Cours d’agriculture (Rozier)/INCUBATION

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Hôtel Serpente (Tome cinquièmep. 631-646).


INCUBATION. Action d’un oiseau qui se tient sur ses œufs pour en développer le germe, au moyen de la chaleur qu’il leur communique.

Le goût de couver, comme tous ceux qui viennent de la nature, est pour les oiseaux un besoin & un plaisir. La peule annonce ce désir par des signes non équivoques. Elle tourne, elle s’agite, elle hérisse ses plumes & glousse d’une manière toute particulière. Elle cherche un réduit où elle puisse obéir paisiblement au penchant qui l’entraîne. Au défaut d’œufs, elle couve avec constance tout ce qui lui en présente l’apparence.

On a quelquefois assez de peine à faire passer le goût de couver aux poules qui l’annoncent. On leur donne une nourriture rafraîchissante ; on les baigne même pour éteindre leur ardeur. Nous ne donnons pas pour bien certain le moyen qu’on emploie, en quelques provinces, de leur passer une plume par les naseaux. On prétend cependant, dans un grand nombre de livres qui traitent de l’économie rurale, que ce moyen est infaillible.

Les autres oiseaux ne font pas voir moins d’ardeur que la poule pour couver les œufs qu’ils ont pondus, ou ceux mêmes qu’on substitue dans leurs nids. L’histoire du coucou est connue. On sait que cet oiseau va pondre dans un nid étranger, & qu’il est en possession de donner à ses petits un père & une mère adoptifs.

Rien de si commun dans nos basses cours, que de voir des œufs d’une espèce, couvés par des oiseaux d’une autre espèce. La canne & la poule couvent indifféremment leurs œufs respectifs. La dinde qui est naturellement patiente & excellente couveuse, a souvent l’emploi de couver des œufs qui lui sont étrangers.

La durée de l’incubation n’est pas la même pour toutes les espèces d’oiseaux. En général, les petites espèces couvent leurs œufs pendant un temps beaucoup moins long que les grandes. La couvée des serins, linotes, chardonnerets, moineaux, &c, est de douze à treize jours, celle des pigeons de dix-huit, celle des poules de vingt à vingt-un, celle des cannes, oies, dindes, &c. d’un mois environ : l’aigle & apparemment les plus grands oiseaux n’en mettent pas davantage à la leur.

Il y a néanmoins des exceptions à ces loix ; la nature ne marche jamais sur une ligne mathématique. Les temps que nous venons d’assigner à chaque espèce, sont les temps moyens & ordinaires des couvées : quelques individus éclosent beaucoup plutôt, d’autres un peu plus tard que le commun des oiseaux de leur classe.

Nous ne connoissons pas de fait plus extraordinaire à cet égard que celui que rapporte M. d’Arcet dans le Journal économique, Janvier 1767. Ce médecin assure qu’il a suivi la couvée d’une poule dont les poussins sont éclos, un à treize jours, un à dix-sept, un à dix-huit & cinq autres du dix-neuf au vingtième jours.

La constance des couveuses dans toutes les espèces, est véritablement admirable : elles varient beaucoup dans la construction & dans l’emplacement de leurs nids ; (Voyez Nid) ; mais toutes font voir la même affection, la même patience dans une fonction qui paroît si ennuyeuse & si fatigante. Les couveuses en perdent, à la lettre, le boire & le manger. Les poules & les dindes périroient souvent sur leurs œufs, si on n’avoit l’attention de les retirer du nid pour leur faire prendre de la nourriture & pour leur donner le temps de se vider.

Dans les espèces qui vivent en liberté, c’est le mâle qui se charge de pourvoir aux besoins de la mère : celle-ci, par ce moyen, ne fait jamais que des absences fort courtes. Il y a des espèces, comme celle des pigeons, des moineaux, &c., où le mâle se met dans le nid & couve les œufs quand la femelle est obligée de les quitter.

La chaleur que la poule communique à ses œufs, n’est pas encore aussi déterminée qu’il seroit à souhaiter qu’elle le fût. Les thermomètres ordinaires de Réaumur la mettent à 32 degrés : quelques physiciens la placent plus haut, d’autres plus bas. Il est certain qu’on trouve des variations de chaleur dans les nids de poules, depuis 30 jusqu’à 34 degrés. La chose ne peut être autrement dans les nids des poules & dans ceux de tous les autres oiseaux qui couvent un grand nombre d’œufs à la fois. Les œufs de la circonférence du nid ne sont jamais aussi bien chauffés que ceux du centre ; aussi la plus grande occupation des couveuses est-elle de déplacer fréquemment leurs œufs, afin d’établir entr’eux tous la plus juste répartition de chaleur qu’il est possible.

Nous avons dit ci-dessus qu’il se trouvoit des poules si affectionnées à couver, qu’il falloit les retirer du nid pour les faire boire & manger ; mais cet attachement outré à leurs œufs, n’est pas l’instinct général des couveuses, sur-tout des jeunes. La plupart des couveuses sortent chaque jour du nid, pour quelques instans. Leur absence va quelquefois à un quart d’heure dans l’été & au commencement de la couvée. Les œufs se refroidissent sensiblement pendant ces absences de la poule. Les cannes en sortant du nid, ont la précaution de couvrir leurs œufs, de peur qu’ils ne se refroidissent trop.

Il y a des poules qui abandonnent quelquefois leurs œufs, quand on les touche ou qu’on les déplace. Le mieux est de placer les nids des couveuses, autant qu’on le peut, dans un endroit retiré, tranquille & où il y ait peu de jour.

Les gens de la campagne ont coutume de cacher un petit morceau de fer dans les nids. Cet usage ne paroît pas plus fondé en raison, que celui de mettre les œufs en nombre impair, dans la lune croissante, &c. : ce sont-là tout autant de préjugés qui ne se soutiennent que par une routine aveugle.

Incubation Artificielle.

On a essayé de bonne heure de substituer une chaleur artificielle à celle des poules & des autres oiseaux domestiques, pour en faire éclore les œufs. Au rapport d’Aristote (Hist. anim. Liv. V. Cap. 2). & de Pline le naturaliste, (Lib. X. Cap. 54), les anciens Égyptiens se sont occupés de ces recherches. Ils ont commencé par déposer les œufs qu’ils vouloient faire éclore, dans de certains vases qu’ils enfouissaient en terre & qu’ils échauffoient par le moyen du fumier. Peu-à-peu l’art se perfectionna : ils inventèrent leurs fameux Mamals, (Voyez Mamal), dont ils font encore usage aujourd’hui, & au moyen desquels ils se procurent une quantité considérable de volaille, pendant les huit ou neuf mois qu’ils les font travailler. C’est au mois de septembre qu’ils commencent leurs couvées : ils les continuent jusqu’à l’été, saison où cette sorte de travail ne réussiroit pas en Égypte.

Les Européens ont fait, en différens temps & en divers lieux, des tentatives pour naturaliser parmi eux cet art utile des Égyptiens. Mais comme le succès de la méthode Égyptienne dépend beaucoup du climat de cette heureuse contrée, tient à des circonstances locales, ainsi que l’a prouvé l’auteur de l’Ornithotrophie artificielle ou de l’art de faire éclore, &c. (vol. in-12. Paris, Morin 1780), il n’est pas surprenant qu’on n’ait point réussi dans les essais qu’on a faits ailleurs qu’en Égypte.

M. de Réaumur a beaucoup travaillé sur cet objet. Il a consigné ses recherches & ses préceptes dans un ouvrage connu de tout le monde & dont l’Auteur du livre que nous venons de citer, a donné dans son second Mémoire une analyse aussi précise qu’exalte.

Cet auteur fait voir que le but unique du travail de M. de Réaumur étoit de vérifier par le fait ce qu’on disoit de la possibilité de faire éclore des œufs par le moyen de la chaleur du fumier ; mais que la vérification de ce fait ne pouvoit le mener à rien de vraiment utile : qu’aussi toutes les pratiques de M. de Réaumur, ses fours à fumier comme ses fours à feu, sont très insuffisans pour un établissement grand & sérieux : que ses diverses méthodes exigeroient une multiplicité, un concours d’agens tout-à-fait chimériques, d’où il résulte que ce physicien n’a travaillé que pour l’amusement des curieux & nullement pour l’utilité réelle du Public ; ce qui est prouvé de reste par le fait même, puisque depuis plus de trente ans que les méthodes de M. de Réaumur sont connues, on ne voit pas nos marchés mieux fournis de volailles qu’ils ne l’étoient auparavant.

L’auteur de l’Ornithotrophie artificielle ne s’est pas borné à critiquer ceux qui l’avoient devancé dans la carrière ; il a tracé lui-même le plan d’un établissement en grand. Il entre dans les plus petits détails, tant sur l’art de faire éclore, que sur celui d’élever la volaille par le moyen d’une chaleur artificielle. Il appuie ses préceptes de sa propre expérience ; car ce n’est qu’après avoir travaillé long-temps par lui-même sur cet art utile, qu’il s’est déterminé à publier sa méthode dont nous allons donner le précis le plus exact que nous pourrons.

Art de faire éclore la Volaille par le moyen d’une chaleur artificielle.

I. Description d’un nouveau couvoir. L’auteur fait usage d’un couvoir ou étuve circulaire dont la Figure 1, Planche XXV représente l’élévation ou la vue extérieure.

P est la porte d’entrée du couvoir. Cette porte est vitrée à la moitié de sa hauteur. Il y a dans l’intérieur du couvoir une seconde porte vitrée opposée à cette première.

VV, portière d’une étoffe de laine chaude & épaisse, qui est soutenue par une petite potence en fer XX, au moyen de laquelle la portière a son mouvement indépendant de la porte P. Cette portière se rabat sur la porte & est assujettie par des agraffes.

TT, trou ou registres qui donnent, quand on veut, entrée à l’air extérieur dans le couvoir. Ces trous se ferment en dehors avec des bouchons de liège qu’on voit en bb.

DDOT, couverture de laine chaude & épaisse dont on revêt tout l’extérieur du couvoir jusqu’à la hauteur DD.

FFF, trois des quatre fenêtres placées dans la voûte du couvoir. La fenêtre à gauche est entr’ouverte au moyen de la corde GHI, qui passe sur la poulie H, & qui va s’attacher au crochet I, sur les parois du couvoir. Les trois autres fenêtres s’ouvrent de même.

MM, superficie du moyeu qui reçoit la charpente de la voûte.

C, bout d’une colonne de cuivre qui passe à travers le couvoir, dans toute sa hauteur.

La Figure 2 de la Planche représente la coupe verticale & tout l’intérieur du couvoir, lequel est tapissé du haut en bas, avec des peaux d’agneaux, comme on le voit en YY. ZZ est une partie de fourrure qui répond à l’embrasure de la fenêtre F.

OO, tablettes destinées à porter les six mille œufs, & plus, qu’on peut mettre couver en un seul lit.

UU, goussets qui portent les tablettes ; tt, rebords qui les bordent & les dépassent par en haut de cinq à six lignes. Ces rebords tt ont de distance en distance de petits clous à tête ronde cc, lesquels servent à attacher, d’une tablette à l’autre, des filets de ficelle dont on voit une partie en ff.

TT, tuyaux à air, engagés dans l’épaisseur des parois. Il y a quatre de ces tuyaux opposés diamétralement dans l’entre-deux de toutes les tablettes OO. (Voyez TT, Figure 1).

CC, colonne de cuivre qui passe par le centre du couvoir, & le traverse dans toute sa hauteur, perce le plancher sur lequel est construit le couvoir, & va plonger de deux pieds dans le fourneau représenté par les Figures 3, 4, que nous allons expliquer.

HH, épaisseur des parois du fourneau qui chauffe le pied de la colonne CC.

MM, foyer du fourneau. YY, porte du foyer. LL, cendrier. XX, porte du cendrier.

NN, grille de fer qui sépare le foyer du cendrier.

II, base du fourneau faisant le bas du cendrier L.

SS, tuyau de fumée.

PQ, sorte de trépied qui reçoit le pied de la colonne CC.

EE, étaies qui soutiennent le plancher sur lequel pose le couvoir.

AA, partie du châssis carré en bois, qui porte sur l’extrémité supérieure des quatre étaies.

BB, traverses qui soutiennent les planches GG, formant le petit plancher particulier du fourneau.

DD, jambes de force destinées à donner de l’appui aux traverses BB.

TT, degré en bois qui conduit au fourneau.

La colonne CC est remplie d’eau à un pied près environ de son sommet. Elle est échauffée au degré qu’on désire & jusqu’à l’ébullition, s’il le falloit, par l’action du fourneau où elle plonge. La chaleur de la colonne se répand dans l’intérieur du couvoir : elle se règle par un thermomètre plongé dans la colonne même, & par d’autres thermomètres répartis sur les tablettes OO où l’on place les œufs.

II. Service du nouveau couvoir. Quand la maçonnerie du couvoir est parfaitement sèche, quand on y a fait monter la chaleur au degré convenable, c’est-à-dire, au 33, selon le thermomètre de Réaumur ; quand on aura trouve moyen de la fixer pendant quelques jours ; quand on se sera assuré avec de bons hygromètres, (Voyez Hygromètre), que l’air intérieur du couvoir est plutôt au-dessous qu’au-dessus du degré de la poule couvante ; enfin, quand l’usage aura fait connoître la portée du fourneau, la manière de le conduire & la quantité de bois qu’on y doit consumer, on placera les œufs sur les tablettes qu’on aura garnies auparavant d’un lit très-mince de paille froissée dans les mains. Cette paille n’est employée que pour empêcher les œufs de rouler trop facilement.

On conçoit que les œufs doivent être choisis avec soin, puisqu’il ne peut rien provenir d’œufs non-fécondés, ou d’une mauvaise qualité. On ne mettra qu’un lit d’œufs par tablette, & on ne les serrera pas assez, pour qu’on ne puisse les rouler aisément, en passant la main par dessus.

Comme cette première opération de disposer les œufs sur les tablettes, demande un peu de temps, pour la rendre plus commode, on ouvrira entièrement, tant qu’elle durera, les fenêtres, la porte & les trous latéraux du couvoir.

Lorsque les œufs seront placés, on fermera tout, afin de leur faire prendre plus vite la chaleur requise, qu’on aura soin de leur conserver pendant tout le temps de la couvée.

Les opérations de chaque jour se réduisent à ce qui suit.

1°. On met du bois au fourneau trois ou quatre fois dans la journée, plus ou moins, selon la saison & le besoin.

2°. On visite au moins autant de fois les thermomètres & les hygromètres, pour s’assurer des degrés de la chaleur & de l’humidité qui règnent sur les tablettes, pour ouvrir ou fermer les différentes ouvertures du couvoir, s’il est à propos ; pour juger enfin s’il est convenable de pousser, de ralentir ou de soutenir le feu du fourneau.

3°. À chacune de ces visites, on retourne une partie des œufs, en faisant glisser légèrement la main par dessus et en les roulant en différens sens. On s’arrange de manière que tous soient retournés au moins deux fois par jour. Cette opération communique à l’embryon un mouvement qu’on peut croire lui-même être utile, & qui du moins ne peut lui nuire.

4°. On a soin, en retournant les œufs, de retirer ceux qui seroient gâtés.

Quoiqu’il y ait assez de jour, quand le couvoir est placé dans une chambre bien éclairée, pour juger des degrés du thermomètre, & pour exécuter les autres procédés dont nous avons parlé jusqu’ici ; on réservera celui dont il s’agit actuellement, pour les visites qu’on fera à la lumière dans le couvoir.

5°. On ouvrira successivement, au moins deux fois par jour, pendant trois ou quatre minutes, chacun des quatre trous latéraux correspondans entre deux tablettes. On pourra même, une ou deux fois par jour, ouvrir entièrement, pour un instant, les portes & les fenêtres du couvoir, afin d’y mieux renouveler l’air.

6°. Une autre opération de tous les jours, c’est de visiter, trois ou quatre fois, & plus souvent, s’il est nécessaire, le thermomètre plongé dans la colonne. Ce thermomètre doit toujours être, avec ceux de l’intérieur du couvoir, dans un certain rapport qui varie selon la saison, comme on le pense bien : l’observation seule peut déterminer ce rapport. Quand on trouve que le thermomètre plongé est notablement au-dessus ou au dessous du degré où il doit être, on est averti de ralentir ou de pousser le feu. Ce thermomètre plongé est une des principales boussoles qu’on doit conseiller pour bien opérer.

Tous les trois ou quatre jours on remplira la colonne à un pied près, & on lui rendra l’eau qu’elle perd continuellement par l’évaporation. Pourvu qu’il n’y ait pas un très-grand vide dans la colonne, il est indifférent de la remplir avec de l’eau froide ou de l’eau chaude. L’effet n’en est pas sensible dans le couvoir.

Vers le sixième jour de la couvée, on commence une opération particulière ; c’est à ce terme qu’on peut connoître, sans se tromper, les œufs clairs, ceux dont le germe n’a pas été fécondé. On examinera donc tous les œufs à la lumière, & l’on retirera du four ceux qui sont évidemment clairs, c’est-à-dire, ceux qui ne présentent aucune marque de développement ; mais de peur de méprise, on mettra à part ceux qu’on jugera douteux.

Il sera bon de graisser ou d’huiler les œufs clairs qu’on retirera du couvoir, afin d’arrêter leur évaporation. On peut être assuré que ces œufs seront tout aussi bons à manger que ceux qu’on emploie communément dans les cuisines.

L’opération dont il s’agit ici, demande trop de temps pour être faite de suite : on y reviendra à plusieurs reprises ; & en tout il vaut mieux multiplier les visites qu’on fait dans le couvoir, que d’y rester trop long-temps chaque fois. On pourra cependant y demeurer une bonne demi-heure en toute saison, sans aucune incommodité. Quand on aura de longues séances à y faire, on se servira très-utilement d’une éponge mouillée dont on se couvrira la bouche & le nez, & qu’on attachera au moyen de deux cordons qu’on se nouera derrière la tête. L’air qu’on respire est singulièrement rafraîchi, en passant à travers cette éponge.

Cette opération du sixième jour achevée, il n’y a plus rien de particulier à faire jusqu’au quinzième environ. Mais c’est à cette époque qu’il faut redoubler de soins : faire des visites fréquentes dans le couvoir pour y renouveler l’air, afin qu’il arrive le plus pur qu’il se peut à l’embryon qui le respire. On examinera aussi soigneusement les œufs à la lumière : on retirera ceux qui seront gâtés, & ceux qui renfermeront des embryons morts depuis longtemps, ce qu’on reconnoîtra à leur peu de développement, en comparaison de ceux qui se portent bien.

On mettra parmi les œufs douteux ceux qu’on ne verra pas aussi avancés que les autres, c’est-à-dire, ceux qui ne paroîtront pas entièrement opaques à l’exception du vide du gros bout. On fera bien d’y joindre aussi ceux où ce vide seroit excessif. On ménagera une tablette ou deux, de celles qui sont le plus à la portée de l’œil, pour placer tous ces œufs douteux.

Vers le dix-neuvième jour, avant qu’aucun poulet ne soit éclos, on tend, du rebord d’une tablette à l’autre, des filets de ficelle à petites mailles. (ff Fig. 2). On attache les maille. des bords de ces filets, aux petits clous cc fichés dans l’épaisseur des tablettes. On détache les filets inférieurement & par partie, toutes les fois qu’on veut passer la main entre les planches.

Quoique ces filets puissent suffire pour retenir les poulets, & les empêcher de tomber sur le plancher du couvoir, cependant, pour plus de sureté, on le couvrira encore d’un bon lit de paille ou de foin. Par ce moyen la chute des poulets ne seroit pas dangereuse, si par hasard il s’en échappoit quelques-uns de dessus les tablettes.

Le temps où les poulets éclosent n’en est pas un de repos pour les conducteurs des couvoirs : ils doivent y entrer fréquemment pour retirer les coquilles des poulets éclos, & même pour faciliter la sortie de ceux qui auroient trop de peine à éclore. Il ne faut cependant leur donner du secours qu’avec précaution, & l’on ne doit pas trop se hâter de le faire.

Sur la fin du vingt-unième jour, la plus grande partie des poulets qu’on doit attendre, sera éclose, on les débarrassera des poulets morts, & des œufs dont les poussins ne seroient pas éclos. Ces œufs seront de deux sortes : quelques-uns seront fracturés, & il sera facile de voir si le poulet vit ; dans ce cas on essayera de le retirer de la coquille doucement & sans précipitation : les autres ne seront pas même béchés, & ceux-ci donneront encore moins d’espérance ; il ne faudra pas néanmoins les abandonner entièrement. On pourra commencer par les fracturer légèrement à un tiers de leur hauteur pris du côté du gros bout ; puis, si l’on n’entend aucun piaulement, on enlèvera une portion de la coquille pour juger de l’état ou se trouve le poulet. Si la membrane blanche qui l’environne est fort affaissée, & que l’embryon ait peu ou point de mouvement, il n’y a pas beaucoup à en espérer : le poulet sera mort ou près de mourir dans sa coque ; on l’y laissera. On ramassera tous les œufs semblables, de même que tous les poulets morts ; on les joindra aux œufs qu’on aura retirés dans l’opération du quinzième jour, & on les réservera pour la nourriture des jeunes poulets.

Il n’y a aucun doute que les précautions, que nous venons de prescrire, ne puissent sauver la vie à un bon nombre de poussins. On fera fort bien de les mettre en pratique, pourvu qu’on n’y trouve pas trop de difficulté ; car on ne doit pas se dissimuler que ce qui est d’une exécution facile lorsqu’on fait couver quelques douzaines d’œufs pour son amusement, devient souvent impraticable quand il s’agit de plusieurs milliers.

Mais ce qui doit diminuer les regrets, par rapport aux poulets qu’on laisseroit dans leur coque faute de les en retirer, c’est qu’en général tous les poulets bien constitués éclosent d’eux-mêmes. Il n’y a guères que ceux qui sont foibles & chétifs qui aient besoin de secours : or, le plus grand nombre de ces derniers qu’on a tirés de la coquille, traîne une vie languissante, & ne s’élève presque jamais.

On aura seulement l’attention de ne retirer les œufs du couvoir qu’à la fin du vingt-troisième jour de la couvée. Il y a quelquefois des poulets dont la naissance est retardée, & qui éclosent à ce terme.

Art d’élever la Volaille par le moyen d’une chaleur artificielle.

I. Traitement des poulets dans le couvoir. Avant de percer sa coquille, le poulet fait entrer dans ses intestins, par le nombril, une portion considérable du jaune, qui le dispense de prendre d’autre nourriture pendant les deux premiers jours de sa naissance ; c’est-là comme le lait que la nature lui a préparé. Dans les premiers temps de sa vie, le poulet a encore plus besoin de chaleur que de nourriture ; aussi ne se pressera-t-on pas de faire sortir du couvoir, les poulets qui y seront éclos, ils y sont mieux que par-tout ailleurs, pour se fortifier. On pourra donc les y laisser 3 ou 4 jours ; mais on ralentira un peu la chaleur, & on ne la fera monter que de 26 à 28 degrés.

Ce ne sera que vers la fin du vingtième jour, qu’on donnera à manger & à boire aux poulets. Leur nourriture, tant qu’ils resteront dans le couvoir, sera du pain rassis émietté, avec lequel on mêlera un peu de millet, & de la mie de pain humectée avec du vin. Quand on aura des œufs de rebut, on les fera durcir & on les leur pilera avec la coquille. On leur donnera de l’eau qu’on aura soin de renouveler deux ou trois fois par jour, ainsi que la mie de pain trempée, de peur qu’elle ne s’aigrisse.

Enfin, au bout de quatre jours, les poulets éclos doivent faire place à une nouvelle couvée. On les met dans des paniers peu profonds, dont le couvercle est garni de peau d’agneau, & on les transporte dans l’étuve destinée à les recevoir, & que nous allons décrire.

II. Traitement des poulets dans la première étuve ou poussinière. L’étuve où l’on fait entrer les poulets du premier âge, & que par cette raison on peut appeler poussinière, est une chambre ou salle au rez-de-chaussée, de six pieds au plus de hauteur & d’une grandeur proportionnée au nombre de poulets qu’on y veut élever. En supposant que ce nombre soit au nombre de 3000, la poussinière doit avoir environ 360 pieds quarrés ; par exemple, vingt-quatre pieds de long sur quinze de large.

Il seroit bon de faire plafonner le plancher supérieur de cette étuve, afin que l’air froid ne pût s’y introduire par cette voie. La poussinière doit avoir deux fenêtres au midi, de toute la hauteur de la pièce & une double porte fermant bien exactement. La seconde porte intérieure s’ouvre à coulisse ; elle a par le bas une partie fixe de 7 à 8 pouces de haut, pour que les poulets ne se prennent pas entre les deux portes, & qu’on ne soit pas exposé à les écraser en entrant dans l’étuve. Cette seconde porte peut être vitrée par le haut.

On échauffe cette étuve avec un fourneau ou un poêle de brique, (Pl. XXVI, Fig. 1), à peu près semblable à celui qui échauffe la colonne. On place ce poêle au milieu de l’étuve : voici en quoi il diffère principalement de celui du couvoir.

De chaque côté de la porte du poêle, on rétrécit le foyer de deux pouces, en sorte que ce foyer a 10 pouces de long sur 16 de large.

À un pied au-dessus de la grille du foyer NN, Fig. 1, on pose horizontalement, & on fiche dans les parois du poêle quatre barres de fer rr, de 15 lignes de large, & d’un pouce d’épaisseur, également espacées. On arrange sur ces barres de fer, des briques BB, posées sur leur plat & à trois pouces les unes des autres. Sur ce premier lit, on en établit d’autres qui croisent les premières, & toujours de même en montant ; de manière qu’elles remplissent, à 3 pouces près des parois, la concavité de la voûte du poêle VV. Elles doivent s’élever au moins vingt pouces au-dessus des barres de fer rr qui supportent les briques.

Au centre & au sommet de la voûte, on laisse un trou de cinq pouces, où l’on introduit un tuyau de tôle T, de même diamètre, qui monte perpendiculairement de quelques pouces, & se divise en deux branches ou conduits de fumée DD, de quatre pouces de diamètre environ. Ces tuyaux DD traversent toute la longueur de l’étuve, & portent la fumée au dehors, de la manière la plus commode.

Avec un poêle construit de cette manière, il n’est pas difficile de pousser la chaleur dans l’étuvé au degré qui convient, & de l’y maintenir à peu près égale. Ce poêle consume peu. Pour entretenir 12 a 15 degrés de chaleur dans l’étuve, même pendant les plus grands froids, il suffit de brûler deux ou trois bûches moyennes en vingt-quatre heures.

Un autre moyen de procurer de la chaleur aux poulets dans l’étuve, c’est de leur fournir des mères artificielles, dont voici la construction. Ces mères sont formées de deux châssis parallèles AA, BB, Fig. 2. de trois pieds de long sur un pied de large. Les bois de ces châssis peuvent avoir un pouce de large sur dix lignes d’épaisseur ; ils sont assemblés & portés par des montans de chêne MM, d’un pouce en carré, & haut de dix pouces ; pour les mères de la poussinière. Le dessus du châssis inférieur doit répondre à quatre pouces des montans. Le châssis supérieur s’ajuste à l’extrémité supérieure des mêmes montans MM.

Au-dessus du châssis inférieur, on perce dans les montans des trous tt, qui se correspondent de part & d’autre, à travers desquels on fait passer horizontalement des fiches de fer FF. Ces trous doivent être espacés de demi-pouce en demi-pouce, jusqu’à la hauteur d’environ 2 pouces.

On tapisse en dedans les châssis supérieurs & inférieurs PP avec de bonnes peaux d’agneau.

On place les fiches de fer FF, relativement à la hauteur qu’on veut donner à la mère, selon la grandeur des poulets, & l’on fait couler sur ces fiches deux planches minces CC, d’un pied de large, lesquelles s’emboîtent de deux pouces sur la fiche du milieu, par une échancrure ee, de six pouces, correspondante à chaque planche. On passe une seconde fiche au-dessus de chacune des premières, pour assujettir les planches. Ces deux planches ainsi réunies, forment le fond & comme le plancher inférieur de la mère la plus élevée ; car chaque mère a comme deux étages, dont le premier a pour fond le sol même de l’étuve, & le second les deux planches emboîtées CC.

On a soin de recouvrir la mère de l’étage supérieur, avec de petites planches minces & légères DD, afin de garantir les peaux qui les tapissent.

Les mères ne sont fermées latéralement que par des peaux d’agneau pendantes RR, & clouées seulement par le haut sur le bord des châssis horizontaux. Les poulets ont toujours, par ce moyen, une sortie libre de tous côtés, quand ils se trouvent mal à leur aise ; & il n’est pas à craindre qu’ils se pressent au point de s’étouffer.

Les mères artificielles se posent à terre sur les montans MM, qui leur servent de pieds. On garnit le fond de la supérieure & de l’inférieure, d’un lit de paille froissée dans les mains, laquelle fait la lisière des poulets.

On range les mères le plus près du poêle qu’il est possible, en les isolant toutes néanmoins, afin que les poulets puissent en sortir & y rentrer librement de tous côtés.

Il faudroit environ quinze mères comme celles qui viennent d’être décrites, pour loger 3000 poulets dans la poussinière ou première étuve.

La chaleur, sans les mères suffisamment remplies de poulets, va pour l’ordinaire de 24 à 25 degrés en toutes saisons.

La plus grande propreté doit régner dans l’étuve. On étend sur son plancher un lit de sable de rivière de trois à quatre pouces d’épaisseur ; on balaie tous les jours ce sable, & l’on racle pareillement avec une ratissoire à la main RM, Figure 3, les ordures qui pourroient s’être arrêtées sur les mères, & dans tous les endroits où les poulets se sont posés.

On établit en tout temps dans l’étuve une circulation d’air plus ou moins considérable, selon la saison. On y peut aussi pratiquer de temps à autre, des fumigations d’herbes odorantes, mais communes.

On ménage, au midi, un petit enclos attenant l’étuve, lequel sert de promenoir aux poulets ; c’est-là qu’ils vont courir & s’ébattre lorsqu’il fait un rayon de soleil & que le temps le permet.

On sert, deux fois par jour, aux poulets de la poussinière, une pâtée composée de farine d’orge moulue grossièrement, c’est-à-dire, seulement concassée, & d’une quantité égale de pommes, de terre ou de citrouilles cuites. Outre cela on a soin de tenir en tout temps leurs augets garnis de quelques graines, racines, herbes, &c., tantôt cuites, tantôt crues, pour qu’ils puissent manger dans les intervalles, quand ils en ont envie.

L’eau de la colonne peut servir à faire cuire les différentes mangeailles destinées aux poulets. On a, pour cet effet, un panier d’osier, fort serré, de dix pouces de diamètre, & d’environ trois pieds de haut ; ce panier, est surmonté à son extrémité supérieure par une anse à laquelle on attache une corde ; au moyen de cette corde on descend & on remonte le panier dans la colonne : on met dans ce panier les grains & autres mangeailles qu’on veut faire cuire.

Pour concilier la propreté avec l’économie, on sert aux poulets leurs différentes mangeailles dans des augets de fer blanc ou de terre cuite AA, Figures 6, 7, d’un bon pied de long, sur trois à quatre pouces de large, & quinze à dix-huit lignes de haut : ils ont, à l’une de leurs extrémités, un petit anneau E, qui se meut dans une sorte de charnière ou il est engagé.

On met bout à bout deux de ces augets dans une espèce de petite cage BB, formée de deux planches minces parallèles & horizontales DD, assemblées par six petits montans de bois BB. On grille cette petite cage dans son pourtour avec des fils de fer GG, qui entrent par leurs extrémités dans les deux planches DD. Ces fils de fer doivent être espacés différemment, selon l’âge des poulets. La longueur & la largeur de ces mangeoires ou cages, sont déterminées par celles des deux augets AA, qu’elles doivent contenir : on les y introduit par deux ouvertures convenables EE, qu’on pratique aux deux extrémités des cages. On fiche à ces deux extrémités, une espèce de petit crochet mobile c, qu’on abaisse quand les augets sont entrés, & qu’on relève quand on veut les retirer.

Les deux planches parallèles des mangeoires DD, doivent déborder d’un bon pouce les grillages de chaque côté. Cette largeur de la planche supérieure empêche les poulets qui montent sans cesse dessus, d’infecter les augets par leurs excrémens.

Les augets dont on se sert dans le couvoir, ont deux ou trois divisions dans l’une desquelles on verse de l’eau. Il suffit d’avoir, sur chaque tablette, 4 ou 5 mangeoires qui auront un pied ou un pied & demi de long, sur 3 pouces de large.

On aura grand soin de tenir les augets propres & de les passer de temps en temps dans l’eau bouillante.

Les augets AA sont sur-tout employés pour servir aux poulets les pâtées & les grains cuits. On met les grains secs dans ces sortes de trémies, si connues dans les colombiers : on en tient toujours dix ou douze dans la poussinière, & autant dans les promenoirs, quand la saison permet aux poulets de s’y tenir. Il faut aussi distribuer 20 à 25 mangeoires dans la poussinière.

On met l’eau de la boisson des poulets dans des bouteilles de grès renversées GG, Figures 4, 5, & qui plongent, par l’orifice de leur goulot, dans un petit baquet BB, de deux pouces de profondeur. La bouteille est portée au centre du baquet par un petit support de bois SS, où elle s’ajuste solidement, pour que les poulets ne puissent entrer dans le baquet, & salir l’eau ; la bouteille est couverte d’une espèce de panier conique en osier PP, dont la base à claire-voie pose sur le bord du baquet, & laisse seulement aux poulets la faculté de passer entre les brins d’osier, la tête & le cou, pour prendre leur boisson. Il suffit d’avoir cinq ou six de ces baquets par étuve, & deux ou trois dans chaque promenoir.

III. Traitement des poulets du second mois & au-dessus de cet âge, jusqu’à ce qu’ils soient en état d’être vendus. Environ un mois après que les poulets sont entrés dans la poussinière, il faudra songer à les faire passer dans une seconde étuve ou sevroir. Ils doivent céder la place aux poulets nouvellement éclos dans le couvoir, ou l’on a commencé une seconde couvée aussitôt que les premiers poulets en sont partis.

Si les deux étuves sont contiguës, ce qui seroit plus commode, on pratiquera une petite porte de communication de l’une à l’autre ; c’est par cette porte qu’on fera passer les poulets de la poussinière dans le sevroir ou seconde étuve.

Cette seconde étuve sera toute semblable à la première : il seroit cependant convenable qu’elle fût un peu plus spacieuse ; qu’elle eût, par exemple, trente pieds de long sur quinze de large.

Le traitement des poulets dans le sevroir, est à peu près le même que celui qu’ils ont reçu dans la poussinière. Il est cependant à propos, sur-tout à la fin du second mois, de les tenir plus long-temps à l’air, pour les y accoutumer & pour les rendre moins sensibles à ses influences. Il faut aussi diminuer peu à peu la chaleur de leur étuve, & leur ôter les mères le plutôt qu’il est possible, sans les incommoder.

Ce n’est que dans les temps très froids, que les mères artificielles sont utiles aux poulets du second mois. Quand les nuits sont tempérées, on peut, sans inconvénient, les leur retirer. Peut-être même qu’en renforçant un peu la chaleur durant les nuits froides, on pourroit se passer tout-à-fait de mères dans le sevroir. Si elles y étoient nécessaires, il en faudroit environ une vingtaine, d’après les conditions qui ont été détaillées ci-dessus. On donneroit seulement à ces mères un pied d’élévation.

Dans les derniers jours du second mois, on peut donner la liberté aux poulets du sevroir ; ils n’exigent plus alors d’autres soins qu’on prend ordinairement de la volaille. Quand la saison le permet, on les lâche toute la journée dans un enclos où ils trouvent des fumiers à gratter & de l’herbe à paître.

On a l’attention de leur ménager un abri où ils puissent se retirer pendant la pluie & le trop grand soleil. Un toit des plus simples, appuyé contre une muraille, sera suffisant. On y tendra de haut en bas, un grand nombre de petites perches carrées, afin qu’ils puissent s’y jucher & s’y reposer.

C’est auprès de ce toit que deux ou trois fois par jour on rassemblera la volaille, pour lui jeter du grain & tout ce qu’on voudra lui donner, comme racines & herbes potagères, fruits de rebut cuits ou crus, &c. ; elle y trouvera de l’eau nette dans des espèces d’auges de pierre peu profondes : on distribuera aussi quelques-unes de ces auges dans l’enclos : on aura soin de renouveler l’eau, & de la tenir toujours pure.

Si l’enclos étoit assez spacieux, on feroit bien de le séparer en deux parties, afin d’en laisser reposer une pendant que la volaille gratterait & fourragerait l’autre.

Le toit dont nous venons de parler, pourroit servir d’asile à la volaille, même pendant la nuit, au moins pour la plus grande partie de l’année, pourvu qu’il fermât bien & qu’il fût inaccessible aux animaux nuisibles ; mais indépendamment de ce toit, il faudroit avoir, pour l’hiver, une sorte de grange bien close, dont on feroit un poulailler assez vaste pour retirer toute la jeune volaille.

Si la saison est trop rude, lorsque les poulets du second mois doivent sortir du sevroir ; alors, durant une partie du troisième mois & jusqu’à ce qu’ils soient assez forts, on les loge dans une troisième étuve qui a aussi son promenoir particulier.

À la fin du troisième mois on pourra commencer la vente des poulets. La manière dont ils auront été élevés, les aura fortifiés & mis bien en chair ; il ne s’agira plus, pour les rendre d’un meilleur débit, que de les engraisser, opération qui demande dix à douze jours ; voici comment on y procédera.

On les mettra dans cette sorte de mue ou épinette dont les Figures 8 & 9, représentent une partie ; c’est celle qui est en usage dans plusieurs provinces pour engraisser la volaille.

EE, charpente de la mue qui en fait le corps & l’assemblage.

AA, Fig. 8, plan des loges où l’on enferme chaque pièce de volaille. Il y a double rang de ces loges : elles sont adossées l’une à l’autre, & séparées par un seul & même treillage.

RR, roues en bois qui supportent la mue & qui en facilitent le transport. SS, essieux des roues.

HH, planche sur laquelle on pose les augets NN, Fig. 10.

Chaque loge A doit avoir environ six pouces de haut sur six de large & sept de profondeur, pour les volailles ordinaires. Les loges AA sont séparées de celles qui les avoisinent, par des treillages de saule ou d’osier à claire-voie BB. Fig. 8. 9.

PP ; portes de chacune des loges. Ces portes sont en bois. Elles ont dans leur milieu une fente l pour laisser passer la tête & le cou de l’oiseau ; elles se meuvent sur deux petits pitons cc, & se ferment au moyen d’un petit tourniquet en bois t, qui assujettit deux portes à la fois.

DD, planches qui forment le fond de chaque loge, & qu’on retire & remet quand on veut par-dessous les portes PP.

ee, petits bâtons qui traversent les loges, & où se pose la volaille qui y est enfermée.

II, crochets de fer qui portent une planche mince H Fig. 8, sur laquelle on pose les augets NN : lesquels ont deux compartimens, l’un pour la mangeaille, l’autre pour la boisson. (Voyez Fig. 10).

Le service des mues se réduit à ce qui suit. 1°. On pétrit tous les jours une quantité de pâtée suffisante pour la consommation de la journée. Cette pâtée est formée d’un mélange de farine de sarrasin, d’orge & d’avoine. La farine de sarrasin domine dans ce mélange, & en forme au moins la moitié. On peut y joindre un douzième d’ivraie, ou même un quart de citrouille bouillie. On passe au gros sas ces farines ; on les mêle, on les pétrit bien avec du lait un peu tiède, versé à différentes reprises, & l’on en forme une pâte à demi-liquide.

2°. On distribue, deux fois par jour, dans les augets, la pâtée & le lait, ou l’eau pour la boisson.

3°. On retire, tous les matins, les planches DD, qui forment le fond de chaque loge, pour les nettoyer avec la petite ratissoire MR, Fig. 3.

En donnant aux mues, que nous venons de décrire, cinq pieds de haut sur deux de large, neuf de long & trente-six pouces quarrés à chaque loge, l’une portant l’autre, comme il a été dit, quatre mues semblables suffiroient pour un établissement roulant sur trois mille poulets par couvée.

C’est dans ces mues qu’on engraisseroit les poulets de trois mois qu’on voudroit vendre, à moins qu’on n’aimât mieux les laisser vivre jusqu’au sixième ou au septième mois, & en faire des chapons ou des poulardes. On auroit alors à choisir pour l’engrais, entre des volailles de tout âge & de toute espèce. On se décideroit sur les circonstances de la saison & du meilleur débit ; mais quand l’établissement sera monté, on s’arrangera toujours pour vendre, tous les mois, à peu près autant de pièces que le couvoir en fournit par couvée.

Enfin, au bout de six à sept mois tous les poulets de la première couvée doivent être disparus, & ainsi des autres successivement. Les plus vieux, en aucun temps, ne doivent jamais beaucoup passer cet âge. Si même on en réservoit quelques-uns pour devenir poules ou coqs, les six mois révolus, il faudroit les loger séparément, & leur ôter toute communication avec la jeune volaille qui fait le fond de l’établissement.

La volaille qu’on n’engraissera pas, rapportera moins, mais elle se vendra toujours. Il vaudroit mieux débiter en poulets, c’est-à-dire, dans le troisième mois, les volailles qu’on ne voudroit pas engraisser ; elles consommeroient moins, & feroient par conséquent plus de profit. On s’arrangera cependant de manière que les mues ne manquent pas à la volaille qu’on jugera propre à l’engrais : le débit en sera toujours plus avantageux.

On pourroit transporter commodément la volaille qu’on auroit à vendre, dans une sorte de poulailler dont la Figure 11, représente une partie.

Ce poulailler est porté sur deux roues, & il a deux brancards comme les charrettes ordinaires ; il est formé de chaque côté dans sa longueur, d’une dizaine de rangs de loges parallèles AA. Les deux derniers rangs inférieurs peuvent tomber au dessous des brancards. On pourroit aussi suspendre cette voiture sur des soupentes, afin d’en rendre le mouvement plus doux.

Les loges sont séparées entr’elles, par un treillage d’osier BB, assez serré pour que des poulets ne puissent passer la tête au travers. Le fond de chaque loge est muni d’une planche mince D, posée sur le treillage qui sépare la loge inférieure de la supérieure, comme dans les murs ; mais la porte P est d’osier, à claire-voie. Cette porte est attachée au haut de chaque loge, par des charnières en osier cc, & elle se ferme par en bas, au moyen d’un petit bâton passé par un anneau de fer r qui entre dans la porte.

Les loges AA de ce poulailler sont plus grandes que celles des mues que nous venons de décrire. Elles ont un pied de large, 18 pouces de profondeur, & 8 de hauteur. Cet espace suffit pour contenir quatre à cinq pièces de volaille.

Selon les dimensions qu’on vient de voir, le poulailler ou la sorte de charrette qu’il forme, auroit en total 5 pieds de long sur 3 de large, & 7 de haut, environ : elle pourroit voiturer quatre cents pièces vivantes, à quatre par loge, & cinq cents, si on en mettoit cinq dans chaque loge.

Ce poulailler donneroit la facilité d’amener la volaille des provinces assez éloignées ; elle y seroit comme dans une mue. On établiroit sur les crochets II, une planche mince HH qui porteroit des augets NN, qu’on auroit attention de garnir de pâtée peu liquide. Ce poulailler demanderoit pendant la route, à peu près les mêmes soins que les mues : le service en seroit le même. On ne manqueroit pas de donner à boire à la volaille toutes les fois qu’on s’arrêteroit.