Cours d’agriculture (Rozier)/LOUP. LOUVE

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Hôtel Serpente (Tome sixièmep. 298-302).


LOUP. LOUVE. Animal malheureusement trop connu dans les campagnes pour qu’il soit nécessaire de le décrire ici ; il attaque les bœufs, les chevaux, les ânes ; il les saisit par la queue, & à force de les faire tourner sur eux-mêmes, il les étourdit, les fait tomber, & leur saute aussitôt à la gorge ; enfin l’animal expire, & il le dépièce jusqu’à ce qu’il soit rassasié à l’excès. Il emporte le mouton en le jetant sur son col ; la chèvre, les chiens sont ses victimes ; il attaque même les enfans & les femmes, lorsqu’il est pressé par la faim. Quand il a une fois goûté à la chair humaine, il la recherche ensuite avec avidité. Lorsque la vigilance des bergers, & les soins ou les mauvaises saisons, lui dérobent sa proie, plutôt que de mourir de faim, il leste son estomac en mangeant de la glaise. Les sens de cet animal sont très-exercés, il a l’oreille sensible au bruit le plus léger, & l’odorat très-délicat ; il va toujours le nez au vent pour chercher sa proie ; sa vue est perçante, & sa course prompte & soutenue. Sans cesse en défiance, il se cache dans le fourré des bois, d’où il ne fort que lorsque les ombres de la nuit invitent au repos les hommes & les animaux. La défiance guide ses pas, & son odorat lui indique les pièges qu’on lui tend. Attirer & surprendre un vieux loup, est une chose bien difficile. Si on désire de plus grands détails sur son histoire naturelle, on peut consulter l’ouvrage de M. de Buffon ; comme il est entre les mains de tout le monde, il seroit superflu de le copier ici.

On a inventé plusieurs moyens pour exterminer ce fléau des campagnes ; les Anglois ont mis la tête des loups à prix, & ils ont doublé, triplé, décuplé & centuplé les récompenses à mesure que l’espèce devenoit plus rare. Enfin il n’en existe plus dans cette île, assez éloignée du continent pour empêcher l’animal de traverser le bras de mer qui l’en sépare. On ne peut pas en France prendre le même parti, parce que ce royaume, en grande partie environné par la chaîne des Pyrénées & des Alpes, par la chaîne des Vosges & des Pays-Bas Autrichiens, ne peut se garantir de l’entrée de ces animaux ; le roi donne trente livres par tête de loup, mais dans quelques cantons cette récompense est inconnue. Ce moyen s’oppose jusqu’à un certain point à l’excessive multiplication de ces animaux, mais produit peu d’effets. Si les loups sont trop nombreux, les communautés s’adressent à leur intendant, & demandent la permission de faire une battue à leurs frais, & rarement elle leur est refusée. Plus la battue est nombreuse, & moins elle a de succès, parce que le loup s’enfuit dès qu’il entend le bruit des chasseurs, & ils ont beau se poster avantageusement, l’animal se dérobe aux embuscades, & il est rare de compter trois ou quatre loups tués ou blessés dans ces battues.

Les battues se réduisent à un simple déplacement des loups, d’un lieu à un autre ; si elles sont faites au compte du roi, il en coûte immensément ou à la province ou au trésor royal, & le résultat n’est guères plus avantageux que celui des battues des communautés.

La louveterie est presque devenue une science qui consiste à former des équipages de chiens, soit pour courir après le loup, soit pour l’obliger à sortir de sa retraite, &c. Malgré toutes ces précautions, a-t-on moins de loups dans les provinces éloignées de la Capitale ? N’a-t-on pas vu, en 1761 ou 1762, les femmes & les enfans être attaqués par ces animaux, devenus redoutables pour tous ces cantons ? Dans une battue, composée de plus de quatre mille personnes, on tua cinq louvetaux, quelques renards, & on vit le loup carnassier, fuir, traverser le Rhône, & aller exercer ses ravages dans le Vivarais, où il fut tué quelques années après.

Le loup est si fin, si rusé, si adroit, qu’on réussit très-peu à le détruire par la force ouverte. Il a donc fallu recourir aux pièges. Je vais rapporter les descriptions des principaux, copiées du dictionnaire encyclopédique & économique, & j’indiquerai ensuite un moyen que je regarde comme infaillible.

Le meilleur piège est le traquenard. (Voyez ce mot) Avant de le tendre, on commence par traîner un cheval ou quel qu’autre animal mort dans une plaine que les loups ont coutume de traverser ; on le laisse dans un guéret ; on passe le râteau sur la terre des environs pour reconnoîtte plus aisément le pas de l’animal, & d’ailleurs le familiariser avec la terre égalée qui doit couvrir le piège. Pendant quelques nuits le loup rode autour de cet appât, sans oser en approcher ; il s’enhardit enfin : il faut le laisser s’y rendre plusieurs fois. Alors on tend plusieurs pièges autour, & on les couvre de trois pouces de terre, pour en dérober la connoissance à ce défiant animal. Le remuement de la terre que cela occasionne, ou peut-être les particules odorantes, exhalées du corps des hommes, réveillent toute l’inquiétude du loup, & il ne faut pas espérer de le prendre les premières nuits ; mais enfin l’habitude lui fait perdre sa défiance, & lui donne une sécurité qui le trahit.

Il est un appât qui attire bien plus puissamment les loups, & dont les gens du métier font communément un mystère ; il faut tâcher de se procurer la matrice d’une louve en chaleur ; on la fait sécher au four, & on la garde dans un lieu sec. On place ensuite à plusieurs endroits, soit dans le bois, soit dans la plaine, des pierres, autour desquelles on répand du sable ; on frotte les semelles de ses souliers avec cette matrice, & on en frotte bien sur tout les différentes pierres qu’on a placées ; l’odeur s’y conserve pendant plusieurs jours, & les loups mâles & femelles l’éventent de très-loin ; elle les attire & les occupe fortement} lorsqu’ils sont accoutumés à venir gratter quelqu’une de ces pierres ; on y tend le piège, & rarement sans succès, lorsqu’il est bien tendu & bien couvert. Dict. Encyc.

Dans les pays des forêts & grands bois où il y a nombre de loups, on peut se servir d’une fosse avec une trappe, laquelle étant chargée d’un bout, renverse sa charge dans la fosse, & se referme d’elle-même. Cette invention ne doit se pratiquer que dans les chemins écartés, qui sont les endroits ordinaires où passent les loups ; & afin de ne pas travailler inutilement, il faut, avant d’y faire la fosse, vous promener quelque matin après la pluie, ou bien quand la terre est molle & qu’il a neigé, & regarder à terre pour y découvrir les empreintes du loup. On place sur la partie du milieu de la trappe ou bascule, une bête morte, & on l’y attache ; dès que le loup a les quatre pieds sur la bascule, elle s’abaisse, & l’animal tombe dans la fossé.

Plusieurs personnes se servent d’un mouton ou d’une oie, pour attirer le loup & autres animaux carnassiers, parce que ces deux animaux étant seuls, ne cessent de crier ; leurs cris attirent les loups & les renards, qui pensant se jeter sur eux, ne peuvent éviter les effets de la bascule. Lorsque le loup est pris, le mieux est de lui passer au col un las coulant pour le tirer de la fosse, & le donner ensuite aux chiens à étrangler loin de-là, car si le sang de l’animal est répandu sur la place, on peut compter qu’aucun autre loup n’en approchera de long-temps, quelques appâts qu’on mette dans le piège. Dict. économ.

Les chasses, ainsi qu’il a été dit, produisent peu d’effets, les fosses sont souvent dangereuses pour les hommes qui ignorent où elles sont placées, ce que l’exemple a prouvé plusieurs fois ; mais il existe un moyen moins coûteux, plus sûr, & dont je certifie avoir fait ou avoir fait faire plusieurs fois l’expérience avec le plus grand succès. Je n’en ai pas le mérite de l’invention, & j’avoue de bonne-foi que le procédé fut indiqué en 1764 ou 1765 dans les papiers publics ; il me parut si simple, si naturel, que je le copiai alors ; mais j’oubliai de transcrire le nom de son auteur, & de la feuille publique où il étaie inséré.

Prenez un ou plusieurs chiens, ou plusieurs vieilles brebis ou chèvres que vous faites étrangler ; ayez de la noix vomique râpée fraîchement ; (on trouve cette drogue chez tous les apothicaires) faites une quinzaine ou vingtaine de trous avec un couteau dans la chair, suivant la grosseur de l’animal, comme au rable, aux cuisses, aux épaules, &c. Dans chaque trou, qui doit être profond, vous mettrez un quart ou demi-once de noix vomique, le plus avant qu’il sera possible ; vous boucherez ensuite l’ouverture avec quelque graisse, & encore mieux, vous rapprocherez par une couture les deux bords de la plaie, afin que la noix vomique ne puisse pas s’échapper ; liez ensuite l’animal par les quatre pattes avec un osier, & non avec des cordes, qui conservent trop long-temps l’odeur de l’homme : enterrez l’animal ou les animaux ainsi préparés dans un fumier qui travaille, c’est-à-dire dans lequel les parties animales se développent par la fermentation ; il doit y rester en hiver pendant trois jours & trois nuits, suivant le degré de chaleur du fumier, & vingt-quatre heures pendant l’été. Cette seconde opération a pour but d’accélérer le commencement de putréfaction du chien, & de détruire sur-tout toute odeur que l’attouchement de l’homme peut lui avoir communiquée ; attachez une corde à l’osier qui lie les quatre pattes, & traînez cet animal par de très-longs circuits jusqu’à l’endroit le plus fréquenté par les loups ; alors suspendez-le à une branche d’arbre, & assez haut pour que le loup soit obligé d’attaquer le chien par le rable.

Le loup est un animal vorace qui ne se donne pas la peine de mâcher le morceau qu’il arrache, il l’avale tout-de-suite, & le poison ne tarde pas à produire son effet : on est sûr de le trouver mort le lendemain, & souvent il n’a pas le temps de gagner sa tanière.

Si on conseille de se servir d’un chien, ce n’est pas que cet animal ait une vertu particulière & plus capable d’attirer les loups que les autres animaux, mais comme le chien ne mange pas de la chair de chien, on ne craint pas que ceux du voisinage, pour l’ordinaire assez mal nourris, viennent dévorer l’appât, comme ils le feroient si on avoit placé une brebis ou une chèvre, &c.

On peut, comme on le voit, mettre ce procédé en pratique dans toutes les saisons & dans tous les jours de l’année, dès que l’on est incommodé par le voisinage des loups, cependant la meilleure saison pour l’employer est l’hiver, lorsqu’il gèle bien, parce que les animaux domestiques sont alors renfermés, & les animaux sauvages retirés dans leurs tanières, d’où ils ne sortent pas : ainsi le loup trouve très-difficilement de quoi assouvir son appétit dévorant, toujours augmenté par la facilité avec laquelle il digère ; alors l’animal est moins défiant, &, pressé par la loi tyrannique du besoin, il se jette indistinctement sur tout ce qu’il trouve.

Il est presque impossible, ainsi qu’il a été dit, de détruire complettement la race des loups en France, à cause du voisinage avec les autres pays ; mais il est bien facile d’en diminuer le nombre, & même de le réduire aux simples loups venant de l’étranger. À cet effet, l’argent que les intendans donnent pour chaque tête de loup pourroit être employé à l’achat de la noix vomique, qui seroit distribuée gratuitement dans toutes les paroisses ; chaque communauté seroit tenue de fournir les vieilles brebis ou les chiens, & le seigneur ou le curé du lieu seroient chargés de faire exécuter l’opération, & de la répéter plusieurs fois dans un même hiver. Je ne crains pas d’avancer que si l’opération étoit générale dans tout le royaume, & suivie avec soin & zèle pendant plusieurs années consécutives, on ne vînt à bout d’anéantir tous les loups.

On employe quelquefois dans la Camargue une méthode particulière pour prendre les loups, & qui mérite de trouver, place ici. On forme avec des pieux de quatre à cinq pieds de long, qu’on plante solidement en terre, à la distance chacun d’un demi pied, une enceinte circulaire d’environ une toise de diamètre, & au milieu de laquelle on attache une brebis vivante, ayant une ou plusieurs sonnettes au col ; on plante ensuite des pieux, également éloignés entr’eux, pour former extérieurement une seconde enceinte, éloignée de la première d’environ deux pieds ; on laisse à cette enceinte une ouverture avec une porte, ouverte du côté gauche, qui permette au loup d’entrer seulement à droite : une fois que l’animal est entré entre les deux enceintes, il va toujours en avant, comptant pouvoir saisir la brebis, & quand il est parvenu à l’endroit par où il étoit entré, ne pouvant se retourner, les mouvemens qu’il fait pour aller en avant, font fermer la porte.