Cours de philosophie/Leçon XVII. De la nature du moi

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- Leçon XVI. Origine de l'idée du moi Cours de philosophie - Leçon XVIII. Définition de la raison


Nous savons que le moi existe. Qu'est-il? C'est ce qui nous reste à voir. Nous retrouvons ici, comme question préalable, une théorie que nous avons déjà examinée à un autre point de vue. Il s'agit de savoir si, comme le prétendent certains philosophes, il y a en nous, outre le moi, quelque chose de distinct du corps, si, de quelque façon, le monde intérieur déborde le monde que nous montre la conscience, si l'âme en un mot est plus grande que le moi.

Telle est, par exemple, l'opinion de Maine de Biran. Pour lui, il y a sous le moi une autre réalité qui sert de substratum à la réalité consciente. Par opposition au moi actif, il nomme cette autre partie de nous substance. Victor Cousin croyait également qu'il y avait en dehors du moi quelque chose qui échappait à la conscience et dont le raisonnement seul indiquait l'existence.

Cette théorie est déjà réfutée par ce que nous avons dit de M. de Hartmann et de la Philosophie de l'inconscient [Cf. chapitre XV, Sec. C (p. 107)]. Il ne peut y avoir de faits psychiques inconscients. Ce concept d'ailleurs est vague, vide, indéterminé. Quelle est la nature de cet être inconscient? Par définition même, il n'est pas actif, car il donnerait alors naissance à des phénomènes qui tous tomberaient sous l'observation de la conscience, ce qui n'est pas. N'ayant pas d'action, il ne serait que le fondement des actions du moi. Le seul rôle que lui donne de Biran est de servir de support au moi. Mais on ne peut se représenter un pareil être. Le concept de la substance est donc absolument vide de sens précis.

Hors de que nous donne la conscience, il n'y a donc rien. Les limites de l'âme et du moi coïncident exactement.

Ceci établi, voyons quelle est la nature du moi. C'est à la fois la conscience et le raisonnement qui vont nous en montrer les qualités essentielles.

Le moi a trois attributs naturels:

1. L'unité. Le moi est un. Cela veut dire qu'il est indivisible, ne comporte pas de parties. C'est ce que nous atteste l'observation immédiate par la conscience. C'est aussi ce que confirme le raisonnement. Il est certain que nous avons l'idée d'unité. Cette idée nous vient ou de l'extérieur ou de l'intérieur. Elle ne peut venir de l'extérieur, où tout est multiple et est perçu par nous comme indéfiniment divisible. L'idée d'unité ne nous vient pas du monde extérieur : nous la tirons donc de nous-mêmes.

2. L'identité. Malgré tous les changements qui peuvent survenir, le moi est et se sent identique à lui-même. Le raisonnement est le même que pour l'unité. Dans le monde extérieur, tout change, rien ne reste longtemps identique à soi-même. Ce ne peut donc être que de nous-mêmes que nous tirons l'idée de l'identité. Cette idée d'identité est en outre une des conditions nécessaires de la mémoire [Cf. Chapitre XXV].

3. La causalité. Le moi est une cause. Nous sentons que c'est nous qui causons nos actions. Nous pouvons voir l'action sortir, pour ainsi dire, de notre volonté. Nous savons en outre ce que c'est qu'une cause. D'où nous viendrait cette idée, sinon de la connaissance que nous avons de la cause que nous sommes? Le monde extérieur nous fait voir uniquement des phénomènes, se succédant les uns aux autres. De cause, on n'en perçoit pas. On dit bien que le mouvement cause de la chaleur. Cela signifie seulement que nous voyons toujours le mouvement précède la chaleur. Mais c'est en nous seulement que nous apercevons une cause produisant son effet. L'idée de cause est donc prise dans le moi.

Un être ayant l'unité, l'identité, la causalité, est ce qu'on nomme une personne. Pour qu'un être soit une personne il faut d'abord, c'est évident, qu'il soit un et identique. Il faut de plus que les actions qu'il produit émanent de lui et rien que de lui. En effet, c'est là ce qui distingue la personne de la chose. Cette dernière n'agit que si un choc vient la mettre en mouvement. La personne au contraire a pour qualité propre de tirer son action d'elle-même. Tous les hommes sont au même degré uns et identiques. Mais tous ne sont pas au même degré cause de leurs actions. Il est vrai de dire que chez aucun la causalité n'est nulle. Mais il en est qui ont plus ou moins de volonté. Les uns ne font rien qu'ils n'aient voulu. Les autres ne sont que des instruments entre les mains des personnes ou des choses avoisinantes. Ils ne font rien que par une impulsion étrangère. Leurs actions ne sont que l'écho du monde extérieur.

Tous les moi ne sont donc pas personnes au même degré. Tous le sont, mais il y a des différences telles qu'elles doivent être remarquées.

L'étude de la conscience est maintenant terminée. Nous avons vu ses conditions, son objet; nous avons critiqué l'objectivité des idées qu'elles nous fournissaient. Nous sommes donc en même de résoudre la question suivante.

La conscience est-elle ou non une faculté distincte?

Ceux qui résolvent négativement cette question appuient leur opinion de cet argument. L'objet de la conscience se confond avec celui de toutes les autres facultés, puisque cet objet se compose des états de conscience de l'intelligence, de la mémoire, de la volonté, de la sensibilité. Nous ne lui devons donc pas d'idée qui vienne d'elle et d'elle seule.

Il en serait ainsi si la conscience ne nous montrait que des phénomènes. Mais nous l'avons vu, elle nous fait connaître de plus le moi et ses attributs. Voilà donc des idées que seule la conscience nous donne. Elle a donc son domaine propre et distinct nous donne des idées que nous n'aurions pas sans elle. Elle est donc une faculté distincte.

La conscience jointe à la perception extérieur donne l'expérience. Ces deux facultés sont nommées facultés expérimentales. Nous allons examiner plus tard si l'expérience suffit à expliquer toutes nous connaissances.