Cours d’agriculture (Rozier)/GYPSE ou PIERRE À PLÂTRE

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Hôtel Serpente (Tome cinquièmep. 392-395).


GYPSE ou PIERRE À PLÂTRE. C’est une terre calcaire saturée d’acide vitriolique. (Voyez ces mots). Avant d’être cuit, il ne fait aucune effervescence avec les acides, en quoi il diffère des pierres calcaires ou pierres à chaux ; mais il leur ressemble par une propriété dont, je pense, ne jouit aucune autre pierre, c’est, après sa cuisson & son union avec l’eau, de reprendre l’eau que l’action du feu a dissipée, & de se cristalliser comme la chaux réduite en mortier, & sa cristallisation est même beaucoup plus prompte.

Je crois que l’on devroit désigner par gypse, le plâtre qu’on retire de la carrière tout cristallisé, lamelleux & semi-transparent ; & appeler plâtre celui qui est sous la forme d’une pierre. Une singularité que le plâtre offre encore dans plusieurs endroits, c’est qu’il se divise en grandes masses, par prisme, à la manière des basaltes, espèces de pierres volcaniques. Les premières ont acquis cette espèce d’organisation par la retraite causée par le dessèchement, & les seconds, par le refroidissement de la lave, de sorte que le plâtre a été dans un état de fluidité par sa dissolution dans l’eau, & le basalte dans un état de fusion par le feu. On doit ces deux découvertes à M. Desmarest, de l’Académie des Sciences.

Que le plâtre soit cristallisé ou non, qu’il soit blanc, rouge, gris, brun, &c., il jouit des mêmes propriétés ; c’est-à-dire, après sa cuisson, d’être susceptible, pétri avec l’eau, de former un mortier. La couleur est accidentelle & dépend de plusieurs causes. En Languedoc, le mortier du plâtre rouge est plus fort que celui fait avec le plâtre blanc ou brun, &c. La couleur, en général, ne décide pas la ténacité de ce mortier, & on ne peut pas conclure de la valeur d’une carrière à plâtre par une autre. Les principes généraux sont les mêmes par-tout ; les accidentels varient beaucoup, & constituent les différens degrés de ténacité.

Le coup-d’œil du plâtre cru est trompeur ; celui qui veut bâtir, doit auparavant l’essayer & examiner attentivement le degré de cuite que chaque espèce demande. Par exemple, le gypse proprement dit, ou plâtre cristallisé & lamelleux exige moins de feu pour cuire que les autres. Le plâtre trop cuit n’est pas bon ; il ne vaut rien s’il n’est pas assez cuit, & une cuite une fois manquée est perdue. On aura beau la remettre au four, cuire le plâtre de nouveau, on prendra de la peine & on consommera du bois en vain. Ce plâtre, sur-tout dans le premier cas, peut servir à l’engrais des prairies & des luzernes, ainsi qu’il sera dit ci-après.

Le plâtre après sa calcination fait effervescence avec les acides. Il faut donc que l’action du feu & le courant de la flamme aient dissipé l’acide vitriolique qu’il contenoit auparavant.

À Paris & dans une grande étendue à sa circonférence, on emploie le plâtre à la construction des maisons. Sa maçonnerie n’égale pas en durée celle faite à la chaux, parce qu’elle travaille toujours, c’est-à-dire, qu’elle passe successivement à l’état sec ou humide suivant la constitution de l’atmosphère ; de manière que lorsque le plâtre est bien imbibé d’humidité, s’il survient une gelée, l’eau se convertit en glace, occupe un plus grand volume, & désunit les molécules du mortier, enfin rend les murs caducs. Comme l’effet de la gelée est de chasser l’humidité du dehors en dedans, & la chaleur, de la tirer du dedans en dehors, il n’est pas rare de voir, par ces deux effets, opposés, une séparation dans l’intérieur du mur & sur son étendue. Cette séparation a visiblement lieu, lorsque les maçons, suivant une mauvaise méthode, font les deux paremens du mur avec des moellons & garnissent le vide qui reste entre deux avec du plâtre & quelque peu de pierrailles. C’est précisément de ce milieu que part tout l’effort. Une seconde cause encore de cette division longitudinale, vient de ce que les paremens ou faces étant une fois faites & le plâtre séché, le milieu est rempli de plâtre frais qui distend ces deux côtés. Tout le monde connoît la poussée du plâtre. Propriétaires, qui faites bâtir, veillez à ce que les moellons se touchent, que ceux d’une face croisent ceux de l’autre face, & ainsi de suite sur toute la hauteur & la longueur du mur. L’ouvrier trouvera ce conseil ridicule ou au moins inutile, & voici pourquoi. On ne le paie pas à journée, mais par toise. La première méthode est plus expéditive que la seconde, & c’est ce qui l’intéresse.

Dans les Provinces voisines de la mer, on ne peut pas construire avec du plâtre, au moins à l’extérieur ; je ne nie pas qu’il ne puisse y avoir des exceptions à cette loi, attendu la qualité supérieure du plâtre ; mais je n’en connois point. J’ai dit que le plâtre suivoit, pour la siccité ou pour l’humidité, les variations de l’atmosphère. Le voisinage de la mer en fournit un exemple le plus frappant. L’acide marin disséminé dans l’air s’unit au plâtre, le pénètre à cause de son humidité, forme avec lui un sel neutre, & dès qu’il est formé, sa liaison est détruite, & peu à peu le plâtre tombe en poussière & par morceaux. Ce que cet acide produit près de la mer & à plusieurs lieues de distance, un autre sel opère la même métamorphose à Paris plus que dans ses environs, à moins que les bâtimens ne soient sur des rues. Aussi voit-on à Paris qu’on est obligé de reprendre sous œuvre les maisons au-dessus des fondations jusqu’au premier étage, parce que le plâtre a fait l’office de siphon ; & en attirant l’humidité il s’est imprégné d’un sel qui l’a décomposé. Si on doute de l’existence de ce sel destructeur, il suffit de jeter un coup-d’œil sur la quantité de nitre ou salpêtre, (voy. ces mots), que l’on retire de ces plâtres par la lixiviation ; mais lessivez du plâtre nouvellement gâché, vous n’en retirez pas du nitre. Il est donc clair que le plâtre ancien a absorbé un sel acide, & de son union avec l’alcali du plâtre, (voyez ce mot), en est résulté un sel neutre plus ou moins parfait, & la vraie cause de la désagrégation première de ses molécules.

Après la cuisson, des hommes armés de longues barres, frappent sans cesse sur le plâtre pour le réduire en poussière, le passent à la claie & rebattent de nouveau les grumeaux qui restent. Cette opération est coûteuse, pénible, fatigante & mal-saine pour les malheureux batteurs. Il seroit plus expéditif & moins coûteux d’avoir un âne, ou un mulet, ou un cheval qu’on attacheroit à la barre d’une meule, & qui en tournant éclateroit le plâtre comme on écrase les pommes à cidre, les olives, les grains huileux, &c. (voy. la gravure du mot Moulin à cidre) ; la construction de ce moulin est peu coûteuse, & on épargneroit à des hommes un travail qui devroit être réservé aux animaux.

Les naturalistes distinguent plusieurs espèces de plâtre ; l’albâtre gypseux, la terre gypseuse, la pierre à plâtre ordinaire, le gypse en forme de coin, autrement nommé pierre spéculaire, miroir d’âne, & souvent & mal à propos, talc ; le gypse rhomboïdal décaèdre, le gypse prismatique décaèdre, le lenticulaire, le strié. La forme qu’il affecte dans sa cristallisation importe fort peu pour l’usage, ainsi qu’il a déjà été dit ; & toutes ces espèces sont propres à faire du mortier, pourvu que dans la cuite l’action du feu n’ait dissipé que leur eau de cristallisation.

L’agriculture peut retirer les plus grands avantages du plâtre dans les pays où il est commun, sur-tout si le bois pour le cuire est à bas prix. On le réduit en poudre de la même manière que lorsqu’il doit être employé à la maçonnerie. Plus il est réduit en poussière fine, & mieux il opère : les vieux plâtras tirés des démolitions des bâtimens, agissent moins que la poussière du plâtre nouvellement cuit, si ceux-ci ne sont pas chargés de nitre déjà tout formé.

Les substances gypseuses agissent de deux manières ; comme coins, comme leviers, dans les terres compactes & argileuses, ou comme contenant des sels alcalis lorsqu’elles sont nouvellement cuites, & des sels nitreux lorsque, pendant un certain nombre d’années, elles se sont approprié l’acide aérien de l’atmosphère. Le plâtre dans un de ces états jouit de tous les avantages de la chaux & de la marne.

Les plâtras produisent de très-bons effets, mis au pied des oliviers, ou seuls, ou mêlés avec des engrais animaux ; dans ce dernier cas, la combinaison savonneuse, ou principes de la sève, est bientôt établie. (Voyez la seconde & la troisième section du Chap. VIII du mot Culture, afin d’éviter ici des répétitions inutiles). Le plâtre agit avec le plus grand succès dans les terrains bas & marécageux, sur les prairies maigres & chargées de mousse, de joncs, de plantes parasites ; sur les vieilles luzernes qu’elles rajeunissent singulièrement pourvu que les pieds ne soient pas déjà détruits. En un mot, le plâtre est un excellent engrais qu’on doit employer avec la même circonspection que la chaux & de la même manière. (Voyez ce mot, il est essentiel à cet article).