Cours d’agriculture (Rozier)/MAL DE TAUPE

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Hôtel Serpente (Tome sixièmep. 386-388).


MAL DE TAUPE. Médecine Vétérinaire. C’est une tumeur qui se manifeste sur le sommet de l’encolure du cheval, ou sur le sommet de sa tête même ; elle est un peu molle, & de figure irrégulière ; le pus qu’elle contient est blanc & épais comme de la bouillie : ce pus devient quelquefois si âcre, qu’il se creuse des sinus sous le cuir, & carie souvent le crâne. Comme la peau de la tête est épaisse, ferme, tendue & près des os, la tumeur ne s’élève pas beaucoup, mais elle s’élargit a sa base. Elle reste ordinairement longtemps sans faire de grands progrès, parce que la lymphe qui la cause est visqueuse : mais quand cette humeur devient corrosive, elle ronge le kiste qui la renferme, & fait des sillons entre la peau & le péricrâne. Si elle perce cette dernière membrane, elle agit sur le crâne même ; alors les suites en sont très-dangereuses. On a donné à cette tumeur le nom latin de talpa, en françois, taupe, parce qu’elle ressemble aux taupières, ou à ces petites éminences de terre que la taupe pousse sur la surface de la terre en fouillant, & parce que la matière purulente qu’elle contient, creuse & fait des trous sous la peau, comme cet animal, en fait sous la terre.

La cause de cette tumeur est une lymphe visqueuse, arrêtée dans quelqu’un de ses vaisseaux, qu’elle dilate insensiblement jusqu’à lui faire acquérir un volume considérable. La tunique, qui enveloppe la matière de ces tumeurs, n’est autre chose qu’un vaisseau lymphatique ou adipeux, élargi de la même manière que les vaisseaux sanguins se dilatent quand ils forment l’anévrisme & les varices. Lorsque la lymphe ou la graisse trouve quelque obstacle à son mouvement progressif, elle s’accumule peu-à-peu, par le séjour qu’elle fait ; la sérosité, qui en est exprimée, abreuve les fibres du conduit obstrué, les ramollit & les rend propres à recevoir beaucoup plus de sucs nourriciers qu’auparavant, de sorte que le vaisseau lymphatique ou graisseux se dilate extrêmement, & forme un sac qui fait le kiste de la tumeur. La matière renfermée dans ce kiste, s’épaissit de plus en plus, par la dissipation de ce qu’elle a de plus séreux & de plus subtil ; mais quoiqu’elle s’épaississe à force de croupir & d’éprouver des oscillations des fibres, & les battemens des artères voisines, il lui survient un mouvement intestin qui la fait dégénérer en une espèce de pus semblable à de la bouillie, ou à du suif, suivant qu’elle est plus chyleuse, plus douce, ou plus grasse, & suivant la différence des vaisseaux où elle s’arrête ; car c’est dans les vaisseaux lymphatiques, ou dans les vaisseaux adipeux que se forme le talpa. Ce mouvement intestin est beaucoup plus lent que celui qui se fait dans les tumeurs phlegmoneuses. La lymphe & la graisse sont plus homogènes que le sang, elle n’apportent pas tant d’obstacle au passage de la matière subtile, & ne se trouvent pas renfermées comme lui dans des artères qui le broyent continuellement.

Les causes qui arrêtent le cours progressif de la lymphe ou du suc adipeux, sont leur propre viscosité qui les fait circuler lentement, ou l’obstruction de quelques glandes, qui intercepte leur cours ; ou une contusion, un coup, une chûte qui comprime leurs vaisseaux, les rompt ou en change la direction.

Le diagnostic. On connoît que cette tumeur est enkistée, en ce que la peau roule & glisse dessus. Quand on l’ouvre, on voit que la matière est renfermée dans une membrane.

Le prognostic. Le mal de taupe n’est dangereux que lorsqu’il se trouve placé sur les sutures du crâne, surtout quand il est adhérent : alors il a communication avec la dure-mère ; de sorte que si cette tumeur s’enflamme & suppure, elle communique son inflammation & sa corruption à cette membrane, ce qui met la vie de l’animal dans le plus grand danger.

La cure. L’indication curative doit se borner, 1°. à diminuer l’abondance de la lymphe, & à la rendre plus fluide. Pour obtenir cet effet, on donnera peu à manger au cheval qui sera atteint du mal de taupe, & principalement le soir ; les fourrages provenans des prairies les plus lèches, l’avoine, les eaux les moins pesantes, l’écurie la plus sèche, & tenue proprement, le pansement de la main, & la continuité du travail auquel il est habitué, tous ces soins rempliront la première indication. 2°. On en aidera l’effet, en atténuant les humeurs, & en enlevant les obstructions, par l’usage des ptisanes faites avec la salsepareille, l’esquive, le sassafras & les baies de genièvre, & par celui des ptisanes faites avec les racines & les feuilles de chicorée sauvage, de pimprenelle, de cerfeuil, de laitue, &c. ; les eaux minérales, ferrugineuses, ou les eaux thermales, conviennent encore beaucoup en pareil cas ; on purgera ensuite (Voyez Méthode purgative) avec la confection hamech, le jalap, l’éthiops minéral & l’aloès succotrin : on ne doit point négliger ces précautions, parce qu’il survient très souvent, après la guérison, des métastases funestes, qui donnent la mort à l’animal lorsqu’on s’y attend le moins.

La cure particulière du mal de taupe s’exécute par la résolution, par la suppuration ou par l’extirpation ; si la tumeur est nouvelle & molle, elle peut se résoudre, en y appliquant, après avoir rasé le poil, l’emplâtre de vigo-cum-mercurio ; l’onguent de styrax, mêlé avec les fleurs de soufre, ou avec l’éthiops minéral, &c, peuvent en opérer la résolution.

Mais si la tumeur ne se résout point, & qu’au contraire elle soit disposée à suppurer, on peut en faciliter la suppuration par les cataplasmes émolliens, par l’onguent basilicum. La suppuration s’étant déclarée, il faut aussitôt ouvrir l’abcès ; quand le pus en est sorti, on détergera l’ulcère, & l’on consumera les chairs superflues & le kiste au moyen de l’onguent ægyptic, de l’alun brûlé, du précipité rouge, du beurre d’antimoine ou de la pierre infernale. Il faut détruire jusqu’au bouton rouge qui se trouve ordinairement dans le fond ; sans cette précaution la tumeur se renouvelleroit.

Enfin, si la tumeur ne prend pas la voie de la suppuration, ou qu’on ne juge pas à propos de l’attendre, on en viendra à l’extirpation ; la cure sera plus prompte, pourvu que le cheval soit bien préparé. Pour faire cette opération, il faut d’abord ouvrir la tumeur, ou par une incision cruciale avec le bistouri, ou par une traînée de pierres à cautère, qu’on applique à travers une emplâtre fenetré, & qu’on couvre d’une autre emplâtre. L’ouverture étant faite, on sépare par la dissection la tumeur d’avec les lèvres de la plaie & des parties voisines, & on l’emporte toute entière avec le kiste ; on la consume par le moyen des caustiques ci-dessus rapportés, ce qui prolonge la guérison. Il faut avoir l’attention, de consumer aussi le bouton ou la racine de la tumeur ; la pierre infernale ou le cautère actuel y réussiront promptement ; ensuite on incarnera & on cicatrisera la plaie à l’ordinaire, réprimant les chairs superflues avec l’alun brûlé, ou quel qu’autre caustique. M. B. R. A.