Croquis honnêtes/12

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Gangloff (p. 46-47).

Au Jardin d’acclimatation.

Une bande de Somalis authentiques est venue dernièrement à Paris, et a été « exposée » au Jardin d’acclimatation. Je les ai vus.

On a parqué ces malheureux dans une « enceinte » qui offre absolument la physionomie de celles qu’on a réservées aux kangourous et aux mouflons. Il y avait des bêtes qui étaient mieux logées.

Puis, sous les regards stupides d’une multitude sans pitié, on les a fait sauter, danser, hurler. Leur cornac (je l’ai vu aussi, celui-là) avait un petit sifflet dans sa poche, et réglait l’ordre de tous ces exercices. C’était horrible.

Quand ce scandale prendra-t-il fin ?

Quand cessera-t-on (sous prétexte de science, hélas !) de traiter de la sorte cette noble créature humaine qui, seule, a les yeux élevés vers le ciel ; qui, seule, a une âme ; qui, seule, a été créée à l’image de Dieu ?

J’ai vu ces Somalis défiler un jour devant la foule, et il y avait là des Parisiens qui riaient sottement sur le passage de ces vaincus, de ces misérables. L’un des hommes de la troupe, un nègre superbe, entendit ces rires il se tourna soudain vers les rieurs avec une fierté indignée, et leur jeta un regard terrible que je n’oublierai jamais. Ah s’il avait pu se venger ! Il rugissait.

N’avons-nous pas mérité ce regard ?