Cours d’agriculture (Rozier)/MARCOTTE

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Hôtel Serpente (Tome sixièmep. 419-427).
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MARCOTTE. Branche quelconque, tenant au tronc, que l’on couche en terre, afin qu’elle y prenne racine. Elle diffère de la bouture, en ce que celle-ci est séparée du tronc, lorsqu’on la met en terre. Cette opération peut-être considérée sous deux points de vue, ou comme travail en grand, utile à l’agriculture, ou comme travail des amateurs, afin de multiplier des arbres, des arbrisseaux & des plantes rares. La base de cette opération porte sur ce principe ; toutes les parties d’un arbre peuvent être converties en branches ou en racines. Ce principe est confirmé par la suite des belles expériences de M. Hales, & d’un grand nombre d’auteurs qui les ont faites avant, ou après lui. La majeure partie des arbres, dont les branches sont couchées dans une fosse, & recouvertes de terre, prennent racine, parce que l’écorce de ces branches est parsemée de rugosités, de mammelons d’où partent les nouvelles racines, ou bien elles auroient produit des boutons dans la suite, si elles eussent resté exposées à l’air. Outre ces mammelons, à peine visibles à l’œil, on découvre sans peine, sur l’écorce de la branche, les proéminences formées par les boutons & par celles de la base de la feuille, & cette feuille nourrit chaque bouton pendant la première année, & à la seconde il devient bourgeon ou nouvelle branche. (Voyez le mot Bourgeon)


Section première.

Des marcottes des cultivateurs.


Elles sont d’un avantage inappréciable lorsqu’il s’agit de regarnir les clairières faites dans les forêts, dans les bois, dans les taillis, &c. ; & même c’est la seule manière de repeupler les places vides, à moins que leur espace ne soit très-vaste & très étendu. Dans ce cas ce seroit une plantation nouvelle. Si sur le local vide il existe quelques pieds d’arbres assez forts, s’il en existe également dans sa circonférence, les marcottes seules suffiront pour le replacement.

On tenteroit vainement de regarnir les clairières par des plantations. Les arbres qu’on y placera réussiront pendant deux ou trois ans ; mais comme les racines des arbres voisins profitent des espaces vides pour s’étendre, elles occupent bientôt le sol de la clarière, & peu-à-peu attirées par la terre fraîchement fouillée, elles s’emparent avec force, affament & absorbent la nourriture des foibles racines des arbres nouvellement plantés, & le jeune arbre périr. Il n’en est pas ainsi lorsque l’on repeuple par les marcottes. Elles disputent le terrein aux racines parasites, parce qu’elles reçoivent de la mère, ou tronc, la nourriture pendant tout le temps qu’elles en ont besoin ; & dans cet intervalle leurs nouvelles racines acquièrent une force proportionnée à celle du tronc & à leur étendue.

Si dans l’espace à regarnir il existe quelques pieds d’arbres, à moins qu’ils ne soient trop vieux & trop décrépits, il convient de les couper au niveau du sol, & de charger de terre, à la hauteur d’un à deux pouces, la partie du tronc qui reste en terre, afin que l’endroit coupé de l’écorce, n’étant point exposé à l’air, la cicatrice ou bourrelet soit plutôt formé. Dans les provinces du nord, cette opération doit être faite aussitôt qu’on ne craint plus les grosses gelées ; & dans celles du midi, dans le courant de novembre, lorsque les arbres sont dépouillés de leurs feuilles. La raison de cette différence est prise en ce que dans le premier cas, les pluies habituelles & la rigueur du froid sont capables d’endommager la partie du tronc qui reste en terre ; tandis que dans le second, les racines des arbres travaillent pendant presque tout l’hiver ; que la cicatrice de l’écorce est formée au premier printemps, & qu’il est essentiel de faire profiter les nouvelles pousses de la plus grande force de la sève, afin de les mettre à même de ne pas craindre l’effet des grandes chaleurs ; si on ne craint pas l’effet des eaux stagnantes, il vaudroit encore mieux couper le tronc à quelques pouces au-dessus de la superficie du sol, parce qu’on aura dans la suite plus de facilité pour marcotter les branches.

Dans l’un comme dans l’autre climat, on ne doit couper aucun bourgeon, & on doit laisser le tronc pousser autant de rameaux qu’il voudra. Lorsque les feuilles sont tombées, & aux époques qui ont été indiquées, c’est le cas d’éclaircir, de supprimer les tiges surnuméraires, & de n’en laisser que la quantité convenable : cependant on peut en conserver quelques-unes de plus, afin de remplacer celles qui travailleront mal à la seconde année, ou qui périront.

Si, après la seconde année, la totalité des branches est assez forte pour être marcottée, on ouvrira des fossés proportionnés à leur longueur, sur une profondeur de douze à dix-huit pouces, & maniant doucement ces branches de peur de les faire éclatter près du tronc, on les couchera dans la fosse que l’on remplira de terre, en commençant près du tronc, afin d’empêcher leur redressement, & les maintenir dans la direction qu’on leur destine. Près de l’autre extrémité de la fosse, ou courbera doucement la marcotte, on la redressera, on comblera la fosse y enfin, on coupera, à deux ou trois pouces au-dessus de terre, l’excédent de la marcotte. Une bonne précaution à prendre, est de charger de terre, à la hauteur d’un pied environ, sur un diamètre de cinq à six pieds, le tronc nourricier. Cette terre maintiendra la fraîcheur, fera couler l’eau pluviale sur les fosses, tassera la terre contre les marcottes ; mais elle empêchera sur-tout qu’il ne s’élance du tronc quelques nouvelles tiges qui affameroienr les marcottes, parce que la sève a plus d’activité lorsqu’elle trouve une ligne droite, ou un canal direct, tandis qu’elle coule plus lentement dans des canaux inclinés. Il est très-prudent de conserver à part le gazon qui couvroit la place des fosses, & d’en garnir le fond à mesure qu’on y étend les branches. Cette herbe se réduit en terreau en pourrissant, & les jeunes racines profitent de cet engrais.

Si après la seconde année, les tiges n’ont pas acquis la longueur nécessaire, on doit attendre à la troisième, mais élaguer ces tiges par le bas, & jusqu’à une certaine hauteur, afin que les petites branches qu’on retranche, ne retiennent pas la sève, & qu’elle se porte avec force vers le sommet pour l’alonger. Jusqu’à quel point doit on supprimer des branches inférieures ? C’est la force de la tige qui le décide. Si on élague trop, on n’aura jamais qu’une tige maigre, élancée & fluette.

Je suis très convaincu que tous nos arbres-forestiers sont susceptibles d’être marcottés, & que les marcottes fournissent le moyen le plus prompt & le plus sûr pour le repeuplement d’un taillis, d’un bois, d’une forêt. Si les clarières ne sont pas d’une trop vaste étendue, si une forêt est entièrement dépouillée d’arbres dans le centre, ou si les arbres du centre sont propres à être coupés sur pied, ceux de la circonférence serviront au remplacement ; & on opérera ainsi qu’il a été dit. Lorsqu’une certaine quantité des marcottes aura par la suite poussé des tiges assez fortes, on choisira les plus belles, les plus longues pour les marcotter de nouveau, & peu-à-peu les clarières seront regarnies. Si elles sont trop vastes, il vaut beaucoup mieux en replanter le centre, & marcotter tout ce qui se trouve sur les bords.

Dans le courant de la première & de la seconde année, après l’opération des marcottes, il convient de veiller attentivement à ce que vers la partie du tronc, la branche couchée ne produise pas de rejettons ; on les supprimera dès qu’on les verra paroître ; & si cette partie de la branche est hors de terre, l’amputation sera faite au bas de la branche. Si on y laissoit un chicot ou un bourrelet, il en sortiroit de nouveaux bourgeons. On aura moins à craindre cette surcharge de bourgeons, si on a recouvert ; le tronc & les branches qui en partent, avec un pied de terre : alors, la branche n’ayant plus de communication avec l’air de l’atmosphère, elle est attirée par l’autre bout de la marcotte qui sort de terre, il s’y établir de nouvelles branches, & toute la force de la végétation s’y porte. Après plusieurs années, s’il sortoit du tronc une ou deux nouvelles tiges, on peut les laisser croître, parce que les marcottes ont déjà pris racine, & peuvent se suffire à elles-mêmes ; cependant si la clarière est vaste, il vaux encore mieux les supprimer, afin de laisser aux marcottes plus de nourriture, &c. &c.

Si on est dans l’intention de se procurer, du tronc du gros arbre coupé, un grand nombre de marcottes, & si on les destine à être ensuite plantées où le besoin l’exige, on doit recouvrir le pied du tronc coupé d’un à deux pouces de terre, afin que de ce même pied il sorte de nouvelles tiges. Cette légère couche de terre sert seulement à garantir la plaie, ou la partie coupée, des impressions de l’air, & à favoriser la naissance du bourrelet ou végétation de l’écorce ; car le bois ne végétera plus. Lorsque l’on s’aperçoit que les premières marcottes sont bien enracinées, on ouvre de nouveau les fosses, en observant de bien ménager les racines des marcottes ; on les enlève de terre, & on fait de nouvelles couchées avec les tiges qui s’élancent des bords du tronc. Ainsi le même pied d’arbre peut successivement produire un grand & très-grand nombre de marcottes. Il est aisé de concevoir combien les marcottes faites avant l’hiver, ont d’avantages sur celles pratiquées après cette saison, sur-tout dans les provinces du midi, parce que dans le premier cas les pluies ont eu le temps de pénétrer jusqu’au fond des fosses, d’y former un réservoir d’humidité, de bien tasser la terre ; enfin, au retour de la chaleur, les marcottes végétent avec beaucoup plus de force. Si on a la facilité de les arroser une ou deux fois, pendant les grosses chaleurs de l’été, on est assuré d’avoir, en peu d’années, de beaux arbres, ou après la première ou seconde année, un bon nombre de plans parfaitement enracinés.

Dans toutes les opérations de la campagne, il y a presque toujours deux défauts essentiels, une économie mal entendue de temps & d’argent. Pour avoir plutôt fait, on se contente de faire des fosses de six à huit pouces de profondeur, & d’y coucher les branches. Si ces tiges doivent y rester à demeure, elles pousseront des racines latérales, qui resteront presque toutes en superficie ; s’il survient une sécheresse, ces racines sont presque inutiles à la branche couchée, tandis que dans une bonne fosse, les racines nouvelles bravent la sécheresse, s’enfoncent plus avant dans le sol, & y trouvent une nourriture que la superficie leur refuse.

Je n’entre pas dans de plus grands détails sur cet article, parce que la section suivante lui sert de supplément.


Section II.

Des marcottes des amateurs.


Toute espèce d’arbre & de plantes à tiges vivaces, peuvent en général être marcottés ; mais plusieurs poussent plus facilement des racines que d’autres : tels sont les arbres dont les boutons percent plus aisément l’écorce, & dans ce cas, ces boutons qui auroient fait des branches à bois ou du fruit, s’ils fussent restés exposés à l’air, se convertissent en racines lorsqu’ils sont enfouis dans la terre. Il a déjà été dit dans le cours de cet ouvrage, que M. Hales, & plusieurs autres avant ou après lui, ont renversé des arbres, que leurs branches ont été enterrées, & que la partie de leurs racines ont formé le sommet ; que ces arbres ont parfaitement réuni malgré la transposition de leurs parties. (Consultez le mot Grenadier, & vous verrez que les boutures faites ainsi avec les branches de cet arbrisseau, reprennent beaucoup mieux.)

Les plantes à tiges articulées, telles que celles des œillets, des roseaux, &c. sont marcottées avec beaucoup de facilité. Commençons par les marcottes, au succès desquelles la nature s’oppose le moins, & dont la position des tiges favorise encore l’opération.

Toute espèce de marcotte suppose qu’on s’est pourvu, d’avance, d’une terre fine, légère & substantielle, afin que les racines des plantes puissent s’étendre sans contrainte, & acquérir promptement une certaine consistance.

Les plantes à tiges articulées ont toutes un bourrelet à leur articulation, cette partie est recouverte par une ou deux feuilles, & leur sert de point d’attache. C’est précisément ce bourrelet qui facilite la sortie & l’extension des racines. L’œillet va servir d’exemple pour la manipulation.

Dans l’endroit du nœud de la tige, qui peut le plus commodément être enfoncé en terre, enlevez les deux feuilles avec un canif, ou autre instrument tranchant, à lame fine & bien éguisée ; coupez horizontalement, & sur le nœud, jusqu’à la moitié du diamètre de la tige ; après cela, suivant la distance d’un nœud à l’autre, faites une incision perpendiculaire au centre de la tige, sur cinq à huit lignes de hauteur, & qui pénètre jusqu’à l’incision déjà faite horizontalement sur le nœud, de manière que pour peu que la tige soit inclinée, elle présente cette figure. (Voyez planche IX, figure III, page 395)

A, nœud sur lequel on a fait, avant de coucher la tige, la coupure horizontale ; B coupure perpendiculaire ; D partie séparée par un de ses bouts, d’avec le reste du nœud, par la coupure perpendiculaire. C’est précisément à l’extrémité D, & sur sa partie de bourrelet, que les racines prennent naissance.

Après que les incisions sont faites, on creuse une petite fosse de douze à vingt-quatre lignes de profondeur : (il s’agit ici des œillets dans le vase ou en pleine terre) on incline doucement la tige dans la fosse, & près d’E on enfonce un petit crochet pour la maintenir dans cette position. La grande attention à avoir, consiste à empêcher le rapprochement des parties A & D ; elles doivent, au contraire, rester séparées, & former entre elles un triangle tel qu’on le voit de D en A. Cet espace vide est garni de terre, afin d’empêcher le rapprochement des deux parties. On remplit ensuite la petite fosse avec la terre dont on a parlé, & on a grand soin que la tige qui sort de terre, conserve une direction perpendiculaire ; ce qui s’exécute facilement au moyen de la terre qu’on relève contre : quelques personnes plantent un second crochet en A, afin de mieux assujettir la marcotte. Il ne reste plus qu’à plomber la terre avec la main, à arroser le tout, & à le tenir à l’ombre pendant quelques jours.

C’est une coutume assez générale, lorsque les marcottes sont faites, de couper toutes les sommités des feuilles des œillets. L’expérience a prouvé que cette suppression ne leur est pas nuisible ; mais est-elle absolument nécessaire ? Je ne le crois pas. On fait, pour l’autoriser, le raisonnement suivant. La soustraction du bout des feuilles empêche qu’elles ne travaillent, & fait refluer vers le bourrelet D la sève qu’elles auroient absorbées ; enfin, ces feuilles coupées périssent à la longue, & la place qu’elles occupoient sert ensuite à former le pied de la plante. Dans ce cas, ce sont donc les sucs seuls de la mère tige, qui viennent nourrir la marcotte. Les feuilles ne servent donc plus, ou presque plus à absorber l’humidité de l’air, & les principes qu’il contient. (Voyez le mot Amendement) Quoi qu’il en soit de ces doutes, l’expérience de tous les pays prouve qu’en suivant cette opération, les marcottes réussissent à merveille ; cependant, je puis dite, d’après ma propre expérience, que celles d’œillets réussissent également bien sans la soustraction de la partie supérieure des feuilles.

On choisit communément, pour marcotter les œillets, le temps où les fleurs sont passées, Cette époque convient à tous les pays tempérés, où l’on est assuré que les marcottes auront le temps de s’enraciner avant l’hiver, parce que dans cette saison elles pousseront par des racines, sans des précautions extraordinaires. Dans les pays très-froids, au contraire, il convient de devancer la fleuraison, & on ne marcotte pas les tiges qui s’élancent pour fleurir. Dans les provinces du midi, on peut ne faire cette opération qu’un mois après la fleur, afin d’éviter les grosses chaleurs ; & comme la végétation se propage très-longtemps, les marcottes ont le temps de bien s’enraciner avant l’hiver.

Il n’y a point d’époque générale & fixe, pour le temps de séparer les marcottes des vieux pieds ; l’opération dépend de l’état des racines qu’elles ont poussées. Il vaut mieux attendre à les lever après l’hiver, que de trop se hâter. Plus la marcotte sera enracinée, & plus sa reprise sera sûre.

On peut employer la même méthode pour les branches d’arbres, qui ne prennent pas facilement racine par de simples couchées ; & si on veut les forcer à former le bourrelet, voici la manière de s’y prendre. On choisit à la fin de l’hiver, ou avant la sève du mois d’août, les branches à marcotter ; on mesure des yeux, ou autrement, la place de ces branches qui sera enterrée, & qui formera le coude lorsqu’elle sera marcottée. Dans cet endroit on fera une ligature assez serrée, ou plusieurs, à la manière de celles des carottes de tabac, & à la même distance, ou en spirale avec la même corde, sur plusieurs pouces de longueur ; mais celle du bas sera toujours circulaire, fixe & plus serrée que les autres. On laissera subsister ces ligatures pendant la sève du printemps, & pendant celle du mois d’août, si la première n’a pas suffi à produire un bon bourrelet. Deux objets contribuent à le former, quoiqu’ils dérivent du même principe.

1°. Ce serrement comprime l’écorce sur la partie ligneuse ; la partie ligneuse grossit ; mais comprimée dans cet endroit, l’écorce s’implante dans la cavité du bois qui n’a pu prendre autant d’extension que les parties voisines.

1°. Ces ligatures n’ont pas pu empêcher l’ascension de la sève jusqu’à la sommité des branches, mais elles ont arrêté en partie la recension de cette sève ; ce qui est prouvé par le bourrelet établi au-dessus & non au dessous de la ligature. (Consultez l’article Bourrelet, il est essentiel.)

Si les bourrelets ne sont bien formés qu’à l’approche de l’hiver, il convient d’attendre jusqu’après la sève du printemps de l’année suivante ; mais s’ils sont caractérisés, & sur-tout dans les provinces du midi, on doit faire la marcotte avant l’hiver, par les raisons énoncées ci dessus.

C’est à l’expérience à prouver si ce bourrelet suffit à la naissance des racines, ou s’il faut absolument inciser la branche comme on incise une tige d’œillet. Il est impossible d’établir ici une règle générale. Chaque arbre, chaque plante demande, pour ainsi dire, un traitement différent. Le bourrelet & l’incision sont deux méthodes assez sûres, ou séparément, ou toutes deux réunies.

Une autre méthode, qui rentre dans celles dont on vient de parler, puisqu’elle est fondée sur la naissance du bourrelet, consiste à choisir une branche gourmande & bien nourrie, ou telle autre ; mais pas trop vieille. À quelques pouces au-dessus de cette branche, on cerne l’écorce sur une largeur de deux à trois lignes, & on répète la même opération deux ou trois pouces plus haut. On prend ensuite de l’onguent de Saint-Fiacre (Voyez ce mot), dont on recouvre les playes faites par l’enlevement de l’écorce, & on recouvre le tout avec de la filasse. Le temps pour faire cette opération est à la fin de la sève du mois d’août. La branche reste dans le même état sur l’arbre pendant l’année suivante, & elle donnera du fruit comme les autres. À la fin d’octobre de la seconde année, cette branche sera coupée à un pouce au-dessous de la plus basse incision, & mise en terre, de manière que le bourrelet supérieur ne soit pas recouvert.

Dans tous les cas, on ne doit jamais séparer une marcotte du tronc principal, sans être assuré auparavant, par une fouille, qu’elle a pris racines, & qu’elles sont assez fortes pour se passer du secours de leur mère. Il vaut mieux attendre une année de plus. Trop de précipitation, un désir immodéré de jouir, font que l’on risque souvent de perdre des arbres précieux.

Toutes les marcottes dont on vient de parler, supposent nécessairement la facilité de plier les branches, de les coucher en terre, d’y assujettie la partie qui doit former le coude & le redressement de la tige au-dessus de la fosse. Mais comme on n’a pas toujours ces facilités, c’est à l’art à venir au secours des circonstances.

Supposons que le tronc d’un arbre soit élevé de plusieurs pieds au-dessus, de terre, & que ses branches ne puissent pas être inclinées. On choisit alors une ou plusieurs branches sur cet arbre, & on le tire un peu en dehors : Alors, fixant en terre plusieurs piquets à la hauteur de l’arbre, on en entourre ces branches, au moins deux ou trois pour chacune, suivant la force des coups de vent du climat que l’on habite, & la pesanteur & le volume du vase qu’ils doivent soutenir. Si les branches qui doivent être marcottées, n’ont point de rameaux, on les fait passer par le trou placé au fond du vase, on assujettit le vase, & après l’avoir rempli de terre, & l’avoir arrosé, on le couvre de mousse. Si la branche est rameuse, & qu’on ne veuille pas sacrifier ses rameaux, il convient d’avoir un vase de fer-blanc ou de bois, en deux pièces, de manière que chaque pièce fasse exactement la moitié, & un tout par leur réunion. La seule attention que ces marcottes exigent, consiste à tenir la terre des vases souvent arrosée, afin d’y entretenir une humidité convenable : comme le vase est environné par un grand courant d’air, son évaporation est considérable.

Si on désire que ces marcottes, d’ailleurs très-casuelles, réussissent, il convient d’avoir, par avance, fait la soustraction circulaire d’une portion de l’écorce, ainsi qu’il a été dit, ou d’avoir ménagé un bourrelet, par des ligatures, ou d’avoir fait une entaille à la branche, ou enfin, de la traiter comme une marcotte d’œillet. Il est très-difficile autrement de réussir sur des arbres à écorce lisse, & dont les boutons percent difficilement la peau ; les marcottes sont plus difficiles encore sur ceux qui sont remplis de moelle, & dont l’écorce est fine.

M. le Baron de Tschoudy fait, dans le Supplément du Dictionnaire Encyclopédique, des observations qui méritent d’être rapportées.

« Les auteurs du jardinage n’indiquent, dit-il, pour marcotter, que le printemps & l’automne ; cependant chacune de ces saisons a des inconvéniens pour ce qui concerne certains arbres. Il en est de délicats, dont les branches, très-fatiguées par l’hiver, loin d’avoir, au retour du beau temps, assez de vigueur pour produire de leur écorce des racines surnuméraires, ont à peine la force qu’il leur faut pour se rétablir. D’autres arbres, tendres, mais qui nous viennent des contrées de l’Amérique septentrionale, où la terre profonde & humide, & les longues automnes, les excitent à pousser fort tard, conservent cette disposition dans nos climats ; mais leur végétation vive, leurs jets pleins de sève, se trouvent brusquement saisis par nos premières gelées. Que l’on couche leurs branches en automne, l’humidité de la terre hâtera leur destruction. Si on attend le printemps, on les trouvera alors moëttes par le bout ; on ne saura pas précisement où finit la partie desséchée & chancie, & où commence la partie vive & saine, qui sera d’ailleurs le plus souvent trop courte pour se prêter à la courbure qu’il convient de lui donner ».

« On préviendra ces inconvéniens, si l’on fait, au mois de juillet, les marcottes de ces arbres un peu avant le second élan de la sève. Dans nos climats, (L’auteur écrivoit en Alsace) les printemps maussades & fantasques, ne laissent à la première végétation qu’un mouvement foible & intermittent ; son jet d’été, moins contrarié, est ordinairement plus soutenu, plus vigoureux ; ainsi, nos marcottes ne sont guères moins avancées que celles de la première saison. En général, elles seront parfaitement enracinées à la seconde automne ou au second printemps, sur-tout, si aux soins ordinaires, on ajoute de répandre sur leur partie enterrée, de la rognure de buis, ou telle autre couverture capable d’arrêter la moiteur qui s’élève du fond du sol, & de conserver le bénéfice des pluies & l’eau des arrosemens. La baie du bled, de l’orge, de l’avoine, &c. produira le même effet ».

» Ce ne sont pas là les seuls avantages du choix de cette saison pour faire les marcottes ; il convient singulièrement à certains arbres, dont les branches ne poussent volontiers des racines, que lorsqu’elles sont encore tendres & herbacées. En les couchant on aura soin de faire l’onglet, autant qu’il sera possible, au-dessous du nœud qui sépare le jet de l’année précédente, d’avec le jet récent ; & si l’on est contraint d’ouvrir dans ce bourgeon, il faudra s’y prendre avec beaucoup de dextérité. D’autres arbrisseaux, dont les jeunes branches survivent rarement á l’hiver, & qui tiennent de la nature des herbes, ne peuvent même être marcottés qu’en été. La marcotte, ayant produit des racines, périra, à la vérité, jusqu’à terre, durant le froid ; mais elle demeurera vive à sa couronne, & poussera de nouveaux jets au printemps. »

» Il est encore d’autres arbres, dont les branches mûres sont si fragiles qu’elles se rompent sous la main la plus adroite, lorsqu’on veut les courber pour les coucher, soit en automne, soit au printemps : mais en été, on les trouvera liantes & dociles. Plusieurs arbres, toujours verts, dont les boutures ne se plantent avec succès que dans cette saison, sont aussi, par une suite de cette inclination, plus disposés à reprendre de marcotte dans ce même temps qu’en tout autre ; & les marcottes de certains arbrisseaux, comme le chèvrefeuil, faites même assez avant dans l’été, prennent encore assez de racines, pour qu’on puisse les sevrer en automne. »