destinés à la charpente ou au chauffage, qu’il garnisse au moins la lisière de ses champs par des arbres fruitiers ; le pis-aller sera de voir quelques fois une partie de ses fruits pillée & volée, s’il est dans le voisinage des villes ; mais on ne lui enlèvera jamais tout ; ces arbres fourniront à sa nourriture & à son chauffage, & il vendra les jeunes pour le service de la menuiserie.

Ce que je dis aux petits tenanciers, je l’adresse également aux grands propriétaires, & surtout aux pères de familles qui aiment leurs enfans. On peut croire qu’ils connoissent la valeur réelle de chacun de leurs champs, & d’après cette connoissance, ils doivent sacrifier ceux dont le produit couvre à peine les frais de culture ; surtout ceux qui sont le plus éloignés des habitations, dont l’exploitation est la plus difficile, & les plus sujets aux dégâts, occasionnés par les intempéries de l’air. Les terrains en pente sont dans ce cas ; les pluies les délavent, entraînent la bonne terre dans les bas, & insensiblement le tuf reste à nu ; les bois y remédieront. Si les possessions sont dans le voisinage des vignobles, c’est le cas d’y former des taillis de châtaignier ; (voyez ce mot) le débit en sera assuré pour les cerceaux & les échalas ; éloigné de cette consommation, plantez en chêne blanc ou vert, suivant le climat ; les taillis de mûriers, dans les pays chauds & secs, réussiront également.

Un bon père de famille doit chaque année consacrer une portion déterminée de son revenu à semer des bois, planter des arbres, & si bien calculer, qu’il ne dépense pas un écu au-delà de la somme destinée à cet emploi ; petit à petit, insensiblement, & presque sans s’appercevoir de la dépense, il couvrira ses coteaux d’une agréable verdure ; oh, combien dans la suite elle sourira à sa vue, & combien son ombre sera délicieuse ! voilà, dira-t-il à ses enfans, le travail de mes mains ; j’ai doublé la valeur de votre héritage, sachez-en jouir & imitez mon exemple. De ces objets de spéculations passons à la pratique.


CHAPITRE PREMIER.

Des Terrains propres aux Forêts.


De quelque nature que soit le grain de terre, il convient au bois. Cette assertion générale exige des modifications, & toutes les modifications quelconques se réduisent à dire, 1°. que tout sol dans lequel l’arbre peut facilement plonger ou étendre ses racines, est bon pour les forêts ; 2°. que chaque sol doit être planté en espèce de bois qui lui convient ; c’est-à-dire, que les espèces d’arbres à planter ou à semer, sont nécessairement dépendantes du climat & de l’exposition.


SECTION PREMIÈRE.

Du Sol en général.


L’argile pure & par grandes couches épaisses & solides, la craie, (voyez ces mots) dans les mêmes cas, peuvent, tout au plus & à la longue, devenir propres au semis des forêts ; cependant c’est presque le seul parti à prendre lorsqu’on veut en retirer un certain parti ; les premières avances sont coûteuses, & le produit dédommagera-t-il, compensera-t-il l’intérêt de la première mise de fonds ? Voilà à quoi se réduit le problême. Consultez ce qui a été dit dans ces deux articles ; mais si la glaise & la craie sont mélangées avec du sable, des graviers, quelque peu d’autre terre, la réussite est décidée. Il y a plusieurs moyens capables de faire connoître de quelle nature est le grain de terre jusqu’à une certaine profondeur, & ils se réduisent ou à des fouilles faites de distance en distance, ou à l’usage de la sonde. (Voyez ce mot) On parvient, par ces secours, à connoître l’intérieur de la terre & à opérer avec précision.

Les sables mêmes les plus purs, pourvu qu’ils ayent du fond, sont susceptibles d’être couverts par du bois ; il y végétera mal & très-mal pendant les premières années, mais à mesure que les racines pivoteront, s’enfonceront dans ce sable, la végétation se ranimera, & l’arbre se fortifiera : c’est un très-bon sol pour les pins, les hêtres, les châtaigniers, &c. (Voyez ces mots) Les arbres dureront beaucoup moins & se couronneront beaucoup plus vite dans les sables que dans les autres terres de meilleure qualité. Cette différence ne doit pas empêcher les semis ; il vaut mieux un peu moins beau & bon que rien du tout. Je sais qu’on peut fertiliser le sable par l’argile, lui donner du corps & le rendre une terre très-végétale. Il en est ainsi de la fertilisation de l’argile par le sable ; mais quelle dépense ! Laissons tracer de pareils préceptes aux agriculteurs de cabinets ; dans un seul cas ce mélange est admissible : c’est lorsque l’un & l’autre sont très-voisins de l’habitation, & que dans les journées d’hiver, dans les temps pluvieux où l’on ne peut travailler la terre, on ne fait à quoi employer les valets de la métairie. Dans les sables gras, les arbres dont on vient de parler prospèreront ainsi que les mûriers, les charmes, les noyers, &c. (Voyez ces mots).

L’érable & plusieurs de ses espèces prospèreront presque dans tous les sols, ainsi que le bois de Sainte-Lucie, (voyez Mahalet) & ce dernier, surtout, dans les craies, terres argileuses & tenaces, dans les provinces tempérées… Le bouleau, le faux acacia, le peuplier blanc, dit ypreau, l’orme, ne craignent point les terrains un peu secs, ainsi que le saule-marceau ; mais les frênes, les aunes, la famille nombreuse des peupliers & des saules exigent des terrains frais. (Voyez ces mots) Le sapin ne sauroit croître que sur des lieux élevés & par conséquent froids, & il aime à avoir sa tête dans les nues & ses racines dans la glace. Il y a cependant quelques exceptions à faire dont nous parlerons au mot Sapin. Enfin, si le sol est essentiellement mauvais, labourez-le, couvrez-le de grains de genevrier, de bois de Sainte-Lucie & d’aubépin, de prunelier, & de toute espèce de grain d’arbres ; réussira ce qui pourra. Il s’agit, dans ce cas, de créer de la terre végétale, de faire pénétrer le sol par les racines, & de le mettre peu à peu en état de recevoir un jour les semences de plus grands arbres.

Si quelque peu de terre de qualité passable, recouvre des rochers, ou par couches horizontales, ou par masses perpendiculaires & remplies de scissures, s’ils se délitent facilement, la forêt prospèrera dès que les racines des arbres commenceront à pénétrer dans ces scissures. Si les couches horizontales sont inclinées, & pour ainsi dire, d’une seule pièce ; s’il y a une certaine épaisseur de terre par-dessus, les racines s’entrelaceront les unes dans les autres, formeront un seul groupe, & les arbres qui, dans les premières années végétoient avec force, languiront par la suite. On a souvent vu, après de fortes pluies, ou trop longtemps continuées, des masses entières glisser tout d’une pièce sur le champ inférieur, & laisser à nu la couche du rocher. Les eaux, après avoir filtré à travers les racines, & être parvenues au tuf qu’elles n’ont pu pénétrer, se sont ouvert un passage, ont entraîné la terre ; enfin, la masse des racines détachées, le poids des arbres n’étant plus retenu, ils ont été forcés de se séparer du sol, & de glisser avec une force proportionnée à l’inclinaison de la couche. De tels phénomènes ne doivent cependant pas empêcher de couvrir de bois de pareils terrains. Si la nature du rocher est friable, si les gerçures sont perpendiculaires, les arbres y travailleront à merveille, & les racines auront bientôt pénétré dans les scissures.

Il résulte de ces assertions, que les arbres prospèreront à plus forte raison dans les bonnes terres & surtout dans celles qui auront du fond ; mais les destiner à un pareil usage seroit un crime contre la société en général, & une fausse spéculation du propriétaire. Deux cas cependant forment une exception, ainsi que je l’ai déjà dit : ou le trop grand éloignement de l’habitation, ou la difficulté de l’exploitation.


SECTION II.

Des Arbres, relativement aux climats & aux expositions..


Les préceptes généraux ne s’appliquent pas également à tous les climats & à toutes les expositions. On sèmeroit en vain du chêne blanc ou vert dans les sables des provinces méridionales, tandis qu’ils prospèreront dans celles du nord : la chaleur n’y met pas le seul obstacle ; le plus à craindre est l’excessive rareté des pluies ; car, pour peu que ces fables retinssent d’humidité, la végétation y seroit plus rapide que dans celles du nord. On en a vu cent fois l’expérience dans les années pluvieuses. On croyoit alors ses semis sauvés, ses plantations hors de tout danger, mais le ciel devenu d’airain pendant la première ou seconde des années suivantes, tout a péri. Il n’en est pas ainsi dans les climats plus tempérés, ni dans les expositions au nord ; les chaleurs y sont moins fortes, l’évaporation moins rapide & les pluies plus fréquentes. Les troncs des arbres forestiers sont en général plus longs à se former dans le midi que dans le nord, mais leur qualité est bien supérieure, soit pour le chauffage, soit pour la charpente ou pour la marine. En est-il ainsi des arbres plantés soit au levant, soit au midi, soit au couchant ou au nord ? Les deux derniers sont inférieurs aux autres. On observe la même différence pour les mêmes espèces d’arbres plantés dans des terrains secs ou dans un fond légèrement humide, ou humide ou marécageux. La solidité de la fibre dépend du sol, du climat, & de l’exposition où l’arbre croîtra. Par exemple, un chêne blanc qui croîtra dans l’exposition du nord, fournira toujours un mauvais bois à brûler, du mauvais charbon & du mauvais bois pour la charpente. Le même arbre planté dans un terrain humide, ou dans la plaine, ou sur un coteau, offrira trois qualités de bois différentes. Celui des bas-fonds aura des fibres lâches ; celles de l’arbre de la plaine ne sont pas aussi serrées que celles de l’arbre du coteau, & le meilleur pour l’usage quelconque, sera ce dernier ; voilà quant au sol. Le même chêne réussira très-bien dans l’intérieur du royaume, il sera plus mou dans le nord, se durcira en approchant du midi, & planté ou semé dans les expositions chaudes de nos provinces méridionales, il ne paiera pas les dépenses occasionnées par son semis ou par sa plantation.

Il en est ainsi du chêne vert, relativement à nos provinces du nord, & même de l’intérieur du royaume. L’hiver de 1709 les fit presque tous périr en Provence, en Languedoc, &c. Que peut-on donc espérer d’un pareil arbre dans le nord ? Il y a plus ; j’ignore si avant cette fatale époque les chênes verts y formoient de grands arbres, mais ce qu’il y a de certain, c’est qu’aujourd’hui on n’y trouve presque plus un arbre de cette espèce, capable de donner du bois de charpente, tandis qu’en Corse, en Italie, on en voit des forêts entières, & ces arbres sont de la plus grande beauté & de la plus belle élévation : les menuisiers, charpentiers, &c. éprouvent tous les jours en travaillant, que des chênes sont doux ou de rebours, gras ou durs, & ils disent que ces chênes sont d’espèces différentes ; en cela ils se trompent ; ces différences proviennent toujours de la végétation de l’arbre, suivant l’exposition & le sol où il a été planté. Consultez le mot Chêne pour connoître les espèces & les variétés de cet arbre précieux. Ce que je dis du chêne s’applique également à tous les arbres forestiers : on s’efforceroit vainement à cultiver l’aune (voyez ce mot) dans un terrain sec : il en est de même de tous les bois blancs en général ; quelques-uns font exception à cette règle, mais le nombre en est petit.

Celui qui désire avoir des forêts, doit commencer, avant de donner le premier coup de pioche, à examiner quelle espèce d’arbres réussit le mieux dans le pays, & quelle est celle dont le débit est le plus facile & le plus lucratif. Près des grandes villes l’orme & le frêne sont précieux pour le charronnage, le chêne pour la menuiserie & les bâtimens ; les outils d’agriculture sont presque tous tirés du hêtre, & les sabots, dont la consommation est prodigieuse, sont de ce bois ; les pins font une excellente menuiserie, sans parler de la poix qu’on en retire ; le sapin est un des arbres les plus précieux, & tout le monde connoît son emploi ; le peuplier noir & l’ypreau ont le plus grand mérite dans les provinces où le chêne & le sapin sont rares ; son bois fait une jolie menuiserie ; & le but d’une plantation de forêt doit donc être tourné vers l’objet le plus lucratif, sur-tout lorsque l’on travaille en grand. Il est bien permis, & il est même avantageux que des amateurs essayent de naturaliser différentes espèces de bois dans leurs provinces ; leur exemple donne des leçons instructives lorsque le succès le couronne, & le pauvre cultivateur ne sacrifie pas inutilement ses avances. Ne contrariez jamais la nature, étudiez-la & suivez les leçons qu’elle donne : encore une fois, choisissez l’espèce qui réussit le mieux, & se vend le plus dans le pays.


CHAPITRE II.

Des soins préliminaires à l’établissement des Forêts.


Si le terrain est complètement inculte, quoique de bon fonds, ou médiocre ou mauvais, il faut le défricher ; (voyez ce mot) s’il est noyé par les eaux, goutteux ou trop humide, il exige d’être desséché : (voyez ce mot) tels sont les deux principes généraux. Tout propriétaire qui se propose l’établissement d’une forêt, doit avoir les avances nécessaires, & ces avances seront proportionnées à l’étendue de l’entreprise & aux nombreux chapitres des accidens imprévus qui équivalent ordinairement au tiers & souvent à la moitié en sus.

Il vaut mieux moins entreprendre & bien opérer, puisque du premier travail dépend la réussite. Lorsque le succès ne le couronne pas dans la suite, on s’en prend au sol ; on dit dans le canton, qu’il n’est pas propre à être planté en bois ; cette tradition se perpétue de père en fils, le terrain reste perpétuellement inculte, & personne n’osera plus à l’avenir entreprendre de le mettre en valeur. Travaillez donc bien dès le premier coup de pioche, continuez les mêmes soins pendant les premières années, vous réussirez à coup sûr ; mais si tout doit être fait à la hâte ou négligemment, ne travaillez pas du tout & laissez le sol tel qu’il est.

Les troupeaux, les bêtes à cornes, enfin tous les animaux qui pâturent, sont la peste des semis qu’ils ruinent complètement. L’année qui précédera le défrichement, c’est-à-dire, dès la fin de l’automne, circonscrivez par un large & profond fossé l’endroit destiné à la forêt, la terre du fossé sera jetée en dedans & servira à augmenter l’élévation des bords intérieurs de ce fossé. Si vous pouvez facilement vous procurer des plants enracinés de ronces, placez-les de distance en distance dans le talus de la terre nouvellement remuée, par exemple, à un pied l’un de l’autre, & dès la second année, les ronces formeront un tissu qu’aucun animal ne tentera de franchir ; il se fortifiera encore plus à la troisième, à la quatrième année, &c. L’aubepin ou épine blanche (voyez ce mot) forme une bonne clôture, mais elle se fait trop attendre pour l’objet présent, & demande beaucoup de soins dans sa jeunesse. La ronce me paroît préférable à toute espèce d’arbrisseaux employés ordinairement pour les haies ; on peut même, dès l’été ou l’automne de la première année, enterrer à deux ou trois pouces de profondeur une partie de ses jeunes pousses, elles prendront facilement racine, & à la seconde année on aura déjà un massif des plus fourrés, & j’ose dire qu’à la fin de la quatrième, non-seulement toute la superficie du talus intérieur sera garnie, mais encore toute la largeur du fossé sera remplie.

On se hâte toujours de semer trop tôt sur les défrichemens, (voyez ce mot) & j’en ai dit les raisons. Il vaut beaucoup mieux consacrer la première & même la seconde année à défoncer le sol, soit à bras d’hommes, soit avec les grandes charrues à versoir, afin de ramener la terre du dessous en dessus, & celle du dessus en dessous, à moins qu’on ne travaille sur un sol bon, fertile & profond, que l’éloignement oblige à convertir en bois. Comme de tels sacrifices sont rares, ce que je dis reste dans toute sa force, & nuls succès, ou succès très-médiocres, si on sème ou plante avant que la terre de petite qualité soit bénéficiée par les amendemens météoriques. (Voyez ce mot)

Si l’étendue qu’on désire planter est considérable, il convient, avant de défoncer le terrain, de tracer des routes pour le service de la forêt, de manière que si le terrain est en pente, elles servent de retenue aux eaux pluviales, vu que leurs bords sont autant de fossés d’écoulement : ainsi la même opération peut réunir plusieurs objets avantageux. Au moyen de ces routes on verra sans peine les endroits qui souffrent, ou qui ont souffert, & par conséquent les réparations qu’ils exigent. Si on craint la grande formation des ravines, veillez sur-tout pendant les premières années, parce que le sol n’est pas encore entrelacé d’un assez grand nombre de racines capables de retenir les terres entraînées par les grands lavages. Ces routes unissent l’utilité à l’agrément.

CHAPITRE III.

Des Semis & des Plantations.

Je ne répéterai pas ici ce qui est dit au mot Châtaignier, relativement à la manière de faire les semis & les plantations de cet arbre considéré comme forestier, parce que les opérations sont les mêmes pour ceux du chêne, &c. ; ainsi consultez ce mot.

Doit-on planter ou doit-on semer lorsqu’il s’agit d’une forêt ? Les plantations sont fort coûteuses ; elles supposent qu’on a en pépinière une assez grande quantité de jeunes pieds, ou qu’on a la facilité de les acheter. Balançons les avantages de l’une & de l’autre méthode. On jouit plutôt par la plantation que par le semis, c’est-à-dire, on croit jouir plutôt, parce qu’après huit ou dix ans les arbres ont pris de la consistance, la verdure sourit à nos yeux. Un semis de chêne, au contraire, à cette époque, est encore humble ; mais après quinze ou vingt ans, quels seront les arbres qui auront le mieux prospéré ? & après trente, quels sont ceux qui vaudront le mieux ? Il n’y a pas à balancer, ce seront ceux du semis. Je ne crains pas de dire que jamais pied, auquel on a coupé le pivot en le tirant de terre ou en le replantant, ne formera un tronc aussi droit, aussi beau, aussi majestueux que celui provenu du semis. Lafontaine a fort bien caractérisé ce dernier, en disant :

Celui de qui la tête au ciel étoit voisine,
Et dont les pieds touchoient à l’empire des mort.

Vous aurez beau voir les plus belles pépinières, les plus faciles à travailler, vous ne ferez jamais entendre aux travailleurs de s’y prendre de loin en remuant la terre, afin de ne point endommager les racines, & en creusant profondément, afin de ne pas briser le pivot. J’admets que cette méthode soit suivie lorsqu’on arrachera les sujets de la pépinière ; mais à quelle dépense n’entraîne-t-elle pas pour ouvrir des fosses assez grandes & assez profondes, & capables de recevoir ce long pivot, en lui conservant sa direction perpendiculaire & toutes les racines horizontales. On demandera pourquoi ce grand attirail, puisqu’il ne s’agit pas d’arbres fruitiers ? Il n’est point de chênes venus dans un bon sol, & bien plantés, dont la coupe ne produise plus dans la suite, que toutes les récoltes prises ensemble de l’arbre fruitier ne produiront jamais ; on ne veut jamais voir que le moment présent, sans penser à l’avenir ; la dépense des grandes plantations est immense, & son produit souvent très-casuel. En effet, s’il survient une sécheresse, sur-tout si on avoisine les provinces méridionales, que deviendront ces arbres ? La moitié ou les trois quarts périront ; car je ne suppose pas qu’on veuille ajouter à la dépense première celle d’arroser : & encore, est-on le maître d’avoir de l’eau à la proximité ? Je souscris à cette multiplicité de frais, lorsqu’il s’agit de faire des avenues ; (voyez ce mot) mais alors c’est le seigneur qui travaille, & qui travaille en seigneur. Ici il s’agit de l’agriculteur. J’admets, pour un instant, que les trois quarts des arbres de cette forêt naissante aient bien repris ; malgré cela plusieurs périront à la seconde ou à la troisième année. Il faudra donc chaque année remplacer les arbres morts, & pour peu que leurs voisins prospèrent, la reprise des arbres replantés sera presqu’impossible. Les racines des voisins seront attirées par la terre nouvellement remuée, & rempliront la fosse avant que le sujet replanté en ait poussé de nouvelles ; elles l’affameront au point qu’il sera toujours languissant, enfin l’ombre des branches voisines privera ses jeunes pousses des influences de l’air & des bienfaits de l’atmosphère. Telle est la raison pour laquelle il est presqu’impossible de regarnir des clarières une fois établies dans les forêts. Cette loi s’étend même jusqu’aux allées en quinconce des promenades. Depuis le temps que l’on substitue de beaux sujets aux arbres morts dans les jardins des Thuileries, du Luxembourg, &c. on auroit eu de quoi former des forêts. Le résultat de tout ce travail se réduit à zéro ; l’arbre végète foiblement pendant la première & la seconde année, & il périt de misère à la troisième.

Le second obstacle qui s’oppose aux plantations en grand, vient des pépinières. Dans les environs de presque toutes les grandes villes, des hommes s’attachent spécialement aux semis, & à fournir des arbres de pépinières. Leur but unique est d’avoir promptement de beaux arbres ; dès-lors le choix de la terre, les engrais & les fumiers sont multipliés. Que l’on juge à présent combien les arbres que l’on enlèvera d’un sol pareil auront à souffrir dans les terrains maigres Si souvent secs & arides destinés aux forêts. (Voyez ce qui a été dit des pépinières au mot Châtaignier, page 162.)

Si on se contente de prendre dans les bois les sujets destinés à garnir la forêt, on trouvera très-peu de pieds, de brins ou de semences, & beaucoup de venus sur souche. Or, il est presqu’impossible que les uns & les autres soient arrachés sans endommager vivement leurs racines, à cause de l’entrelacement de celles des arbres voisins ; dès-lors la reprise de ces sujets est plus que douteuse, & on aura beaucoup dépensé en pure perte. Quant à la manière de faire les trous ou fosses destinés à recevoir les arbres, voyez ci-après le mot Fosse.

Le semis réunit tous les avantages ; 1°. la végétation de la semence est assurée, à moins que les mulots & autres animaux ne la dévorent ; d’ailleurs, comme on sème fort épais & par rangée, on est assuré que si les grains d’une rangée sont défenses, ceux de la raie voisine ne le seront pas ; 2°. le travail du défrichement, (voyez ce mot) est moins dispendieux, quand même il seroit fait à bras d’hommes, pour détruire les vieilles souches. Mais les semis n’exigent pas ce travail, de forts & profonds labours suffisent ; il s’agit de les multiplier pendant la première année, & encore mieux pendant la seconde, afin de donner, comme je l’ai déjà dit, le temps à cette terre d’être pénétrée des amendemens météoriques ; passé ce temps on choisira pour semer une des trois méthodes indiquées pages 160, 161 & 162, du mot Châtaigne. La troisième est à mon avis celle que l’on doit préférer.

Quelques auteurs proposent avec raison, de planter en genevrier, en bouleau ; consultez ces mots, & sur-tout le dernier. La troisième méthode des semis facilite leurs plantations. Ces arbres défendent par leur ombre les jeunes plants, & de la trop grande ardeur du soleil & des coups de vents. À mesure que le chêne prendra de la force, semblable à l’ingrat, il fera périr celui qui l’a protégé dans son enfance ; mais il ne faut pas attendre cette époque, il vaut mieux couper le bouleau dès que le brin n’aura plus besoin de son secours, & les pieds donneront alors des fagots & du bois pour les cerceaux, qui dédomageront des premières avances, & donneront même du bénéfice : si tout le défrichement a été fait avec la charrue, les racines des bouleaux ne repousseront plus parce que l’ombrage des chêneaux les privera des influences de L’air.

CHAPITRE IV.

Des soins des Semis ou des Plantations.

Les semis doivent-ils être faits avant ou après l’hiver ? Je pense que plus l’on approche du midi, plus l’on doit choisir l’époque de la chute du gland, afin de ne pas être surpris par les sécheresses des mois de janvier, février, mars & avril. Dans nos provinces du nord, où les pluies sont fréquentes, on peut attendre après l’hiver, parce que les pluies d’avril y sont abondantes, & on ne craint pas que le gland pourrisse en terre pendant la mauvaise saison.

Malgré cette différence, je pense qu’il vaut mieux suivre la marche de la nature, & semer aussi-tôt après la chute du fruit ; il ne tombe de l’arbre que parce qu’il est dans son état parfait, & qu’il n’a plus besoin de son secours pour être en état de se reproduire ; d’ailleurs si on attend après l’hiver, il faudra stratifier la graine, ainsi qu’il a été dit au mot Châtaigne. C’est donc une opération & une dépense de plus, & le tout pour contrarier la nature. En adoptant la troisième méthode de semer, on peut semer un rang avant, & le rang voisin après l’hiver.

Si on veut que son semis prospère, il convient de donner un coup ou deux de charrue pendant l’été dès qu’on s’apperçoit que les herbes gagnent ; elles étoufferoient les jeunes brins. Des enfans, des femmes armés de petites pioches, serfouiront le tour des jeunes plantes que la charrue n’aura pas soulevées. Si on est en peine de savoir comment on peut labourer un pareil terrain sans endommager le semis, au mot Vigne je décrirai cette opération faite par des bœufs ou par des mules. Le même travail doit s’exécuter jusqu’à ce que les branches fassent assez d’ombre pour étouffer les mauvaises herbes.

Pendant la première année, laissez germer & pousser tout ce qui sortira de terre, quelque méthode de semis, que vous ayiez choisie ; mais avant l’hiver, & dès que les feuilles seront tombées ou desséchées, c’est le moment, par un temps un peu humide, d’enlever le plus grand nombre des plants surnuméraires, de ménager leur pivot & leurs racines, & de les transporter dans des dépôts ou pépinières, afin de s’en servir au besoin pendant les années suivantes. Si dans le cours de cette première année, il s’étoit formé des places où le gland n’eût pas germé, c’est le cas de les regarnir avant l’hiver avec les plants surnuméraires. La reprise de tout arbre est plus assurée lorsqu’on le transplante avant l’hiver.

Evelyn, auteur anglois, & qui a très-sagement écrit sur les forêts, conseille de choisir un temps humide pour labourer les semis pendant les trois premières années, afin que la poussière ne s’attache pas aux feuilles des jeunes brins, & de labourer au contraire par un temps sec les arbres déjà formés.

Ce que j’ai dit des semis de chêne s’applique également à ceux de faîne ou hêtre ; & les arbres qui conservent leur verdure, l’orme ainsi que plusieurs autres, demandent à être semés du moment que leurs fruits sont mûrs ; & laissez à la nature le soin de leur germination.

CHAPITRE V.

Des forêts dégradées.

On essaieroit envain de les repeupler par de nouvelles plantations.

Les racines se sont emparées de tout le terrain, & même de celui des plus grandes clarières : elles s’opposeront, ainsi qu’il a été dit, à toutes les plantations.

Les semis par touffes, faits çà & là, aideront à garnir les places vides après que leur terrain en aura été bien travaillé. Le grain qui germera disputera sa place aux racines étrangères, & petit à petit & à la longue, il viendra à bout de les maîtriser.

Il est plus facile de repeupler les bords des clarières du côté où le bois existe. Si dans cette circonférence il se trouve de jeunes pieds, soit de brins, soit venus sur souche, il faut alors les coucher, les marcotter, (Voyez ce mot) & à mesure qu’ils fourniront de nouvelles branches, les étendre & les marcotter de nouveau. Si au contraire les bords de cette circonférence sont garnis de vieux arbres, on doit les couper par le pied, & le plus bas que faire se pourra, afin que les jets qui s’élanceront de la souche soient plus facilement marcottés. On peut encore éclatter la souche, afin que des racines qui en seront détachées il s’élève de nouveaux jets. (Consultez le mot Acacia).

Si dans l’intérieur de la forêt il se trouve des arbres vieux, décrépits, qui occupent une place inutile, & qui ne gagnent plus à rester sur pied, c’est le cas de les abattre afin de faire prospérer leurs voisins : rarement & très-rarement ces arbres trop vieux repoussent par le pied. On peut encore jardiner, c’est-à-dire, couper quelques arbres par-ci, par-là, afin que repoussant du pied ils donnent du bois de souche & épaississent la forêt.

Si par cause d’incendie quelconque, les troncs des arbres sont rôtis, ils doivent être coupés à fleur de terre, & ils donneront par la suite du beau bois de souche. À l’occasion des incendies des forêts, voyez Incendie.