Cours d’agriculture (Rozier)/TOURBE, TOURBIÈRE

La bibliothèque libre.
Hôtel Serpente (Tome neuvièmep. 437-438).


TOURBE, TOURBIÈRE. La tourbe est un dépôt de végétaux décomposés, que l’on trouve sous l’eau ou sous terre. Le lieu où on les trouve, & d’où on les tire, est appelé Tourbière. Les dépôts anciens ont été formés de plusieurs manières, les uns par des transports prodigieux de plantes marines, faits par les eaux de la mer dans des baies, des anses dont elle couvroit autrefois la surface ; telle a été l’origine des fameuses & excellentes tourbières qui circonscrivent les bords du lac d’Harlem. Les rivières à cours paisible, les lacs d’eau douce, ont donné & donnent naissance aux autres où chaque jour il s’en prépare pour les générations futures. Les lentilles & mousses d’eau contribuent beaucoup à leur formation, parce que chaque année ces plantes se précipitent au fond de l’eau ; mais les plantes qui me paroissent le plus contribuer à la création de la tourbe, sont l’hydre cornu, (ceratophyllum demersum. Lin. le volant d’eau, (myriophyllum spicatum verticillatum. Lin..) & sur-tout la renoncule des eaux, (ranunculus aquatilis Lin.) Dans un marais à Campo di Lauro en Corse, je l’ai vue sur un très-grand espace d’eau présenter à la vue, par l’immensité de ses tiges, de ses fleurs, & de ses feuilles, l’image d’une prairie riante ; curieux d’examiner plus particulièrement la différence des feuilles submergées avec celle des feuilles qui couvrent la surface de l’eau, j’arrachai un certain nombre de tiges dont la longueur perpendiculaire excédoit trois à quatre toises, & s’élançoit du fond de l’eau. Chaque année, à l’entrée de l’hiver, toute la plante est entraînée au fond de l’eau, d’où au premier printemps suivant, elle pousse de nouvelles tiges auxquelles les anciennes servent d’engrais. Il est aisé de conclure de là qu’avec le temps ce marais formera une véritable & excellente tourbière. Les grands marais du royaume sont encore de nouvelles fabriques de tourbe. Chaque année on en fauche l’herbe, c’est-à-dire, la partie qui excède le niveau de l’eau, mais la partie inférieure se convertit peu à peu en tourbe, & rehausse le sol du marais ; les parties qui sont parvenues à se dessécher avec le temps, tremblent sous les pieds de l’homme qui y marche, & il sent ce tremblement se propager à plusieurs pieds de profondeur, ce qui annonce que cette couche de tourbe n’est pas encore parvenue à son point de perfection ; mais il est plus que propable que les couches inférieures ont eu le temps de se perfectionner & d’acquérir la qualité qu’on désire. Je n’entreprendrai pas de donner la théorie de la formation de toutes les tourbes, ce seroit m’écarter du but de cet ouvrage. On trouve des tourbières même sur les montagnes, l’explication des causes de leur formation, exigeroit un volume entier. Quoi qu’il en soit, toutes les tourbes ne sont pas de qualité égale ; elles varient suivant la nature des plantes, des substances différentes qui ont concouru à leur charpente. Les unes donnent dans la combustion, une chaleur plus forte & plus soutenue même que celle du meilleur charbon de terre, ce sont les plus pures & les plus remplies de parties huileuses qui, par leurs combinaisons avec les parties salines, sont devenues bitumineuses ; les autres sont trop mélangées avec des terres ; quelques-unes sont pyriteuse. Les premières offrent des ressources précieuses dans tous les pays où le bois est cher, & demandent à être conservées. Les dernières sont très-utiles à l’agriculture & au commerce, mais elles sont peu communes.

On trouve dans le Beauvoisis des tourbes pyriteuses, dont par l’efflorescence, le lessivage & l’ébullition, on retire le vitriol de Mars ou de fer. Mais lorsqu’on laisse ces tourbes pyriteuses exposées à l’air, fermenter & effleurir, alors elles prennent feu d’elles mêmes, brûlent, se consument, & laissent après elles de grands monceaux de cendre. Une longue expérience d’où est résultée l’habitude, a fait taire, enfin, les préjugés, & a démontré combien ces cendres sont avantageuses & fertilisent les prairies. Leur effet est frappant, sur-tout sur celles où règnent les mousses & les joncs. Elles les détruisent, & la place qu’elles occupoient est bientôt recouverte par de bonnes plantes. Au surplus, toute cendre, de quelque espece de tourbe que ce soit, est excellente pour les prairies, heureux qui peut s’en procurer à bon marché.