Cours d’archéologie - les Indes, l’Égypte, l’Assyrie, la Palestine/Texte entier

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COURS


D’ARCHÉOLOGIE




UNIVERSITÉ LAVAL DE MONTRÉAL


LES INDES
L’ÉGYPTE. — L’ASSYRIE
LA PALESTINE

MONTRÉAL
-
1890



TABLE DES MATIÈRES



Définition, division, application 
 3
Qu’est-ce que l’archéologie 
 4
Développement de l’art 
 5
La révolution et la destruction 
 10
Renouvellement, — les moines, — les archéologues 
 12


Les commencements de l’Inde 
 20
Principaux monuments :
Kaylas Ellora 
 23
Temple du mont Abou 
 25
Portiques à Triputry 
 26
Portiques de Combaconum 
 28
Temple de Jaggernaut 
 29
1o D’où viennent ces formes 
 32
2o Quels en sont les auteurs 
 32
3o À quel siècle remontent ces œuvres 
 36


Sur l’ornementation indienne 
 41
De l’art dans l’industrie 
 49
Des fêtes et des cérémonies 
 52


Sur l’Égypte 
 59
Les pyramides 
 67
Les colosses de Memnon 
 77
Médinet-Abou 
 78


Lugsor 
 79
Les palais 
 84
Temples près du Nil 
 86


Assyrie et Palestine 
 93
Temple de Jérusalem 
 107
Temple de Bapoume 
 109




INTRODUCTION

INTRODUCTION

Un des faits les plus remarquables de notre siècle, dans l’ordre scientifique, c’est la rénovation des études historiques par les recherches de l’Archéologie et la résurrection de plusieurs contrées appartenant au monde antique.

Il y a un demi siècle, on manquait de renseignements sur presque tout ce qui s’était passé hors de la Grèce et de l’Italie.

On savait bien qu’il y avait eu de grandes nations entre le Nil et le grand fleuve Indus, mais on n’avait pas de moyens suffisants pour entrer dans le détail. On ne pouvait contrôler les assertions d’Hérodote et de Strabon sur la Chaldée et l’Egypte, ni vérifier les récits de la Bible sur les pays orientaux.[1]

L’étude des monuments a changé les choses.

L’Inde, l’Assyrie, l’Egypte ont été explorées, et bien des secrets ont été révélés. Cette étude des monuments a fait connaître l’histoire, les mœurs de plusieurs contrées connues seulement de nom, et qui nous apparaissent comme des centres d’une activité remarquable.

Chypre avec ses statues et ses inscriptions ; la Syrie, la Phrygie, l’Arabie, avec leurs tombeaux. On n’a pas seulement exhumé des monuments, l’on a retrouvé des langues disparues dont on a conquis l’intelligence, et qui nous ont révélé un passé inconnu.

« La main de Champollion a déchiré le voile qui cachait aux yeux la mystérieuse Égypte, et elle a illustré le nom français par la plus grande découverte de ce siècle. »[2]

Tous les monuments depuis le Delta jusqu’aux cataractes de la haute Égypte, ont parlé et révélé les mystères de leur origine et les détails de leur histoire.

Il en est de même des Indes, de la Perse, de la Chaldée et de l’Assyrie. L’écriture sacrée de Ninive a été forcée de livrer ses secrets. On lit maintenant les annales murales des rois d’Assyrie et de Babylone avec autant de succès que les inscriptions grecques et romaines.

On doit être pénétré de reconnaissance pour ces savants qui ont consacré leurs études et leurs veilles aux fouilles de Ninive, de Babylone, et aussi à l’exploration des rives du Nil.

Ces découvertes sont précieuses pour l’intelligence des œuvres profanes, mais aussi tout particulièrement pour les annales hébraïques.

On voit ainsi la version assyrienne et égyptienne de tous les événements dont la Bible nous donne la version juive, et cette comparaison intéresse au plus haut degré le chrétien, en proclamant victorieusement la véracité des livres saints.

Maintenant aussi, nous pouvons lire avec plus de clarté tout ce que nous trouvons dans l’Iliade, l’Odyssée, l’Énéide, et dans les écrits de Denys d’Halycarnasse.

Le sol, les montagnes, les accidents de terrain ont été vérifiés et nous apparaissent décrits avec la plus complète exactitude. C’est ce que nous trouvons affirmé dans tous les ouvrages les plus récents : M. Vigouroux sur l’Écriture sainte, M. Lenormant, M. Victor Place sur l’Égypte et les pays orientaux. Nous rapporterons avec soin toutes leurs assertions dans les pages suivantes.

Nous parlerons d’abord de l’Inde, ensuite de l’Égypte. Nous terminerons par l’Assyrie et la Palestine.


1re LECTURE

DÉFINITION, DIVISION, APPLICATIONS

1re LECTURE

DÉFINITION, DIVISION, APPLICATIONS



L’Archéologie est la science qui s’occupe des œuvres de l’Antiquité (archaios logos, discours des choses anciennes). Spécialement, c’est l’étude des œuvres d’art et des monuments.

Par œuvres d’art, on entend la sculpture, la peinture ; et par monuments on comprend les plus grandes œuvres comme les plus délicates, d’une part les Temples, les Palais, les Basiliques ; et de l’autre, les œuvres les plus petites mais qui exigent des dons particuliers, comme les Médailles, les Monnaies, les Camées et les Bijoux.

Quand il s’agit d’étudier ces chefs-d’œuvre des facultés humaines, il en est qui, tout en s’y intéressant, pensent qu’ils ne peuvent y trouver qu’un objet de distraction et de curiosité. Affirmons qu’il y a plus, et qu’il s’y trouve un principe d’utilité très réelle.

Cette science avec ses recherches peut réussir à tracer le tableau de l’état social d’un peuple, par la considération des monuments qu’il a laissés.

Et elle arrive à faire connaître les mœurs, les usages, es caractères distinctifs des différentes sociétés.

Par les études archéologiques, l’histoire a été appuyée sur des preuves sensibles et incontestables.

Les auteurs classiques ont reçu une plus grande clarté et ont livré le secret de difficultés jusque-là insolubles.

Enfin, la critique a pu conquérir les données les plus précieuses sur la véracité des auteurs sacrés.

Les archéologues ont découvert sur les murs des palais de Babylone et de Ninive, sur les temples de l’Égypte, toute une histoire parallèle des événements et des œuvres du peuple d’Israël.

En exposant ces résultats, nous croyons que nous réussirons à montrer que l’Archéologie mérite une place dans les cours d’une Université catholique.

Pour s’acquitter de cet emploi, il faudrait, sans doute, s’y être préparé pendant plusieurs années ; il faudrait avoir réuni en notes et en documents de quoi remplir toute une maison ; il serait bon d’avoir lu nombre de livres modernes qui présentent les nouvelles découvertes ; il ne serait pas inutile d’avoir visité et parcouru quelques-uns des premiers musées de l’Europe. Ce serait beaucoup ; mais il me faut de plus, Messieurs, obtenir votre intérêt et gagner votre bienveillante attention.


Lorsque l’homme contemple sa demeure, il peut reconnaître bien des sujets d’admiration : le spectacle imposant de l’Océan, les merveilles du firmament, les sommets des montagnes que l’œil peut à peine atteindre.

Un grand poète a cherché à exprimer ainsi ces sentiments :

Oui, c’est un Dieu caché que le Dieu qu’il faut croire,
Mais tout caché qu’il est, pour proclamer sa gloire
Quels témoins éclatants devant moi rassemblés !
Répondez, cieux et mers, et vous, terre, parlez.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

O cieux ! que de puissance et que de majesté !

J’y reconnais un maître à qui rien n’a coûté,
Et qui dans vos déserts a semé la lumière
Ainsi que dans nos champs il sème la poussière.

Sans doute cette lumière des astres nous émeut, mais cette poussière n’est pas à dédaigner. Il y a sur la surface de la terre une poussière de ruines, de débris, de reliques qui mérite notre attention. Cette poussière a son prix ; elle rend gloire à Dieu ; ce sont les vestiges des œuvres de l’homme, qui tient ses facultés de Dieu.

Que voit-on en ces ruines ? Des traces éloquentes du passage des générations sur la terre.

Des temples écroulés mais d’une prodigieuse grandeur (à Persépolis) ; des palais bouleversés mais retenant encore une majesté imposante (à Thèbes) ; des souterrains creusés hardiment jusqu’au sein des montagnes et grands comme des basiliques (dans les Indes) ; des montagnes sculptées et façonnées en forme d’édifices (à Ellora), taillées, ciselées à l’intérieur comme à l’extérieur avec l’habileté que l’on trouve dans la statue la plus parfaite ; des constructions formées de pierres énormes (les palais de Karnac), élevées malgré leur masse à de prodigieuses hauteurs, avec une puissance qui semble défier toutes les ressources de la science moderne.

Mais quels sujets d’admiration découvrirait-on encore si l’on explorait ces montagnes, si l’on s’enfonçait dans ces souterrains, si l’on parcourait les colonnades des nefs bouleversées, si dans les sanctuaires l’on voyait les tombeaux des anciens rois, si l’on ouvrait les tabernacles abandonnés, si l’on explorait leurs secrets, si l’on découvrait tous les efforts de l’homme pour arriver à la vérité et l’honorer. Comme on reconnaîtrait en cette créature si faible et si abusée une volonté et une puissance prodigieuses.

Les poètes ont cherché à nous exposer ces grandeurs. Ils nous représentent de monstrueux degrés

faits pour des pas de six coudées.

Ils nous disent qu’ils ont vu les ruines d’un édifice

Qui, aux rayons de la lune, couvrait au loin
Quatre montagnes de son ombre.

Ces inspirations de la poésie ne donnent qu’imparfaitement l’idée des œuvres produites par l’homme dès les premiers jours. C’est ce que nous allons montrer en exposant d’une manière sommaire les origines, les progrès, les développements de l’Art à travers les siècles.

Tant que les hommes ont été à l’état primitif, nous manquons de documents.

On peut bien dire qu’ils cherchèrent à se faire des habitations en rapport avec leur situation sur le globe et avec leurs occupations. C’est ce que l’on a cru reconnaître.

Ils habitaient dans les montagnes, ou dans les forêts ou dans les plaines.

Les uns étaient chasseurs, les autres bergers, d’autres avaient pour occupation la pêche et l’agriculture.

La vie des pasteurs et des chasseurs exigeait des habitations portatives qui pussent les suivre dans leurs excursions.

Ils prirent la tente, qui existe encore chez les Arabes, chez les Tartares et chez les Chinois, et enfin, nous remarquerons qu’elle est conservée chez les sauvages de l’Amérique comme aux déserts de l’Afrique.

Les laboureurs, au contraire, enchaînés au sol, devaient avoir une demeure stable, assez vaste pour renfermer leurs récoltes, leurs animaux et leurs instruments de travail. Ils trouvaient la pierre trop dure et la terre sans consistance, mais le bois était en abondance et ils inventèrent la cabane.

D’autres enfin, sur les bords des fleuves, vivaient de la pêche. Sur ces rives, ils trouvaient des cavernes, des grottes faciles à tailler et à disposer, et ils utilisèrent les cavernes.

Tels sont, suivant M. Quatremère de Quincy, les types primitifs des habitations, qui furent ensuite embellies.

Les Chinois perfectionnèrent la tente, et, à son image, ils arrivèrent à construire, en matériaux solides, de magnifiques habitations ; d’où la Pagode et les Pavillons.

Les Indiens et les Nubiens ont perfectionné et décoré la caverne, qui a été consacrée surtout aux temples et aux oratoires. C’est de la caverne qu’est venue la dénomination des peuples Troglodytes.

Quant à la cabane, elle a été tellement perfectionnée, qu’on peut difficilement la reconnaître au premier coup d’œil ; mais en l’étudiant dans les temples, dans les basiliques, dans les palais, dit encore M. Quatremère de Quincy, on ne peut s’y méprendre. La colonne grecque, c’est l’arbre ; le chapiteau est la couronne de fleurs et de feuilles dont on la décorait ; l’extrémité du plafond, c’est la frise ; le toit qui recouvre le tout s’appuie sur un soutien, c’est la corniche ; au-dessous du toit, entre les solives, un intervalle est laissé : c’est la métope, où les artistes du Parthénon ont déployé les plus grandes magnificences.

Quoi qu’il en soit de la justesse de ces hypothèses ingénieuses, nous trouvons dès l’origine bien des variétés de constructions.

D’une part, des monuments informes, qui subsistent encore dans les menhirs, les dolmens, et d’autre part, des constructions très perfectionnées et d’un style très avancé.

Les Dolmens, ou monuments d’une seule pièce, qui ne se composent que de rochers non taillés, non polis et employés tels qu’on les a extraits du sein de la terre, se trouvent en nombre de pays : en Italie, en Grèce, en Asie, jusque dans les Indes, et au Mexique.

Mais en même temps, d’autres peuples élevaient des constructions qui annonçaient un art consommé.

En Assyrie, en Phénicie, dans l’Égypte, nous voyons des constructions merveilleuses, contemporaines des essais informes de ce que l’on appelle la construction Celtique.

Quelle que soit l’origine de ces travaux, nous croyons qu’il y a une relation entre les grandes œuvres et les grandes pensées.

Pendant qu’on admire les premiers essais de l’Art antique, on peut aussi admirer la profondeur des conceptions des Sages de l’Inde, de la Perse, de l’Égypte et de l’extrême Asie. Là, nous trouvons des livres qui renferment une doctrine toute spiritualiste. Les Philosophes de l’Inde proclament l’unité de Dieu, la pureté et la moralité de ses commandements. Il en est de même des Sages de la Perse et de l’Empire Chinois. Bossuet exalte l’élévation et la haute sagesse des Égyptiens. Nous citerons toutes ces affirmations quand nous exposerons les œuvres de chacun de ces peuples en particulier.

Mais les siècles passent et les premières traditions s’effacent. Les efforts de la raison humaine guidés par les enseignements primitifs, ne subsistent pas longtemps contre les entraînements des passions. Les hommes aspirent à des satisfactions sans frein et sans règle.

Arrivent les révolutions, les conquêtes et les destructions implacables.

Au 25e siècle, les Aryens, situés au centre de l’Asie, entrent en Europe d’un côté, et de l’autre dans les Indes, dans la Syrie et dans l’Égypte.

Les rois d’Assyrie et les rois d’Égypte assujettissent leurs voisins et sèment partout la désolation.

Les Assyriens entrent en Judée. Ils renversent les cités, Jérusalem avec son temple, et ils finissent par emmener les populations en captivité.

Au cinquième siècle, Cambyse met tout en ruines en Égypte. Il détruit Thèbes, Memphis et le palais merveilleux de Ramsès II. Il outrage les statues de Memnon et le Sphinx gigantesque.

D’autres destructions commencent avec les successeurs d’Alexandre en Syrie, dans les Indes et en Égypte.

La puissance romaine s’élève et dépouille l’Égypte, la Syrie, l’Ionie, la Grèce et la Sicile, comme le témoignent les fameux discours de Cicéron contre Verrès, discours si précieux pour l’Archéologie.

Or, ce qui se passait en Sicile était pratiqué ailleurs par d’autres généraux romains.

Après quelques siècles, les Barbares entrent en scène et répandent partout la ruine et la désolation. C’étaient nos ancêtres.

Écoutons les plaintes de saint Jérôme, de Salvien, de saint Prosper : —

Mayence, Worms, Amiens, Calais, Arras sont ruinées ; l’Aquitaine et la Narbonnaise dévastées, nous dit saint Jérôme.

Saint Prosper : — Quand l’Océan aurait couvert notre pays, il n’y aurait pas tant de malheurs : tout est ruiné.

L’homme, nous dit M. Lenormant, est armé d’une puissance effroyable de destruction.

Rome est saccagée et ravagée trois fois dans le cinquième siècle. Plus tard viennent les Mongols et les Tartares Gengiskhan et Tamerlan.

Heureusement, au milieu de ces destructions, un grand changement se préparait. Une doctrine sainte, élevée, céleste se répandait dans le monde, et cette doctrine portait ses fruits.

On voyait surgir de toutes parts des asiles de la piété, de la prière. Là s’accomplissaient de grandes œuvres, parmi lesquelles on peut noter l’étude consciencieuse et intelligente de l’Antiquité.

Les anciens auteurs étaient arrachés à la ruine ; ils étaient transcrits, réunis et reproduits ; ils étaient mis en ordre et reconstitués, et non seulement les œuvres littéraires, mais tout ce qui mérite l’admiration parmi les monuments antiques.

Les moines faisaient pratiquer des fouilles jusqu’aux pays les plus lointains.

Et l’on constituait la science des origines, et l’on interprétait ce que les anciens peuples avaient laissé en œuvres littéraires et en œuvres matérielles.

Les moines conservaient les monuments comme ils sauvaient les manuscrits ; ils recueillaient les statues, les pierres précieuses, les médailles et les camées et ils y étaient très experts. Parcourez Grévius, Gronovius, Lipsius, et vous trouverez cinquante volumes in-folio renfermant sur toutes les œuvres matérielles des temps antiques, des quantités de traités complets, pleins de science, de recherches, et ces traités, directement ou indirectement, sont dus aux moines.

C’est là qu’a commencé l’Archéologie.

Dans leurs précieuses recherches, ces grands collectionneurs étaient encouragés par les autorités supérieures, et surtout par les saints Pontifes. Ceux-ci donnaient l’exemple ; ils consacraient dans leurs palais, des quantités de salles à la conservation des livres et des manuscrits, mais aussi des monuments. Il y a près de quatre cents salles au Vatican qui n’ont pas d’autre destination.

Aussi, voyez quels sont les plus grands antiquaires, les plus grands Archéologues, les plus grands collectionneurs.

Ce sont les moines et ce sont les Souverains Pontifes. Donc, au nom de l’Archéologie, gloire aux moines ! gloire aux Souverains Pontifes !

C’est d’ailleurs la tradition de l’Église. Les Souverains Pontifes et les saints Pères avaient compris que l’on peut retirer des monuments, des arguments puissants en faveur de l’autorité de la sainte doctrine, comme on peut en tirer des philosophes et des historiens profanes.

Dans les saints Pères, nous trouvons, suivant M. Faillon, des preuves irrécusables des relations qui existent entre les monuments sacrés de la Judée et les monuments des autres peuples, même les chefs-d’œuvre de la Grèce, des Indes, de la Perse, et enfin de l’Égypte.

Tous ceux qui suivaient la direction religieuse à cette époque, recueillaient avec soin des inscriptions, des médailles et des portraits conservés dans les vieux manuscrits. C’est ce que faisaient le Dante, Pétrarque, Fra Angelo, le Pérugin et Raphaël.

Vers cette époque l’on commence les fouilles, et la grande antiquité apparaît. Elle va remplir les musées de Florence, de Rome et de Naples.

Les Médicis avaient ouvert des écoles d’étude de l’antiquité.

Les Papes avaient encouragé les mêmes efforts dans Rome.

Et c’est à l’imitation de ces anciens collectionneurs, que Louis XIV fonde une académie nouvelle, pour seconder l’œuvre des autres académies des lettres et des sciences. Cette académie est celle des Inscriptions et belles-lettres, qui subsiste encore. Par suite de ces travaux, Montfaucon donne six volumes in-folio sur l’Antiquité expliquée.

Au dix-huitième siècle, ces recherches continuent. Winckelman et l’abbé Barthélémy se distinguent par leurs études. Herculanum et Pompéi sont découvertes au sein de la terre et donnent de précieuses lumières sur la société ancienne.

Au dix-neuvième siècle, l’expédition de l’Égypte par les Français avec une armée de savants, ouvre la voie à de nouvelles découvertes.

Nous devons citer Millin, Petit Radel, Letronne, Champollion qui trouve l’alphabet des hiéroglyphes ; plus près de nous, Botta et Layard, qui découvrent les ruines de Ninive et de Babylone et qui en lisent les inscriptions murales.

Enfin, de nos jours, MM. de Rossi, Marietti et Lipsius.

Nous parlerons en détail de ces grandes découvertes.

Avant de passer à d’autres développements, exposons les différents sujets des études archéologiques : —

Architecture : — Les temples, les palais.

Sculpture : — Statues, bustes, bas-reliefs.

Peinture : — Fresques, tableaux, vases peints et mosaïques.

Gravure : — Inscriptions gravées et tracées.

Médailles : — Monnaies, médailles, suivant les différents pays, — orientales, grecques, etc.



2me LECTURE

L’INDE


2e LECTURE

L’INDE


Nous allons commencer par l’étude de l’Inde et de ses monuments.

Lorsqu’on parcourt l’Italie, une profonde émotion est produite par la visite des anciennes villes retrouvées, et principalement de Pompéi.

On marche au milieu des enceintes solitaires, l’écho seul vous répond, et l’on va de surprise en surprise.

On peut penser qu’on est transporté tout à coup à 2 000 ans en arrière. Ces demeures vides sont si bien conservées, et ces places entourées de chefs-d’œuvre presque intacts.

Ces basiliques, ces temples semblent bâtis d’hier.

Aussi on ne peut croire que cette cité soit abandonnée ; on s’attend à chaque instant à entendre le bruit d’une ville qui se réveille et à voir apparaître les anciens habitants, après l’empire de la siesta. On s’attend à voir les patriciens vêtus de lin et de pourpre, les dames en leurs riches litières, les serviteurs empressés, les marchands et les acheteurs qui remplissent l’air de leurs cris.

Mais non, tout est vide, tout est morne, et rien ne vient interrompre le silence.

Mais si grande que soit votre émotion, que serait-elle, si, au lieu d’une ville, vous voyiez une contrée presque aussi grande que l’Europe, avec une population innombrable, portant toujours le vêtement des patriarches, richement orné de perles et de diamants comme aux temps antiques ?

Arrien et Quinte-Curce nous disent que les soldats d’Alexandre, arrivés sur les bords de l’Indus, furent accueillis par des hommes vêtus d’une mousseline éclatante de blancheur, avec des bottes en cuir écru, des turbans imposants et des ornements d’ivoire et d’or. Ce portrait est celui des Indiens modernes, dit M. Lenormant.

Tout subsiste comme de la veille, avec le même aspect, les mêmes institutions, les monuments toujours entretenus, avec tous les caractères de l’antiquité la plus reculée, mais avec les signes de la jeunesse.

On dira, cependant, qu’à part la curiosité, il est difficile de s’intéresser au sujet d’un pays étranger, comme on pourrait le faire sur son propre pays ; mais il s’agit de savoir si cela est utile.

Ce n’est pas sans peine que nous avons été familiarisés avec des annales étrangères comme celles de la Grèce et de Rome, mais ce n’est pas non plus sans profit.

Nous commençons aussi à connaître et à estimer le moyen âge, mais ce n’est pas non plus sans d’immenses avantages.

Les institutions de Charlemagne et de saint Louis sont étudiées, les vieux chroniqueurs et les vieux poètes sont appréciés. On trouve des architectes qui consentent à admirer les vieilles basiliques du XIIIe siècle ; le Dante est exalté.

Et combien la Philosophie et la Théologie ont gagné à étudier ce savant religieux, cet oracle des anciens jours, le grand et incomparable saint Thomas d’Aquin.

Or, des études sérieuses ont été entreprises dans l’Inde, dernièrement, et elles y ont fait découvrir des merveilles et des éléments très précieux à connaître.

Dans cette grande presqu’île, réside une population qui a su déployer d’admirables qualités.

Il y a là une philosophie qui a révélé des esprits éminents et de rares métaphysiciens.

La littérature brille par les ressources d’une imagination merveilleuse ; 10 000 ouvrages montrent sa fécondité, suivant M. Wilson.

Enfin l’art, qui est le cachet des grandes civilisations, y est plein de spontanéité, d’originalité et d’une abondance éblouissante, suivant M. Charles Mallet, sir William Jones, le commodore Elliot, et principalement le général Cunningham.

Là, en effet, se trouve une richesse d’ornementation qui n’existe en aucun autre pays, une prodigalité de travail et une élaboration de détails qui n’ont jamais été égalées, et en même temps, une méthode très claire et très maîtresse d’elle-même, qui a le don de réaliser ce qu’elle conçoit.

Or, si l’esprit moderne a gagné en force et en profondeur par la connaissance de l’antiquité classique, si de plus il s’est éclairé par l’étude des merveilles du XIIe et du XIIIe siècle, les hommes les plus compétents pensent qu’il ne faut pas ignorer un champ de production tel que l’Inde, sous peine d’être incomplet et exclusif ; c’est ce que disent les plus grands explorateurs de ce pays, tels que le général Cunningham et l’illustre Fergusson, gouverneur de la province de Bombay.

Enfin, il y a là un sujet d’intérêt particulier. La Grèce et Rome antique ont passé ; on ne peut recommencer le moyen âge, mais dans l’Inde, tout est vivant, comme il y a quarante siècles.

L’organisation y est toujours la même ; l’art et l’industrie n’ont pas reculé et ont toujours la même excellence.

Ce ne sont plus des ruines défigurées et incomplètes que nous avons à contempler, mais des édifices entiers, intacts, comme bâtis et décorés de la veille, faciles à étudier. Ils sont toujours habités par une population croissant chaque année en nombre, en instruction, en richesse et en puissance, et enfin accessible à la vérité religieuse.

Nous diviserons l’objet de nos observations sur l’Inde en quatre chapitres principaux : —

1o Les cavernes et les souterrains creusés et sculptés ;

2o Les monolithes ou édifices d’un seul bloc ;

3o Les temples et les palais construits pierre à pierre, où l’on voit les matériaux les plus précieux ;

4o Certaines pièces principales, comme les avenues, les portiques, les galeries, les arcs de la Victoire, les colonnes triomphales, enfin les salles aux mille colonnes, et les tombeaux, qui sont des édifices immenses.

Et d’abord, les cavernes décorées et les monolithes.

Les cavernes décorées. Il y en a près de mille d’explorées, et presque chaque année on en trouve de nouvelles au fond des forêts et au haut des montagnes, dans des sites occupés et défendus par des bêtes féroces et par des reptiles redoutés comme les dragons des Hespérides.

On les voit surtout aux environs de Bombay et dans le Bengal, près de Madras, à Mahavellipore, enfin dans l’Afghanistan et dans le Punjab. Ces excavations n’ont cessé d’être occupées qu’au xie siècle, lors de l’introduction des Arabes et de leur culte.

Les principales cavernes sont celles d’Ajunta, de Radami, de Badra, de Karli, de Khenneri, d’Elephanta, de Wacarma. Celles d’Ellora sont nombreuses ; on en compte trente réparties dans un cirque de deux lieues de diamètre. Ces cavernes ont en général 150 pieds de longueur sur 160 de largeur, 5 mètres de hauteur, avec des colonnades dignes d’attention.

La plupart servaient de temples, et de monastères pour les Brames ; d’autres d’habitations pour les populations. Près de Madras, il y a une montagne creusée à plusieurs étages et dans toutes les directions, renfermant encore aujourd’hui une population de 30 000 âmes. C’est du temps du roi Asoka (272 à 236 avant J.-C.) que la plus grande activité fut déployée dans la décoration de ces excavations.

Viennent ensuite les monuments monolithes, taillés à même les montagnes. Il y en a près de cent, d’un seul bloc de pierre, parmi lesquels plusieurs considérables à Durapur et à Mahavellipore. À cet endroit, il y a un monolithe de 60 pieds sur chaque face et de 70 pieds de hauteur avec trois étages ornés de colonnes, un dôme pour couronnement, et 48 pavillons, le tout taillé à même le rocher.


KAYLAS ELLORA



Ce monument, si grand qu’il soit, est un monolithe, c’est-à-dire composé d’une seule pierre.

C’est l’un des plus remarquables monuments de l’Inde. C’est un temple complet, taillé dans le roc comme s’il avait été élevé dans la plaine.

La pierre a été taillée à l’extérieur et à l’intérieur dans une enceinte coupée dans le roc, de 150 pieds de large et de 270 pieds de longueur, qui forme une cour quadrangulaire.

Au milieu de cette cour s’élève un temple consistant en un corps de bâtiment précédé par un portique supporté par seize colonnes. En avant est un porche détaché, et communiquant avec l’entrée par un pont taillé aussi dans le roc.

À droite et à gauche, l’on voit deux piliers de vingt pieds de hauteur, en forme de candélabres.

Enfin, de chaque côté de ces piliers, l’on voit deux éléphants, plus grands que nature.

L’on entre : l’on voit d’abord un vestibule, ensuite une nef avec des bas-côtés, et au fond, à 150 pieds de profondeur, un sanctuaire avec chapelles latérales.

Cet intérieur est rempli de prodiges de la sculpture la plus habile. Des colonnes cannelées, des chapiteaux en forme de corbeilles, des plafonds remplis d’ornements ; de plus, des bas-reliefs qui font tout le tour du bâtiment et qui représentent une quantité innombrable de personnages.

Et le tout taillé à même une seule masse de pierre.


Artotypie, brevetée. Canada Bank Note Co., lim., Montréal.
TEMPLE MONOLYTHE À ELLORA.

Citons encore celui du Sud de l’Inde, qui avait été découvert par deux voyageurs chinois au XIVe siècle, ayant 1 500 chambres réparties sur cinq étages, le premier étage ayant 300 pieds de largeur, le dernier 50 pieds. Mais le plus étonnant de tous les monolithes connus est celui de Kaylas dans la montagne d’Ellora. D’un seul bloc, il a 150 pieds de longueur, 70 de largeur, et 90 de hauteur. Il renferme plusieurs étages et, au milieu de tout cela, deux vestibules, plusieurs escaliers, 10 sanctuaires séparés les uns des autres comme les chapelles des cathédrales. On y voit des galeries sculptées et découpées à jour, des frises, des chapelles suspendues, des coupoles aériennes.

Le sanctuaire principal est soutenu par quatre rangées d’énormes pilastres carrés ; tout le fond de l’édifice, de 50 pieds de longueur, repose sur d’énormes éléphants de pierre qui semblent supporter tout le poids de l’édifice et qui sont taillés à même le rocher ; les piliers, les frises, les galeries sont d’un goût irréprochable. Tout autour, la montagne est creusée à plusieurs étages de cellules, sur 700 pieds de pourtour et 90 pieds d’élévation.

En face de Bombay, dans l’île de Saliette, on trouve plusieurs couvents taillés dans le roc, et enfin d’immenses sanctuaires, etc.


Viennent maintenant les monuments bâtis pierre à pierre et qui renferment plusieurs variétés : les temples, les palais, les couvents, les hôtelleries, les maisons communes ou hôtels de ville, avec leurs différentes parties : dagobas ou portiques, viharas ou galeries, vérandas, et enfin des tombeaux qui sont grands comme des palais.

À Séringham, côte de Coromandel, une pagode contient 7 enceintes carrées et concentriques dont les murs ont 20 pieds de haut, et qui sont à 150 pieds de distance les uns des autres.

Le mur de façade a 18 000 pieds d’étendue. Dans l’enceinte du jardin, l’on voit des pièces d’eau, des sanctuaires, des salles de réunion. Dans l’une de ces salles on trouve 1000 colonnes. Ce palais est grand comme Versailles.

Les portes en forme de pyramides sont nombreuses. À Séringham, il y en a une douzaine. La principale devait avoir 200 pieds de hauteur et 130 de largeur.

À Chillibaram, l’édifice a 1000 pieds de façade. L’enceinte renferme des jardins, des sanctuaires et on voit un bassin de 250 pieds de longueur sur 200 de largeur. Il y a une salle de 1000 colonnes, et de 150 pieds de largeur sur 300 pieds de longueur. Elle a 24 colonnes de front sur 41 en profondeur. Les portes de l’enceinte ont 120 pieds de hauteur, 50 pieds de largeur. La porte principale a 15


PORTIQUES DU TEMPLE À TRIPUTRY



Parmi les merveilles de l’ornementation, l’on peut citer les portiques du temple de Triputry.

Nous reproduisons l’un des plus beaux, qui se compose d’un faisceau de colonnes séparées par des niches et des culs-de-lampe extrêmement ouvragés.

Ces colonnes sont surmontées par un riche entablement qui se décompose en plusieurs frises superposées, avec des dessins variés à chaque étage.

Le soubassement se compose de dessins correspondant à l’entablement : ce sont des cordons superposés et d’une surabondance extraordinaire.

Ces portiques offrent beaucoup de rapports avec les riches voussures qui décorent les portiques de nos cathédrales. Ces portiques sont aussi un spécimen de l’intention que les Indiens avaient de reproduire les glaçons et les stalactites de leurs montagnes.

Rien de plus merveilleux que les chapiteaux des colonnes, l’élégance des niches et la richesse des statues qui les ornent.

Dans les cordons du soubassement et de l’entablement, on voit des quantités de personnages et d’ornements qui forment des groupes variés et offrent des dispositions riches et élégantes.


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PORTE DE TRIPUTRY.

étages avec balcons pour placer les musiciens, les chanteurs et les prêtres.

Le palais de Ramisseram a 4 portiques tout en pierre. À l’intérieur, l’on voit une galerie de 700 pieds de longueur. L’édifice a 1000 pieds de longueur sur 700 pieds de largeur. À Tinnevilly, autre galerie de 1000 pieds de longueur. Citons encore Combaconnum, où se trouve une grande porte avec 15 étages ; Tanjore, portique de 225 pieds de hauteur, 14 zones superposées. L’un des monuments les plus riches est le temple du mont Abou. On y voit plusieurs cours entourées de galeries ; les colonnes qui supportent ces galeries sont des chefs-d’œuvre d’ornements pleins de variété ; la base des colonnes est composée de niches avec des statues d’une grande délicatesse ; le fût de la colonne montre trois étages de niches avec arcades et statues d’une extrême richesse ; les chapiteaux se décomposent en plusieurs parties pleines d’harmonie, en haut des coupoles toutes sculptées, et tous ces motifs si variés sont répétés à chaque arcade.

Avant d’arriver au détail, nous avons pensé qu’il fallait répondre à certaines questions principales que nous avons souvent entendu poser : —

1. D’où viennent ces formes si étranges ?

2. Quels en sont les auteurs ?

3. À quel siècle remontent l’origine et les développements de ces magnificences ?


I

ORIGINE DE L’ART INDIEN


L’art est ordinairement en rapport avec les circonstances de lieux, de site, de climat. En Europe, l’on contemple au nord d’austères et sombres constructions ; au sud on voit les élégantes habitations de la Grèce et de l’Italie ; et plus au sud encore, ces féeriques constructions illustrées de couleurs et d’or destinées à refléter les rayons éclatants du soleil.

Or, voici ce qui caractérise l’Inde. Quant à son site, elle est située entre le 30e degré de latitude jusqu’aux environs de l’équateur. L’extrémité nord est occupée par un amphithéâtre de montagnes de plus de 300 lieues d’étendue, les plus hautes du globe (les Hymalayas), elles atteignent 24 000 pieds ; — la plus haute montagne de l’Europe, le mont Blanc, n’a que 14 000 pieds.

Nulle part on ne voit se prolonger sur un plus vaste espace le contraste des sommets dentelés de glace et couverts de neige avec l’uniforme océan de verdure qui revêt les assises inférieures du sol.

De ces sommets descendent des glaciers et des neiges


LES PORTIQUES DE COMBACONUM



Une des particularités de l’architecture indienne, ce sont les portiques qui précèdent les temples et les palais et qui sont surmontés de pyramides. Il en est ainsi à Seringham, à Jaggernaut et à Combaconum.

Les portiques de Seringham sont nombreux. On en compte une dizaine. Ceux de Juggernaut sont remarquables par leur masse ; celui de Combaconum est un riche échantillon de la décoration dont ces monuments étaient accompagnés.

Il est composé d’une vingtaine d’assises chargées de milliers de statues qui représentent les scènes les plus variées. Les statues des premiers étages sont grandes comme nature ; les autres vont toujours en diminuant jusqu’au sommet. Cette disposition a pour but de faire paraître le monument plus élevé. Il a 80 pieds de largeur et 180 pieds de hauteur. Ceux de Seringham et de Maduré sont plus considérables. Ils ont 150 pieds de largeur et 300 pieds de hauteur.

Les statues et les reliefs présentent les scènes les plus variées : des défilés, des processions, des régiments de cavalerie lancés au galop.

Ce portique de Combaconum est de plus précédé d’un petit portique de 40 pieds de haut qui fait ressortir les dimensions du portique principal.


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GOPURA À COMBACONUM.

perpétuelles qui revêtent toutes sortes d’aspects. En haut l’on voit des pics et des aiguilles semblables à des flèches et à des minarets ; plus bas, des mers de glaces répandues suivant la forme des vallées ; enfin, sur le flanc des montagnes, des stalactites et des stalagmites énormes comme des piliers de cathédrale, sur lesquelles les eaux suintant à travers la montagne viennent ajouter chaque jour de nouveaux vernis et de nouveaux cristaux que les Indiens ont reproduits dans leurs édifices. Plus bas, comme au mont Blanc, les courants d’eau s’échappent des grottes et des cavernes de glaces dont les voûtes sont tailladées à dents de scie d’une manière extraordinaire ; et toutes ces formes merveilleuses sont réparties sur des centaines des lieues et sur 24 000 pieds de hauteur.

Nous nous croyons obligé d’énumérer ces détails parce que nous pensons que c’est là que l’on trouve l’origine de l’inspiration indienne.

De ces hauteurs qui abritent contre les vents du nord, la terre descend d’étages en étages, de terrasses en terrasses, jusqu’à la mer, montrant les plaines les plus fertiles pourvues de la flore la plus variée. En haut, les productions du Nord : les chênes, les châtaigniers, les sapins, les bouleaux, les frênes ; à mi-chemin, le teck, le jack, le tuka, le bananier-figuier, les palmiers ; enfin, plus bas, en dessous du tropique du Cancer, qui traverse Bombay à l’ouest et Calcutta à l’est, les plantes tropicales : les lianes, les lierres, les palmiers les plus variés, le cocotier, l’arbre à pain, le cotonnier, l’oranger, les citronniers en pleine terre, grands comme des chênes et produisant chacun des milliers de fruits.

Nous sommes obligé d’exposer ces détails parce que c’est encore dans cette exubérance que nous devons contempler les éléments du style décoratif de tous ces colosses de pierre, style touffu, embrouillé et cependant élégant et harmonique comme les mille complications des forêts vierges et des jungles qui environnent les monuments.

Malgré la latitude qui répond à des pays très chauds en Amérique et en Europe, c’est-à-dire au 20e degré, jusqu’au tropique du Cancer, à la hauteur de Bombay et de Calcutta, la température est très supportable, parce que le sol va toujours en montant pour rejoindre les bases de l’Himalaya qui sont au niveau du mont Blanc en Europe, c’est-à-dire 14 000 pieds.

Les étrangers savent profiter de ces avantages.

Lorsqu’ils sont accablés par la chaleur du sud, ils vont établir leurs habitations jusqu’aux collines en contre-bas des hautes montagnes. Il y a ainsi plusieurs lieux de villégiature que l’on appelle les villes de santé, à Simla, à Dajerling, à 9 000 pieds de hauteur, d’où l’on est posté assez convenablement pour respirer l’air frais, pour se renouveler et contempler les plus grandes magnificences de la nature.


TEMPLE DU MONT ABOU



Dans les montagnes du Décan, au centre de l’Inde, l’on voit, à 5 000 pieds de hauteur, sur un plateau coupé à pic, un temple qui est une merveille de l’art indien et qui réunit toutes les perfections de l’architecture, de la sculpture et de la richesse des matériaux.

C’est le temple du mont Abou. Ce temple, à grandes dimensions, présente plusieurs cours, plusieurs cloîtres, des vestibules, des rotondes et des sanctuaires du plus bel aspect.

Il y a un dôme, en particulier, découpé à jour et supporté par une vingtaine de statues.

Les galeries sont d’une richesse inouïe ; les chapiteaux et les soubassements sont à plusieurs étages d’arcades et de niches.

L’entablement est tout couvert de détails, et s’harmonise parfaitement avec les poutres, qui sont chargées de sculptures.

Les arcades sont séparées par des dômes. Enfin les galeries aboutissent à un sanctuaire où l’on ne voit que mosaïques, incrustations, pierreries et diamants, comme dans les plus riches sanctuaires de l’Inde.


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TEMPLE DU MONT ABOU.

Les Indiens savaient goûter ces beautés ; ils ont fait plus : ils s’en sont inspirés dans les pyramides de leurs temples, dans les décorations dont elles sont revêtues, dans ces cavernes ouvertes dans les rocs, avec ces ornements si délicats qui reproduisaient les merveilles de la flore la plus riche.

Voilà une première source d’inspiration ; mais ils en avaient d’autres. Ils possédaient une philosophie éminente, qui avait probablement résolu les problèmes les plus ardus de l’esthétique, et ils avaient encore une poésie et une mythologie gigantesques, qui mettaient en action des événements aussi étranges que ceux qui ont été trouvés dans les contes arabes des Mille et une nuits.

Nous allons en avoir quelques échantillons.

Ce qui frappe d’abord, c’est un ensemble de travaux qui atteste la puissance de l’homme et qui exalte la fierté de ceux qui les contemplent. Il faut applaudir au génie de l’artiste qui a commandé à de telles masses de pierre de se former en chapelles, en piliers, de s’assouplir en sculptures, de s’étendre en salles immenses et en portiques imposants. La pierre partout a obéi.

S’il y a à admirer la puissance de la volonté, il y a aussi à reconnaître le sentiment, la méthode et l’appropriation de l’œuvre au but qui est cherché.

On a voulu faire des maisons de recueillement et de prière. L’uniformité des lignes dispose au calme religieux, la variété des ornements récrée l’âme et l’émeut.

Ces plafonds abaissés l’empêchent de se distraire, et en pesant sur elle, ils lui font sentir son Dieu de plus près. La verve de l’exécution surprend, charme et transporte.

Quel peut être l’auteur de ces œuvres ? Ceux qui ont la maladie de la ressemblance n’ont pas voulu croire à la spontanéité du génie indien ; ils ont cherché des rapports avec les monuments de l’Égypte et de la Grèce.

Mais quels que soient les rapports, les analogies, les ressemblances, l’artiste demeure original et il reste fidèle aux idées nationales.

On voit bien des piliers avec leurs soubassements, leurs chapiteaux, comme en Égypte et en Grèce, mais l’exécution est toute différente. Il y a des frises, des frontons, des corniches qui témoignent d’un art très avancé, mais le travail, la disposition ont un caractère tout à fait à part. C’est d’abord une appropriation qui exclut toute idée d’imitation. Mais cette idée d’imitation est encore exclue par l’ensemble de l’œuvre, où règnent des dispositions massives et raides, qui n’ont aucun rapport avec les formes étrangères.

On voit bien des sculptures, des bas-reliefs, des enroulements, et des festons qui rappellent les dispositions et


JAGGERNAUT



Le temple qui présente le plus bel ensemble est le temple de Jaggernaut.

Sur la façade, on voit une pyramide à plusieurs étages s’élevant à 100 pieds de hauteur.

En continuant, l’on voit deux pyramides à la file surmontant deux sanctuaires. Enfin, à l’extrémité, s’élève une pyramide qui a plus de 200 pieds de hauteur avec une multitude d’étages.

Devant cette pyramide, on voit d’immenses balcons où l’on plaçait des musiciens et des chœurs de chant comme à Seringham et à Combaconum.

Près du temple on conserve ces chars à plusieurs étages où l’on place des musiciens et qui sont traînés à force de bras par des milliers de fidèles.

Ces chars sont si grands et si massifs qu’on ne peut les faire avancer que de quelques pas chaque jour. Il faut huit jours pour leur faire faire le tour du monument.

Pendant ces fêtes, on voit arriver des multitudes de pèlerins de tous les pays de l’Inde, même des plus éloignés.

Pendant le jour, le temple retentit de chants et de prières ; pendant la nuit, la fête prend un caractère encore plus intéressant, par des illuminations où brillent les couleurs les plus variées et les plus éclatantes. Nos plus belles illuminations d’Europe sont au moins égalées.


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TEMPLE DE JAGGERNAUT.

les habiletés du ciseau grec ; mais il y a d’abord une telle supériorité dans le ciseau indien, qu’on ne reconnaît pas la pauvreté et la maladresse d’un plagiaire. Là où on la reconnaît moins encore, c’est à l’alliance de ces qualités merveilleuses avec des monstruosités et des étrangetés que la critique même la plus large ne peut approuver. Celui qui aurait eu une certaine connaissance des œuvres grecques ne se serait pas permis de telles irrégularités.

Il faut donc reconnaître que l’artiste est indien, avec toutes les qualités et les défauts du terroir. Il n’avait pas besoin de réminiscences étrangères. Il a pu se contenter de s’inspirer de tout ce qu’il voyait autour de lui, de tout ce qu’il trouvait dans les poètes et les philosophes de son pays, et enfin, des convictions de son cœur.

Pour créer, il n’avait pas besoin de s’expatrier. C’est ce que nous avons dit et qui se trouve confirmé par quelques lignes de M. Gailhabaud.

« Pour s’inspirer, l’Indien avait son Hymalaya avec ses sommets imposants, ses crêtes de glaciers, ses pyramides de granit et de porphyre, ses obélisques de cristal qu’il a cherché à reproduire en ses pagodes.

« Il avait ses grottes mystérieuses avec leurs parures de lierres si gracieuses qu’il a su représenter dans le granit avec une habileté parfaite.

« Il avait les productions des climats tempérés et les merveilles des tropiques. »

Nulle part il n’aurait vu rien de pareil à ces tukas et à ces palmiers majestueux qui s’élèvent comme des colonnes à 60 et à 80 pieds de haut jusqu’aux premières feuilles. Il n’aurait vu rien de merveilleux comme ces bananiers sacrés aux mille branches retombant et se relevant dans une végétation continuelle, figurant si bien des piliers, des arcades sans fin et des portiques de verdure. C’est ce que l’Indien a reproduit dans ses salles à 1000 colonnes.

Il avait sous les yeux cette race incomparable des hommes appartenant à la noble tige de Japhet, issus des contrées enchantées de la Circassie et de la Géorgie et qui étaient venus embellir les rives du Gange de leur présence.

Il n’avait qu’à regarder autour de lui, admirer et copier. Ceci est conforme aux circonstances et aux caractères de la contrée.

« Donnez à un élève de la Grèce ces grottes obscures à creuser et à orner, il étouffera, il se consumera et demandera l’air pur de son pays, ce ciel doux et tempéré auquel il est habitué ; tandis qu’à l’Indien, pour respirer, il faut des caves humides et ténébreuses. »

Donnez au disciple de Phidias ces prodiges des poèmes indous à représenter, il voudra des formes simples et pures et il reculera devant la représentation réaliste des légendes les plus étranges.

Tout cela lui aurait répugné ; c’est trop loin des fictions gracieuses et élégantes et des figures calmes et nobles, idéales du Parthénon. Il suffit de citer quelques exemples.

À l’entrée de leurs temples, les artistes sculptaient des géants à l’aspect dur et repoussant, qui, de leurs bras multiples, menaçaient les arrivants de leurs armes qu’ils brandissaient avec fureur, parce que la sainte doctrine prétend que le peuple doit connaître la crainte avant le respect et l’amour.

À l’entrée d’Ellora, où l’art décoratif est d’un goût irréprochable, on voit l’épouse du grand héros Rama ; elle est de l’aspect le plus noble et le plus majestueux ; seulement, il y a un détail effrayant : cette jeune dame a huit bras. Son fils bien-aimé est devant elle ; il a les proportions élégantes de l’Apollon du Belvédère, mais il est orné d’une tête d’éléphant.

Plus loin, Lakmé, la déesse de la bonté. L’artiste a cherché à représenter en elle le type circassien dans tout son idéal ; elle reçoit l’onde qui la purifie, et ce sont deux énormes éléphants qui lui servent d’assistants.

Plus loin, on voit Rama et Ravana avec dix têtes et l’affreuse figure du singe Hanonman qui est uni à leur destinée.

Sur le flanc septentrional, on voit la grande lutte des Ariens contre les Pandours. Il y a des compagnies de fantassins et de cavaliers, des escadrons d’éléphants, des chars tout attelés à plusieurs chevaux et lancés contre l’ennemi. Mais cet amas de personnages, ce mélange et cette furie de la lutte sont loin des modèles calmes et harmonieux du Parthénon.

Ces représentations servent à faire comprendre les récits des grands poèmes où on trouve tous ces détails ; de plus, elles servent aussi à résoudre certaines difficultés qui n’avaient jamais pu être expliquées avant l’étude de ces monuments.

Nous avons donc vu l’origine de ces inspirations extraordinaires ; nous avons indiqué les auteurs, il nous reste à fixer la date de tous ces monuments.


II

DES ÉPOQUES DE L’ART INDIEN


Les premiers écrivains qui en ont parlé, ce sont les auteurs musulmans qui sont entrés dans l’Inde vers l’an mille. Ils leur accordent seulement 1200 ans, c’est-à-dire qu’ils les font remonter à près de deux siècles avant notre ère ; c’est aussi l’opinion d’un savant qui a passé plusieurs années dans les Indes, M. Erskine. Nous nous en rapportons à ce sentiment. Les Indiens affirment de leur côté qu’il faut assigner 18 000 ans à l’origine de leurs monuments. Ils n’ont pas de documents, ils n’ont pas d’histoire remontant à plus de cinq siècles avant Notre-Seigneur. Ils infirment ainsi la chronologie biblique sans autre preuve que leur assertion ; mais l’étude des monuments les dément : c’est la présence des Pandours, qui sont les héros du Mahabaratha et qui ne sont que de l’an mille avant notre ère. Le Mahabaratha ne pouvait être plus ancien que la venue des Pandours ni, par conséquent, les monuments qui reproduisent la description de leurs exploits. Il en est de même de la présence de Chrichna, qui figure comme dieu. Son culte n’a pu être adopté que quelques années après sa venue, trois siècles avant Notre-Seigneur. Donc, ces sculptures remontent au plus au troisième siècle avant Notre-Seigneur.

Ce n’est pas tout. Dans ces représentations, on voit les dieux de la religion des Boudhas qui ne sont venus que vers notre ère, pas auparavant. Donc, voilà encore une preuve que ces monuments, au lieu de remonter à plusieurs milliers d’années avant Notre-Seigneur, ne comptent au plus que quelques siècles.

Évidemment, les auteurs indiens, sans preuves, sans traditions, sans documents historiques, ont intercalé au moins un zéro de plus qu’il n’était juste de le faire. Ce qui peut le faire penser, c’est qu’ils se servaient des chiffres indiens que l’on connaît maintenant sous le nom de chiffres arabes. C’étaient eux qui en étaient les auteurs, ce sont eux qui ont inventé le système décimal. Ce sont eux qui ont imaginé le zéro, qui décuple la valeur du nombre auquel il est uni. Avec le zéro, le 1 devient 10, le 2 devient 20, le nombre 100 devient 1000, et les 18 000 ans qu’on leur accordait, avec un zéro qui a été intercalé par inadvertance ou autrement, devient sans le zéro intercalé 1800, d’après l’histoire, d’après les traditions, et suivant les faits bien connus qui fixaient les événements reproduits dans les sculptures et qui se datent par des siècles, et non par des milliers d’années…





3me LECTURE

SUR L’ORNEMENTATION INDIENNE


3e LECTURE

SUR L’ORNEMENTATION INDIENNE


Depuis cent ans les études sur l’Inde ont pris beaucoup de développement. On s’est occupé de traduire les ouvrages sanscrits. C’est l’emploi de beaucoup de savants ;[3] des chaires sont consacrées à cet enseignement dans toutes les grandes capitales de l’Europe. Il y a déjà bien des résultats après les travaux de William Jones, de Burnouf, de Barthélémy Saint-Hilaire ; mais cela ne suffit pas. Les brillantes poésies des Védas, les spéculations philosophiques des vieux sages, les dieux innombrables, les rites mystérieux et symboliques ne peuvent être compris avec le seul secours des livres. Il faut y joindre l’étude des monuments.

La poésie, la philosophie, le culte sont remplis de secrets que l’on ne peut pénétrer que dans les restes des antiques cités, que sur les bas-reliefs des palais et des pagodes.

C’est dans ces livres de pierre qui ne savent pas mentir, que l’on peut reconnaître la pensée des peuples.

Mais il ne faut pas se contenter d’admirer ces constructions merveilleuses comme des enchantements, ces villes vastes comme nos grandes capitales, ces pagodes, ces palais qui montrent subitement leurs masses énormes au milieu des forêts et des jungles. Il faut les étudier, examiner leur ornementation et la comprendre. Il y a à s’instruire même en contemplant les voûtes souterraines où des milliers de statues, surgissant à la lueur des torches, semblent les muets témoins des premières origines.

Nous continuons donc notre étude en examinant le style décoratif. Pour apprécier ce style, il faudrait étudier les monuments, ensuite les étoffes, l’orfévrerie, les bijoux, les mosaïques. Il y a un détail extraordinaire dans l’industrie de cette race primitive frappée si profondément du cachet de la beauté infinie.

Et d’abord les monuments dans les cavernes témoignent d’un art merveilleux. Il y a une disposition savante pour faire apparaître les cavernes encore plus majestueuses et plus imposantes ; tout semble disposé pour indiquer les masses qui les environnent et les dominent. En les contemplant on comprend qu’il y a en dessus le poids d’une montagne à supporter. Les piliers sont énormes, les bases très développées, les chapiteaux massifs pour porter un monde, les poutres larges et profondes pour donner l’idée de l’énormité des voûtes qu’elles supportent. Et au milieu de tout cela, une variété qui étonne, qui surprend l’esprit et qui le charme ; les formes sont massives mais couvertes d’ornements qui les diminuent ; elles sont symétriques mais non semblables, rien de monotone ; horreur profonde de la répétition, des colonnes carrées suivies de colonnes rondes, de colonnes octogones et hexagones.

Les détails sont extrêmement riches, mais harmoniques, merveilleusement combinés ensemble, et retenant toujours l’unité ; ils offrent l’accord même au milieu d’une surabondance éblouissante. Ce qui peut donner une idée de cette richesse et de cette harmonie qui vous charment et vous étonnent, c’est la reproduction des glaciers comme aux grandes cataractes de l’Amérique du Nord pendant l’hiver, ou bien les surprises que nous révèle l’exploration des cavernes basaltiques, ou enfin les combinaisons surprenantes et toujours harmoniques des jets de lumière dans les grands feux d’artifice. C’est ce que nous avons vu au temple du mont Abou.

Les éléments des colonnes ont cela de particulier, que sans avoir aucune ressemblance avec les colonnes grecques et romaines pour l’ensemble, elles n’omettent cependant aucun des signes caractéristiques des œuvres classiques de la Grèce et de l’Italie.

Tels sont ces éléments : d’abord le piédestal, le fût et le chapiteau.

Ensuite, dans le détail, le stylobate ou la base, le soubassement, le filet, la plate-bande, l’astragale, les différentes moulures, la cylindrique, la saillante, l’échine, le cavet, la gorge, la poulie, la nacelle (ellipse), le talon droit ou renversé, le soffite ; enfin dans la frise on distingue le chapiteau, le tailloir, la métope, comme dans les monuments grecs.

Mais d’où viennent ces ressemblances ?

Les premiers archéologues ont invoqué d’abord les relations de ces pays avec l’Égypte ou avec la Grèce. Quelques-uns ont suggéré les relations avec la Syrie, peut-être aussi avec l’Assyrie. On aurait pu ne pas oublier une source encore plus importante de renseignements et plus rapprochée d’ailleurs que l’Égypte, la Grèce ou l’Assyrie : c’est la Judée elle-même et le temple de Jérusalem. C’est ce que nous considérerons dans nos leçons suivantes.

Quant aux détails, on peut remarquer d’autres signes caractéristiques. L’on voit que l’inspiration vient surtout d’un pays tropical ; les ornements, les frises, les chapiteaux sont presque toujours des imitations des produits du sud : les fleurs d’orangers, les palmiers, les aloès, les cactus ; enfin autour des fenêtres, des torsades merveilleuses, des lianes, des plantes parasites, etc., comme à Tarputry (Coromandel). Du reste, on retrouve la même particularité dans d’autres pays du Sud, en Syrie, à Constantinople, à Saint-Marc de Venise, à Montréal de Sicile et à l’Alhambra.

En continuant l’énumération, il faut examiner les reliefs et leurs décorations.

Il y a les bas-reliefs, les demi-reliefs, les hauts-reliefs Les hauts-reliefs sont tellement saillants qu’ils semblent complètement séparés du massif principal et ont le sentiment de la vie au plus haut degré ; les bas-reliefs nous offrent un autre sujet d’admiration : ils sont si finement exécutés qu’ils semblent gravés à la pointe, comme dans les décorations égyptiennes sur le granit des obélisques.

Dans la galerie de Ramesseram, qui a près de 1000 pieds de longueur, le mur opposé aux colonnes offre un bas-relief de six pieds de hauteur prolongé sur la longueur de 900 pieds. On y voit les faits et gestes de Ramayan avec une telle abondance de personnages, que l’on en compte près de vingt mille. Il y a des choses presque aussi extraordinaires dans la plupart des temples. Tout près de Madras s’élève un temple orné à l’intérieur et à l’extérieur de 700 statues d’un mètre de haut ; la plupart sont des chefs-d’œuvre.

À Agnon Wat on parle de plusieurs milliers de statues. Il y en a qui sont au niveau de ce que l’art grec a produit de plus beau. La plupart de ces statues sont merveilleuses d’expression ; elles n’inspirent pas le même genre d’admiration que les statues excellentes de la Grèce, mais elles en inspirent une autre qui a plus de charme. Elles n’expriment pas le calme imperturbable des dieux impassibles de l’Olympe, comme au Parthénon, mais elles ont une grâce souriante et une expression de douceur qui parlent aux plus nobles sentiments de l’âme.

Quand on voit sur les temples cette armée de formes gracieuses, élégantes et souriantes, on est pénétré d’une douce confiance dans la bonté divine. Tout porte à l’admiration. Ces images sont peintes des plus douces couleurs ; elles sont vivantes et pleines de la plus belle expression ; elles sont couvertes d’ornements, de diamants et de bijoux qui ont une telle fidélité d’imitation qu’on ne peut se lasser de les contempler ; leur tête est chargée de couronnes en forme de tiares ; leurs épaules sont couvertes de colliers et de médaillons éclatants ; elles ont des bracelets aux mains et aux pieds, multipliés mais disposés avec tant de goût qu’on n’en craint pas la profusion.

Des bouquets et des éventails à la main, elles sourient gaiement comme si elles étaient livrées à une causerie agréable et plaisante. Elles s’inclinent, elles saluent, elles baissent la tête, elles se tournent et se relèvent avec des attitudes pleines de majesté et de grâce. Enfin elles sont répandues sans nombre sur les sommets, dans les angles, sur les remparts, sur les pinacles.

Ces statues, excellentes pour la forme, brillent aussi par la matière qui les compose : quelques-unes sont d’or ou d’argent, d’autres de marbre ou de bois précieux. Les visages animés des plus fraîches couleurs sont relevés par de riches détails. Les yeux sont incrustés de nacre de perles ; leurs couronnes, leurs colliers, leurs bracelets sont de pierres précieuses.

Quant à la décoration des constructions, il faut examiner ce qui se rapporte à l’extérieur et à l’intérieur. À l’extérieur les soubassements sont exécutés en granit d’une teinte rouge carminée relevée par des vernis et des glacis dont les Indiens avaient le secret et qui ajoutaient à la douceur et à l’harmonie des teintes. Les colonnes en marbre et en porphyre font ressortir les ornements dorés et coloriés des bases et des chapiteaux.

Tout était disposé de manière à faire ressortir les contrastes ménagés entre les teintes graves et uniformes du dehors, avec les intérieurs aux couleurs claires et délicates. C’est un détail que l’on remarque d’ailleurs dans les fruits des tropiques, les palmiers, les grenades, les bananes, les figues, les oranges, etc.

Au mont Abou, tout l’intérieur en marbre blanc, transparent comme le cristal, fait ressortir la beauté des sculptures cerclées et encadrées d’or ; ces sculptures ont l’éclat et les grâces de la nature. Au palais de Delhi, au centre de l’Inde, élevé par la dynastie mongole au XIVe siècle, toutes les parties extérieures sont en granit éclatant comme le carmin. Les revêtements sont en marbre, encadrés de jaspe, de malachite. Enfin les dômes sont en argent relevé d’or.

Les intérieurs sont occupés par des décors en albâtre, avec mosaïques d’or et pierreries incrustées, comme à Delhi Palace.

Voici la description du tombeau de la sultane catholique sur une colline d’Agra. C’est ce qu’on appelle le Taje. Un dôme de 260 pieds de hauteur surmonte l’édifice ; quatre coupoles moins élevées sont établies sur un massif octogone en marbre blanc. Aux quatre angles on voit des minarets de 133 pieds de hauteur. Le marbre vient de Jeypour dans le voisinage ; il est tellement blanc qu’il en paraît transparent comme un cristal.

Sur les murs de marbre, en certains endroits on voit des dispositions d’ornement qui sont des chefs-d’œuvre de richesse et de composition. Ce sont des réunions de jaspe, de cornaline, de cristal de roche, de lapis et de malachite, le tout poli et uni comme des miroirs avec une habileté de main inexplicable.

Au centre de la rotonde du Taje il y a un écho merveilleux comme au baptistère de Pise, qui répète chaque mot et chaque note de musique, disent les poètes, comme l’alouette répétant son cri en montant dans les airs.


DE L’ART DANS L’INDUSTRIE.


Après avoir examiné ce qui se rapporte principalement aux monuments, pour compléter nos données, il faut voir ce qui se rapporte aux fabrications, aux industries, aux métiers, aux différents objets de l’activité humaine. Avant de nous prononcer à cet égard, laissons parler M. de Beaumont, un des plus grands experts des expositions universelles.

« À ces expositions, nous dit-il, on a admiré les produits de l’Orient, et en particulier les envois de l’Inde. On y a trouvé l’application parfaite des règles et des lois de la fabrication la plus intelligente, telles qu’elles sont formulées par les plus grands connaisseurs, mais si souvent méconnues ailleurs. La section orientale a une part éminente et ceci a d’ailleurs été toujours si bien reconnu, que, depuis des siècles, les industries européennes empruntent leurs procédés de fabrication aux produits de l’Orient. En particulier, depuis longtemps on a cherché en Europe à imiter les tapis, les tentures, les étoffes et les cachemires de l’Inde, les bijoux de Lahore, les satins, les ivoires et les porcelaines du Décan indien, qui rivalisent avec les produits de la Chine et du Japon. Rien de plus beau que les vases et ustensiles de bronze émaillés et inimitables qui viennent du Népal. Dans le genre ordinaire, les madapolans et les calicots du Maduré ; dans le genre riche, les mousselines mates et transparentes, les mousselines pailletées, brochées d’or et d’argent, venant de Gwalior et d’Agra. Les armes, les tapis, les laques, les bronzes, les tapisseries sont supérieurs à nos imitations par la qualité de la matière, par la beauté des dessins, par la solidité, et en même temps par la modicité des prix.

« C’est ce qu’il nous faut reconnaître pour écarter ce patriotisme mal entendu qui ne veut pas comprendre qu’il faut absolument remonter à la source du vrai et du beau, sans lesquels le luxe et l’art ne sont rien.

« Voilà ce qui leur assure la préférence pour toujours, tandis que les étoffes, les tapis, les châles des grands centres de fabrication en Europe, qu’on admirait il y a dix ans, que dis-je, l’année dernière, sont passés de mode et dédaignés.

« Il y a tout à gagner à revenir à ces sources immortelles. On y trouvera le beau, le raisonnable, la durée. Après la première croisade, nos ancêtres sortant à peine de la barbarie, sont devenus de plus habiles industriels que nous ne le sommes maintenant après huit ou neuf siècles de civilisation.

« Il faut se défier de l’indifférence que l’on affecte pour les choses extérieures. Cette indifférence est un penchant qui n’est pas raisonné, et qui pourrait bien n’être pas raisonnable.

« Il faut se défier de ces idées d’économie que l’on prétexte par défaut de prévision ; ce sont des économies qui reviennent très cher, parce qu’il n’en coûte pas plus de faire bien que de faire mal, mais les conséquences sont bien différentes.

« L’on doit examiner les circonstances où l’on se trouve, le climat, les influences atmosphériques, et aussi il faut tenir compte de ce jour qui nous éclaire ; ce soleil toujours voilé ne saurait mettre sous nos yeux la couleur et le dessin que l’Orient montre sans cesse d’une façon si nette.

« Il faut étudier ces vases, ces bronzes émaillés que l’on ne peut égaler ; ces meubles incrustés de nacre, d’écaille, d’ivoire gravés et travaillés avec une inexplicable habileté.

« Et ces papiers de palmier si beaux, si solides, si parfaits, qui ont remporté à la dernière exposition la grande médaille d’honneur.

« Et toutes ces merveilles, parce que c’est là qu’est le soleil, ce grand coloriste qui vivifie les matières premières et qui révèle les secrets de l’harmonie.

« Ces coupes, ces coffrets, ces écritoires, ces armes, ces ustensiles en jades, en améthiste, en cristal de roche, incrustés d’arabesques, d’or, de rubis et d’émeraudes, ces passementeries, ces cordonnets de soie, d’or ou d’argent, avec la manière de s’en servir pour orner et broder les vêtements de pourpre, de velours et de soie.

« Les habitants de l’Asie ont un vif sentiment de la dominante dans la couleur, chose aussi importante pour la peinture que pour la musique.

« Les Orientaux sont nos maîtres en fait de couleur, dit un grand critique d’art. C’est à eux qu’il appartient de nous donner des leçons. Nous autres, Européens, nous avons si peu le sentiment de la couleur que dans nos écoles de peinture, un grand coloriste est un oiseau rare. Nous ne savons être ni hardis sans crudité, ni tempérés sans fadeur. Nous cherchons l’effet dans des rapprochements hasardeux, ou bien nous ne trouvons l’harmonie que dans l’attiédissement des teintes. »


DES FÊTES ET DES CÉRÉMONIES.


Après avoir vu l’art dans la fabrication, nous allons continuer à l’étudier dans les cérémonies et les pompes religieuses et nationales.

Les cérémonies répondaient à la magnificence des temples et à la solennité des fêtes. Les pèlerinages étaient très nombreux, et attiraient des cent milliers de fidèles. Les seigneurs marchaient dans les cortèges, accompagnés de leurs hommes d’armes et de leur bande de musique. Ils rivalisaient entre eux de luxe et de magnificence ; puis venaient les chœurs de chant et de danse exécutés par les artistes les mieux exercés. Ces chœurs étaient et sont encore très nombreux ; ils avaient quelque rapport avec ces chœurs de chant et de danse que l’on trouvait chez les Grecs et chez les Romains, et aussi chez les Hébreux, parmi lesquels se mêla le roi David en ramenant l’arche du Seigneur à la ville de Bethléem.

Ensuite apparaissent les religieux brahmes avec leurs fonctions particulières. À certains sanctuaires, il y en avait jusqu’à quatre ou cinq milliers, quelquefois plus. Tous ces assistants marchaient en procession autour du temple, précédant ou accompagnant des chars de cérémonie, portant l’image des dieux, couverts d’ornements, de pavillons, de boucliers, de drapeaux depuis la base jusqu’au sommet. Or quelques-uns avaient 80 pieds de hauteur et présentaient plusieurs plates-formes disposées en terrasses et en gradins chargés de monde, quelquefois 200 ou 300 enfants et jeunes filles, chantant, chargés de bouquets et de couronnes de fleurs. Ces chars ont besoin d’un millier de bras pour être mis en mouvement, et ne peuvent faire le tour du temple qu’en une huitaine de jours.

Le soir, l’attrait des fêtes était encore plus grand par les ressources merveilleuses des illuminations. Des lampions et des lanternes de couleur étaient allumés de toutes parts.

Outre les fêtes religieuses, pour donner une idée des imaginations de ce peuple pour le faste et la splendeur, il faut voir les relations des voyageurs et des missionnaires sur le luxe des princes dans leurs réceptions, dans leurs prises de possession, dans les mariages de leurs enfants. On voit jusqu’à dix mille personnes dans un cortège : les officiers, les ministres, les employés, les soldats à pied, à cheval, les artilleurs, ceux qui conduisent les chameaux, ceux qui conduisent les éléphants, et ceux-ci caparaçonnés des pieds à la tête du velours le plus riche, relevés d’or et de pierreries, surmontés d’une tour parfois à plusieurs étages parfaitement assujettie sur la selle de l’animal.

Quant aux costumes, dit Rousselet en décrivant ces fêtes, il faut se représenter le moyen âge dans toute sa magnificence : des pages, des troubadours, des chanteurs et des danseurs habillés avec richesse et élégance, rappelant par la coupe de leurs vêtements les temps des XIIIe et XIVe siècles, les hérauts d’armes à cheval avec leurs longues trompettes entourées de draperies, et leurs dalmatiques chargées d’armoiries rappelant les temps féodaux ; puis les troupes régulières parfaitement disciplinées par des officiers européens ; puis les escadrons de cavalerie, l’artillerie de campagne, les mousquetaires, les hallebardiers, les canonniers à dromadaires, en tout dix mille hommes. Le défilé dure près d’une heure.

Derrière ces troupes on voit s’avancer le porte-étendard royal, assis sur un superbe éléphant peint et couvert de draperies dorées, portant un drapeau en drap d’or de plus de trente pieds de hauteur. Autour de lui, les défenseurs du drapeau, à cheval et couverts d’armes damasquinées d’or, avec des casques en métal relevés de plumes d’autruche, un bouclier de rhinocéros relevé d’or, vêtus avec une richesse inouïe.

Ce que nous avons dit peut suffire pour donner une idée du génie de ces nations placées si loin de l’influence européenne.

Quelque admiration que ce perfectionnement de l’activité humaine puisse inspirer, on doit comprendre qu’il faut encore autre chose pour faire un peuple intelligent, moral et vraiment civilisé.

En toutes ces merveilles, il n’y a rien qui puisse élever les âmes au-dessus des entraînements de l’orgueil et du sensualisme. Il faut donc une doctrine et des institutions qui éclairent l’homme et lui inspirent l’amour du vrai et du bien ; il faut la connaissance des grands principes de la justice, et alors on verra ces peuples se mettre par leur conduite au niveau de tant de talents naturels.

Longtemps la vie simple et patriarcale des premiers jours a préservé ces races des vices de la mauvaise civilisation ; mais ensuite l’oisiveté et la mollesse ont envahi les âmes ; les premiers principes ont été oubliés ; les mauvaises habitudes ont tout perdu. Il faut un renouvellement complet ; il faut mettre des obstacles insurmontables à l’entraînement du mal. Il n’y a que les institutions chrétiennes qui peuvent opérer ces prodiges. C’est ce qu’elles ont fait vis-à-vis de peuples encore plus aveugles et plus dégradés, vis-à-vis des barbares du Nord et des populations corrompues de la Grèce et de l’Italie. Sous ce rapport, tout n’est plus encore à faire. L’Église a pris les devants. La rénovation a commencé avec les premiers temps du christianisme. Saint Thomas est venu dès les premiers âges de l’Église : entre l’île de Ceylan et les embouchures du Gange, il a conquis des milliers de fidèles dont les descendants existent encore en grand nombre. Ils viennent chaque année par milliers honorer le tombeau de l’apôtre, du Sauveur, près de Méliapour. Plus tard, saint François Xavier a réuni ces chrétiens et a étendu dans les Indes les conquêtes de la foi. Les successeurs de saint François Xavier avaient gagné une grande partie des Indes. Les persécutions sont arrivées et ont arrêté cet élan, mais actuellement, les Missions étrangères ont repris l’œuvre. Ils ont déjà conquis de notables succès. L’on compte maintenant trente évêques et archevêques établis par les nouvelles missions, qui soutiennent un millier de religieux et de religieuses. Enfin, l’on voit dans chaque province des milliers de catholiques qui exercent déjà une notable influence.


1re LECTURE

SUR L’ÉGYPTE


1re LECTURE

SUR L’ÉGYPTE


En commençant son grand ouvrage sur l’Égypte, Ebers fait cette réflexion pleine de justesse : « D’où nous vient cet attrait merveilleux du pays des Pharaons ? Comment son histoire et ses institutions nous impressionnent-elles plus vivement que tout ce qui se rapporte aux autres pays ? »

Le monde entier connaît ce peuple des premiers siècles. Parmi nous, l’enfant sait apprécier le bon et le mauvais Pharaon, les Pyramides, le Nil et ses changements, avant même de connaître les souverains et les fleuves de son pays. Il n’oubliera jamais ce fleuve d’où sont sorties des vaches mystérieuses, ces rives bordées de roseaux où vint s’échouer le berceau du petit Moïse ; il n’oubliera pas non plus l’histoire surprenante et merveilleuse de Joseph, et cette plage où, fuyant la persécution, Marie vint abriter le divin Enfant.

Ce n’est pas seulement l’Écriture sainte qui nous rappelle l’Égypte primitive, ce sont aussi les traditions de tous les peuples.

Une certaine forme qui se trouve souvent dans la nature se nomme pyramide. C’est un nom copte (vieil égyptien. Une autre forme qui revient souvent dans les œuvres de l’art ancien, c’est l’obélisque, qui veut dire aiguille. Une disposition compliquée repliée sur elle-même et dont il est difficile de trouver l’issue porte aussi un nom copte, c’est un labyrinthe.

Toute pensée cachée sous une forme mystique, c’est un hiéroglyphe ; le papier où l’on écrit, c’est le papyrus, la réunion, c’est une bible. Le foyer lumineux qui éclaire la navigation, c’est un phare. Un abri au milieu des feux du désert, c’est une oasis, vieux nom égyptien.

Cette persistance des choses anciennes au milieu des formes modernes est encore plus visible dans le pays même. C’est même une particularité commune avec la destinée de l’Inde. Le vieux pays apparaît toujours malgré bien des révolutions et malgré le vernis actuel de la civilisation européenne.

On voit actuellement en Égypte les merveilles principales de l’industrie moderne : les rails, les locomotives, les steamers, le télégraphe, les hauts fourneaux, les nouveaux fusils et les modes du jour ; mais avec tout cela l’ancien pays continue à se montrer en mille détails.

À l’horizon des villes modernisées, on découvre les déserts de sable, les chameaux en caravane, les cheiks vêtus comme au temps d’Abraham, les magnifiques chevaux arabes chantés par Job, les turbans et les voiles, les draperies aux mille couleurs comme la robe de Joseph, les galeries vitrées au flanc des maisons, les armes ciselées, les vieux blasons, origine des armoiries des seigneurs de l’Occident. Enfin, en remontant le fleuve, l’on voit à droite et à gauche sur la rive les monuments anciens : des pyramides, des obélisques, des temples, des palais gigantesques d’où « quarante siècles vous contemplent. »

L’ancien monde et le monde moderne sont toujours en présence. Dès qu’on arrive à Alexandrie on est frappé de la réunion de ces deux éléments. La nuit déploie ses voiles, le steamer fait retentir les accents puissants de la syrène et en même temps l’on entend les voix stridentes des muezzins sur les minarets : Allah, Allah, Allah ! répétées dans le lointain jusqu’aux extrémités de la ville : Allah, Allah ! El Salamaleck. Aleïk oum el Salam !

Non loin brille un point lumineux : c’est un flambeau placé sur l’île de Pharos. Homère l’a chantée en vers harmonieux.

« Il y a près de la côte, une île baignée par la mer aux vagues sans nombre, juste en face de l’Égypte. Cette île, dit Homère, on l’appelle Pharos. »

On peut assurer que le monde moderne grandira toujours ; mais quoi qu’il en soit, il est un élément qui ne périra pas : ce sont les monuments immenses et étonnants qui sont l’objet de cette leçon.

Ces monuments sont grandioses, imposants ; de plus ils sont pleins d’enseignements. Ils ont bien des choses à nous révéler sur le génie de leurs auteurs, sur les origines humaines, sur l’histoire et sur la Bible.

Pour les comprendre, il faut étudier quelles étaient les qualités de ces hommes audacieux et énergiques qui les ont conçues, élevées dans de si grandes proportions et multipliées. Il faut de plus savoir quelle était la surabondance des moyens d’existence qui permettaient aux souverains de se livrer aux dépenses les plus excessives. Enfin il faut tenir compte de la richesse géologique de ces bancs immenses de quartz et de granit sur une étendue de 100 lieues, sans compter la surabondance d’autres roches primitives, telles que porphyre, jaspe, onyx, jades, turquoises, et enfin les marbres, etc., etc., ayant la beauté des pierres les plus précieuses.

Quant aux Égyptiens, nous pouvons les regarder comme appartenant, pour la haute classe, à la race indo-européenne. C’est là qu’il a fallu en arriver après bien des erreurs. Un archéologue illustre, M. Baumgarten, a résolu ce problème. Il a pu remarquer, après des constatations innombrables, que les momies observées dans les musées, dans les fouilles, etc., appartenaient presque toutes au type européen, comme on peut le constater par leur angle facial, et il a conclu d’après ses observations que si les militaires étaient de la race ismaélitique ou sémite, le peuple, les fellahs, les coptes, de la race nubienne, les classes élevées et sacerdotales étaient toutes de la race indo-européenne.

Quant à la richesse des productions de l’Égypte, qui se renouvellent plusieurs fois dans l’année, rien ne l’égale, et vient d’un sol et d’un climat exceptionnellement favorables.

Le ciel, comme une voûte de saphir, ne montre aucun nuage : il est d’un bleu pénétrant ; les teintes éclatantes de cet azur semblent se perdre dans des profondeurs infinies. Le firmament est tout transpercé des flammes du soleil et éclairé « d’une teinte éblouissante, dit M. Ampère : les rochers en sont pénétrés comme une fournaise ; tandis que les eaux du fleuve, d’un mille de largeur, éclatent sous la clarté du jour comme une pluie d’or. Rien ne surpasse la beauté de cette température tropicale ; la splendeur de cette lumière est incomparable et on ne voit rien de tel dans la Grèce et l’Ionie. Les teintes roses de l’aube, l’éclat du midi, la pourpre embrasée des soleils couchants surpassent les scènes les plus éblouissantes d’Athènes et de Smyrne. Ce n’est plus l’Europe ni l’Asie Mineure, c’est l’Afrique. »

« Le soleil, dit encore M. Ampère, n’est pas seulement radieux, il est rutilant ; la terre n’est pas seulement inondée des feux du jour, elle en est dévorée. Enfin, l’éclat de la nuit est encore plus extraordinaire. C’est là qu’on comprend cette expression : nuit brillante. Elle est d’Homère qui connaissait l’Égypte et à qui Louis Racine l’a empruntée. »

Mais cette contrée chauffée comme une fournaise a une force de production prodigieuse. Trois récoltes par an, trente en dix ans. Il y a des palmiers de quinze espèces différentes ; les sycomores, les orangers, les citronniers, l’arbre à sucre, le cotonnier, sont d’une force de croissance incomparable. On voit des aloès de 60 pieds de haut, des cactus énormes comme des roues de carrosse.

Telle est l’abondance de la production de l’Égypte, qu’elle était autrefois le grenier du monde, et qu’elle l’est encore aujourd’hui sous beaucoup de rapports. Les villes de Constantinople, de Trieste, de Marseille, de Barcelone voient souvent leurs rues encombrées des produits de l’Égypte. N’oublions pas que pendant la guerre du Sud, il y a 30 ans, le delta seul de l’Égypte suppléa à la production de la Louisiane.

Enfin, il faut ajouter que ces contrées ne sont pas aussi pénibles à habiter qu’on pourrait le supposer. Non, l’homme a su s’y établir et s’y conserver plein de force et d’activité avec toutes ses industries.

Les habitants des pays tempérés ne peuvent comprendre comment on peut subsister dans les pays extrêmes du Nord et du Midi. Mais, pour parler d’abord des pays de l’extrême froid, la température est si bien combattue que l’on est plus à l’abri de la rigueur du climat que dans les pays tempérés où l’on ne connaît ni les fournaises ni les doubles fenêtres, ni les doubles portes ni le revêtement ingénieux des habitations. Il en est de même des précautions efficaces contre la chaleur extrême. Les habitations sont sans ouvertures au midi ; elles ont des cloîtres intérieurs, elles sont environnées de bouquets d’arbres ; elles sont fournies de réservoirs et de courants d’eau qui jaillissent continuellement.

Nous avons donné une idée de la richesse de ce pays et des moyens que les souverains avaient pour supporter les plus grandes dépenses. Pour compléter ces notions, il faut considérer les richesses minéralogiques d’où sont sortis les grands monuments.

À partir du Caire, le Nil coule entre deux murailles de rochers éloignés de deux à trois milles, qui sont composées d’abord jusqu’à Esnech de roches quartzeuses d’une blancheur remarquable, très favorables pour la construction. C’est là qu’on a pris les matériaux des pyramides, des chaussées, des temples et des édifices de Memphis, et enfin, en remontant, les matériaux de Thèbes, de Karnack et de Louqsor, comme nous le verrons plus tard. À Esnech, c’est-à-dire à quatre-vingts lieues du Caire, commencent d’autres formations de granit, de feldspath bien autrement dures et résistantes et susceptibles du plus beau poli. Il y a ainsi une étendue de plus de vingt lieues depuis Esnech jusqu’à Assouan, toute composée de granit. Ces bancs de granit sont séparés par le Nil et offrent cette belle espèce désignée sous le nom de siényte ou granit rouge oriental. On trouve aussi des gisements de granit rose qui ont servi à construire les magnifiques monolithes de l’art égyptien : les obélisques, les sphinx, les colosses, les sarcophages, certaines colonnes et certains chapiteaux.

Ainsi les monuments de l’Égypte, si extraordinaires dans leur conception et leur exécution, sont expliqués par ces deux faits : la richesse du sol et l’abondance des merveilles minéralogiques.

Continuons maintenant à contempler les contrastes de ce pays si ancien par ses monuments, si nouveau par son contact avec la civilisation moderne.

Quand on remonte le Nil, après 30 lieues de navigation, on atteint le Caire, la plus grande ville du monde oriental après Constantinople. Elle contient plus de 400 000 âmes ; on est frappé de la richesse des palais, de l’éclat des maisons mauresques peintes en barres transversales, rouge et blanc, bleu et jaune, brun et gris ; on admire la quantité des dômes et des minarets. On est étonné de l’abondance, de la hauteur des palmiers et des sycomores. Voilà ce que l’on contemple d’abord, mais si on élève ses regards vers l’horizon, l’on contemple tout à coup des masses énormes qui semblent à une faible distance, quoiqu’étant à près de deux lieues. Trois triangles de pierre massive et régulière s’élèvent à près de 500 pieds. Ce sont les plus anciens monuments du monde, les plus parfaitement conservés contre l’injure des siècles ; ce sont des tombeaux au moins soixante fois séculaires, ce sont les Pyramides.

C’est la seule des sept merveilles du monde que le temps

LES PYRAMIDES


À deux lieues du Caire, au delà du fleuve, on aperçoit les Pyramides. La principale est haute de 500 pieds et elle a 600 pieds de base sur chaque face.

Les Pyramides sont précédées de la statue du Sphinx, qui est enterré dans le sol jusqu’aux épaules et qui montre au-dessus cette tête gigantesque dont le menton est à 15 pieds du sol et le sommet est à 42 pieds du sable.

Le visage avec la coiffure a 26 pieds de hauteur, le tour de la tête au niveau du front, y compris la coiffure, a 80 pieds de circonférence.

Cette bouche qui a 10 pieds de largeur sourit avec grâce. Sur cette figure, moitié statue, moitié montagne, toute mutilée qu’elle est, on découvre une majesté singulière et même une extrême douceur.

Tout ce qui est conservé : le front, les sourcils, les yeux, les pommettes, les joues, le menton, tout témoigne d’une finesse de ciseau extraordinaire.

Les Pyramides forment une perspective imposante derrière le Sphinx. Du sommet on découvre une vue très belle sur le Nil, sur le Caire, et, enfin, sur le désert.


Artotypie, brevetée. Canada Bank Note Co., lim., Montréal.
LE SPHINX.

ait épargnée, dit M. Ampère, les pyramides que tant de poètes ont célébrées jusqu’à Delille à qui elles ont inspiré un vers plus grand que lui :
« Leur masse indestructible a fatigué le temps. »

C’est ce que disent les Arabes : toutes choses craignent le temps, mais le temps craint les pyramides.

Stace les appelle d’audacieux rochers, et Pline des masses monstrueuses. Gœthe à qui l’on avait présenté un simple profil de la grande pyramide, après l’avoir examiné attentivement, dit : « Ce dessin est la conception d’architecture la plus colossale que j’aie vue de ma vie ; je ne crois pas qu’on puisse rien au delà. » Expression gigantesque, illustrée par une parole de Bonaparte à ses soldats : « Du haut de ces monuments quarante siècles vous contemplent ! »

Soutzo, le plus grand poète de la Grèce moderne, a dit : « Elles versent l’ombre de quarante siècles. »

En les comparant avec les plus grands édifices du monde qui s’élèvent jusqu’à 450 pieds : Saint-Pierre de Rome, Strasbourg, Saint-Étienne de Vienne, Malines, Rouen, on trouve que la pyramide de Chéops est encore plus élevée, au point que si elle était en ferblanc creux, on pourrait la placer sur Saint-Pierre de Rome, qui serait couverte comme une pendule sous un globe de verre ! Sauf quelques chambres, la pyramide est pleine et massive dans sa dimension effrayante de 600 pieds sur 450. Cette masse, suivant les auteurs de la description de l’Égypte, MM. Vivant-Denon et Jomard, de l’Institut, a au moins 75 millions de pieds cubes de pierre. Elle pourrait fournir les matériaux d’un mur de six pieds de haut sur deux pieds d’épaisseur et de mille lieues de longueur, comme de l’embouchure du Saint-Laurent à l’isthme de Panama. On pourrait avec cette réunion fournir la pierre taillée de toutes les façades de maisons à trois étages d’une ville de deux lieues de longueur sur deux lieues de largeur.

Vous approchez et vous voyez comme le mur d’un monde qui s’avance à votre rencontre pour arrêter tout pas et toute vue : vous voilà à la base du monument. Il est deux fois et demie élevé comme les tours de Notre-Dame. Vous marchez le long du soubassement qui a trois fois la longueur de Notre-Dame, ce qui prend un temps notable, que l’on peut apprécier surtout en plein soleil. Et quand vous avez contemplé cette immensité, à l’extrémité, vous voyez deux autres pyramides de 300 pieds et 250 pieds de base sur 250 et 150 pieds de hauteur. On dirait une demi-couronne de pyramides qui aurait 1800 pieds de diamètre.

En continuant d’observer le monument de Chéops, vous trouvez au côté nord, à soixante pieds d’élévation, l’entrée du monument. On monte sur les épaules des guides et l’on aperçoit un double corridor allant dans deux directions différentes : l’un qui va par une inclination de 50 degrés jusqu’à une salle placée à 150 pieds de hauteur, que l’on appelle la chambre du roi et qui renferme un sarcophage, l’autre qui descend près de 300 pieds et aboutit à quelques caveaux.

Pour avoir une idée des pyramides, il faut les contempler plusieurs fois et à différentes heures du jour. Lorsqu’on les voit de loin dès le matin, le soleil n’éclaire que la partie supérieure qui semble comme allumée d’une flamme mystérieuse. Au milieu du jour les pierres paraissent d’un ton uni et mat, mais aux approches du soir, elles reflètent les lueurs du soleil couchant. Ces colosses, nous dit M. Ampère, se peignent alors des nuances les plus délicates du rose et du violet. Elles offrent un mélange de grâce et de grandeur dont rien ne peut donner l’idée. En même temps, les horizons ont une finesse merveilleuse et s’adoucissent d’une manière incomparable qui tient à la sécheresse et à la pureté de l’air. C’est d’ailleurs la manière des plus grands maîtres.

Le soleil se couche brusquement et tout reprend une teinte morne ; alors au clair de la lune les masses s’illuminent sur un fond noir et paraissent encore plus grandes. M. de Chateaubriand a vu mieux que cela, c’est-à-dire la grande pyramide justement surmontée par la lune à son sommet extrême ; il lui semblait contempler comme un candélabre gigantesque. C’est bien le moins qu’on puisse dire.

Ce que l’on sait de positif des pyramides est assez bref, mais leur histoire légendaire est longue. Des Arabes ont prétendu qu’un roi avait bâti ces masses, comme la tour de Babel, en prévision d’un déluge. D’autres affirment que ces monuments ont été bâtis par les Hébreux pendant leur esclavage. Mais les pyramides existaient bien avant la venue des Israélites. D’autres ont pensé que c’étaient des greniers, mais l’absence de salles ne permet pas cette supposition. Quelques-uns ont voulu y voir des observatoires astronomiques. Il est vrai que les pyramides étaient parfaitement orientées et ont pu remplir l’office de gnomons ou cadrans solaires.

Il faut mentionner aussi, pour la curiosité du fait, certaines suppositions. Un Simon Witte a gravement avancé que les pyramides étaient simplement un jeu de la nature, comme les colonnes basaltiques de la grotte de Fingal. Il a étendu cette supposition jusqu’aux ruines de l’Orient et de la Sicile. Il semblait que rien ne pouvait dépasser une pareille excentricité ; mais en 1838, un de ses compatriotes, M. Agrew, a publié un traité dans lequel il établit que les pyramides offrent dans leur structure et leur disposition une démonstration rigoureuse de la quadrature du cercle. Après cela, il faut tirer l’échelle.

On examine, par rapport aux pyramides, 1o leur âge, 2o leurs auteurs, 3o leur but.

Pour ce qui est de l’âge, les avis sont partagés. Les uns mettent plus de 40 siècles avant Notre-Seigneur ; d’autres beaucoup moins, parmi lesquels Hérodote. Ils n’assignent guère que 15 siècles aux principaux monuments. Hérodote a vu les pyramides et les déclare très anciennes avant lui, mais il n’est venu en Égypte que pendant le cinquième siècle. Homère, qui est venu dix siècles avant Notre-Seigneur, parle du phare et de la ville de Thèbes, mais il ne parle pas des pyramides. Thèbes existait déjà avant la fondation de Memphis. Elle était toute environnée de montagnes où l’on avait creusé les tombeaux des rois et des reines ; mais Memphis n’ayant pas de montagnes, les souverains de Memphis en bâtirent d’artificielles. De là les pyramides.

Lorsque Abraham vint en Égypte, en 2296, il trouva un pays riche et important qui avait été établi par Menés, petit-fils de Cham, venu au 30e siècle ; or en cinq siècles, quelle pouvait être la population ? En supposant 30 individus au 30e siècle et en prenant la progression de la population canadienne depuis 100 ans, c’est-à-dire vingt fois plus considérable, 30 individus de la race de Cham décuplant deux fois en 100 ans, arrivent au bout de cinq siècles à près de six millions, c’est-à-dire au 25e siècle avant Jésus-Christ. Abraham, arrivé donc au 22e siècle, trouve un royaume considérable, mais il n’était pas nécessaire de lui attribuer plus de cinq ou six siècles d’existence.

Les Hycksos, peuple de l’Asie occidentale et descendants d’Ismaël, arrivent au 20e siècle. Ils sont repoussés par Amasis au 18e siècle, mais beaucoup demandent à résider dans le pays. Joseph arrive avant Amasis, les Israélites se développent dans le pays et y restent au moins 300 ans. Ils arrivent 700 ; au bout de 300 ans ils avaient près de 600 000 hommes capables de porter les armes.

Par rapport aux pyramides, on peut encore considérer quel était l’état de l’architecture vers cette époque.

Les pyramides sont au nombre des plus anciens monuments de l’Égypte. On croyait même qu’elles étaient les plus anciens monuments connus depuis la tour de Babel, mais il a fallu abandonner cette opinion.

Près des pyramides on trouve un temple et une statue colossale qui sont incontestablement plus anciens.

Le temple est en granit, en grès et en albâtre jaune oriental. La statue est le fameux Sphynx, qui a 60 pieds d’élévation ; la tête a 30 pieds, l’oreille 12 pieds, la bouche et le nez sont de même dimension.

C’est ce qu’on peut contempler de plus ancien dans le monde. Le temple est grand, majestueux. C’est là qu’on a trouvé la magnifique statue de Chefren, fondateur de la deuxième pyramide, et huit autres non moins importantes. Le Sphynx avait une inscription qui indique que le Pharaon Chéops avait restauré le Sphynx tombé en vétusté et les temples qui l’environnaient. Donc le Sphynx existait du temps de Chéops.

Le Sphinx, si ancien, est d’un art très excellent ; l’on trouve la même perfection dans plusieurs statues découvertes au pied des pyramides, comme la statue de Chefren, trouvée par M. Mariette au fond d’un puits du temple situé près du Sphinx. Il en est de même de celle de bois du musée de Boulak, et bien d’autres, produits d’un art ancien très perfectionné.

Après avoir visité les pyramides, il faut explorer les restes de l’ancienne capitale, Memphis, et les tombes des premiers Pharaons. C’est un Français qui a eu la gloire de déblayer tous ces amas de décombres. Vers 1850 un employé du musée égyptien du Louvre fut envoyé pour faire des recherches sur les bords du Nil : c’était Mariette. À son arrivée son attention fut attirée vers les pyramides et l’ancienne Memphis.

Il fit déblayer le terrain qui environne les pyramides et il découvrit toute la partie du Sphinx ensevelie dans les sables. De plus il reconnut les différentes parties de la vieille cité de Memphis, dont les monuments avaient été démolis et transportés pierre par pierre dans la nouvelle capitale des califes arabes au Caire.

En toutes ces recherches pendant 4 ans il mit au jour des quantités de statues, de tombeaux, d’ustensiles. Il fit hommage au Khédive d’une partie notable et envoya le reste au Louvre. Il avait été aidé dans ses recherches par les gouvernements d’Égypte et de Paris. Enfin un grand seigneur, le duc de Luynes, qui savait mettre au service de la science une immense fortune, le seconda activement et l’aida à déblayer le colosse du Sphinx.

En continuant ses travaux, il entreprit d’explorer le souterrain que Diodore et Strabon avaient signalé aux environs des pyramides.

Bien des recherches faites jusque-là avaient été inutiles ; enfin quelques débris lui firent découvrir une avenue de Sphynx brisée et ensevelie sous 20 pieds de sable. Il suivit cette trace et à l’extrémité il découvrit l’entrée du fameux palais du Sérapéum, décrit par les anciens auteurs et dont les appartements inférieurs servaient de sépulcres aux souverains et aux divinités principales.

Cette découverte amena bien des surprises : le Sérapéum était comme l’Escurial de l’Espagne, le Westminster de Londres et le Saint-Denis de l’Île-de-France. Il trouva des dynasties tout entières avec inscriptions, signes et papyrus à l’appui. Il déblaya entre autres deux galeries qui avaient chacune 600 pieds de longueur et qui étaient garnies à droite et à gauche de chambres sépulcrales remplies de tombeaux, de momies, d’effigies, de dieux, et principalement d’Apis.

Ce déblaiement a produit sept mille monuments, parmi lesquels trois mille sont relatifs au culte des dieux. Ces richesses se trouvent maintenant en grande partie au musée du Louvre, et au musée de Boulak, au Caire.

On peut désormais, en visitant le Louvre et le musée de Boulak, avoir l’idée la plus complète sur les richesses artistiques du nord de l’ancienne Égypte. On peut comprendre quel était l’état de civilisation de ces nations primitives.

Maintenant il nous reste à voir tout ce qui est relatif à l’Égypte du Sud ; c’est ce que nous allons reconnaître en continuant nos recherches sur le cours du Nil.


THÈBES

I


En remontant le Nil, à partir du Caire, on contemple sur les rives les marques d’une fertilité merveilleuse : des palmiers, des acacias énormes, des sycomores extraordinaires, et au milieu de tout cela, une contrée dorée et toujours blonde d’épis entremêlés de citronniers, d’abricotiers et de dattiers pliant sous leurs fruits. Vous rencontrez quelques temples en ruine, comme à Abydos ; Siout, à Denderah, qui attirent l’attention ; mais l’on ne s’y arrête pas parce que l’on sait que de plus grandes merveilles vous attendent. Enfin, l’on arrive en vue de la grande ville aux cent portes, suivant Homère, de la grande capitale, Thèbes, et l’on contemple une quantité innombrable d’édifices des deux côtés du Nil, pendant une lieue de parcours, et qui apparaissent, à distance, en plein état de conservation.

Ces masses énormes et dont la réunion est si imposante, nous font comprendre l’impression saisissante qu’elle causa à l’armée française en 1798.

Après la bataille des Pyramides, arrivés en vue de la ville, les soldats français, tout saisis de ce spectacle, s’arrêtèrent, éclatèrent en cris d’admiration et battirent des mains comme devant une décoration théâtrale. À droite et à gauche, ce ne sont que portiques, colonnades, avenues à perte de vue, ornées de sphinx, d’obélisques, de colonnes.

Il est curieux de rapprocher cette impression de celle de Bossuet d’après les récits des voyageurs envoyés par Louis XIV en 1670 (M. Thévenot, liv. II, ch. 5). « L’architecture, nous dit-il, montre cette grandeur qui remplit l’esprit. Ces ouvrages étaient faits pour tenir contre le temps. Les statues sont des colosses ; les colonnes sont immenses ; ces colonnes et ces statues innombrables ; des allées à perte de vue avec des sphynx énormes servent d’avenues à des portiques dont la hauteur étonne les yeux ; l’on voit une salle soutenue par 120 colonnes de six brassées de tour, et hautes à proportion. »

En arrivant à Thèbes, le fleuve s’élargit et l’on contemple au pied d’une suite de collines un site qui ressemble beaucoup à la situation de Montréal même.

Cela a été remarqué par plusieurs voyageurs canadiens

LES COLOSSES DE MEMNON


À quelque distance de la plage, sur la rive droite, en remontant le Nil, on voit deux statues assises, de 60 pieds de hauteur, que l’on appelle les statues de Memnon.

Ce sont les seules statues qui restent du palais d’Aménophis. On a retrouvé aux environs les fragments de 17 statues colossales.

On pense que ces colosses étaient adossés à un pylône servant d’entrée au palais d’Aménophis, qui s’est écroulé.

Ces statues sont très endommagées ; elles sont taillées dans un grès très dur et composées de cailloux agglomérés et brillant comme des agates. Elles pèsent à elles deux le poids prodigieux de 1 305 992 kilogrammes.

L’une de ces statues, fendue par un tremblement de terre, faisait entendre des sons plaintifs au lever de l’aurore. Ce bruit provenait du changement de température. Au lever du soleil, après les fraîcheurs de la nuit, c’était le résultat du rétablissement de l’équilibre.


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STATUES DE MEMNON.

qui nous l’ont rapporté : dans l’élargissement du fleuve, l’on voit s’étendre deux grandes îles qui ressemblent aux deux îles Sainte-Hélène et Saint-Paul. À cet endroit le Nil est à peu près de la dimension du Saint-Laurent devant la ville de Montréal.

Sur la rive ouest, on voit une dizaine de temples et de palais qui se rapportent aux monuments principaux de Montréal.

Du côté ouest, un premier édifice est dans la position de la prison : c’est le temple de Bourlacq. Vient ensuite Der el Bahari, situé comme Saint-Pierre sur la rue de la Visitation. En continuant, à la place de l’hôtel de ville, on voit le Ramesseion, où se trouvait la bibliothèque d’Osymandias, et c’est aussi vers ce centre que devrait se trouver à Montréal, pour la gloire de la ville et l’avantage de tous les citoyens, une bibliothèque vraiment digne d’une cité aussi considérable et aussi lettrée. Vers Notre-Dame, une avenue de sphynx venant du fleuve et arrivant à une place correspondant à la Place d’Armes, montre au pied des tours les énormes colosses de Memnon. Vers Saint-Patrice, Médinet Abou, autre temple ; à l’évêché, Der el Médinet, autre temple. Enfin, sur le fleuve, comme nous l’avons dit, deux grandes îles représentant l’île Sainte-Hélène et l’île Saint-Paul. Une dernière particularité à observer, c’est qu’il y a une montagne disposée à l’ouest comme la montagne de Montréal, avec cette ressemblance qu’à l’extrémité sud-ouest où se trouvent les deux cimetières catholique et protestant, on voit les tombeaux des reines, et plus loin, à la place du cimetière protestant, les tombeaux des rois.

Tous ces monuments sont extrêmement imposants. D’abord, à l’ouest, le Ramesseion a au moins 300 pieds sur 200. C’est ce que Strabon appelle le Memnonion, et Diodore l’avait appelé le tombeau d’Osymandias. Champollion a trouvé le véritable auteur, c’est-à-dire Ramsès, qui a élevé d’avance ce monument à sa mémoire ; aussi les Égyptiens l’appelaient le Ramesseion. La longueur totale de ce monument est de 500 pieds ; il est précédé d’un dromos à l’intérieur. On voit là une profusion de sculptures, de peintures et de statues colossales. Le pylône à l’entrée avait 150 pieds de haut, 200 pieds de largeur, la cour 160 pieds de carré ; enfin, l’on voyait à l’extrémité de cette cour, sur un siège, une statue colossale du poids de quatre fois l’obélisque de Paris. C’est une statue assise ayant 60 pieds de hauteur. Le second pylône précède une salle de 150 pieds de carré avec cariatides de 30 pieds de hauteur. L’on voit sur les murailles des illustrations du poème du Pentaour, qui est l’Homère de l’Égypte, deux bustes de Ramsès, l’un en granit noir et l’autre en granit rouge. En suivant, deux autres salles de 48 colonnes. Au haut d’un degré supérieur, on voit les chambres de la bibliothèque,

TEMPLE DE MÉDINET-ABOU


Sur la droite, en remontant, on trouve les ruines de Médinet-Abou. Ce temple a quelque chose de particulier, c’est qu’au milieu des restes de constructions primitives, on trouve une autre construction qui a une origine chrétienne, lorsque l’Égypte fut convertie.

L’ancien temple a des proportions immenses, des colonnes de 10 pieds de diamètre et de 30 pieds de hauteur, des chapiteaux de 15 pieds de diamètre.

En avant l’on trouve une rangée de petites colonnes qui peuvent avoir 3 pieds de diamètre et montent à 15 pieds de hauteur avec leurs chapiteaux.

Ce sont les restes du temple chrétien. Il a été édifié après la venue de Constantin, lorsque les chrétiens furent mis en possession d’un grand nombre de vieux temples.

Il y eut un moment, sous Justinien, où toute l’Égypte était chrétienne et où la religion était florissante. Les travaux de Clément d’Alexandrie et d’Origène avaient porté leurs fruits.

Les vieux temples étaient occupés par les chrétiens, les déserts étaient remplis de religieux donnant les exemples de la plus grande perfection.


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MÉDINET ABOU.

intitulée : Remèdes de l’âme ; 8 colonnes dans chacune. Der Médinet est charmant de sculpture ; les statues de Memnon sont célèbres.

Après avoir visité la rive gauche à l’ouest, on peut continuer par la rive droite à l’est, où l’on trouve plusieurs groupes de monuments, mais principalement le groupe de Luxor au sud, et le groupe de Karnac au nord.

Sur cet espace, l’on compte cinq monuments différents, mais le plus considérable de tous est le palais de Karnac, qui n’occupe pas moins de mille pas de longueur sur trois cents pas de largeur.

Il est composé de trois édifices qui se succèdent et se complètent. D’abord, la partie réservée au peuple et qui est la plus vaste ; ensuite le palais du souverain, et enfin la demeure de la famille du souverain avec les chambres des ancêtres.

Devant cet ensemble, à partir du Nil, on voit une avenue de sphynx disposés des deux côtés d’une chaussée de 300 pieds de longueur et de 50 pieds de largeur ; ensuite se présente une façade de 300 pieds de largeur, composée de deux pylônes hauts comme les tours de Notre-Dame.

Ces pylônes étaient ornés de plusieurs statues colossales peintes et dorées avec richesse, tandis que la surface des pylônes était couverte de peintures qui représentaient les faits les plus remarquables des princes auteurs de tous ces monuments : Ramsès, Toutmès, Menephtah, dont les règnes répondent à cette période brillante où les souverains de l’Égypte s’étaient enrichis par les sages dispositions de Joseph, richesses dont ces palais sont les impérissables témoins.

Les statues sont décorées et les murs chargés de peintures ; rien de frais et d’éclatant comme cette décoration.

Après avoir traversé ce portique, l’on entre dans une vaste cour de 300 pieds sur 200 pieds, environnée de galeries soutenues par des colonnes, comme un cloître immense dont les parois reproduisent les faits et gestes des anciens rois. C’est là qu’on voit ce grand nombre d’inscriptions et ces légendes qui jusqu’à ces derniers temps avaient conservé les secrets religieux, militaires et nationaux de l’ancienne Égypte.

Au delà, l’on voit un immense vestibule de 300 pieds de largeur, orné de deux rangées de colonnes ; ce vestibule précédait l’entrée de la pièce principale de cet immense monument. Cette pièce principale est la grande salle hypostyle de 80 pieds de hauteur, de 240 pieds de profondeur et de 300 pieds de largeur. Le plafond, à 80 pieds de hauteur, est soutenu par 150 colonnes de la grosseur de la colonne Vendôme.

C’est comme une forêt où l’œil s’étend à perte de vue.

Quand on voit ces piliers si multipliés et si énormes, on est tellement étonné qu’on ne saurait les décrire, à moins

LUGSOR


Sur le Nil, à la rive droite, l’on voit s’étendre un grand quartier de Thèbes : d’un côté les palais des souverains et ensuite les temples si célèbres.

Le quartier des palais se nomme Lugsor. C’est là qu’on voit encore bien conservés le palais d’Aménophis III et le palais de Ramsès II.

Ces deux palais sont en assez bon état de conservation. L’un contient une cour environnée d’une galerie très large et très haute. Un peu plus loin, un portique ou pylone devant lequel se trouve un obélisque à l’un des côtés de la porte ; de l’autre côté de cette porte, il y en avait un autre qui est maintenant à la place de la Concorde à Paris, où il fait très bon effet.

De ces deux palais part une grande avenue ornée des deux côtés de sphinx et d’obélisques et qui conduit à la réunion des temples placés plus au nord et que l’on désigne sous le nom de Karnac.

Le premier quartier se trouve placé comme l’Arc de triomphe de l’Étoile à Paris, et le second comme les Tuileries.


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LUGSOR.

de passer pour un imposteur ou pour un fou, nous dit Champollion, et qu’on ne peut, dit M. Ampère, comprendre qu’il y ait eu des hommes pour concevoir de pareilles œuvres, des architectes pour les entreprendre et des ouvriers assez puissants pour les exécuter. Les colonnes du centre ont trente pieds de tour, portant à 80 pieds de hauteur des chapiteaux qui ont vingt pieds de diamètre et soixante pieds de circonférence.

Quelle idée pouvons-nous avoir des peuples qui ont réalisé de si grandes merveilles dans des temps si reculés, à des âges où les autres peuples vivaient dans des cabanes, dans des cavernes, dans des souterrains, sur des chaussées, dans des huttes de paille et de boue ?

Note de M. Ampère. — En quittant le Nil, au milieu de Thèbes, quand on a traversé un petit bois de palmiers, on rencontre un vaste pylône large comme la moitié de la façade des Invalides et haut comme une façade de cathédrale.

« Ensuite, on entre dans un vaste péristyle au milieu duquel s’élevaient douze colonnes. Elles ont été presque toutes renversées par un tremblement de terre. Les tambours gisent accolés comme une pile de dames renversées. En face, un second pylône. On remarque que ces pylônes sont multipliés à l’entrée de presque tous les monuments égyptiens. Il est possible que l’épithète homérique de Thèbes aux cent portes soit une allusion aux nombreux pylônes qui la décoraient.

« Un tremblement de terre a fait crouler un des massifs du second pylône, qui présente l’aspect d’un éboulement de montagnes : c’est comme cet amas de rochers précipités du haut des Pyrénées et que l’on appelle le Chaos de Gavarni. »

M. Wilkinson n’a pas exagéré en disant que c’est la plus vaste et la plus splendide ruine des temps anciens et modernes. Champollion fut comme foudroyé à l’aspect de cette merveille du passé.

Les Égyptiens construisaient leurs édifices en hommes de 100 pieds de haut, et l’imagination qui, en Europe, s’élève au-dessus de nos portiques, s’arrête et tombe impuissante au pied des 140 colonnes de la salle de Karnac. Je me garderai de la décrire, car mes expressions ne vaudraient pas la millième partie de ce que l’on doit dire en parlant de tels objets, ou bien, si je traçais une faible esquisse, quoique très décolorée, elle me ferait passer pour un enthousiaste ou même pour un fou. Essayons, cependant, d’imaginer une forêt de tours ; représentez-vous 134 colonnes égales en grosseur à la colonne de la place Vendôme, dont les principales ont près de 100 pieds de hauteur et 11 pieds de largeur, couvertes de bas-reliefs et d’hiéroglyphes ; les chapiteaux ont 65 pieds de circonférence ; la salle a 320 pieds de largeur sur 250 pieds de longueur, 70 000 pieds de surface. La paroisse Notre-Dame n’a que 26 000 pieds de superficie.

TEMPLE DE KARNAC


1o Vue de la nef ;

2o Vue des colonnes de la nef centrale ; cette nef a 240 pieds de profondeur et 400 pieds de largeur.

Au milieu le plafond est surélevé de 20 pieds avec des ouvertures, de manière à donner de la lumière à cette partie centrale qui, vu l’extrême largeur de 400 pieds, resterait dans l’obscurité.

C’est ce qui était pratiqué au temple de Jérusalem, c’est ce qui a été aussi réalisé dans les grandes cathédrales dont la nef centrale est plus élevée et éclairée par les fenêtres placées dans ce qu’on appelle le cléristorium.

Les colonnes sont couvertes de peintures et représentent des figures, des hiéroglyphes dont les couleurs sont vives et éclatantes comme au premier jour.


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TEMPLE DE KARNAC.


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RUINES DE KARNACK, (Égypte).


THÈBES

II


Nous avons encore une observation particulière à faire sur la grande salle de Karnac. Cette salle est si grande (320 pieds sur 250) qu’elle n’aurait pu être éclairée si elle n’avait des fenêtres que sur les parties latérales. Les anciens, qui connaissaient toutes les exigences de la construction beaucoup mieux qu’on ne le croit de nos jours, avaient ménagé les fenêtres au centre même de l’édifice par un procédé particulier qui a été généralement adopté depuis. Au milieu de la construction, quatre rangs de colonnes s’élevaient de 20 pieds de haut au-dessus des autres, ce qui constituait une nef centrale de 250 pieds de longueur sur 80 de hauteur et 60 pieds de largeur ; cette nef dominait de 20 pieds les bas-côtés. Dans cette différence de niveau des fenêtres étaient pratiquées, éclairant parfaitement la nef centrale, qui projetait de plus sa clarté sur les nefs latérales. C’est la révélation des exigences de la construction qui a été observée depuis dans les monuments grecs et les monuments romains, et il faut noter que toutes les constructions du moyen âge ont été élevées d’après ces principes : une nef centrale très élevée et éclairée directement par des fenêtres reposant sur les piliers du centre. Les élévateurs du commerce sont bâtis aussi d’après ces principes, comme on peut le remarquer près de l’église Bonsecours.

Il ne suffit pas, pour donner une juste idée de l’art égyptien, de présenter le plan même des formes et des éléments de la construction. Il faut de plus tenir compte de la coloration vive et variée dont ces différents éléments étaient revêtus pour se distinguer les uns des autres. Nous croyons que ces couleurs étaient destinées à accuser les moulures, les saillies de l’édifice et à en signaler les lignes maîtresses.

Il y a d’ailleurs deux sortes de décoration : une qui fait distinguer les différents membres de l’architecture, c’est ce qu’on appelle la polychromie ; et l’autre qui tend à représenter des sujets, des personnages avec la vie, le mouvement, unissant l’aspect de l’édifice avec des tableaux qui font corps avec lui. Alors les surfaces semblent revêtues de tapisseries, sans effacer les grands traits de l’architecture.

Cet emploi des nuances est motivé par l’intensité du jour et de la lumière dans les pays méridionaux. Cette intensité exige que l’on substitue la douceur des nuances et des couleurs à l’aspect de la pierre renvoyant trop vivement l’éclat de la lumière. L’œil ébloui est impressionné trop vivement et ne distingue pas les formes dans le nu de la pierre. Sans cet apprêt, les objets sont confus et vagues ; ils ne se détachent pas ; ils perdent la variété et la diversité de leurs éléments ; les angles ne s’aperçoivent pas ; les tours, les coupoles et les colonnes se modèlent à peine, et à cause de la violence des reflets, tout paraît plat et uniforme. Mais les tons variés que la polychromie permet de donner aux édifices aident à les distinguer des terrains et à montrer la différence des plans. Ils montrent les lignes dominantes ; ils avivent les arêtes et ils font saillir les reliefs et les divers ornements.

En ces pays lumineux, la polychromie est un secours pour les yeux et elle donne une perception plus nette de ce qu’on peut appeler les articulations de ces grands corps de pierre.

L’Égypte a donc le mérite d’avoir deviné la première l’obligation qu’une vive lumière impose à l’architecte, de donner, au moyen de la couleur, plus de tenue et d’accent aux lignes de l’édifice. Elle a bien compris le parti qu’elle pouvait tirer de la clarté et de la différence des tons pour distinguer les uns des autres les différents membres de la construction et pouvoir défendre le contour contre l’éblouissement en plein soleil. Elle a reconnu l’utilité du repos et la nécessité des contrastes. (Voir M. Hittorf.)

Après ces considérations sur le dessin des édifices et sur leur coloration, il nous reste à donner quelques détails sur la découverte merveilleuse que Champollion a faite du sens de toutes ces décorations.

L’expédition d’Égypte avait attiré l’attention sur les merveilles de cette contrée ; l’on avait dessiné avec soin les perspectives, les coupes et les élévations de presque tous les monuments ; mais on n’avait pu deviner la signification de toutes les figures et les signes dont ils étaient revêtus.

Eh quoi ! voici un pays conservé tout entier depuis tant de siècles, mais que l’on ne pouvait comprendre, et dont on ne pouvait rien deviner.

Tout subsiste : les monuments, les inscriptions, les illustrations de plusieurs milliers de siècles en peintures, en reliefs ; mais tout cela était impénétrable.

Ici les témoignages du passé n’ont pas été engloutis par des volcans comme à Pompéi, ni mis en cendre par un incendie comme à Troie, comme à Jérusalem, comme à Corinthe, comme à Rome, ni submergés par des cataclysmes, ni effacés par le grattoir des palimpsestes. Ils existent tout entiers et on ne peut les pénétrer, les deviner, les déchiffrer. Pas une nation n’a produit plus d’annales, plus d’inscriptions, plus de renseignements, et pas une n’a moins instruit la postérité sur son compte ; les inscriptions, les légendes, on ne peut les lire : tout est à l’état de lettre morte. C’est comme le supplice de Tantale, et cette impuissance faisait ressentir à Champollion un supplice insupportable.

Bien des efforts avaient été faits et n’étaient jamais arrivés à aucun résultat. Kircher n’avait vu que des idées

TEMPLE PRÈS DU NIL


Les rives du Nil présentent souvent l’aspect d’anciens temples dont on ignore parfois le nom.

Le plus célèbre de ceux qui sont connus est celui de Denderah, qui date de l’époque des Ptolémées et qui a tous les caractères de l’ancienne architecture égyptienne.

Il a été déblayé avec le plus grand soin par un des derniers explorateurs.

Celui que nous représentons ici offre un très bel aspect. Il est un spécimen de ces belles ruines qui ornent en si grand nombre les rives du Nil.

Il y a des détails très bien conservés, la pierre est d’une belle teinte qui est comme dorée par l’éclat du soleil.


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TEMPLE PRÈS DU NIL.

dans ces signes, et non pas des sons. Champollion déchiffra

enfin à la pierre de Rosette un nom propre, Ptolémée, et à une pierre de Philé le nom de Cléopatre, et dans l’ouvrage de l’expédition d’Egypte, le nom d’Alexandre ; et dans ces trois noms, il reconnut l’équivalent de 15 lettres de l’alphabet grec. Il rechercha partout les noms propres qu’il reconnut aux cartouches qui les environnaient, et il finit par découvrir tout l’alphabet.

Il n’en resta pas là. Il devina deux modes : le sacerdotal et le populaire.

Enfin, il connaissait déjà le copte, la langue populaire de l’Egypte, et il découvrit que, sauf quelques altérations faciles à rectifier, le copte était la langue des vieilles inscriptions.

Avec l’alphabet reconstitué d’après les noms propres il pouvait tout lire, et avec la connaissance de la langue copte il pouvait tout comprendre. Il découvrit que l’hiératique était une sténographie (tachygraphie) de l’hiéroglyphique. Les signes, dit-il, font fonction de lettres, alors que certains signes expriment phonétiquement le son initial de l’objet qu’idéographiquement il représentait. En copte, ro, qui veut dire bouche, est phonétiquement r ; syrinx, flûte de Pan, se dit sébi, et vaut une s ; patère, berbé, représente le b.

En terminant, nous allons résumer nos observations sur l’architecture égyptienne.

Quelques caractères particuliers sont à remarquer : d’abord, l’énormité des matériaux employés et la simplicité de leur agencement et de leur disposition.

C’est ce qui a tant contribué à leur conservation.

Les Égyptiens employaient des matériaux énormes, et ces matériaux étaient d’une pierre inattaquable aux intempéries.

De plus, la construction procède toujours par de grandes surfaces et par des dispositions à angles droits, qui sont bien plus à l’abri des altérations que ne peut l’être l’architecture à voûte, à arcades et à encorbellements.

Les plafonds sont plats et unis, disposés sans pente, ce qui convient bien dans un pays où il ne pleut pas.

Les supports sont énormes et maintiennent une solidité et une immobilité qui empêchent tout bouleversement.

Ces dispositions, si favorables à la solidité, donnaient à l’édifice un aspect grand et imposant.

Quant aux éléments et aux appropriations, ils avaient réuni ce qu’il y a plus original et de plus majestueux.

C’étaient des avenues très larges et bordées de sphinx et d’obélisques. Ces formes élégantes et isolées faisaient ressortir la grandeur des portiques immenses auxquels elles aboutissaient ; ces portiques, que l’on appelait pylônes, convenaient bien par leur masse à la majesté des temples et des palais.

Venaient ensuite des cours et des parvis environnés de colonnes et de pilastres. Ces galeries abritaient les foules ; elles les mettaient à l’abri des feux d’un soleil toujours éclatant et intense. Les assistants pouvaient aussi monter sur les galeries pour mieux contempler le spectacle des cortèges.

Au delà de ces parvis l’on trouvait des salles immenses, avec une multitude de colonnes disposées en quinconces et présentant les perspectives les plus grandioses.

L’Égypte sous ses premiers souverains s’éleva à un degré de puissance et de richesse qui en faisait l’un des empires les plus merveilleux de l’univers.

Ce peuple était aussi remarquable par l’élévation de ses idées que par la majesté de ses monuments.

Lorsque de nouveaux souverains vinrent s’établir après la conquête d’Alexandre, la ville capitale, Alexandrie, devint le centre du commerce de l’Asie et de l’Europe ; on y affluait de toutes les parties du monde.

Les premiers Ptolémées y fondèrent une bibliothèque qui devint bientôt la plus fameuse de l’univers. Là se distinguèrent des savants illustres : Euclide donna la connaissance des règles de la géométrie ; le poète Théocrite et le poète Aratus acquirent un renom immortel ; Hipparque s’illustra dans l’astronomie ; le géographe Strabon décrivit tout l’univers connu ; le philosophe Philon, l’historien Appien, l’astronome Ptolémée, accomplirent des travaux considérables. Avec le christianisme, l’école d’Alexandrie prit une face toute nouvelle et elle produisit des hommes du plus haut mérite : Pantène, Origène, Clément d’Alexandrie.

L’activité religieuse se répandait de là dans toute la contrée. La population se convertissait au christianisme, et ces esprits si sérieux alliaient à la pratique des ordonnances et des préceptes, l’observance des vertus les plus héroïques.

De là des solitaires, des religieux qui remplissaient la ville et les campagnes et qui faisaient resplendir les déserts des observances les plus hautes. On comptait des milliers de retraites mystiques qui occupaient les anciens palais et les anciens temples.

C’est ainsi que se conserva l’Égypte jusqu’à l’invasion arabe. Dès lors, l’ignorance religieuse gagna de proche en proche, jusqu’à ces derniers jours où les missions ont reconquis déjà une partie notable de la population.





LECTURE


SUR L’ASSYRIE

LECTURE

SUR L’ASSYRIE



Nous avons parlé des monuments de l’Orient et de leur caractère particulier dans les Indes et dans l’Égypte ; nous avons mentionné ce qui intéresse l’art, l’histoire et aussi l’enseignement religieux.

En continuant, nous suivrons la même marche dans l’étude des monuments de la Palestine et de l’Assyrie. Mais comme nous croyons trouver dans Jérusalem un résumé de l’art de tout le monde oriental, nous allons, avant d’arriver aux édifices de Jérusalem, exposer ce que l’on connaît des pays limitrophes, et surtout de l’Assyrie. Rien de plus instructif, de plus inattendu, de plus surprenant au point de vue archéologique, et aussi rien de plus instructif au point de vue religieux.

Nous allons donc voir les rapports qui existent entre le sens et la signification de ces monuments et les enseignements de la Bible.

Dans le dernier siècle, les livres saints ont été l’objet des critiques les plus violentes. L’on a tout discuté, et même tout nié, et l’on en est arrivé à prétendre que la Bible n’était qu’une collection de mythes et de fables. Rien ne pouvait surpasser la prétention et la confiance des nouveaux sophistes ; ils ont pu croire un moment qu’ils allaient faire prédominer leurs erreurs, leurs impostures, leurs illusions ; mais depuis ce temps, l’Orient a été exploré, et tous ces efforts ont croulé.

L’ancien monde oriental a été rendu à la vie par la pioche des archéologues et l’habileté des nouveaux déchiffreurs, et loin d’y trouver la confirmation des assertions des prétendus philosophes, on n’y a trouvé, au contraire, que les confirmations les plus formelles, les plus expresses de la vérité et de l’authenticité des récits de la sainte Écriture.

Ainsi, on a vérifié, sur ce point, la célèbre parole de Bacon :

Peu de science éloigne de Dieu,
Mais beaucoup de science y ramène.

En même temps que Champollion découvrait le sens des hiéroglyphes de l’Égypte, où l’on devait trouver nombre d’allusions aux faits et gestes des patriarches et des souverains de la Judée, dans le même temps des explorateurs découvraient le sens des inscriptions cunéiformes qui couvrent les palais et les temples de l’Assyrie, de la Perse et de la Chaldée. Et dans ces inscriptions, l’on voyait comme une histoire parallèle de tous les faits de l’Écriture.

On ne découvrait pas seulement les inscriptions murales, on trouvait des bibliothèques entières, des milliers de volumes écrits sur des tablettes et sur des briques, où étaient exposés tous les faits de la Bible, avec de tels rapprochements, que les adversaires de la religion, avec leurs assertions contre la création, le déluge, le péché originel, étaient convaincus d’ignorance, de calomnie, de mauvaise foi, et ces milliers de briques sortant des entrailles de la terre, venaient anéantir, écraser et réduire à néant toutes leurs audacieuses assertions.

Le poète avait dit que des peuples de la Nubie, dans une folle audace, voulaient s’opposer à l’épanouissement du soleil, et, lançant de la poussière, essayaient d’assombrir sa lumière victorieuse ; mais, ajoute-t-il, le dieu, sans s’arrêter, poursuivait sa carrière,

Lançant des torrents de lumière
Sur ses obscurs blasphémateurs.

Et de même ici, tous les palais et les temples de l’Assyrie et des pays circonvoisins, au moment même des plus grandes attaques, sortaient de terre par la décision de la divine Providence. Ils révélaient tous les secrets de Dieu, et tombant sur les faux savants, les renversaient avec leurs systèmes, les anéantissaient et les écrasaient comme une grêle meurtrière, et ces insensés blasphémateurs tombaient comme sous une véritable avalanche.


découvertes des nouveaux explorateurs.


La Perse, l’Assyrie et la Chaldée offraient un certain nombre de ruines et de matériaux couverts d’inscriptions et de figures. Ces inscriptions, jusqu’au commencement de ce siècle, étaient restées impénétrables.

Les plus considérables de toutes étaient celles que l’on voyait à Béhistoun, sur une montagne qui s’élève perpendiculairement à 1200 pieds de hauteur, sur les frontières de la Médie. Sur cette paroi, à 300 pieds au-dessus du sol, Darius, fils d’Hystaspe, a fait graver une inscription de 400 lignes qui énumère les dix-neuf victoires remportées contre ses ennemis. Cette inscription est trilingue pour répondre aux trois nationalités qui forment l’empire : Perses, Mèdes et Assyriens. Rawlison la copia vers 1835 et envoya à Londres un essai de traduction qui se rapportait surtout à la version persane. Grotefond avait pu lire dans des versions cunéiformes trois noms : Darius, Xercès et Artaxercès. On en resta là pendant plus de trente ans, lorsque Burnouf découvrit les analogies entre ces inscriptions et l’ancienne langue de la Perse, qu’il possédait parfaitement. M. Burnouf est le fils de celui qui a rédigé cette fameuse Grammaire grecque dont on a fait près de cent éditions.

Ces connaissances allaient être bientôt appliquées.

M. Botta, envoyé omme consul, commença des fouilles. Une année après, il avait découvert Ninive et Korsabad. Il releva sous les décombres 2000 mètres (6000 pieds) de longueur de lettres cunéiformes et de figures sculptées sur le marbre et sur l’albâtre, et en 1845, il envoya au musée du Louvre une partie de ses découvertes.

Mais il fallait lire ces inscriptions et l’on recourut à la méthode suggérée par M. Burnouf. M. de Saulcy essaya et ne put d’abord réussir ; M. de Longperrier fit quelques progrès, et enfin la science de l’interprétation des cunéiformes fut conquise. L’on découvrit 120 signes différents, on les interpréta et de plus l’on établit leur identité avec les signes de Béhistoun.

D’autres découvertes extraordinaires mirent ces résultats à l’épreuve.

Pendant que M. Botta explorait Ninive, un admirable savant, M. Layard, découvrit le palais de Sardanapale, et de plus, la bibliothèque composée de vingt mille tablettes où se trouvaient des ouvrages que les Assyriens écrivaient sur l’argile, parce qu’ils n’avaient ni les papyrus comme en Égypte, ni les peaux comme à Pergame.

Les travaux de déchiffrement furent poursuivis, mais non pas sans peine : ils furent attaqués et contestés.

Bien des doutes avaient été formulés contre les découvertes des savants, mais en 1857, ils purent donner une preuve de la certitude de leur méthode.

Quatre assyrologues se trouvaient fortuitement réunis à Londres : MM. Hincks, Talbot, Rawlisonet Oppert. Ils demandèrent d’être mis à l’épreuve, et c’est ce qui fut fait.

On donna à chacun d’eux une copie d’une inscription de Téglathphalasar ; ils se mirent à l’œuvre, chacun à part, et au bout d’un mois, les quatre traducteurs donnaient leurs travaux à la société asiatique. On les ouvrit et on les lut le 25 mai 1857, dans une séance solennelle. C’était une grande victoire pour l’assyrologie : les quatre traductions étaient les mêmes pour le fond.

On a recueilli les fragments de vingt mille tablettes au British Museum : M. Smith pensait qu’il y en avait encore autant dans les murs de Ninive.

Ces fragments ont fini par être, presque tous, parfaitement reconstitués.

La collection commence par ces mots, qui sont notablement curieux. Voici ce que l’on voit sur la première tablette :

« Palais d’Assurbinapal, roi d’Assyrie. (Ce roi, monté sur le trône en 668, était le petit-fils de Sennachérib.)

« Moi, Assurbinapal, j’ai recherché la sagesse des tablettes qui venaient des rois mes prédécesseurs.

« J’ai aussi rédigé des tablettes et les ai réunies aux autres et je les ai placées dans mon palais pour l’instruction de mon peuple. »

Viennent alors des détails qui se rapportent d’une manière remarquable au récit de la Bible.


la création.


« En ce temps (comme dans la Bible), les cieux d’en haut n’avaient pas encore de nom, ainsi que la terre placée en bas ; elle était sans nom.

« L’abîme fut leur premier créateur ; c’est le flot de la mer qui les produisit l’un et l’autre. Et voici comment. Les eaux furent réunies en un seul lieu, et l’on eut le firmament d’un côté et la terre aride de l’autre. Ensuite, les princes du ciel furent faits, et l’armée des cieux, et enfin la terre.

« Le temps fut long alors (non pas la durée d’un jour).

« Les demeures des dieux furent faites, et Dieu les fit belles. (Dieu vit que c’était bon.) Les étoiles et les astres eurent l’ordre de régler les jours, les nuits, les mois, les années. »

Aux tablettes suivantes l’on trouve des faits concernant les Anges et qui se rapportent aussi d’une manière précise à tout ce que la Bible nous indique.


révolte des anges.


« Dieu voulut faire chanter ses musiciens. Plusieurs arrêtèrent le chant et l’interrompirent par des blasphèmes.

« Le Dieu de la couronne, c’est-à-dire le chef du chœur, résolut de dompter la révolte. Il fit retentir une trompette qui aurait réveillé les morts. Cette trompette interdit le ciel aux rebelles et les envoya aux abîmes. En leur place Dieu créa le genre humain. »

Certainement qu’entre le récit sacré et le chaldéen il y a des différences essentielles, mais il y a aussi des ressemblances frappantes. Les différences montrent que l’un n’a pas été copié sur l’autre, et les ressemblances montrent que ces deux récits viennent d’une source commune.

Ensuite vient ce qui concerne le paradis terrestre, la tentation, la chute, l’expulsion du paradis, et enfin le déluge.

Sur le paradis, on retrouve ce que la Bible a dit sur les quatre fleuves, l’arbre de vie, la tentation, l’expulsion et les chérubins.

Le paradis, l’Éden est le nom primitif de la Babylonie. Les quatre fleuves sont le double Euphrate et le double Tigre, qui reviennent sur eux-mêmes et renferment deux fois la Babylonie dans leurs contours.

M. Oppert l’a placé vers l’Orient, les Pères grecs, les Septante (page 196) de même. « In principio » veut dire vers l’Orient.

L’arbre de vie, le palmier figure dans tous les monuments de l’Assyrie. On le représente avec deux gardiens, deux souverains, ou deux chérubins, ou deux lions.

Le cylindre représente le même arbre avec deux personnages assis en face l’un de l’autre, portant la main vers un fruit qui est le fruit fatal.

Les kérubim figurent toujours à la porte des palais, peut-être en souvenir des chérubins qui gardèrent les portes du paradis.


le déluge.


« Voici ce que dit Hasi Sadra :

« Le Seigneur du séjour des morts me parla ainsi : Je vais détruire les pécheurs. Fais donc un grand vaisseau, ayant 600 coudées de long et 60 coudées de large ; ensuite lance-le sur l’abîme. Je répondis : Quand j’aurai fait le vaisseau, jeunes et vieux se moqueront de moi. Le Seigneur dit encore qu’il faut prendre des animaux de chaque espèce, et c’est ce que fit Hasi Sadra, et alors l’inondation atteignit le ciel ; puis l’orage se calma et la colombe fut envoyée, puis une hirondelle, puis un corbeau, qui trouva de quoi se repaître et qui ne revint pas. Alors le Seigneur vint dans l’arche et il fit une alliance, et il donna sa bénédiction. »

Voilà ce que l’on trouve sur les tablettes cunéiformes. N’y voit-on pas beaucoup de rapports avec le récit de la Bible ?


la tour de babel.


À neuf milles au sud-ouest des ruines de Babylone, on rencontre une énorme masse de monceaux informes composés de briques en partie vitrifiées par le feu : c’est ce que les gens appellent la tour de Nemrod. C’est comme une montagne couronnée d’une tour. Cette montagne a 150 pieds de hauteur ; le pourtour a plus de deux mille pieds. En considérant cette agglomération attentivement, on voit qu’on a sous les yeux une œuvre faite de main d’homme. On y voit les traces du feu qui anéantit cette construction.

C’est M. Oppert qui a su reconnaître l’emplacement et la vraie tour de Babel, comme l’avait signalée déjà, il y a bien des siècles, un voyageur venu d’Espagne, et appartenant à la race israélite.


la table ethnographique de la genèse.


Au chapitre X de la Genèse, nous trouvons la généalogie des enfants de Noé. C’est ce qu’on appelle la table ethnographique. Elle nous a été transmise par Moïse d’après des documents datant de quatre mille ans. Depuis ce temps elle s’est trouvée confirmée par la suite des siècles.

Ces généalogies ont d’abord passé inaperçues ; on les regardait comme des séries de noms pris au hasard. Ensuite ces noms furent considérés de plus près et l’on changea d’idée. On y trouva de telles ressemblances entre ces premiers noms et les dénominations toujours subsistantes des principales nations, que l’on a pu penser qu’elles avaient été choisies après coup.

Mais toutes ces idées ont dû disparaître devant les derniers travaux de la science, et les préventions ont été remplacées par l’admiration la plus vive.

Ce partage que Moïse a tracé sur des faits qui se sont passés il y a près de quatre mille ans, se trouve vérifié par les principaux événements du monde à la suite de tous les siècles.

D’abord, il est admis que les trois enfants de Noé étaient Sem, Cham et Japhet. Or l’histoire n’a jamais perdu le souvenir de ces premiers chefs du genre humain.

Tous les auteurs se sont accordés aussi à reconnaître les enfants de Japhet dans les Européens, les enfants de Cham dans les habitants de l’Égypte et de la Nubie, enfin les fils de Sem sont les ancêtres des Hébreux, des Assyriens et des Arabes.

Ces assertions ont d’abord été appuyées sur la considération des signes extérieurs, les traits du visage, la conformation, la constitution, etc.

Tels sont les fils de Japhet : Gomer, Iavan, Thiras, Madai, Magog, Mosoch, Thubal.

Les enfants de Gomer ou Kmer sont les Kmiris, les Cimbres, les Cimmériens, d’où vient le nom de la Crimée ou de la Chersonèse Cimbrique, au nord de l’Europe.

Les enfants de Iavan ou Ion sont les Ioniens établis d’abord dans l’Asie Mineure et ensuite dans la Grèce. Les peuples ioniens ont pris ensuite le nom d’Hellènes, d’après Hellen, fils de Iavan. Les Thraces viennent de Thiras. Madai est le père des Mèdes, Magog l’ancêtre des Scythes, Mosoch, des Moscovites, Thubal, des Tibelli ou Ibériens. Le souvenir de ce nom de Magog se conserva longtemps. On voyait à la porte de plusieurs églises deux statues à figure barbare qui se nommaient Gog et Magog ; on les voit aussi à l’Hôtel de Ville de Londres, au palais Guild Hall.

Les fils de Gomer sont les Askènes, qui ont donné leur nom au Pont-Euxin ; les Riphei, d’où les Riphai Montes, ou Mont Obi ; Thogorama, d’où les Turcomans.

Les découvertes des signes égyptiens et des caractères cunéiformes de l’Assyrie ont expliqué bien des choses sur la race de Japhet.

Dans les textes cunéiformes, Madai veut dire la Médie, Iavinus ou Iavan veut dire l’Ionie ou la Grèce. C’est ce que l’on voit dans le palais de Korsabad ou à l’inscription de Béhistoun. Sidonis veut dire Sidon dans le cylindre de Sennachérib ; Gibal, c’est Biblos.

Ces derniers noms, Thubal et Mosoch, se retrouvent dans les monuments assyriens. Gomer se dit Gimirai dans les textes cunéiformes.

Après ces considérations sur les rapports entre la Bible et les monuments chaldéens, nous passons à des observations particulières sur les monuments qui peuvent avoir des rapports avec le temple de Salomon.

Les monuments d’Assyrie présentèrent souvent la forme d’une série de terrasses élevées en retraite les unes sur les autres et surmontées d’un bâtiment en forme de sanctuaire. On a voulu voir en ces dispositions une reproduction de la tour de Babel, ou au moins un souvenir de cette construction primitive. Il en est ainsi de plusieurs temples.

Ce n’est pas seulement la tour de Babel qui est visée dans ces constructions. On a rappelé que Daniel et ses compagnons, suivant la Bible, étaient les directeurs des travaux de Babylone et qu’ils ont pu s’inspirer, dans leurs constructions, des dispositions qu’ils avaient vues dans les parvis et les terrasses du temple de Jérusalem.

De plus, dans chaque palais, comme à celui d’Assurbinapal, on trouvait des édifices en forme de terrasses auxquelles on montait par un escalier qui faisait le tour de l’édifice. Ces édifices ne se rencontrent pas seulement en Assyrie, mais en différentes contrées très éloignées les unes des autres.


jérusalem.


Nous allons passer maintenant à la description du temple de Jérusalem.

La connaissance du temple de Salomon et de ses diverses dispositions est indispensable pour l’intelligence de la Bible ; mais cette connaissance est encore des plus utiles pour l’éclaircissement des relations qui existaient entre les différents pays appartenant au monde antique.

Salomon, dans toute sa puissance, résolut de consacrer un temple au Seigneur. Il voulut qu’il fût un monument unique dans l’univers et la merveille de l’Orient. Il y consacra tous ses trésors ; il put y faire contribuer les richesses et les conceptions des pays environnants, comme l’Égypte, la Phénicie, la Syrie, l’Inde et la Perse.

Il était, d’ailleurs, en relations continuelles avec ces peuples par ses flottes et ses caravanes.

Pour cette immense entreprise, Ophir, c’est-à-dire l’Inde, envoya son or, Biblos, c’est-à-dire la Syrie, envoya ses marbres précieux, le Liban ses cèdres, l’Arabie ses parfums, l’Assyrie et l’Égypte leurs conceptions artistiques.

Ainsi, cette étude qui est intéressante pour interpréter les livres de l’Ancien Testament et du Nouveau Testament, est aussi importante pour expliquer les rapports qui existent entre ces différentes nations que l’on a été souvent disposé à regarder comme vivant isolément et sans relations extérieures.

Quelques anciens commentateurs nous décrivent le temple de Salomon comme un édifice construit d’après les règles et le style de l’architecture grecque. Ceci peut s’entendre de quelques points de ressemblance, mais ce qui est certain, c’est que le temple de Salomon n’a pas été inspiré par l’étude des monuments grecs, qui n’ont été bâtis que 500 ans plus tard.

Il serait plus juste de prétendre que les Grecs, qui avaient

TEMPLE DE JÉRUSALEM


Cet édifice était situé sur un plateau qui s’élevait à la hauteur de 400 pieds au-dessus du torrent du Cédron.

Il était composé de plusieurs parvis où se réunissaient les gentils, les fidèles et enfin les prêtres.

Le premier parvis avait environ 800 pieds sur la façade et était bâti à 100 pieds au-dessus du torrent.

Il était composé de deux étages, avec portiques à l’extérieur et galeries à l’intérieur. De cette galerie l’on pouvait contempler tout ce qui se passait à la plate-forme des holocaustes.

Quinze pieds plus haut l’on trouvait le parvis des fidèles, avec portiques à l’extérieur et galeries à l’intérieur. Ce parvis avait 600 pieds de façade ; en suivant on trouvait le parvis des prêtres ayant 400 pieds de façade, — avec logement pour les prêtres, pour les enfants, — consacrés au Seigneur.

Ensuite l’on voyait un massif de 150 pieds d’élévation et 150 pieds de façade, qui renfermait des cloîtres, des logements et des galeries ouvertes à jour pour les chantres et les musiciens.

La plate-forme des sacrifices était au-dessus, avec l’autel des holocaustes au milieu, et les différents autels pour parfums ; là se trouvait la cuve pour les ablutions.

Enfin, à l’extrémité de cette plate-forme, s’élevaient les deux pylônes de 200 pieds de hauteur qui accompagnaient le vestibule du temple.

À la suite était le temple avec ses bas-côtés, ses fenêtres du haut qui illuminaient la nef, et enfin le sanctuaire.

Ce qu’il y avait à remarquer, c’est que d’abord il y avait place pour plusieurs centaines de milliers d’assistants, et enfin que cette disposition, en terrasse, des différents parvis, laissait chacune des réunions à même de tout voir et de tout contempler à la plate-forme des sacrifices.


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TEMPLE DE SALOMON.

emprunté leurs principales conceptions philosophiques de la tradition morale et religieuse du judaïsme, ont pu aussi s’inspirer des grandeurs et des magnificences artistiques de Jérusalem. C’est ce qu’ont dit quelques Pères de l’Église.

Il n’en est pas de même de l’Égypte. Les monuments de l’Égypte sont antérieurs. Les Juifs connaissaient bien l’Égypte, pour y avoir séjourné longtemps. Enfin, les ouvriers, comme nous allons le voir, étaient Phéniciens, étaient originaires d’Égypte et sujets depuis longtemps des rois égyptiens.

Sans dire que l’œuvre de Salomon était toute inspirée de l’art égyptien ou assyrien, ce qu’un illustre archéologue a réprouvé comme une suprême inconvenance et une injure faite à l’Esprit-Saint, père de toute lumière, au moins peut-on reconnaître que les élévations et les divisions se ressentent des dispositions des édifices assyriens et, sous quelques rapports, des temples de Karnack, comme en particulier dans celui de Khons.

Autre point de ressemblance fourni par le grand architecte Canina. Le temple de Jérusalem reproduisait la disposition de la salle hypostile bâtie par Ramsès II à Karnack. À Jérusalem, il y avait une nef centrale comme à la salle hypostile. Sur cette nef régnait un double rang de fenêtres obliques qui mettait la voûte en pleine lumière et qui éclairait tout le bâtiment.

Quelques archéologues sont tombés ici dans l’erreur. Ils ont prétendu que les édifices égyptiens n’admettaient pas de fenêtres ; ils ont oublié au moins la salle hypostile de Karnack, qui avait près de 300 pieds de largeur et plus de 200 pieds de longueur, et cette salle aurait été tout à fait obscure si l’on n’avait pris soin de relever la colonnade centrale de 20 pieds au-dessus des autres nefs, avec des ouvertures qui éclairaient parfaitement.

C’est la disposition adoptée dans toutes les églises du moyen âge et que l’on appelle le clérystorium.

Salomon étant monté sur le trône vers l’an mille, résolut de construire le temple que son père David avait projeté, pour lequel il avait recueilli pendant toutes ses guerres des sommes considérables, 100 000 talents d’or et un million de talents d’argent, c’est-à-dire près de trois milliards de notre monnaie.

Il songea d’abord à se mettre en rapports avec le roi de Tyr, Hiram, et il lui écrivit cette lettre qui est rapportée textuellement au IIIe livre des Rois, chap. V, v. 3, etc.

« Tu sais que mon père voulait bâtir une maison en l’honneur du Seigneur, mais qu’il ne l’a pu à cause des guerres qu’il avait à soutenir. Mais maintenant qu’il n’y a plus d’ennemis, je pense à bâtir ce temple. Or, tu sais qu’il n’y a personne parmi nous qui s’entende à couper

LE TEMPLE DE BAPOUME


Ce temple peut donner une idée de ce qu’étaient les temples à terrasses de l’Assyrie et peut-être même de ce qu’était le temple de Jérusalem. L’on voit des dispositions semblables dans les temples à terrasses du Mexique, que les naturels appellent Teocallis.

Ce temple de Bapoume est situé dans l’Inde orientale. Il offre plusieurs terrasses successives. Il y en a quatre. La première a 400 pieds de longueur et autant de profondeur. Elle est élevée de 25 pieds au-dessus de la plaine, avec un soubassement. Elle est composée d’une longue suite d’arcades avec portiques au centre et tours aux extrémités.

La seconde terrasse est bâtie en retraite, avec une suite de galeries, portique au milieu et tourelles aux extrémités et aussi aux autres galeries.

Au sommet, l’on voit une rotonde en forme de sanctuaire, et la pyramide qui couronne le tout est à près de 200 pieds du sol.

Ces terrasses, ces arcades, ces différences de niveau se rapportent d’une certaine manière à tout ce qu’Ezéchiel nous dit du temple de Jérusalem.


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TEMPLE EN PYRAMIDE, (Bo phoume).

le bois et à le travailler comme les Sidoniens ; ordonne donc que tes sujets recueillent pour moi des cèdres du Liban ; mes serviteurs seront avec eux. »

En conséquence, Salomon demandait de faire couper dans le Liban tout le bois nécessaire et aussi de faire extraire la pierre que l’on trouvait en quantité dans les mêmes montagnes (IIIe livre des Rois, chap. V ; Antiquités de Josèphe, VIII, c. II ; II Paralipomènes, c. II, v. 6).

Le roi Hiram désigna trente mille ouvriers auxquels on adjoignit 70 000 Chananéens pour les transports (II Paralip., c. V, v. 13) ; 3 000 Israélites étaient désignés pour la surveillance et pour la direction.

Enfin, Hiram mit à la tête de toute l’œuvre le plus capable de ses sujets, Hiram Abi, Syrien par son père et Israélite par sa mère qui était de la tribu de Nephtali. Il s’entendait parfaitement pour la taille du bois et la préparation des pierres.

En même temps, Salomon désigna encore plusieurs milliers d’Israélites pour extraire des matériaux des montagnes qui environnent Jérusalem. On a découvert ces carrières dernièrement, en 1854, au nord des remparts de Jérusalem.

Le bois et la pierre étaient apportés du mont Liban sur la côte la plus voisine près de Sidon. Là, tout était mis en radeau et traversé à la distance de 150 lieues, jusqu’à la ville de Joppé, d’où les matériaux étaient envoyés jusqu’à la ville de Jérusalem.

On transporta aussi une quantité considérable de cèdres, de cyprès taillés en planches, en poutres, en lambris ; on fit venir de grandes distances des pierres de toutes sortes, quelques-unes d’une dimension énorme pour les assises, les fondations, les enceintes. Quelques-unes avaient 20 coudées de longueur sur cinq de hauteur. On peut en voir encore des échantillons au côté nord des soubassements du temple.

L’emplacement choisi était une montagne située au sud-est de Jérusalem, appelée Moriah, qui veut dire apparition du Seigneur, et où Abraham avait offert son fils en sacrifice. C’est ce qu’on appelle actuellement le Harem el Cheir.

Cette montagne a, au sommet, une grande plate-forme ; elle est à plusieurs centaines de pieds au-dessus du torrent de Cédron. Elle fut répartie en plusieurs terrasses et environnée de murs, dont quelques-uns sur l’enceinte avaient plus de cent pieds de hauteur. C’est ce que dit Joseph et c’est ce que M. Warren a découvert en faisant creuser près du sommet du rempart un puits de 100 pieds de profondeur.

Le sommet de la montagne était à 500 pieds au-dessus du torrent de Cédron. À ce sommet se trouvait une plateforme de 600 pieds sur chaque face, et en dessous, le terrain était disposé en terrasses dont la dernière avait près de 1 500 pieds de largeur.

Après la plate-forme du temple, on trouvait le parvis des prêtres, vingt pieds au-dessous ; ensuite venait le parvis des Israélites, et plus bas, le parvis des Gentils. L’on trouvait une enceinte garnie de portes, de pavillons, d’angles et de créneaux comme à une forteresse.

Ces différents parvis étaient disposés de manière que de chaque parvis on voyait non seulement le temple, mais encore tout ce qui se passait au parvis des prêtres, et en particulier l’autel des holocaustes.

Voici quelles en étaient les dimensions. En haut sur la plate-forme était le sanctuaire. Le plan de Salomon avait pour but de reproduire en matériaux solides le tabernacle de Moïse dans le désert, en en doublant les dimensions (c’est l’étendue de Notre-Dame de Lourdes).

En avant du temple, il y avait une façade composée d’un vestibule avec un portique orné de deux tours d’une hauteur de cent vingt coudées (voyez au livre II des Paralipomènes, c. III, v. 4). Ce qui a paru incroyable à plusieurs critiques modernes.

Les critiques qui n’admettaient pas ces dimensions avaient oublié que l’Égypte était remplie de ces portiques dit pylones. Thèbes en avait un grand nombre et c’est de cette particularité qu’Homère a dit la Thèbes aux cent portes. Cette dimension de la façade de cent vingt coudées de hauteur, répond à la hauteur du portique de Notre-Dame de Montréal avec ses tours.

En avant du pylône on voyait deux colonnes de bronze de trente coudées de hauteur (Paral., liv. II, c. III, v. 15) et de six pieds de diamètre. On les nommait Joachim et Booz. In virtute et in fortitudine Domini, ces colonnes supportaient chacune un chapiteau de huit pieds de diamètre et de six pieds de hauteur, orné à plusieurs rangs de pommes de pin et de fleurs de lotus, ciselé avec le plus grand soin, doré et émaillé avec la plus grande magnificence. À dix pieds au-dessous de la plate-forme du temple se trouvait la plate-forme du parvis des prêtres, environnée de leurs sacristies et de leurs habitations. Ce parvis avait trois cents pieds d’étendue sur chaque face.

Sur cette plate-forme de trois cents pieds, l’on trouvait tous les instruments des sacrifices : des balustrades de bronze doré, des vases d’argent, des mers d’airain (la la plus grande avec douze taureaux grands comme nature) ; la mer d’airain contenait trois mille métrètes, ou deux millions d’hectolitres. Des chérubins de bois incrustés d’or et de mosaïques, de dix coudées de hauteur, étaient tournés vers le parvis, avec leurs ailes étendues, de dix pieds d’envergure (Paral., liv. II, c. V., v. 8). Le pavé était de marbre précieux (Paral., liv. II, c. III, v. 6). C’était l’une des richesses du temple que la multiplicité et la magnificence de ces beaux marbres de l’Orient.

L’on voyait les autels des parfums près du grand autel des holocaustes.

Ce grand autel avait vingt pieds de largeur, autant de hauteur, et on l’atteignait par une vingtaine de marches.

On ne peut décrire d’une manière sûre et précise les ornements qui recouvraient les murs du temple et des différentes enceintes ; mais on peut s’en faire une idée en combinant les données des livres saints avec celles fournies par les monuments de l’art oriental en Égypte, en Assyrie, dans la Perse et dans l’Inde.

Ce que l’on sait, c’est que l’intérieur du temple était en or ciselé, émaillé et relevé en bosse avec un art consommé. Ce que l’on sait encore, c’est que Hiram Abi, désigné par le roi de Tyr pour conduire les travaux, n’était pas seulement un artiste consommé pour la taille et la sculpture du bois, mais aussi pour la fonte des métaux, pour le ciselage et l’émail. Enfin, il n’était pas moins habile pour le tissage des étoffes brochées de soie, d’or, et relevées de perles, de pierreries. Des milliers d’ouvriers étaient employés à tisser les étoffes précieuses ; toute la Judée était occupée à ces travaux d’après les dessins de Hiram Abi.

C’est lui qui avait dessiné et dirigé la décoration du parvis des prêtres, le grand autel des holocaustes, les autels des parfums, la mer d’airain avec les douze bœufs de grandeur naturelle qui la soutenaient ; il avait fondu aussi tous les bassins, les chandeliers du temple, les tables des pains de proposition, les vases sacrés, les différents ustensiles du sacrifice, les dix tables ; des fioles d’or, des chandeliers, des pelles et des fourchettes, des couteaux, des ciseaux, des cassolettes, des encensoirs ; de plus c’est lui qui avait fabriqué les trois ou quatre cents trompettes et autres instruments des lévites ; le tout si considérable que Josèphe nous dit que ces objets montaient presque à cent mille.

Nous avons déjà dit que les différents parvis étaient disposés en terrasses mises en rapport par des escaliers qui avaient de dix à vingt pieds de hauteur.

Le temple dominait le parvis des prêtres, et celui-ci le parvis des fidèles, qui était au dessus du parvis des étrangers. Tous ces parvis étaient environnés de galeries à deux étages. Ceci est indiqué dans Ézéchiel, chap. 41, versets 31, 34, 37 et 49. On montait à chaque parvis, dit Ézéchiel, par huit degrés. Jérémie nous indique aussi ces différentes élévations en appelant le parvis des prêtres la cour supérieure (c. XXXVI, v. 20). Saint Jérôme fait aussi cette remarque en disant que se rendre au temple se dit toujours ascension, « ascendere » (c. XXII, v. 10).

Passons à une revue générale du temple, qui offrait un aspect des plus imposants.

Quand, au-dessus du torrent de Cédron, on envisageait toute la masse du temple avec ses terrasses superposées et ses galeries se succédant les unes aux autres, on était frappé d’admiration de la majesté de cet ensemble.

On voyait d’abord l’enceinte extérieure avec des pavillons d’angle, puis une galerie accompagnée de trois portes d’entrée : ces portes étaient couronnées par des pylônes semblables pour la dimension à ceux qui servaient de façade aux temples de l’Égypte.

Au dedans de cette enceinte, l’on trouvait des escaliers de huit coudées de hauteur, suivant Ézéchiel. Ces escaliers aboutissaient à plusieurs portes surmontées de portiques.

Au delà était le parvis des étrangers, de mille pieds sur chaque façade. Ce parvis était orné, à l’intérieur, de portiques à deux étages qui faisaient tout le tour du monument. De là les assistants pouvaient voir au-dessus des autres parvis tout ce qui se passait sur la plate-forme du parvis des prêtres et à l’autel des holocaustes où les victimes étaient consumées.

Il y avait quatre côtés à chacun des quatre parvis et à chaque côté trois ou quatre portes, ce qui faisait aux quatre étages réunis près de cinquante portes avec tours et pylônes. Il y avait quatre mille gardiens, ce qui fait pour chaque porte à peu près quatre-vingts gardiens (II Paral., c. VI, v. 6).

En continuant à monter en trouvait le parvis des fidèles avec sa galerie quadrangulaire de huit cents pieds sur chaque face, avec ses portes, ses tours et ses pylônes répétés sur trois côtés.

Puis venait le parvis des prêtres, élevé, suivant Ézéchiel, de huit coudées, auquel l’on arrivait par des escaliers d’un style monumental. On voyait la plate-forme où l’on contemplait l’autel des holocaustes, les autels des parfums, et enfin, à droite et à gauche, les habitations des prêtres.

Pour ce qui est du style du monument, on peut dire que tout ce qui reste à Jérusalem, dans les environs du temple et dans le pays voisin de la ville, est d’un style ressemblant au style grec. Ainsi, à l’enceinte d’Hebron, au tombeau d’Absalon, au mur du Haram, au tombeau del Merrouch, à la porte dorée, à la porte double, aux parties dites de Salomon actuellement conservées.

Les murailles d’Hébron, à la mosquée bâtie sur le tombeau d’Abraham, sont d’un style semblable au style grec, et elles passent pour être une construction salomonienne. Les parvis et les carreaux de la cour principale qui remontent, dit-on, au temps de Salomon, présentent un spectacle admirable dans le genre hellénique. L’appareil des murailles est le même que celui du Harem el Cheir de Jérusalem. À Hébron les pierres sont de la même dimension et de la même forme qu’à Jérusalem.

Cela formait un magnifique ensemble. C’est là que s’accomplissaient les cérémonies.

C’est là qu’apparaissait l’armée des prêtres richement vêtus ; c’est de là que retentissaient les chants d’un millier de lévites accompagnés par des centaines de trompettes[4],

Au fond apparaissait la perspective du temple avec ses colonnes de porphyre et de jaspe, accompagné des tours de la façade de cent quatre-vingts pieds de hauteur, ornées du haut en bas de lames d’or et d’argent, de mosaïques, de pierres précieuses, de marbres éclatants veinés de rose, rayés de vert, étoilés de pourpre, adoucis et comme flottant dans les airs au milieu de la fumée des sacrifices.

Pendant les chants et les symphonies les cortèges et les processions des prêtres défilaient, traversant les parvis et descendant les escaliers avec de longues robes de lin et de soie, des dalmatiques brochées et dorées, des draperies couvertes de perles et de diamants. Au milieu de ces processions, l’on distinguait les principaux prêtres, portant des dalmatiques d’or relevées de pierreries, tandis que les plus riches ornementations étaient réservées pour la toge et le pectoral, en forme de cuirasse, du grand prêtre.

Toute cette pompe répondait dignement à la majesté des cérémonies et à la beauté du chant.

La musique était magnifique quant à la beauté des instruments, quant au nombre des exécutants et quant à la capacité des artistes qui conduisaient les chœurs.

Il y avait trois sortes d’instruments : les instruments à vent, les instruments à cordes et les instruments de percussion.

Parmi les instruments à vent, les trompettes étaient de différents genres : il y avait des trompettes droites et aussi des trompettes recourbées, parmi lesquelles plusieurs étaient d’une grande puissance. Il y avait aussi des instruments en bois répondant aux flûtes et aux hautbois.

Les instruments à cordes comprenaient des harpes en grand nombre, des luths, des lyres, etc.

Parmi les instruments de percussion : les tambours, les cymbales, des pavillons à cloches, enfin, des timbales.

Pour le chant, l’on comptait 4000 chantres avec 300 coryphées qui conduisaient les chœurs et qui étaient des chantres éminents. Cette pompe musicale peut être appréciée d’après plusieurs chants qui nous ont été conservés.

Voici les principaux que nous pouvons citer : les psaumes, les lamentations, les hymnes, le tout suivant différents modes que les Grecs se sont appropriés en leur donnant des noms qui ont été conservés : doriens, hypodoriens, ioniens, lydiens, phrygiens.

De même que les philosophes s’étaient inspirés des enseignements de la Bible, les musiciens grecs s’étaient inspirés des chants de David.

Enfin, les Grecs connaissaient les différents styles de construction du temple de Salomon, auxquels ils ont donné les désignations de dorien, hypodorien, ionien. Il y aurait donc aussi dans l’architecture des rapports avec les enseignements hébraïques, comme il y en a dans la philosophie et dans la musique.

Ce qui montre ces rapports, ce sont les ouvrages qui subsistent en Judée depuis les plus anciens temps et que l’on nomme salomoniens, et qui ont tant d’analogie avec le style grec, comme la porte dorée, les murs du temple, les tombeaux sur les rives du torrent de Cédron, le tombeau d’Abrabam à Hébron.

Ce qui semble aussi le prouver, c’est que dans le dome de Saint-Pierre de Rome l’on voit sur les énormes piliers de la coupole une douzaine de colonnes enlevées aux ruines du temple de Jérusalem et qui ont la forme des colonnes grecques.

Il est bien difficile de rien affirmer sur les véritables origines de l’art et de rien inférer des ressemblances des œuvres antiques. Nous ne savons sur quelles preuves se sont appuyés quelques Pères qui, dans leurs écrits, affirment que les cinq ordres viennent du temple de Salomon.

Toujours est-il que d’après ces affirmations quelques grands critiques ont assuré que les cinq ordres sont si parfaits qu’ils doivent venir d’une inspiration excellente qui semble bien au-dessus de toute inspiration humaine.




  1. M. F. Lenormant.
  2. M. F. Lenormant
  3. Le général Griffin, Saundon, le major Collingwood, M. Kipling le major Berkeley, Black, le prince de Bopal.
  4. David avait fait le dénombrement des enfants de Lévi, il avait trouvé 38 000 hommes, parmi lesquels on choisit ceux qui seraient consacrés au temple (Paral. I, c. XXIII, v. 3). 24 000 furent choisis et distribués pour le service du temple, 6 000 comme chefs et juges, 4 000 pour être gardiens des portes et garder les trésors, 4 000 pour le chant sacré, avec des instruments qui les accompagnaient.