Cours d’agriculture (Rozier)/MOUSSE

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Hôtel Serpente (Tome sixièmep. 673-676).


MOUSSE. Je ne m’arrêterai pas à décrire botaniquement les espèces de mousses ; elles sont trop variées. D’ailleurs chacun distingue sans peine des autres plantes, la mousse qui naît dans son pays. Il s’agit seulement ici de considérer cette plante relativement à son utilité ou à ses désavantages.

On confond en général les lichens avec les mousses, quoique ce soient des plantes très-différentes ; mais cette erreur ne porte aucun préjudice à l’agriculture. Les lichens sont des plantes membraneuses, qui s’étendent & sont appliquées comme des feuilles de papier, presque colées contre les arbres, les pierres, &c. Leur couleur ordinaire sur les troncs & les branches d’arbres est jaune, quelquefois brune ou blanche. Ces membranes sont chargées de boutons, & de rugosités. Il est très-difficile de tirer aucun parti avantageux des lichens, excepté dans la teinture & dans la médecine ; ils nuisent beaucoup aux arbres sur lesquels ils végètent.

De l’utilité des mousses. Ces plantes forment presque toujours une masse composée d’un grand nombre de tiges feuillées depuis le bas jusqu’en haut ; mais les feuilles inférieures, privées de l’influence de l’air & de la lumière, se dessèchent, & chaque tige n’est plus feuillée qu’à son sommet. La plante reste toujours verte, & elle est vivace. La chute & la décomposition des feuilles inférieures, établit à la longue sur le sol une couche de terre noire, douce, légère & entièrement végétale ; enfin, le véritable humus. (Voyez le dernier chapitre du mot Culture, & le mot Amendement.) Cette couche, après un certain nombre d’années, a quelquefois de quatre à six pouces d’épaisseur. Voilà une ressource bien précieuse pour les fleuristes & pour les amateurs, la nature en fait tous les frais, & l’amateur n’a d’autre dépense à faire que de l’enlever. Si l’éloignement, les frais ou d’autres circonstances, ne permettent pas de voiturer la terre, on peut faire de très-gros paquets ou ballots de mousse, & les charger sur un animal ou sur une charrette. Le sol des forêts, les grottes un peu humides, sont couverts par cette plante. Une fois arrivée au dépôt de l’amateur, il fait un lit de terre, un lit de mousse de la même épaisseur, & ainsi de suite ; le dernier est en terre ; & la mousse de chaque lit doit être recouverte avec la terre, afin qu’il n’en paroisse point sur les bords que l’on tasse fortement afin de retenir la terre. Si ce mélange a lieu au printemps, ou au commencement de l’été, il est prudent d’arroser largement chaque lit de mousse, afin que la chaleur, faisant travailler l’humidité intérieure du monceau, y excite une prompte fermentation, & par conséquent une plus prompte décomposition des principes des plantes. Lorsqu’on s’aperçoit que les mousses sont pourries, on passe la terre à la grille, & on met de côté la mousse qui est restée entière, afin qu’elle serve dans un nouveau monceau. Si aux lits des plantes on ajoute la terre du sol qui les nourrissoit, il convient de proportionner la masse de terre vierge… La mousse sert encore à couvrir les semis des plantes délicates, qui exigent que le terrein reste meuble, & ne soit pas serré par les arrosemens.

Il faut observer qu’une plante de mousse, qui reste exposée à l’air, au soleil, par exemple, pendant plusieurs mois, ou même pendant une année, se flétrit, & se desséche, & ressemble à une plante parfaitement morte ; mais si on la remet en terre & qu’on l’arrose, elle reprend sa première végétation qui n’avoit été que suspendue. Ce qui prouve combien il est important que tous les lits de mousse du monceau soient cachés par la terre.

Les mousses, employées comme litière, sont excellentes, parce qu’elles se pénètrent bien des urines & des excrémens ; mais on ne doit employer le fumier qui en résulte, que lorsqu’il est bien consommé.

Tout est habitude ; les gens de la campagne dorment sur un peu de paille, sur des feuilles de noyer, de châtaignier, &c. ; cependant on peut ajouter facilement à leur bien-être en se servant de la mousse, parce qu’il est aisé d’en faire de très-bons matelats.

On choisit & on ramasse la mousse lorsqu’elle est dans sa plus forte végétation, c’est-à-dire, au mois d’août, & on la débarrasse, autant que l’on peut, de la terre qui est restée attachée aux racines. Il faut choisir la mousse la plus longue, la plus douce, & en séparer tout corps étranger. On porte cette mousse sous des hangards, & on l’y étend afin de la faire sécher. Lorsqu’elle est assez sèche, mais non pas cassante, on la place sur des claies, & on la bat légèrement avec des baguettes, ce qui finit de la dépouiller de toute poussière & de toute terre ; s’il y reste quelques corps durs, on les sépare. Il ne s’agit plus que d’apporter les toiles des matelas, & de les remplir aussi également qu’on le peut : l’épaisseur de six, huit, à dix pouces forme un excellent matelas ; après cela on coût toutes les ouvertures, on pique d’espace en espace le matelas, afin que la mousse ne se rassemble pas par paquets. Si le matelas, à force de coucher dessus, s’aplatit, on le bat de temps à autre ; il reprend sa première épaisseur, & il dure plus de dix ans.

Des effets nuisibles des mousses. On a déjà dit qu’on nommoit vulgairement mousses toutes espèces de plantes qui s’attachoient aux arbres, & qui se nourrissoient à leurs dépends, le guy excepté. (Voyez ce mot) Les principes répandus dans l’air atmosphérique contribuent au moins pour les trois quarts à leur nutrition. Ce n’est donc pas par l’absorption des sucs qu’elles tirent des arbres qu’elles leurs nuisent beaucoup ; on pourroit même avancer en général que l’écorce des arbres sert seulement de matrice à leurs racines, extrêmement déliées & fines ; en effet, on voit des lichens assez ressemblans à ceux des arbres, croître & végéter sur des pierres, sur des rochers nuds & durs, qui ne peuvent fournir à leur nourriture ; ainsi on peut conclure, par analogie, que les arbres ne contribuent en rien ou du moins pour bien peu à la prospérité des mousses, des lichens, & des autres plantes parasites. Le véritable dommage qu’elles causent aux arbres, consiste dans la suppression de leur transpiration sous toute la partie qu’elles recouvrent, & l’on sait jusqu’à quel point cette sécrétion est essentielle à la plante, à l’homme & à l’animal.

On a conseillé de déchausser tout autour le pied de l’arbre jusqu’à la courbure principale des grosses racines, & de jeter dans cette fosse un demi-boisseau, par exemple, de cendres de bois ou de charbon de terre ; c’est travailler & tourmenter un arbre en pure perte, puisque le remède ne peut pas produire l’effet qu’on désire. Par cet engrais, on augmentera la végétation de l’arbre, sans détruire les lichens ou les mousses, puisque ces plantes ne s’attachent que sur leurs écorces, & même sur les écorces devenues sèches, ligneuses, crevassées & réduites en croûtes sèches, comme on le voit sur les vieux chênes, &c. Dira-t-on que le sel des cendres, dissous & entraîné avec la sève dans son ascension & sa descension dans l’arbre, fera mourir ces plantes ; ce seroit avancer un paradoxe, puisque la sève ne nourrit plus les écorces déjà séchées ou ligneuses. Il n’y a qu’un seul moyen capable de détruire ces lichens, ces mousses ; c’est d’avoir des brosses à poils courts & rudes, ou des torchons de paille, & d’en frotter, après qu’il a plu, les branches, les troncs qui en sont chargés ; alors ces lichens ramollis, cèdent facilement, & l’arbre reste net. En général, les arbres qui croissent dans des terreins secs, & dont les pieds sont assez éloignés les uns des autres pour que leurs têtes ne se touchent pas, ne sont pas sujets à avoir des plantes parasites ; au contraire, ceux qui végètent dans un terrein bas, humide, ou souvent arrosé, ou sous un ciel pluvieux, en sont couverts, si on ne les en délivre ; ce qui prouve encore que ces plantes se nourrissent beaucoup plus des sucs répandus dans l’atmosphère, que de ceux de l’arbre.

Lorsque la mousse gagne une prairie, elle la détruit bientôt ; la bonne herbe périt & meurt étouffée ; il lui succède des plantes dont la végétation est analogue avec celle des mousses, ou du moins qui ne la détruisent pas. L’expérience a prouvé que toute espèce de cendre, (Voyez ce mot) répandue sur ce terrein, fait disparoître les mousses, & que la bonne herbe reprend leur place. La chaux éteinte à l’air & réduite en poussière, produit un effet encore plus prompt & plus sûr. Il vaudroit beaucoup mieux pour le propriétaire, conserver ces cendres, & s’en servir à la fabrication du salpêtre. (Voyez ce mot)