Croquis honnêtes/Texte entier

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Gangloff (p. 1-186).

CROQUIS HONNÊTES


Les vieux arbres conseillent la sagesse.


Ce chêne a plus de deux cents ans. On le vient voir de dix lieues à la ronde : il est célèbre, il est populaire.

Il fut planté, en 1685, par les soins du seigneur, et c’est la petite-fille de ce puissant baron qui, de ses mains frêles, prit alors l’arbrisseau et l’enfonça délicatement dans le sol humide. C’était jour de fête : le curé était là, et le village était en liesse. Tous ces paysans avaient de bonnes mines loyales, et le

seigneur, avec qui ils ne craignaient pas d’être familiers, serrait leurs grosses mains calleuses en disant un mot aimable à chacun d’eux. Ils étaient contents de leur sort, et la jalousie n’avait pas encore pénétré dans une seule de ces âmes. Quand ils souffraient trop, ils pensaient à l’autre vie, et rétablissaient par leur espérance l’équilibre de leur destinée. Voila qui ne pouvait durer.

Soixante ans plus tard, — 1745, — l’arbre était d’une apparence superbe. Il n’avait rien qui sentît la vieillesse, et ressemblait plutôt a un beau jeune homme de trente ans, vigoureux et fier. On venait se mettre à son ombre, et vingt personnes y prenaient aisément leurs ébats. Le seigneur était le petit-fils de celui de 1685 ; mais ce n’était plus la même race. Il n’y avait en lui rien de respectueux ni de grave. Il avait je ne sais quel air gouailleur et se moquait, en effet, de toutes choses et de toutes gens. Rien ne trouvait grâce devant lui, pas même Dieu. Sous le bel arbre vert, il passait de longues heures à lire d’impertinents pamphlets contre Jésus-Christ, contre l’Église, voire même contre le roi, contre la noblesse, contre lui-même. Ses amis étaient désignés sous le nom de « philosophes » et bernaient le curé. Les paysans, qui sont madrés, devinaient aisément l’évolution qui se faisait dans la tête de leur nouveau maître, lequel était hautain et ne frayait plus avec eux. Quelques-uns disaient déjà « Notre marquis ne croit plus en Dieu » ; quelques autres avaient envie d’en faire autant, et comparaient leurs souquenilles avec les riches jaquettes du château. L’envie naissait. On n’en devait pas rester là.

Cent ans plus tard, — 1785, — ce fut bien pis, et le bel arbre, sous ses branches splendides où chantaient mille oiseaux, vit, hélas ! de singuliers spectacles. On avait dressé à l’ombre du vieux chêne une sorte de petit théâtre, et le seigneur, avec sa femme et ses deux sœurs, y joua quelques scènes du Mariage de Figaro. Les paysans y assistaient, épars sur la pelouse, et riaient aux larmes. Ils riaient des insultes abominables qui, dans cette œuvre inique, étaient jetées à toutes les institutions, à toutes les traditions du cher pays de France. Ils riaient de la royauté, de la noblesse, du clergé, de la magistrature, de Dieu. Quelques années après, le seigneur était guillotiné.

Cent dix ans plus tard, — 1795, — on dressait sous l’arbre un autel improvisé : Jésus-Christ faisait sa rentrée dans ce pauvre village dont l’église avait été brûlée, et le vieux curé allait y dire sa seconde « première messe ». Tous les paysans étaient à genoux et pleuraient. Ce furent de belles pâques, et, si les chênes avaient une âme, le nôtre en aurait toujours gardé le souvenir.

Faut-il aller plus loin, et vous montrer les Prussiens campant sous le pauvre arbre en 1815 ? faut-il rappeler comment la croix qui l’ornait fut abattue de nouveau en 1830, et comment un club s’y installa en 1848 ? Et que dire de l’affiche qu’on y lut sept ans après, le jour où l’on apprit chez nous la prise de Sébastopol ; et de ce messager, tout en larmes, qui, à l’ombre de notre grand chêne, annonça, en 1870, le désastre de Reischoffen à nos paysans épouvantés ?

Les vieux arbres sont éloquents à leur manière, et nous apprennent à chercher une leçon dans les événements du passé.

Le nôtre, hélas ! ne vivra plus longtemps, et voici que sa maîtresse branche est morte. Nouvelle leçon pour nous, qui mourrons avant lui.

Les vieux arbres conseillent la sagesse.


Le Courage et la Charité.

Quatre statues, quatre chefs-d’œuvre de Paul Dubois, ornent le tombeau de Lamoricière, dans la cathédrale de Nantes. Parmi ces quatre figures, il en est deux, les plus belles à notre sens, qui représentent le Courage et la Charité.

Voici tout d’abord le Courage. Il est tranquille, réfléchi, presque froid. Il n’y a chez lui d’agité que le dragon sculpté au sommet de son casque. Tout le reste est calme. Mettez la main sur ce cœur il bat, mais n’a point la fièvre. Cette main qui tient l’épée, elle ne tremble point : elle est ferme. Tous ses muscles sont au repos : ils attendent l’action. Cet homme est assis, bien assis, et l’on sent qu’il ne se lèvera qu’à bon escient, si la cause est juste, si le Vrai et le Bien sont menacés, si Dieu le veut. Le visage lui-même est placide. L’Œil regarde prudemment, et la bouche inspecte l’horizon, si je puis parler de la sorte je crois même y distinguer certain pli de dédain pour tout ce qui est véritablement méprisable, pour le danger et pour la mort. C’est bien là le Courage chrétien, lequel n’a rien d’emporté ni de fou. Il attend l’heure de Dieu, mais il l’attend la main sur l’épée. Vive Dieu ! ne faites pas sortir de son repos ce guerrier placide : s’il se lève, il sera terrible.

Et la Charité, que fait-elle ?

C’est bien simple : elle nourrit.

Il y a dix-huit siècles, en effet, que la Charité catholique, nourrit les générations et les peuples. Nourrice toujours jeune, elle a toujours du lait, elle en aura toujours. On la persécute, on l’affame toujours, toujours du lait. Elle va, sous nos yeux, jusqu’à allaiter les fils de ses plus mortels ennemis. Toujours du lait !

Cependant elle est calme, elle aussi, et Paul Dubois a bien compris cette indicible tranquillité de la Charité, ou, pour mieux parler, de l’Église. Voyez comme elle est douce à ceux qu’elle nourrit elle les contemple avec une tendresse un peu triste ; elle les couve des yeux ; elle semble leur dire « Combien d’épreuves, mes pauvres enfants, il vous reste encore à traverser dans ce monde » Puis, elle ajoute avec son ineffable voix de mère « Prenez on comme une provision de forces pour le périlleux avenir. Prenez, buvez. »


Les Sœurs sont là !

Les pauvres malades de l’hôpital se croient au foyer paternel : ils se sentent chez eux. Une délicate et attentive tendresse les enveloppe et les soutient. C’est ainsi qu’autrefois leurs mères pansaient leurs blessures d’enfants ; c’est la même douceur et le même sourire. Le lit est blanc et tout propret sur le mur pend l’image de Celui qui a tant souffert pour les hommes, et cette image instruit nos malades autant qu’elle les console. Plus ils souffrent, plus ils la regardent. Ce n’est partout que confiance, résignation et paix. Les Sœurs sont là.

La bataille est terminée, l’ennemis est en fuite, les ambulances sont pleines. Dans le vif des chairs, les chirurgiens font entrer le froid de l’acier. D’horribles hurlements sortent des bouches affolées. À toute minute, de nouvelles civières apportent d’autres blessés, d’autres mourants. Le sang coule à flots, et l’on entend partout des cris déchirants « Ma femme ! mes enfants ma mère ! » Mais soudain on aperçoit les cornettes blanches, et l’espoir rentre au cœur des plus désespères. Elles se penchent sur les amputés qui sont immobiles et pâles elles rajustent leurs bandages ; elles les couchent comme on couche un petit enfant ; elles leur mettent la tête plus haute ; elles leur font boire tout doucement la potion qui va les endormir elles leur parlent du pays, de la famille, de Dieu. Le silence se fait peu à peu, et l’ambulance ne ressemble plus qu’à un dortoir. Tout repose, tout espère. Les Sœurs sont là.

L’épidémie a envahi la ville immense ; l’épouvante est universelle. Hier vingt morts et dix mille départs. Les magistrats eux-mêmes perdent la tête, et il en est, hélas ! qui donnent le signal de la fuite. Sur les places publiques brûlent d’énormes brasiers dont la lueur rougeâtre éclaire lugubrement des fronts mornes et des visages effrayés. On n’écoute plus la voix des médecins qui répètent partout à haute voix : « L’épidémie recule ; ce n’est rien. » On ne les croit pas, on ne croit plus qu’à la peur, et l’on prend le galop. Six, sept corbillards passent à la file et augmentent encore les terreurs populaires. Les pauvres, qui ne peuvent partir, pleurent et sanglotent en jetant les yeux sur leurs petits enfants. Il n’est personne qui ne devienne égoïste jusqu’à la férocité. La consternation est générale, elle est incurable. Incurable ? non, car voici venir le bataillon de Saint-Vincent, qui attaque bravement les quartiers ravagés par le fléau. Elles disent que ce ne sera rien, et on les croit, elles. Elles racontent les autres choléras qui étaient, disent-elles, bien autrement graves ; elles prétendent que celui-ci est « pour rire », et on les croit toujours. Elles distribuent leurs petites fioles, donnent partout de sages conseils, rassurent, consolent, fortifient et sauvent. C’en est fait le fléau est vaincu. Les Sœurs sont là.

Le père est mort, la mère est morte. Six orphelins en haillons, hâves, hébétés, la mort sur le visage. Ils sont debout, collés les uns contre les autres, la tête basse et les yeux rouges, au milieu du bouge infect. Ils pleurent sans savoir pourquoi ; ils n’ont pas mangé depuis hier. C’est à qui les fuira, pour n’avoir pas la tentation de les secourir. « Heureusement pour les pauvres, il y a des pauvres ; » mais décidément, ceux-là feraient peur aux plus misérables, et il ne leur reste plus qu’à rejoindre le père et la mère où ils sont allés, là-haut… La porte du taudis s’ouvre soudain, et il y entre, comme un rayon, deux visiteuses en robes grises. Les orphelins regardent ces nouvelles venues avec je ne sais quel effarement inquiet ; mais leur inquiétude ne sera pas de longue durée. Voici qu’elles caressent ces pauvrets, et qu’elles leur parlent avec le timbre d’or de leur très douce voix. Le plus petit est le premier qui ose leur sourire, et il se jette dans leurs bras ; mais les autres sont bien vite conquis. Ils sentent qu’ils sont sauvés, qu’ils vivront, que quelqu’un les aime. Les Sœurs sont là.

Il va mourir, cet homme qui, depuis cinquante ans, a déclaré la guerre à Dieu. Il va mourir et n’a rien perdu de sa rage folle contre le Christ, contre l’Église, contre le Prêtre. Jusque dans son agonie, ce Voltaire épileptique écume contre la Vérité. Seules, les saintes filles qui veillent à son chevet ne désespèrent pas du salut de ce forcené. Ce n’est pas à coups de raisonnement et de science, mais par l’effet certain d’une patience et d’une bonté véritablement héroïques qu’elles triompheront d’une telle résistance, et finiront par jeter ce révolté, absous et joyeux, dans les bras de Dieu qui l’attendent. Les Sœurs sont là.


L’Homme de fer.

L’homme de fer, c’est le Soldat. J’aime le Soldat.

On le trouve chez tous les peuples, en tous les temps : car l’homme de fer est nécessaire, et, sans lui, il n’y a point de vrai peuple ni de vraie patrie.

Certes l’Église déteste la guerre, et elle l’a proclamé par la voix de tous ses papes et de tous ses conciles comme dans les écrits de tous ses docteurs ; mais l’Église, cette amoureuse de la paix, autorise les guerres justes, et bénit l’homme de fer.

Quand un peuple est outragé dans son honneur, quand les petits sont opprimés, quand une grande injustice menace de demeurer impunie, quand le sol de la patrie est envahi, l’Église est la première à s’écrier : « Vous pouvez vous défendre, vous pouvez combattre. » Et elle crie à l’homme de fer : «  « Va ! »

Il part, le Soldat, il se précipite et offre sa poitrine à tous les dangers. De ses yeux superbes, il défie la mort. Puis, en dedans de lui-même, il se rend témoignage : « Je remplis mon devoir ; j’affranchis ma terre natale ; je défends le Droit, je combats pour l’Église ; je meurs pour Dieu ! »

À tous les petits il dit, d’une voix ferme et douce : « Vous voyez bien que je suis là ; ne tremblez plus. » Ils se serrent contre lui, et sont sauvés.

Sauvés, les enfants et les vieillards ; sauvées les épouses et les mères. Le glaive de l’homme de fer les délivre tous et toutes. Ensuite, il se met à genoux, et chante pieusement le Te Deum.

Car, voyez-vous, cher lecteur, sous « l’homme de fer », il y a partout, il y a toujours l’homme de cœur.


Trait consolant.

Il y a, de par le monde, une certaine École littéraire qui prétend que personne, avant elle, n’a encore observé l’âme humaine et qui, pour combler cette lacune regrettable, s’est mise, elle, à observer la boue.

Tous les cloaques, tous les égouts, tous les « résidus » sont analysés par ces chimistes avec une curiosité passionnée, fébrile, heureuse. Ce ne sont, partout et toujours, que vices abominables, sensualités honteuses, bestialités sans nom, senteurs nauséabondes, vermine en exercice et pourriture en action.

Sommes-nous vraiment aussi horribles que le prétendent ces Larochefoucauld de l’égout ? Je le nie.

Je n’ai qu’à promener mes regards autour de moi, une ou deux minutes, et ils sont sur-le-champ frappés par d’admirables et de consolants spectacles.

Laissez-moi vous conter aujourd’hui un de ces traits aimables. Il vous délassera de toutes les réalisteries de nos réalistes. C’est ainsi que, pour chasser une méchante odeur, on respire un parfum.

Donc, j’ai un de mes amis qui habite un joli village, en pleine verdure d’Anjou, et qui, tout récemment encore, se complaisait dans la culture d’un splendide jardin.

Ce jardin était une merveille. Il n’était pas grand ; mais quelles fleurs, mais quels légumes, mais quels fruits ! Et quelle délicieuse mosaïque de couleurs, au mois de septembre surtout ! Sur les bordures fleurissaient cent espèces de ponceaux, plus beaux, plus variés que des roses. Il y avait aussi une roseraie qui égayait les yeux et la pensée. On philosophait dans les allées en mordant à quelque pêche ; on riait à cœur ouvert ; on oubliait les heures ; on ne s’en allait que chassé par la nuit et tout embaumé de parfums et de souvenirs. C’était exquis.

Eh bien ! ce beau jardin, ce jardin tant aimé, mon ami vient de le détruire, absolument.

Elle n’est plus, la belle roseraie qui fleurait si bon, et, tout à l’heure, en passant devant la cuisine, j’ai vu les tiges desséchées de ces beaux rosiers si rares qu’on allait jeter dans la grande cheminée flambante.

Les pêchers, eux aussi, sont condamnés au feu avec les beaux poiriers de Doyenné et de Duchesse. Les fraisiers des bois n’ont même pas eu ce triste honneur, et sont au fumier.

Et pourquoi tant de ruines ? Pourquoi ce vandalisme ? Pourquoi cette profanation ? Je m’en vais vous le dire.

Dans le village où habite ce vandale, on vient de laïciser l’école des filles et d’en chasser les religieuses.

Or, mon ami est un chrétien de vieille roche, solide, et qui n’aime ni les atermoiements ni les lâchetés.

Il n’a pas hésité un seul instant, et est allé trouver le curé : « Je vous donne mon jardin pour y construire une école libre.

— Mais, observe le curé, c’est que je n’ai pas d’argent pour la construire.

— Je donnerai l’argent par-dessus le marché. »

Il l’a donné, et l’école est faite. Et, au lieu de roses, il y a, là-bas, de petites chrétiennes qui font passablement de tapage à l’heure des récréations et dont les cris gênent parfois la quiétude de mon ami.

Mais il se remet bien vite de ces petites impatiences et regarde, d’un œil attendri, ce jardin des âmes qui remplace aujourd’hui son beau jardin d’hier : « Beaucoup de ces enfants seront sauvées », se dit-il. Et il se sent soudain tout « revigouré ».

Qu'en dites-vous, ami lecteur, et ce seul trait ne vaut-il pas mieux que tous nos romans naturalistes, « symboliques » et « décadistes » ?

Répondez.


Écrit le 31 Décembre, à minuit.

« Qui es-tu, pauvre fillette, qui te mets en route par un temps si rude, par cette gelée si âpre, par cette neige qui tourbillonne, par ce vent qui siffle ? — Je suis une enfant qui ne sait rien et qui voudrait apprendre.

« Que veux-tu faire ? — J’ai grande envie de faire le bien ; d’être bonne, surtout aux pauvres, et d’aimer tout ce qui souffre.

« Où vas-tu ? — Je vais devant moi, cherchant ma route, m’éloignant de ceux qui ont mauvaise mine, me confiant aux braves gens, et les priant de me défendre parce que je suis faible, de me guider parce que je suis petite, et de m’instruire parce que je suis ignorante.

« Où te reposeras-tu ? — À l’église.

« Et quel est ton espoir ? — Dieu.

« Mais enfin, quel est ton nom ? — Je m’appelle l’Année nouvelle. »


Noël ! Noël !

« Minuit, chrétiens, c’est l’heure solennelle. »

Il est minuit, en effet, et, là-haut, sur la tribune de l’orgue, le ténor en renom, soutenu par un chœur d’amateurs, est sur le point d’entonner le fameux, le trop fameux Noël d’Adam.

En bas, les fidèles sont tout oreilles, et écoutent.

Eh bien ! je ne suis pas encore satisfait (voyez le mauvais caractère), et souhaiterais bien vivement qu’au lieu d’être « tout oreilles ils fussent « tout voix ».

Oui, je voudrais qu’en toutes nos églises, le peuple chrétien tout entier fût appelé à chanter unanimement les mêmes chants. Et, surtout, en cette nuit de Noël.

Ô maîtres de chapelle, ô organistes de bonne volonté, imaginez un peu le prodigieux effet que produirait le chant à deux mille, à trois mille voix, de ces Noëls populaires qui sont encore gravés dans toutes les mémoires et dont vous soutiendriez la simple et vive mélodie avec toutes les énergies de vos grandes orgues, de cet incomparable instrument qui est mille fois supérieur au meilleur de tous les orchestres.

La joie, la vraie joie circulerait dans l’air, et les communions de la nuit de Noël seraient encore plus recueillies et plus pieuses.

Il faut pourtant y réfléchir, et revenir à la tradition chrétienne, à la tradition nationale, au chant unanime.

Nous en avons assez de ces invasions scandaleuses de l’Opéra dans nos églises ; nous en avons assez de vos barytons et de vos ténors.

Vive le chant populaire ! Vivent les vieux Noëls chantés par toute la paroisse, par la voix branlante des vieilles, par la fraîche voix des jeunes filles, par la voix grave des ouvriers et des soldats !

Cher enfant Jésus, nous n’avons pas, mes enfants ni moi — moi surtout — une voix d’Opéra à vous offrir, et voici que, par ce temps d’influenza, nous sommes, hélas ! tout à fait enroués.

Mais, ô mon grand Dieu qui vous êtes fait si petit, vous voudrez bien, n’est-ce pas, agréer nos hommages, quand, durant la nuit de Noël, nous vous chanterons en chœur l’antique Noël : « On entend partout carillon »; ou cet autre encore : « Il est beau, ce fils de Dieu le Père ! »

Ténors et barytons, chantez-les avec nous.


À quoi pense Lisbeth ?

Si vous posiez cette question à vingt, à trente, à cinquante littérateurs de Paris, ils vous répondraient tous par quelque plaisanterie de mauvais goût, par quelque gauloiserie plus ou moins délicate, par quelque pointe plus ou moins fine.

Eh bien ! pauvres boulevardiers que vous êtes, vos soupçons sont peut-être ingénieux, mais je vous jure qu’ils sont faux.

Lisbeth, qui vient de se marier, pense « tout bêtement » à son mari qui est à son travail, et ce petit bouquet que vous voyez sur sa table, ce bouquet qui sent si bon, lui a été donné par ce mari auquel vous n’avez pas pensé. C’est votre spécialité hélas ! de ne jamais penser au mari.

Vous remarquerez avec moi que le logis de Lisbeth est charmant, propret, joyeux, et qu’il ne ressemble en rien à ces bouges infects où Zola a nous traîne. On y est bien, on y devient meilleur, et l’on a presque envie d’y faire sa prière.

Mais surtout vous observerez l’aimable visage de Lisbeth ; ce visage calme honnête, souriant et où la vertu respire.

Jeunes et vieux qui m’écoutez, méfiez-vous de tous ceux qui disent du mal des femmes

Sur dix femmes, il y en a au moins neuf qui sont bonnes… et la dixième n’est que « douteuse. »


Première page d’un « Décameron » chrétien.

Nous étions, l’autre jour, réunis dans cet humble jardin où s’écoulent trop vite nos vacances. Nous étions dix, et nous nous racontions de ces belles histoires qui font honneur à l’âme humaine. C’est notre Décameron à nous. Il vaut bien l’autre.

Et l’un de nous faisait ce récit charmant autant que vrai, dont sa propre mère avait été l’héroïne, cachée aux yeux des hommes, connue de Dieu.

Donc, sa mère venait d’avoir son septième enfant, qu’elle voulut nourrir elle-même, comme elle avait nourri les six autres. Elle était fatiguée et pâle, mais ne reculait pas devant cette tâche nouvelle. Non recuso laborem, avait coutume de dire saint Martin : c’est aussi le cri de toutes les mères, de toutes les chrétiennes.

Or, une pauvre femme du pays, une mendiante, mit au monde un enfant le même jour que la mère de notre ami ; mais, malade depuis longtemps et usée avant l’âge, la triste accouchée mourut, laissant sur son grabat un petit être grelottant et frêle.

À quoi vous attendez-vous, bon lecteur ?

Vous vous dites sans doute que l’orphelin fut recueilli par la famille de l’enfant riche, et qu’on lui fit un sort.

Non, l’histoire, qui est vraie, absolument vraie, est encore plus belle. La mère qui vivait prit la place de la mère qui était morte, et donna le sein au petit abandonné. Pendant plus d'un an, elle partagea son lait entre son fils à elle et cet inconnu, cet affamé qui lui était tombé je ne sais d'où.

Voilà qui est chrétien, je pense, et plus beau que toutes les infamies de Boccace.

Si ce Décameron vous plaît, nous le continuerons.


Le Château et la Maison.

Voici le Château, sur cette colline verte, et, dans cette rue de village, voici la Maison. Le contraste est frappant mais, pour le bien comprendre, il faut être chrétien.

Le Château a pour mission ici-bas de protéger la Maison, et la Maison a pour devoir d’honorer le Château.

C’est ce qui eut lieu pendant de longs siècles. Le seigneur alors disait « Je combats pour la patrie. ? Et le paysan, le bourgeois, l’ouvrier lui répondaient « Je travaille pour elle. »

Une troisième voix, plus douce que les deux autres, ajoutait, en ce temps-là : « Je prie pour tous. »

Vous l’avez reconnue, cette voix tendre, cette voix aimée c’est celle qu’on veut étouffer aujourd’hui, c’est celle de l’Église.

Hélas ! l’antique concert n’est plus, et voici qu’aujourd’hui la Maison déteste le Château, et qu’elle est détestée de l’usine,

Et que tous haïssent l’Église, qui nous aime tous.

Oh quand viendra la Paix !


Le vieux Fermier.

On a fête, l’autre jour, le centenaire d’un grand savant ; mais on ne songera jamais, j’en ferais le pari à fêter le centenaire d’un bon fermier.

Au reste, le brave homme, que j’ai l’honneur de vous présenter, se soucie fort peu que l’on célèbre ou qu’on ne célèbre point son centenaire. Il désire seulement arriver jusqu’à cent ans, et n’en a encore que quatre-vingt-dix.

Son existence a été des plus simples, et ressemble à celle de mille autres fermiers.

Il est né à la ferme du Haut-Chemin, là-bas, près de la Gauteraye. Ils étaient onze enfants, il était le onzième.

Quoiqu’il fut le dernier, il ne fut pas gâté. Dès que sa mère l’eut sevré, on le mit à la soupe. La soupe deux fois par jour. De la viande, une fois par mois.

À quatre ans il conduisait déjà les chevaux à l’abreuvoir. À dix ans, il aidait à la charrue et piquait les grands bœufs.

Puis, au lendemain de sa première, communion, vlan ! garçon de ferme jusqu’à vingt ans.

Levé toujours avec l’aurore, et souvent avant elle, labourant, semant, sarclant, bêchant, fanant, moissonnant, battant, vannant, peinant.

Pour lit, un pauvre matelas près d’une fenêtre sans carreaux ; pour nourriture, l’éternelle écuellée de soupe aux choux verts ; pour boisson, un méchant petit cidre trempé de beaucoup d’eau.

Malgré ce régime, ou plutôt à cause de ce régime, c’était, a vingt ans, un beau gars, bien planté sur ses jarrets d’acier, avec un teint hâte qui faisait mieux ressortir ses yeux bleus, grand, fort, nerveux, et capable, comme on dit, « de corriger un bœuf d’un revers de main ».

C’est alors qu’il vit pour la première fois Jacqueline, et l’aima. Jacqueline aussi l’aima, et ils se dirent « Ce sera pour « après le service. »

Donc il fit ses sept ans, et l’on sut ce que c’était qu’un bon soldat.

Franc, joyeux, la verve et l’entrain mêmes, chantant volontiers la chanson du pays, ne se laissant pas gouailler par les camarades, vif à la riposte, brave comme son sabre, point « chapardeur », point ivrogne ni jureur, et toujours bon chrétien.

Quand il revint, la première personne qu’il aperçut sur le chemin, ce fut Jacqueline qui l’attendait. Il l’épousa trois semaines après, et il est avec elle, depuis plus de cinquante ans, le fermier du Haut-Chemin.

C’est une forte et rude ferme qui occupe cinq garçons et six filles. Il faut gouverner tout ce monde-là ; il faut leur distribuer la besogne, l’encouragement, le blâme ; il faut les mettre sur la bonne route ; il faut surtout leur donner l’exemple.

Un fermier, un vrai fermier, c’est un Roi.

Le notre pourtant a un grand défaut, et qui paraîtra irrémissible à la plupart de nos lecteurs.

Sa ferme l’a enrichi, c’est vrai ; ses affaires vont bien, c’est encore vrai ; mais…

Eh bien ! je préfère vous le dire sans plus tarder

Il ne sait pas lire !!

C’est ce qui l’a empêché d’arriver sergent à l’armée ; mais c’est ce qui ne l’a pas empêché d’être un brave homme, et, qui plus est, un homme souverainement intelligent, gouvernant fort sagement son petit royaume et le faisant prospérer à merveille.

« Savoir lire », c’est bien ; mais ce n’est pas tout, et il y a peut-être, dans l’âme humaine, certaines facultés, de premier ordre, qui se développent sans le secours de la lecture.

L’Instruction est une grande chose, sans doute ; mais l’Éducation, dans la vie sociale, est d’un bien autre poids. On l’oublie trop.

Les aïeux de notre fermier ; ont, durant cinq cents ans, servi avec fidélité et amour une seule et même famille de seigneurs qui ont toujours été bons pour eux. C’est leur rude et obstiné labeur qui a fécondé ce sol jadis rebelle. Ces braves gens travaillaient jusqu’à quinze heures par jour ; mais jamais on ne les a entendus se plaindre, et il ne leur est jamais venu à l’idée de porter envie à leurs maîtres.

Ils ont eu de nombreux enfants auxquels ils ont enseigné la crainte Dieu et dont pas un n’a jamais forligné. Il y a eu dix prêtres et vingt religieuses dans la famille, et ce sont les seuls peut-être qui aient su leur alphabet. En revanche, ces illettrés se sont fait tuer pour la France sur nos champs de bataille, glorieux ou néfastes. Les jeunes continuent aujourd’hui la tradition : l’un d’eux a conquis la médaille militaire au Tonkin et l’autre au Soudan. Le plus petit rêve d’être missionnaire au Dahomey.

Telle est l’histoire des ancêtres de notre fermier il en est de plus éclatantes, mais je n’en connais pas de plus belles. Et voilà pourquoi, l’autre jour, j’ai porté un toast de si bon cœur au centenaire de cet excellent homme… qui ne sait pas lire.


Au Jardin d’acclimatation.

Une bande de Somalis authentiques est venue dernièrement à Paris, et a été « exposée » au Jardin d’acclimatation. Je les ai vus.

On a parqué ces malheureux dans une « enceinte » qui offre absolument la physionomie de celles qu’on a réservées aux kangourous et aux mouflons. Il y avait des bêtes qui étaient mieux logées.

Puis, sous les regards stupides d’une multitude sans pitié, on les a fait sauter, danser, hurler. Leur cornac (je l’ai vu aussi, celui-là) avait un petit sifflet dans sa poche, et réglait l’ordre de tous ces exercices. C’était horrible.

Quand ce scandale prendra-t-il fin ?

Quand cessera-t-on (sous prétexte de science, hélas !) de traiter de la sorte cette noble créature humaine qui, seule, a les yeux élevés vers le ciel ; qui, seule, a une âme ; qui, seule, a été créée à l’image de Dieu ?

J’ai vu ces Somalis défiler un jour devant la foule, et il y avait là des Parisiens qui riaient sottement sur le passage de ces vaincus, de ces misérables. L’un des hommes de la troupe, un nègre superbe, entendit ces rires il se tourna soudain vers les rieurs avec une fierté indignée, et leur jeta un regard terrible que je n’oublierai jamais. Ah s’il avait pu se venger ! Il rugissait.

N’avons-nous pas mérité ce regard ?


Des Fleurs des Fleurs !

Je voudrais être assez riche pour acheter à cette marchande tout son achalandage de roses, de violettes, de lis.

« Ce que j’en ferais ? » me direz-vous. Écoutez.

J’irais tout d’abord en un de ces hôpitaux de Paris où la misère se débat (lutte effroyable) contre la maladie qui l’étreint. J’irais, et sur l’oreiller de chaque malade, je mettrais doucement une de ces belles roses qui sentent si bon. Pauvres gens ! ils auraient au moins cette minute de joie.

Puis, j’essaierais de pénétrer dans ces palais somptueux où s’agitent nos sénateurs et nos députés. Et de même que, naguères, les catholiques de Berlin déposaient chaque jour de splendides bouquets sur le pupitre du député Windhorst, je déposerais ces violettes et ces lis devant chacun de ces vaillants soldats de l’Église, devant Albert de Mun, devant Chesnelong.

On me verrait ensuite dans toutes ces écoles où le crucifix est encore au mur, où brille encore l’image de la Vierge. Et, devant chacun de ces petits autels, je placerais une touffe de ces jolis myosotis dont le bleu pâle fait penser au ciel.

Je crois bien que j’irais ensuite me poster à la porte d’une de nos églises, le jour de la première communion, et que j’offrirais un bouton de rose blanche à chacun de ces enfants qui viennent de recevoir Dieu. Mon offrande, d’ailleurs, ne serait pas désintéressée. Autant de fleurs, autant de prières.

Il va sans dire que je n’oublierais ni ma femme, ni mes enfants, ni ces vaillants qui ont le courage de me lire.

Je souhaiterais, à cause d’eux, que ces humbles pages ne fussent pas sans offrir quelque ressemblance avec mes chères fleurs je voudrais donner à ce petit livre le parfum du Bien et le charme du Vrai.

Mais, à tout le moins, j’en bannirai les, fleurs de rhétorique.

Ce sont les seules que je n’aime pas.


Le Fil de la Vierge.

Un grand homme, un vrai grand homme, Joseph de Maistre, a dit quelque part qu’à côte de toute religion « pousse » une mythologie. Rien n’est plus vrai, ni plus profond.

Autour de la Vérité fleurit la Légende.

Mais, comme l’observe encore Joseph de Maistre, les légendes de toutes les fausses religions sont le plus souvent immorales et dangereuses, et il appartient au seul christianisme de donner naissance à des légendes très nobles, très morales, très pures.

Et j’ajouterai « très charmantes ».

La savez-vous par cœur, cette jolie romance de Scudo sur le fil de la Vierge ? Et pouvez-vous l’écouter sans pleurer ?

Le pédant qui entend nos bonnes gens parler de ces beaux fils légers et blancs en leur attribuant une origine virginale ; le pédant, dis-je, qui est toujours un vilain monsieur et un monsieur ennuyeux, hausse les épaules en signe de profond dédain et nous fait en régie un cours d’histoire naturelle. Le pauvre homme !

Eh ! nous savons aussi bien que toi, brave licencié, ce qu’est « naturellement » le fil de la Vierge, et nous avons suivi tes cours, hélas !

Mais ce que tu ne sais pas, très docte Trissotin, ce sont les honnêtes, les aimables, les belles pensées que fait naître vue d’un de ces fils presque immatériels dans Famé de nos sœurs et de nos filles.

Involontairement elles pensent à Marie, et se disent ? Je vais essayer de lui ressembler davantage. »

Trouve-moi donc, ô Vadius, trouve-moi quelque chose de mieux,

Ou tais-toi.


Avant la Noce.

Elle sera « madame » dans une heure ; elle est encore « mademoiselle », et elle prie.

Je me défierais, moi, de toute femme qui n’en ferait pas autant. Une jeune fille qui ne s’agenouille pas le matin de son mariage a bien des chances pour n’être pas un jour la femme de mes rêves, la femme forte, la chrétienne. Ce dernier mot dit tout.

Il y a je ne sais quelle tendance parmi nous à rabaisser l’état de mariage et à le placer un peu trop au-dessous de la profession religieuse.

On ferait sagement de n’excéder en rien, et de se rappeler que le mariage a été qualifié par saint Paul de « grand sacrement ».

Vous connaissez peut-être le trait qui est attribué à Pie IX. On lui offrit un jour la Biographie d’un grand catholique français, et l’éminent religieux, qui était l’auteur de cet excellent panégyrique, avait eu l’imprudence d’y laisser cette phrase étrange : « Il est un piège que notre ami ne sut pas éviter il se maria. » Alors Pie IX, indigné, terrible, rejeta le livre et s’écria : « Je ne veux pas qu’il soit dit que, dans la sainte Église de Dieu, il y a six sacrements et un piège. » Le mot est peut-être légendaire, mais il est superbe.

De très belles paroles de Mme de Lamartine me reviennent en ce moment à la mémoire : « J’ai assisté aujourd’hui à une prise d’habit de religieuses hospitalières, à l’hôpital de Maçon. On leur a fait un discours ; on leur a dit qu’elles embrassaient pour la vie un état de pénitence et de sanctification ; on leur a mis une couronne d’épines sur la tête. J’ai beaucoup admiré leur dévouement ; mais j’ai réfléchi que l’état d’une mère de famille, si elle remplit ses devoirs, peut approcher de cette perfection. » Oh ! que c’est vrai

Le mariage est saint, le mariage est un état saint il importe de le dire et de le redire.

Un jour, dans un livre profond et fin, un des plus hauts penseurs de ce temps s’emporta jusqu’à écrire cette proposition plus que hardie : « C’est à peine si l’on peut dire que l’Église tolère le mariage. »

Et l’un de mes amis — un grand catholique aussi lui répondit « Votre tolère est intolérable. »

Il avait raison, et c’est le moment de rappeler encore une fois ces paroles de saint Paul qui sont de nature à ennoblir et à consoler tous les mariés de la terre : « Ce Sacrement est grand ! »


Deux Orphelines.

Quel est votre sentiment, ami lecteur, sur cette grande question, tant de fois soulevée, de l’égalité de l’homme et de la femme ?

Si vous n’avez pas là-dessus d’avis bien net, vous me permettrez peut-être de vous offrir le mien.

Donc, malgré les déclarations des fanatiques qui rabaissent l’homme et des romanesques qui exaltent la femme, je conclus… à l’égalité par compensation.

Il est certain que l’homme l’emporte souvent par les hautes facultés de l’intelligence, par la raison et par le raisonnement, par le sens de la justice et par la claire vue de la vérité.

Mais il n’est pas moins évident que la femme est mille fois supérieure à l’homme par l’esprit de sacrifice, par le dévouement, par la charité, par le cœur.

Somme toute, c’est l’égalité.

Et c’est pourquoi l’Église, dans son dogme et dans sa morale comme dans ses sacrements et dans ses rites, n’a jamais établi aucune différence entre l’âme de l’homme et celle de la femme.

C’est pourquoi le Christ éternel reçoit là-haut, sans distinction, les âmes de nos mères et de nos pères, de nos sœurs et de nos frères, de nos filles et de nos fils. Égales, elles sont égales.

Ces deux orphelines que je vous invite aujourd’hui à regarder, ces deux humbles fillettes, penchées modestement sur une tâche vulgaire, ces deux augustes travailleuses sont une preuve vivante de cette doctrine en faveur de l’égalité.

Pauvres enfants ! En une seule semaine, elles ont tout récemment perdu leur père, qui était un brave ouvrier, et leur mère, qui travaillait jusqu’à minuit.

Eh bien ! elles travaillent, elles aussi, et jusqu’à minuit aussi. Rien ne les lasse. De temps en temps elles se jettent un bon regard d’encouragement et d’amour. Puis, à l’aiguille, à l’aiguille. Toujours ! encore !

J’avais un vieux professeur de droit qui nous démontrait qu’au moyen âge la condition de la femme avait été singulièrement relevée par l’Église d’abord ; mais, ensuite, par le travail de la femme elle-même, par sa participation intelligente aux travaux, aux affaires, au commerce de son mari.

Nos deux orphelines n’ont pas entendu les leçons de mon professeur ; mais elles les mettent en action.

Vous verrez que Dieu les bénira, et qu’avant longtemps, l’une et l’autre, dans un petit logis joyeux, seront entourées d’un bon mari content et de charmants petits êtres qui leur tendront les bras, en criant « Maman, maman ! »


C’est moi qui l’ai vu le premier.

On attend le matelot qui est parti depuis deux ans et a fait son tour du monde. Le voyage est tong, et l’attente semble plus longue encore.

Mais, enfin, ce matin, on a signale le grand steamer à l’horizon. La femme et les cinq enfants de Guillaume ont pris leurs habits des dimanches, et se sont rapidement acheminés vers la jetée. Ah comme il bat, comme il bat, le cœur de Françoise !

La jetée est loin, les jambes des petits ne sont pas encore bien vaillantes, et le chemin n’en finit pas. Cette lenteur exaspère Médor qui flaire son maître et qui, las de cette marche à pas comptés, finit par rompre sa laisse et former l’avant-garde. Il court, il saute, il bondit, insensible à tous les appels de Françoise et de ses enfants. Sa queue frétille, son œil brille il sent Guillaume.

C’est lui qui, le premier, aperçoit le gros navire la-bas, font ta-bas. Il aboie, il se jette il l’eau ; il aboie encore, il se rejette à la mer, et prend enfin le parti d’attendre. Mais c’est dur.

Le steamer va vite, il approche, et l’on distingue enfin les passagers et les marins. Le capitaine est a son poste, qui conduit la manœuvre, d’une âme et d’un geste également tranquilles. Médor, tout à coup, fait un grand bond gigantesque et lance en l’air le plus enthousiaste, le plus sonore de tous ses abois.

C’est lui qui a vu Guillaume le premier !

Deux Types féminins.

I. L’Italienne.

Les grands artistes de tous les temps ont idéalisé le paysan, et surtout la la paysanne.

Certes, toutes les campagnardes, même en Italie, ne sont point semblables à cette belle vanneuse de la campagne romaine dont un peintre illustre a popularise la fière allure et la beauté classique.

Mais enfin cette idéalisation, pour être excessive, est mille fois préférable au réalisme abject de nos jours.

Un livre, intitulé la Terre et signé « Zola », a conquis un succès qui décourage vraiment toutes les âmes honnêtes et larges.

On y caricature, on y déshonore le paysan.

Pas une seule vertu rien que des vices. Et quels vices !

Ce livre exhale je ne sais quelle puanteur nauséabonde ce livre est injuste et faux.

Je connais les vrais paysans, leurs travers, leurs défauts, leurs vices même ; mais j’atteste, mais je jure qu’ils valent mieux que les créatures infectes peintes par M. Zola.

Ces travailleurs courageux, qui sont le plus souvent honnêtes, économes, chrétiens ;

Ces gars vigoureux qui ont conquis l’Europe sous Napoléon, et qui auraient conquis le monde ;

Ces femmes ignorantes, mais qui sont d’expertes ménagères, de saintes femmes, de braves mères ;

Tout ce monde de la terre me semble très supérieur aux boulevardiers de Paris qui le raillent et aux romanciers qui le calomnient…

Belle vanneuse italienne, continue ton âpre besogne, travaille, espère, prie ;

Et, surtout, ne lis jamais la Terre

II. La Picarde.

Elle n’est pas charmante, elle n’est pas poétique comme la Romaine dont je viens de vous esquisser l’image. Aux yeux de Dieu, qui voit tout, elle n’est pas moins belle.

Sa journée vient de finir, et a été rude. Quatorze heures de travail !

Le pays qu’elle habite n’a rien d’aimable des champs a perte de vue ; des prairies marécageuses ; des tourbières. Son aspect, comme le dit un géographe contemporain, « est celui d’un plateau légèrement ondulé, sans grands horizons, nu ». Mais ce pays, tel qu’il est, elle l’aime.

Son regard, qui semble perdu dans le vide, est fixé là-bas, tout là-bas, sur un petit monticule chauve, derrière lequel est sa maison. Une hutte.

Encore une demi-heure de chemin, et elle y arrivera, essoufflée et joyeuse « Êtes-vous là, les gas » ? dira-t-elle, et trois gros garçons joufflus répondront soudain à la voix de la mère. Huit ans, six ans, trois ans. Une petite fille dort en son ber, près de la grand’mère qui, parais, dort aussi.

L’homme va venir tout à l’heure : il travaille plus loin, et ne voit sa femme et ses enfants que le soir, très tard.

Brave Picarde, qui tout à l’heure vas faire ta prière (pas longue, oh non, pas longue, mais candide et bonne) ; brave Picarde, qui nourris toute ta famille à la sueur de ton noble front, et qu’on verra dimanche à l’église en jupon neuf et coiffe blanche ;

Je t’admire autant que ! a belle fille du Transtevere, dont je parlais tout à l’heure, et je salue en toi cette femme française, qui est, à mon sens, la plus vaillante et la plus accomplie de toutes les femmes.

Que les Anglaises se le disent.


Religieuse blessée.

La scène représente un champ de bataille, au soir du grand combat. La nuit tombe au milieu de ces horribles cris des mourants qu’on ne saurait oublier, quand on les a une fois entendus.

En se penchant sur un blessé, la Sœur de Saint-Vincent vient, elle-même, d’être blessée.

Elle souffre cruellement, mais se tait et offre à Dieu son angoisse.

Un tel spectacle est fait pour provoquer plus d’une réflexion utile.

Depuis un certain temps, on ne cesse de conseiller aux catholiques de faire à leurs adversaires quelques concessions… légères.

C’était, l’autre jour, M. Renan, qui, de sa voix douceâtre, nous demandait de consentir tout simplement au sacrifice du culte de la Vierge.

Et c’était, le lendemain, un illustre romancier qui avait la bonté de ne nous réclamer que le sacrifice de la divinité du Christ.

Braves gens, cours naïfs !

Si nous nous avisions de leur faire ces « petites » concessions, savent-ils seulement ce qui arriverait ?

Il arriverait que l’excellente religieuse, dont le dévouement est fait pour exciter une si légitime admiration, ne se serait pas dévouée de cette façon, ni à ce point.

Il arriverait qu’il n’y aurait plus, ici-bas, ni sœurs de charité, ni charité.

Ces saintes filles, sachez-le bien, sont principalement soutenues en leur tâche sublime par la pensée de l’Homme-Dieu, par la pensée de sa Mère ;

De l’Homme-Dieu, qui nous offre le type incomparable de la souffrance volontaire,

Et de sa Mère, type de toute virginité, et qui a tant souffert de voir souffrir son fils.


Ils étaient trois petits Enfants.

Ils étaient trois petits enfants, qui s’en allaient glaner aux champs.

Pour pauvres, ils étaient pauvres, et la vérité m’oblige à ajouter qu’us n’étaient pas plus beaux qu’ils n’étaient riches. Raphaël, assurément, ne les aurait pas choisis pour les modèles de ses célestes madones ni de ses « saint Jean » qui sont presque trop jolis.

Ils étaient trois petits enfants, qui s’en allaient glaner aux champs.

La glane est une des plus belles institutions qui aient jamais honoré l’espèce humaine. Laisser tomber des épis, tout exprès, afin que les pauvres les recueillent c’est ce que ne font pas tous les riches ; mais c’est ce que tous devraient faire. À nos trois petits on a permis de glaner. Quel bonheur !

Ils étaient trois petits enfants, qui s’en allaient glaner aux champs.

Les voilà bien fatigués, nos petits glaneurs, et leurs yeux harassés contemplent vaguement, l’horizon. Ils ont soif, ils ont faim. Ils ont besoin de pain, d’eau fraîche, surtout d’amour. Voyons, voyons, n’y a-t-il pas quelqu’un qui leur voudrait faire une aumône ? « Pour nos trois glaneurs, s’il vous plaît ? »

Ils étaient trois petits enfants, qui s’en allaient glaner aux champs.

Donc, ils se lèvent et s’en vont. Près d’un grand château ils arrivent, sur une longue pelouse verte, avec de belles fleurs rouges ça et là, à l’ombre d’un chêne qui est vieux de cent ans. Soudain, du château sortent trois beaux enfants blonds. Trois petits riches, près de trois petits pauvres.

Ils étaient trois petits enfants, — qui s’en allaient glaner aux champs.

Les « heureux » vont au-devant des « déshérités », les saluent, les embrassent, leur offrent leur propre goûter qui est exquis, les embrassent encore, les consolent avec mille tendresses et les remettent sur leur chemin en leur disant : « Nous vous aimons bien. »

Ils étaient trois petits enfants, — qui s’en allaient glaner aux champs.

Si tous les riches d’ici-bas en faisaient autant que nos trois blondins, s’ils se penchaient ainsi vers tous ceux qui souffrent, s’ils donnaient, s’ils aimaient, il n’y aurait plus chez nous ni révolutions, ni haine sociale, ni dynamite. Et telle sera, si vous le voulez bien, l’humble moralité de cette chanson en prose.

Ils étaient trois petits enfants, — qui s’en allaient glaner aux champs.


Un Sauveteur.

C’est lui, c’est cet enfant qui vient, très crânement, de risquer sa vie pour sauver celle de sa sœur. Un héros de sept ans !

De tels héroïsmes ne sont pas rares parmi les enfants du peuple. Je n’entends pas incriminer les autres ; mais il faut bien reconnaître que les pauvres, fort heureusement, n’ont pas le loisir de gâter leurs enfants. Ils ne les élèvent pas, ils ne sauraient les élever « dans du coton », et les livrent de bonne heure aux risques et aux combats de la vie.

Combien de fois n’avons-nous pas rencontré, dans la rue, de petites filles de cinq ans, hâves et maigres, portant dans leurs bras quelque baby de dix mois, auquel elles servent vaillamment de mère ? Le fardeau paraîtrait lourd à nos bras ; mais la petiote ne s’en soucie guères et va son train.

Il y a là une grande leçon et dont nous ne savons pas profiter. Nous avons imagine pour nos enfants une éducation physique et morale qui n’est pas faite pour les rendre virils. Nous craignons pour eux le chaud, le froid, le vent. « Pas de courants d’air » : tel est le résumé et le programme de cet étrange système d’éducation à la moderne. Si vous croyez en faire des héros, vous vous trompez étrangement, pauvres mères, et vous n’obtiendrez de la sorte que de petits crevés et des « mijaurées ».

Nos pères ne l’entendaient pas ainsi. Leur éducation était de fer mais ils fabriquaient des hommes.

Faisons comme les pauvres, faisons comme nos pères.

Un peu plus de pain sec ; un peu moins de confitures !


Gros Jean et son Curé.

Vous connaissez la fable de La Fontaine : elle est d’une portée immortelle, mais surtout « actuelle ».

Où est aujourd’hui le paroissien qui ne s’imagine pas en savoir plus que son curé ?

Voici d’abord M. le Maire. Il est froid, administratif, correct : « Je vois, dit-il au bon prêtre, que vous ne connaissez ni la Constitution de l’an VIII, ni le Décret de fructidor. » Puis, un soupir.

Voilà M. le premier Adjoint : « Ah ! monsieur le Curé, vous me paraissez ignorer la nouvelle loi sur les syndicats. » Nouveau soupir.

Le second Adjoint est plus modeste : — « Mais enfin, dit-il, j’ai fait mon droit. »

Le président de la fabrique est médecin : « Mon cher Abbé, vous n’entendez rien à la Pathologie nouvelle. »

Il est inutile de dire que le pharmacien sait tout.

Le bedeau lui-même est arboriculteur, sylviculteur, viticulteur, apiculteur, etc., etc. « Monsieur le Curé, s’écrie-t-il avec componction, ne me semble pas comprendre les exigences de la science moderne. »

Hélas ! hélas ! Le Curé, mes pauvres amis, connait la Science des sciences ;

Il sait l’Évangile ; il est l’Apôtre.

Et vous n’êtes, vous, que Gros Jean, tout court.


L’Écrivain public.

Les écrivains publics, en France et surtout à Paris, deviennent de moins en moins nombreux. Quand toutes les femmes seront institutrices, quand tous les hommes seront instituteurs, il n’y aura plus chez nous de scribes en plein vent. Mais, de bonne foi, en saurons-nous mieux écrire ?

Je la vois encore, je la vois d’ici, l’échoppe du petit écrivain public. C’était une baraque en bois, mal défendue contre la bise, et où le pauvre calligraphe grelottait en hiver, grillait en été.

Qu’importe ! La boutique était bien achalandée. La clientèle se composait surtout de bonnes et de militaires.

On se figure trop aisément qu’on n’y écrivait que des lettres d’amour. L’erreur est profonde.

Le conscrit venait là, et disait au scribe populaire : « C’est que je voudrais bien écrire au vieux père qui est là-bas. – Où, là-bas ? — Au village, donc. — Quel village ? — Eh Chassagne, donc, en Auvergne. — Et que veux-tu lui dire, au vieux père ? — Dame ! que je pense bien à lui, et que l’argent manque un peu. Mais faut pas qu’il s’en prive. »

La fillette venait là, et, à voix basse « Écrivez à la mère qu’on se conduit. bien, qu’on n’oublie pas le bon Dieu, et qu’on lui envoie vingt francs pour qu’elle s’achète une robe bien chaude, cet hiver. »

Le vieillard venait là, et, d’une voix chevrotante : « C’est les enfants qui sont partis au pays, le mois dernier, et qui n’ont pas encore donné de leurs nouvelles. Les jeunes ménages, ça n’écrit guère ; mais je voudrais être sûr qu’il ne leur est pas arrivé malheur. »

Ah ! si l’on connaissait toutes les lettres touchantes, affectueuses, chrétiennes, qui ont été écrites dans ces pauvres échoppes d’écrivains publics

Un souvenir me revient à l’esprit, et il se rapporte à ce chef-d’œuvre, encore trop peu célèbre, à cette incomparable Lettre de Jean, de Paul Féval, que mes lecteurs, j’en suis sûr, connaissent et admirent.

Hélas ! l’auteur de ces deux pages, qui méritent vingt fois d’être immortelles, le cher Féval n’est plus là. L’œuvre restera pour son plus grand honneur, pour le bien des âmes… et à la gloire des écrivains publics.


Une Martyre.

Elle est toute jeune encore seize ans !

Son père a été broyé sous la dent des tigres en ce même amphithéâtre où elle va mourir ; sa mère y est morte hier.

Cette rose effeuillée qu’elle a laissé tomber, c’est le dernier présent de cette mère admirable qui, de son dernier geste, lui a montré le ciel où règne le Christ, le ciel où elle va monter.

Elle ne tremble pas, et ces fauves énormes ne l’effraient point. Il semble même qu’elle n’y prête pas la moindre attention. Sa pensée et ses yeux sont ailleurs.

Où son regard est-il fixé ?

C’est sur ce bel enfant de dix ans qui est là-bas, au vingtième degré du cirque ; c’est sur son frère qui est le seul reste de toute sa famille.

Et ce regard semble lui dire « Sois chrétien, sois toujours chrétien. »

Quant à elle, son âme est semblable à celle de notre sainte Blandine « qui fut attachée à un poteau et suspendue par les bras en forme de croix pour être déchirée par les bêtes ; mais qui, revêtue de force par le Roi des martyrs, conquit enfin, dans une lutte glorieuse, une couronne immortelle. »

Les fauves rugissent ; ils flairent leur proie, ils vont déchirer ces chairs virginales… Ô martyre inconnue, priez pour nous.


L’Angelus.

Il n’est pas un de vous qui n’ait entendu parler de ce fameux tableau « qui s’est vendu cinq cent cinquante mille francs. » Plus d’un demi-million !

Là-dessus, les avis se sont partagés. Les uns ont applaudi (peut-être un peu trop bruyamment) les autres se sont mis en colère, mais là, pour tout de bon, et ont protesté, avec des cris perçants, contre le scandale d’une telle surenchère.

Je ne saurais vraiment donner raison, ni à ceux-ci,… ni aux autres.

Seulement j’observe que personne ne se plaint parmi nous du « Grand Prix de Paris », qui est de cent mille francs, et s’élève parfois au double ou au triple de cette forte somme. Le tout pour un cheval de belle race et pour un jockey heureux.

Un tableau comme l’Angelus est une œuvre qui honore souverainement l’intelligence humaine, et ce n’est pas, après tout, un mauvais symptôme que le prix, peut-être excessif, auquel on le cote. La décadence n’est pas là.

Toutes les fois que l’on rend sainement justice à l’activité et au génie de l’homme, il convient aux chrétiens de se réjouir. C’est ce que nous faisons volontiers, mais en avouant humblement que nous n’aurions pas acheté l’Angelus à un tel prix.

Cet Angelus, vraiment, est admirable, et j’écris ces quelques lignes en contemplant la belle eau-forte de Waltner, qui en est l’interprétation la plus exacte et la plus vivante.

Je crois avoir dit quelque part que l’œuvre de Millet était plus « religieuse » a que toutes les Saintes Familles de Raphaël. Si je l’ai dit, je maintiens mon dire.

La scène est des plus simples. Au milieu d’une grande plaine qui n’est point belle, deux paysans, qui ne sont point beaux, s’arrêtent tout à coup au milieu de leur travail qui est humble, en entendant la cloche de leur paroisse qui sonne l’Angelus.

Ils s’arrêtent, et ils prient.

Ah ! par exemple, ils prient bien, ils prient profondément, et c’est dans ces deux têtes baissées qu’est tout le prix du tableau.

Ces deux pauvres gens, l’homme et la femme, travaillent depuis plusieurs heures, courbés sur la terre noire et semblables à ces créatures déshéritées dont Labruyère a parlé en termes si brutaux.

Ils prient, et les voilà transfigurés.

Labruyère était un grand écrivain et un observateur délicat ; mais, en dessinant le portrait de ses paysans, il a oublié qu’ils priaient. Il n’a pas songé à l’Angelus.

Un de mes amis, qui a beaucoup connu Millet et s’apprête à publier un recueil de ses lettres, me lisait hier une de ces lettres qui sont presque sublimes à force de simplicité. Celle où il parle de son Angelus m’a particulièrement ému.

C’est bien en effet l’intensité de la prière que le grand peintre a voulu rendre, et il déclare nettement qu’on ne comprend rien à son œuvre, si on ne la comprend pas ainsi.

La prière est, en quelque façon, le résumé du monde. Dieu et l’homme s’y rencontrent l’homme pour affirmer Dieu, Dieu pour bénir l’homme.

Sans doute, tes deux paysans de Millet ne se disent pas ces choses sous une forme aussi philosophique ; mais ils les disent à leur manière, qui est pratique et vaut mieux…

Décidément je fais concurrence à l’Amérique, et j’achète l’Angelus six cent mille francs.


La Dernière Étape de Coco.

Pour le coup, Coco est mort.

Il y a vingt-trois ans qu’il était au service des pauvres saltimbanques qui perdent en lui leur suprême ressource, leur ami.

Oui, leur ami ; et, si vous regardez attentivement le visage consterné du chef de la troupe, vous verrez une grosse larme couler lentement sur sa vieille joue ridée.

Il était si bon, Coco ! Et si sobre ! Il ne mangeait pas tous les jours ; mais il en avait pris l’habitude et ne se plaignait jamais.

Puis, il adorait les enfants et les laissait volontiers monter sur sa croupe qui, pourtant, n’était pas si vaillante que celle du grand cheval Bayard dans les Quatre fils Aymon. Pauvre Coco !

Maintenant, que vont-ils faire ? Que va devenir la troupe ?

Bah ils s’attelleront à la carriole, et la tireront jusqu’à la ville. Mais demain, mais après-demain ? Le père n’est plus solide, les enfants ne le sont pas encore.

Acheter un autre cheval ? Il n’y faut point penser. Et puis, y a-t-il en ce monde, y a-t-il un cheval qui vaille Coco ?

Est-ce que, parmi tous les passants, il ne se trouvera pas une bonne âme qui aie pitié de ces braves gens ?

« Ce sont des saltimbanques », dira-t-on. Et je vois la moue railleuse que feront ces jeunes gens, ces jeunes filles, en passant tout à l’heure devant la carriole immobile, devant Coco mort.

Eh ! sans doute, ce sont des saltimbanques, des misérables, des « meurt de faim ». Mais ce sont des créatures humaines, et, vive Dieu, nous sommes des chrétiens.

C’est pour eux, comme pour nous, que le Christ, le Verbe de Dieu fait homme est descendu sur la terre c’est pour eux qu’il est mort ; c’est à eux qu’il nous ordonne de faire du bien.

Allons, allons, chrétiens et chrétiennes, mettez la main à la bourse. Voici qu’un voyageur organise une souscription à l’improviste, et vous tend son chapeau ; jetez-y vos économies, toutes vos économies.

Il y aura demain, grâce à vous, un autre Coco à la carriole ;

Mais on n’oubliera jamais l’autre.

Adieu, adieu, pauvre Coco !

Le Passeur.

On attend le passeur : « Hohé ! passeur, hohé ! »

C’est chose étonnante comme tous les les passeurs se ressemblent. Ils savent, madrés, qu’on ne saurait leur faire concurrence, et ne se pressent que lentement.

Pourtant c’est un joli métier, quoiqu’un peu monotone et fatigant dans les mauvais jours. Mais les passagers sont si curieux à observer.

Tantôt, comme aujourd’hui, ce sont de belles vaches qui flairent l’eau de leurs gros mufles noirs et ne perdent rien de leur quiétude philosophique.

Tantôt, comme hier ; c’est une noce de village avec de joyeux ménétriers qui éveillent l’écho de toutes les collines, et l’on entend les mariés qui se disent l’un à l’autre « Si tu tombais à l’eau, je te sauverais… ou mourrais avec toi. »

Tantôt enfin, ce sont des pauvres qui n’ont pas un liard vaillant, et que le batelier conduit gratis d’un bord à l’autre du grand lac « Priez pour moi, braves gens, et je ne serai que trop bien payé. »

On attend le passeur « Hohé ! passeur, hohé ! »


Le Récit de la Grand’Mére.

« Il était une fois…

— Oh ! oui ! grand’mère, contez-nous une histoire.

— Et quelle histoire, mes enfants, voulez-vous que je vous conte ?

— Le Petit Poucet, grand’mère, ou le Petit Chaperon rouge. C’est si beau !

— Hélas ! mes chers petits, je ne sais pas un seul Conte de fées, et je vous dirai même (mais tout bas, tout bas) que je n’ai jamais pris goût à toutes ces menteries.

— Oh ! grand’mère !

— Non, mes enfants, et j’estime que ces Contes ne sont pas faits pour vous. Toi, Pierre, tu seras laboureur comme ton Bad brave homme de père ; toi, Jeanne, tu mènes les vaches aux champs et les mèneras toute ta vie, comme ta brave femme de mère, qui est ma fille et que je chéris tendrement.

— Mais alors, grand’mère ?

— Alors, j’aime mieux vous raconter des histoires vraies. Asseyez-vous près de moi et écoutez bien. Je vais vous raconter (pour Pierre surtout) l’histoire de saint Isidore le laboureur, qui vit un jour les Anges l’aider dans son labour et conduire sa charrue ; je vais vous raconter (pour Jeanne, celle-là) l’histoire de cette petite bergère qui s’appelait Germaine Cousin et dont les loups respectaient le troupeau.

— Et c’est amusant, grand’mère ?

— Vous allez voir. Je commence. »

… Laissons la grand’mère commencer son récit, qui va bientôt charmer le cher petit auditoire, et tirons, pour notre profit ; quelque enseignement des paroles si simples de cette vraie chrétienne.

Pourquoi nous obstiner, dans l’éducation de nos fils et de nos filles, à nourrir ces belles petites âmes de chimères ? Alors que nous avons sous la main toute l’Histoire de l’Église et toute l’Histoire de la France, pourquoi leur faire uniquement subir le Chat botté et Barbe-Bleue ?

Est-ce que nos Anges ne valent pas les fées ? Est-ce que nos Saints ne sont pas plus vivants et plus beaux que tous les magiciens et tous les enchanteurs ? Est-ce que nos héros chrétiens, est-ce que nos martyrs, est-ce que notre saint Louis et notre Jeanne d’Arc ne nous donnent pas de plus hautes, de plus pratiques, de meilleures leçons ?

Vous avez raison, grand’mère, de narrer à ces petits saint Isidore et sainte Germaine. Nous vous promettons de faire comme vous.

Et, veuillez le remarquer, grand’mère : c’est un grand-père qui vous en fait le serment.


Pendant la Messe.

Il y a, en France, plus de trente-cinq mille communes, et, dans la plupart d’entre elles, il y a une église.

Une église ! Y pense-t-on assez ?

Une église, c’est-à-dire un Autel où s’offre, tous les jours, le grand sacrifice qui expie les péchés du monde ; un Tribunal où le pécheur avoue ses fautes et où le prêtre les pardonne ; une Chaire, enfin, où la vérité, où toute la vérité est lumineusement enseignée aux plus ignorants, aux plus petits, à tous.

Vous voyez bien qu’on n’y pense pas assez, et que vous n’y aviez peut-être pas songé vous-mêmes !

C’est la gloire du Christianisme d’avoir placé, au centre du plus humble village, ce foyer incomparable de charité et de lumière.

Les paganismes antiques possédaient, dans les grandes cites, de superbes temples ; mais ils ne se sont jamais élevés jusqu’à l’incomparable conception de cette Paroisse catholique qui est un petit monde ou qui, pour mieux parler, est le monde en abrégé.

Il en est ainsi de ce Bouddhisme qu’on essaie aujourd’hui de remettre en gloire et de toutes ces religions devant lesquelles on prétend abaisser la nôtre.

Contemplez, dans cette petite église de village, ces braves visages de chrétiens. Quel recueillement, quelle élévation, quel élan vers le grand Dieu unique qui est cieux, et vers son fils, Jésus, qui nous a baignés dans son sang libérateur !

Chères églises de campagne, où j’ai entendu si souvent de ces humbles discours qui sont véritablement supérieurs aux plus belles pages des plus grands philosophes,

Je vous salue, et je souhaite, après avoir prié sous vos voûtes, dormir un jour à l’ombre de vos murs bénis.


Le Charme.

J’ai là, sous les yeux, une image naïve qui représente au naturel un charmeur de serpents.

Les serpents sifflent, ils se démènent, ils s’enroulent en d’affreux zigzags, ils se dressent, ils menacent. N’en ayez cure ils sont « charmés ».

En contemplant ce spectacle qui ne vous rassure pas assez complètement, il me vient une idée que je veux vous communiquer.

C’est que, vous et moi, nous n’aurons pas sans doute l’occasion de vivre au milieu de tant de serpents ; mais que nous vivons, hélas ! au milieu de certains hommes qui ne valent guères mieux que les serpents.

Eh bien ! je vais vous donner le secret du grand charme, du charme souverain qui vient à bout de toutes les ingratitudes, de toutes les méchancetés, de toutes les perfidies humaines.

Ce charme vainqueur, c’est la Bonté.


Dynamite.

Dynamite à droite, dynamite à gauche, dynamite toujours, dynamite partout.

J’ai voulu voir, j’ai vu une des maisons contaminées. Comme je passais devant, on était occupé à en extraire les boiseries atteintes par l’engin fatal. Elles étaient en miettes.

L’escalier effondré, la rampe brisée, un trou béant sur le palier du second étage ; partout, enfin, l’aspect d’une maison qui viendrait, en temps de siège, d’être crevée par les obus de l’ennemi : tel est le triste spectacle qu’il m’a été donné de contempler… et que je reverrai peut-être.

Ce n’est pas l’ennemi, cependant, qui est l’auteur de ces ruines, et il est probable que ce sont des mains françaises qui ont agencé cette cartouche, qui ont allumé cette mèche, qui ont savamment préparé cette épouvantable explosion.

La catastrophe, par bonheur, n’a pas. répondu aux désirs de ceux qui l’avaient si habilement préparée. Il n’y a pas eu de morts.

C’est une vraie déconvenue pour les dynamiteurs ils espéraient mieux. On s’est demandé la raison de tous ces attentats, et des journalistes sceptiques, mais de bonne volonté, ont adressé aux anarchistes cette question à brûle-pour-point (brûle est de circonstance) : « À quoi tout cela peut-il bien vous servir ? »

L’un d’eux, et le plus spirituel de tous, a ajouté fort justement « Est-ce que de telles dynamiteries donneront un bouillon de plus à un seul malade, un croûton de plus à un seul affamé, un verre de vin à un seul travailleur ? »

La question était embarrassante mais nous savons trop bien, hélas ce que nos dynamiteurs ont dû répondre en dedans d’eux-mêmes « Nous détestons l’ancien monde et le voulons détruire. »

La haine du passé, de tout le passe, voilà ce qui arme ces bras coupables, ces mains fratricides. L’espoir de fonder un monde nouveau ne vient qu’en second lieu.

La vraie cause, c’est qu’on ne croit plus en une autre vie où sera éternellement rétabli l’équilibre entre les riches et les pauvres, entre les grands et les petits.

C’est que notre société telle qu’elle est constituée, semble décidément révoltante a ces déshérités qui ne sont plus des croyants.

C’est qu’à défaut de l’équilibre céleste, auquel ils n’espèrent plus, ils veulent établir ici-bas l’égalité des jouissances.

Ils en ont assez des Principes de 89 et des Droits de l’homme : « Tout ça, disent-ils, c’est des mots, » et il leur faut des réalités.

Alors, en avant la dynamite !

Une société sans Dieu arrive fatalement à la putréfaction ou à la dynamite.

Quelquefois aux deux.


Famille ancienne, Famille moderne.

Voici un charmant spectacle et qui repose l’âme : toute une famille groupée autour du père et l’enveloppant de son amour comme d’une atmosphère lumineuse et chaude, comme d’une auréole. Moi qui vous parle, j’ai connu cette joie, et j’avais l’autre jour à ma table quinze convives la mère, les sept enfants, les deux gendres et les quatre petits-enfants. Le plus vieux de ces convives (c’était moi) avait soixante ans, et le plus petit six mois. Oh ! la belle couronne !

Il est certain que rien encore n’a pu détruire en notre chère France l’amour de la famille, ni les doctrines éhontées de quelques sectaires, ni l’abaissement de la foi, ni le fol amour du bien-être, ni le théâtre, ni le roman. Malgré tant d’éléments délétères, il y a encore chez nous des milliers de familles où l’on s’aime.

La famille moderne, s’il faut tout dire, a même quelque chose de plus gracieux a l’œil, de plus élégant, de plus riant que la famille antique.

Mais c’est ici surtout qu’il faut aller au fond des choses, et ne se point contenter d’un premier regard.

Nos pères étaient certainement plus sévères, et, pour lâcher le grand mot, gâtaient moins leurs enfants.

D’abord ils en avaient davantage, et n’avaient pas le temps de se perdre en ces câlineries qui sont parfois efféminantes.

Puis, ils avaient une foi plus vive en l’autre vie et préféraient voir mourir leurs enfants, très aimés cependant, plutôt que de les voir « tourner à gauche ». C’est de ce dernier mot qu’ils se servent le plus volontiers dans tous les « Livres de raisons » qui sont parvenus jusqu’à nous.

Ces admirables parents ne sacrifiaient jamais l’âme à la santé, et la peur d’un rhume ne les induisait pas en ces concessions sans nombre, en ces dangereuses capitulations et gâteries qui sont le caractère de l’éducation moderne.

Ils aimaient leurs enfants virilement, austèrement, chrétiennement.

Chose qui stupéfierait les mères et même les pères modernes, on ne laissait pas, en ce temps-là, les enfants parler à table, et on les faisait déloger au dessert. Croyez bien qu’ils n’en digéraient que mieux.

Surtout on les dressait à l’obéissance, et je dois avouer en rougissant qu’on n’était pas sans leur donner le fouet de temps en temps. Je vois d’ici l’indignation de « Monsieur, Madame et Bébé », et celle aussi de ces beaux Messieurs qui écrivent de gros livres pour montrer qu’il faut toujours « prendre l’enfant par le sentiment » et transformer l’éducation en une fête. Théoriciens, va !

Les enfants avaient, je le confesse, quelque peur de leurs parents ; mais ce serait mentir à l’histoire que de s’imaginer qu’ils les aimaient moins.

J’ai vu des hommes de soixante ans qui tremblaient encore devant un reproche de leurs mères, mais qui avaient pour ces terribles mamans un amour d’une tendresse et d’une profondeur que le nôtre ne surpasse pas.

Cette rude éducation faisait des hommes.

En pourrions-nous dire autant de la nôtre ?


Au Cimetière.

Si les choses continuent à aller du train dont elles vont, on n’enterrera plus on brûlera. Au vingtième siècle il n’y aura plus de tombeaux, mais des urnes.

L’avenir est à la Crémation.

Eh bien ! les chrétiens protestent et ne se lasseront pas de protester.

Ils protestent au nom de leurs dix-neuf siècles de tradition constante, d’invariable coutume, de loi consacrée par l’Église.

Ce n’est pas, certes, qu’il en coûtera davantage à notre grand Dieu de ressusciter un jour nos corps brûlés que nos corps enfouis. La Toute-Puissance ne compte pas avec ces détails.

Mais c’est que nous voulons, a tout prix, garder nos rites chrétiens des catacombes, des basiliques et de nos chers cimetières de tous les âges.

C’est aussi que l’inhumation nous donne de la mort l’idée austère, l’idée terrible que nous devons en avoir.

L’urne est un « enjolivement » de la mort, et elle est visiblement faite pour en atténuer l’horreur salutaire.

L’urne est païenne.

Les premiers chrétiens n’en ont pas voulu nous n’en voulons pas.


Une Histoire de Charbonnier.

Tout le moyen âge a retenti de la fameuse histoire de Girard, duc de Bourgogne, qui, vaincu par l’empereur Charles, en fut un jour réduit à « porter le charbon » s. Pas même charbonnier « en chef », mais, hélas ! simple valet de charbonniers.

Ce Girard était une âme violente, farouche, affolée par l’orgueil. Dieu lui envoya la Douleur il fut sauvé.

Pendant je ne sais combien d’années, on vit ce duc altier, qui se croyait l’égal des rois, on le vit travailler de ses mains comme le dernier des manœuvres. Il frémissait en lui-même, il se révoltait contre sa destinée, il rugissait ; mais il baissait la tête, mais il travaillait.

Quand il se rappelait le temps passé, quand il songeait a ces beaux tournois où les dames saluaient les chevaliers vainqueurs à ces superbes et sanglantes batailles où l’on avait, durant quinze heures, la lance au poing, le sang aux mains, la rage au cœur ; à son château qu’il aimait tant, à sa maisnie, à son bonheur pour toujours disparu

Quand ces souvenirs lui traversaient le cœur, il ne pouvait se défendre d’une émotion profonde. Et il pleurait, le pauvre vieux duc, il pleurait à chaudes larmes.

Dieu, cependant, lui avait réservé une consolation et un appui la plus douce des consolations, le plus puissant des appuis. Vous l’avez deviné, — c’était sa femme.

Berthe était une chrétienne et ce seul mot suffit pour peindre une grande âme.

Elle était fille d’empereur et femme de duc ; elle avait porté jadis des robes brochées d’or et, sur ses cheveux blonds, une couronne ou étincelaient les rubis et les émeraudes.

Mais, voyant son mari malheureux, elle avait voulu être malheureuse avec lui. Le voyant charbonnier, elle s’était faite couturière. Et « Berthe la couturières » tirait l’aiguille auprès du vieux Girard, auprès de ce charbonnier qui avait été naguères un duc suzerain.

Pendant que nos femmes cousent, elles peuvent parler, et quelques-unes dit-on, en abusent ; mais Berthe n’était pas de celles-là, et ne parlait guère que pour prêcher à son mari la résignation, l’humilité, la douceur ;

Si bien qu’un jour, elle finit par jeter le vieux Girard sur le cœur de Dieu et entre les bras de l’empereur Charles. Elle le réconcilia, du même coup, avec la terre et avec le ciel.

Ô femme chrétienne, je te reconnais là ; ô femme chrétienne, je te salue.

Tu es notre conseil dans nos heures de doute ; notre bon sens dans nos heures de folie ; notre consolation dans nos heures de tristesse. Ton tranquille sourire n’est pas seulement le charme de nos yeux, mais la règle de notre vie et le relèvement de notre âme.

Ce qu’était Girard le charbonnier près de Berthe la couturière, nous le sommes tous plus ou moins près de la femme chrétienne. Convertisseuses immortelles, Berthes de nos foyers, je vous bénis et je vous aime.


Le vieux Savant.

Il est aujourd’hui de bon ton, parmi nous, de se moquer des « vieux » mais surtout des vieux savants.

On se les figure avec une face parcheminée, des regards éteints, une physionomie ravagée. Et les « jeunes » passent en riant devant ces ruines.

Eh bien ! je me persuade, moi, que ce sont les jeunes qui sont vieux, et (mille pardons !) que ce sont les vieux qui sont véritablement jeunes.

Ces adolescents, ces éphèbes de vingt, ans, qu’ont-ils fait, et que veulent-ils faire ? Où va leur ambition ! À quels sommets aspirent-ils ?

Ce qu’ils souhaitent, je m’en vais vous le dire « Cinquante ou cent bonnes mille livres de rentes, une belle dot, et d’être députés… si on le désire. »

Ce vieux savant ridé, lui, a fait son devoir. Il aime la vérité, il lui a voué sa vie. C’est à lui que l’on doit cette belle découverte sur les ruines de Babylone qui confirme si lumineusement l’inspiration de la Bible.

Ce vieux savant ridé a élevé mille intelligences, il a sauvé mille âmes. Je le trouve jeune.


Un Paysage des Vacances.

C’est là, c’est à l’ombre de ces beaux châtaigniers, c’est sous ce ciel riant que vous serez avant un mois ; c’est là que vous « coulerez » vos vacances. Permettez-moi de m’en réjouir pour vous… et de vous donner un bon conseil par-dessus le marché.

Ce conseil, le voici : « Prenez vos vacances au sérieux. Ne faites rien. »

Je m’indigne, je m’emporte tous les jours quand je vois tant d’excellentes gens partir en vacances avec d’énormes caisses… qui sont pleines de livres.

« Eh ! pourquoi tant de livres, brave homme ? Pour mieux travailler », répond l’infortuné. Et il ajoute, pauvre victime d’un préjugé féroce : « C’est pendant mes vacances que je travaille le plus. »

Tel est le cas, et c’est ce que nos savants appellent aujourd’hui le « surmenage ». On en meurt.

Pauvres jeunes filles qui vous préparez au brevet supérieur, pauvres jeunes gens qui vous destinez à Saint-Cyr ou à « Normale », et vous aussi, jeunes poètes qui aspirez à la gloire, Il y a des heures où la paresse est le plus sacré des devoirs. Croyez-m’en : reposez-vous.

Au nom de vos mères, au nom de la science, au nom de votre avenir lui-même, humez le frais sous ces arbres, et dormez.


La Belle et la Bête.

Devant la cage où sommeille le lion énorme, la petite fille s’est arrêtée. Surprise, émue, peureuse.

La bête se réveille lentement, se détire majestueusement, et fixe son grand regard morne sur ce petit être frèle qui le contemple avec une admiration mêlée d’horreur.

Il serait curieux de savoir ce que se disent, en eux-mêmes, ces deux interlocuteurs également silencieux. Vous l’ignorez, n’est-il pas vrai ? mais je sais lire, moi, dans ces grimoires où vous ne voyez rien, et je vais vous traduire en bon français ce dialogue muet :

Le Lion. — J’ai faim.

La Petite. — J’ai peur.

Le Lion. — Cette enfant est bien maigre.

La Petite. — Ce lion est bien fort.

Le Lion. — Je m’en contenterais pour mon déjeuner, hors-d’œuvre.

La Petite. — S’il n’y avait pas les barreaux, il me mangerait, bien sûr. Oh ! les grosses pattes qu’il a !

Le Lion. — Malheureusement, il y a les barreaux. Allons, allons, je luis fais grâce… à cause de sa mère.

La Petite. — J’ai peur.

Le Lion. — J’ai faim.

Là-dessus la petite s’en vu plus vite qu’elle n’était venue, et le bon lion se rendort, la conscience tranquille, en passant sa langue rose sur la blancheur de ses dents.

Mais où est, direz-vous, la moralité de cette histoire ?

La moralité ? La voici. C’est qu’on est quelquefois honnête par nécessité ;

Mais qu’il vaut mille et mille fois mieux l’être librement et par vertu.


La Croix et le Drapeau.

Croyant peut-être nous attrister, ils ont, l’autre jour, accroche à la croix du Panthéon le noble drapeau de la France.

Ils se trompent ce drapeau est la dans son élément. Il y a quatorze siècles que la croix et le drapeau français se connaissent ; il y a quatorze siècles qu’ils s’aiment.

Le premier drapeau de la France fut une relique flottante de saint Martin ; le second fut la bannière des Papes, et le troisième l’oriflamme de Saint-Denis. La croix toujours, la croix partout.

En beaucoup de petites églises de campagne. la croix du clocher est ornée d’un drapeau ou d’une flamme tricolore. Tant qu’il en sera ainsi, je ne désespérerai pas, de mon pays.

Un jour, j’étais à Berne. C’était le 15 août, au temps du second empire ; c’était la fête de la France.

Les catholiques de Berne n’avaient alors qu’un taudis pour église mais devant le tabernacle, ils avaient eu ridée de placer, sur l’autel même, le drapeau, le noble drapeau de la France. Et je me disais « Tant que ces trois couleurs défendront le tabernacle, le tabernacle n’a rien à craindre. »

Les temps, hélas ont bien changé. Et, cependant, je me tiens encore le même langage,

Et je m’entête à espérer toujours !


À propos d’une certaine Comédie.

Sous ce titre : La Parisienne, M. Becque a fait naguères représenter, au Théâtre-Français, une comédie qui constitue, a nos yeux, une véritable offense envers les femmes de Paris. M. Becque a certainement eu la prétention de nous offrir un type où il a voulu condenser toute l’essence de la Parisienne… et ce qu’il nous a offert, c’est une « inconsciente » a qui fait le mal sans songer a mal, une coquine, un monstre.

Mais enfin ces messieurs, où l’ont-ils étudiée, la Parisienne ? Ils se piquent de philosophie, ces boulevardiers, et surtout d’observation, de profondeur, de finesse. On les voit à tout instant ouvrir leurs carnets et prendre des notes « psychiques ». C’est le cas de leur demander où sont leurs modèles, où sont leurs « sujets » ? De grâce, qu’ils nous les montrent.

Qu’il y ait à Paris de la pourriture, j’y consens, et il n’en pourrait guère être autrement. Mais comme nous le disait l’autre jour un vieillard qui a fait de longs voyages il ne faut jamais juger d’un peuple par sa capitale. J’ajouterai qu’il ne faut pas juger d’une capitale par ses égouts.

Il y a à Paris plusieurs cents milliers (je dis plusieurs cents milliers) de femmes honnêtes, pures, dévouées, parfois héroïques, toujours admirables. Telle est la vérité, et il n’y a qu’au boulevard qu’on ne la voit pas.

Il y a la femme de l’ouvrier, la femme de l’humble employé, la femme du petit commerçant, qui sont levées à six heures du matin, qui font leur ménage elles-mêmes, qui donnent au logis familial la parure de l’ordre et de la propreté, qui préparent le déjeuner du mari, habillent les enfants, les mènent à l’école, et demeurent ensuite, tout le jour, courbées sur des livres de comptes ou des machines à coudre. Actives, intelligentes, débrouillardes, de belle humeur et de grande honnêteté, elles foisonnent parmi nous. M. Becque ne les connaît pas.

C’est le crime de tous nos boulevardiers ils ne connaissent, dans le monde entier, que la région qui s’étend de la Madeleine à la rue Montmartre. Encore la connaissent-ils mal.

Nous protestons.


Petit Lecteur, que lis-tu ?

« Que lis-tu, petit lecteur, à la clarté si sagement tempérée de cette lampe de porcelaine ?

Est-ce un livre de contes ? Prends garde il y en a de dangereux, de frivoles, d’insensés.

Est-ce un livre de classe ? Oh ! je t’en prie, enfant, ne te surmène pas. Je t’ai déjà dit qu’on en mourait. Prends garde.

Est-ce un livre d’histoire ? Mais est-il approuvé par le Conseil municipal ? Prends garde.

Est-ce un livre de poésies ? Mais n’y aurait-on pas, d’aventure, laissé le mot « Dieu ? » Prends garde.

Enfin, que lis-tu ? que lis-tu ?

— Mais, dit l’enfant avec un sursaut, laissez-moi donc tranquille

Vous voyez bien que je ne lis pas. Je dors. »


Visages cachés, Visages découverts.

Cette jeune fille appartient à la race chrétienne elle nous regarde avec un regard candide et loyal. Laissez-moi dire que je préfère ce beau visage découvert au visage caché de toutes les femmes de l’Orient.

Les musulmanes, vous le savez, doivent mettre tous leurs soins à ne laisser voir leurs traits qu’à un seul homme au monde, à leur mari. Et de là ces étoffes, plus ou moins épaisses, dont elles prennent soin de couvrir toute leur figure, à l’exception de leurs yeux.

Il y a là, je l’avoue, une grande et belle pensée, et il est certain que la femme ne doit être belle que pour son mari. Honni soit qui mal y pense !

Mais la noble race chrétienne a trouvé le secret d’un voile qui est plus beau que le voile musulman ; d’un voile qui laisse à la créature humaine toute sa liberté et sa beauté native. Et ce voile, c’est la pudeur.

La femme chrétienne n’est pas une marchandise ; elle n’est pas une de ces misérables esclaves qu’on craint de montrer. C’est un être libre, qui est aussi grand que l’homme et qui doit vivre, comme l’homme, à visage et à cœur découverts.

C’est à elle de ne pas abuser de cette liberté ; c’est à nous de la défendre ; c’est à Dieu de la bénir.


Deux mots sur un récent Procès.

Nous n’aimons pas la Chronique judiciaire, et ne consentirions jamais à faire passer sous les yeux de nos lecteurs ces scandales dont le seul récit est fait pour abaisser, pour dégrader les âmes.

Il ne faudrait pas croire que le spectacle du mal donne l’horreur du mal, ni que le sang versé ait jamais communiqué l’horreur du sang versé. Rien n’est plus faux que la légende de l’ilote ivre.

Ce qu’il y a de trop certain, c’est que les Recueils de procès plus ou moins célèbres sont une œuvre dangereuse, et ou les scélérats vont moins chercher des émotions que des modèles.

Il en est ainsi de tout mauvais livre, et c’est ce qu’on oublie trop tacitement de nos jours.

Oui, il y a nombre de publicistes intelligents et aimables, voire honnêtes, qui s’écrient et répètent tous les matins : « Les mauvais livres ne font pas de mal. »

Quelle erreur, et comme elle est démentie par les faits !

Dans la chambre de ce misérable qu’on vient d’arrêter les mains encore rouges de sang, dans ce taudis abject, sur cette table en désordre, qu’a-t-on trouve. Le dernier roman de M. X.

Cette pauvre jeune fille qui vient d’allumer un fourneau, de boucher hermétiquement toutes ses fenêtres, et de se donner horriblement la mort à vingt ans, quel livre lisait-elle avant de mourir, quoi livre tenait-elle en mourant dans ses pauvres doigts crispés ? Un autre roman celui de M. Y.

Et dans ce triste procès qui s’est déroulé l’autre mois à Constantine, que voyons-nous ? Une jeune femme qui, certain jour, supplie un jeune homme de la tuer, et qui est en effet tuée par lui. Notez que je ne discute pas, et que j’admets simplement la version de la défense. Mais enfin, cet étrange assassin, où avait-il contracté cette maladie noire, ce pessimisme romanesque, ses idées fausses qui le dévoraient ? Où ? Il l’a dit lui-même. Dans une méchante nouvelle d’Alfred de Vigny.

Tout mauvais livre inspire de mauvaises pensées, et toute mauvaise pensée produit de mauvaises actions.

C’est l’évidence, et je me tais.


Dans la rue.

C’est à Paris que le drame se passe, et la chose ne paraîtra pas étonnante à nos lecteurs, puisqu’il s’agit de charité, de désintéressement, d’héroïsme.

Un épouvantable incendie vient de consumer tout un îlot de maisons. Il y a eu des morts, il y a des orphelins.

Au milieu de la rue, tout en larmes, voici quatre enfants qui viennent de perdre leur père, leur mère, tout.

Qui va recueillir ces abandonnés ?

« Moi, dit une dame qui semble riche, j’adopte le premier des quatre qui viendra vers moi. » Et, en effet, la brave femme « enlève » un des petits, celui qui avait couru le plus fort.

Une autre en fait autant. C’est si contagieux, le Bien !

Malgré tout, il reste encore deux orphelins. dont une orpheline. Qui va recueillir ces abandonnés ?

Or, il y avait là, dans un coin, un couple grave et qui semblait se concerter. C’étaient un sculpteur et sa femme. Le sculpteur avait un talent très honoré, mais n’était pas riche et vivait de son art. Sa femme et lui avaient de grandes âmes. Les autres n’en avaient pris qu’un ils en prirent deux, les gourmands, et se mirent à les élever.

Il y a longtemps déjà que l’excellent artiste est mort, laissant de belles œuvres, mais ayant surtout accompli de ces bonnes œuvres qui vaudront mieux pour lui aux yeux du Juge.

Sa veuve, son admirable veuve a continué ce qu’ils avaient si bien commencé ensemble. Pauvre, elle a donné aux deux enfants ses humbles ressources, son temps, sa vie, son cœur.

Ô charité, ô beauté de l’âme humaine, ô bonté de la femme chrétienne !


Une Histoire de Chasse.

« Donc, j’avais ouvert la chasse, à Montigny, vous savez bien, là-bas, là-bas, où il y a de si jolies « remises ». Et des champs de citrouilles ! Et de charmants petits bois ! Enfin, tout.

Pour être heureux, je ne fus pas heureux. Mais, tout de même, je rapportais deux perdrix. Des rouges.

Et je me disais en moi-même : « Ma femme ne me grondera pas trop, ce soir, puisqu’enfin je ne suis pas… Bon, voilà que je ne me rappelle plus le mot, à présent. Un mot qui rime avec « citrouille ». Ah oui ! bredouille.

« Les ferons-nous rôtir ? les mettrons-nous aux choux ? C’est là que git tout le problème ». Et je me pris à réfléchir considérablement.

Comme je rentrais à la ville, j’aperçus, sur le seuil de sa petite maison, la femme de François. Pauvre homme ! Malade depuis six mois. Presque mourant.

« Comment va-t-il aujourd’hui ? — Hélas Monsieur, il a pense toute la journée à l’ouverture de la chasse.

« J’y étais l’an dernier, me disait-il, et je me rappelle encore les perdreaux que j’ai tués. Il me semble que, si j’en avais un, l’appétit me reviendrait un peu.

« Ait ! reprit la ménagère, je lui en achèterais bien pour le revigourer un brin. Mais c’est si cher ! »

Lecteur, lecteur, qu’auriez-vous fait à ma place ?

Ma foi, je rentrai à la maison avec une carnassière vide… et un cœur content.

Et ma femme ne me gronda point ; mais elle prit en cachette une bouteille de notre vieux bordeaux, et la porta chez François.

Voilà mon histoire de chasse. Elle en vaut bien une autre. »


Le Soir d’une Première Communion.

Nous sommes au bord de la mer, où tout prend je ne sais quel air grandiose. Cette jolie enfant, avec son charmant costume traditionnel, ajoute au paysage austère un charme incomparable. Victor Hugo, qui est par excellence le poète de l’antithèse, ne manquerait pas d’observer que cette fillette si calme forme avec la mer « toujours bouleversée » un contraste auguste et vivant.

Il semble cependant qu’aujourd’hui le grand Océan lui-même est calme. Tout respire la sérénité en cette petite scène si vraie. L’aïeule tient sa vieille main ridée entre les mains de l’enfant ; la mère sourit, et la communiante a dans son regard une merveilleuse douceur d’obéissance et de tendresse que les païens n’ont pas connue.

À Paris, hélas ! c’est quelquefois bien différent, et les soirs de première communion n’y ont pas toujours ce caractère de recueillement silencieux et de majesté tranquille.

J’ai vu de petites communiantes, encore tout en Dieu, que leurs parents conduisaient le soir (qui le croirait ?) au cabaret, au café-concert, au théâtre !

Ô chère petite communiante normande, si douce, si pure, si sereine, prie pour les petites Parisiennes ; prie pour Paris, lui-même, afin que Dieu, dans sa colère, ne l’écrase pas dans sa main redoutable avec ses théâtres et ses baladins.

Il y a encore tant de justes à Paris, et il s’y fait encore, malgré tout, tant de bonnes premières communions !

Mais c’est égal, petite Normande, ne t’endors pas ce soir sans avoir prié pour nous.


Au Port.

Le trois-mâts arrive de New York ; la mer a été mauvaise ; l’équipage est fatigué. Mais quelle joie, voici le port.

Pendant le trajet, le mousse a été malade, et l’on a cru un instant qu’on allait le perdre. Mais le chirurgien et Dieu l’ont sauvé. Voici le port.

Le capitaine s’est marié l’an dernier. Quelle douleur quand il a dû partir ! mais quelle joie tout à l’heure, quand il verra sa jeune femme lui tendre gentiment le baby qui vient de naître ! Voici le port.

Le vieux matelot avait laissé sa femme au lit, malade de misère, au milieu de ses sept enfants qui mouraient de faim. Mais, pendant son absence, deux anges d’en haut sont venus les visiter sous la forme d’une dame de charité et du vieux curé de la paroisse. Ils sont bien portants maintenant, et la femme, alerte et joyeuse se jette aux bras de son mari. Voici le port.

Et nous aussi, chrétiens, nous faisons une triste et longue traversée, pendant laquelle nous perdons souvent les êtres qui nous sont le plus chers. Mais, en vérité, il y a là-haut un havre divin, un port éternel. Nous y arrivons, nous allons y toucher.

Ô mon Dieu, voici, voici le Port !


Après la bataille.

Le Président du Conseil municipal de Paris (il s’appelle Hovelacque et a pour spécialité de ne pas aimer Charlemagne) a eu l’occasion de prononcer un grand discours sur la tombe des Gardiens de la paix qui sont morts victimes de leur dévouement professionnel, morts en héros, morts en chrétiens.

Il y avait là matière, n’est-il pas vrai ? à une admirable harangue, et je me persuade, ami lecteur, que devant un pareil sujet, nous aurions été heureusement inspirés, vous et moi. Vous surtout.

M. Hovelacque ne l’a pas compris de la sorte, et il a profité de cette circonstance auguste pour professer une vilaine et cynique leçon de matérialisme. Il a déclaré qu’au delà de la mort il n’y a rien. « Nos molécules se désagrègent ; voilà tout. » En fait d’immortalité, ce conseiller municipal n’en admet pas d’autre que la gloire. Ô misère !

Ce discours d’Hovelacque me revient en la mémoire devant ce tableau du dernier Salon qui représente un pauvre soldat mourant sur le champ de bataille et contemplant, d’un regard attendri, d’an dernier regard, le crucifix montré par un prêtre. La scène se passe dans la dernière guerre, sous les murs de Metz, à Saint-Privat.

Pauvre petit soldat, il sent tout fléchir et tourner autour de lui ; la nuit s’abat sur ses yeux ; il a le frisson ; il s’affaisse, il va mourir, il meurt.

Eh bien au lieu de ce prêtre qui lui dit : « Dieu t’attend là-haut. Dieu te tend les bras ; tu vas revivre près de lui et tu ne mourras plus ; »

Supposez un Hovelacque disant tranquillement à ce pauvre mourant : « Tes molécules se désagrègent. »

Supposez, et comparez.


Le Réveil d’un Roi.

Le jeune roi vient de s’éveiller, un peu fatigué de ses soucis et de ses plaisirs d’hier. Le dernier de ses paysans a mieux dormi que lui.

Les rois ont cette mauvaise chance de ne pouvoir se réveiller seuls, et les courtisans encombrent leur alcôve dès qu’ils ouvrent les yeux. Oh ! la sotte et dangereuse engeance !

Vous connaissez ce vieux proverbe normand : « Il y a de braves gens partout. » J’ai cru longtemps qu’on ne pouvait t’appliquer aux courtisans, mais vous allez voir combien je me trompais.

Le vieillard qui baise en ce moment la main de son souverain avec un respect si profond, ce serviteur dévoué donne un démenti à mon pessimisme.

Il a vu naître le Roi, il l’a fait sauter sur ses genoux, il lui a appris ses prières. Pour tout dire en un mot, qui est superbe en sa simplicité, il l’a élevé.

Un jour il lui a fait cette promesse solennelle de ne lui dire jamais que la vérité. Chose étonnante, il a tenu parole.

Ce matin le Roi est de méchante humeur ; il est mécontent de lui et, par conséquent, des autres :

« Que compte faire Sa Majesté ? demande le vieux duc.

— Ce matin je chasse à courre et ne serai de retour qu’à la nuit.

— Eh ! Sire, y pensez-vous ? Et votre Conseil des ministres ? Et le roi voisin qui est sur votre frontière ? Et votre armée. qui a besoin de vous ? Il faut rester, Sire. Votre peuple avant tout.

— Soit. J’irai voir le château que je me fais construire et qui m’a déjà coûté si cher. Mon architecte est venu hier, et me demande quelques millions de plus.

— Vous allez, Sire, imaginer encore quelque impôt nouveau pour couvrir tant de folles dépenses. Songez qu’il y a dans votre seule capitale plus de dix mille misérables qui meurent de faim. Allons, allons, congédiez votre architecte et défendez-vous de tout ce méchant luxe. Votre peuple avant fout.

— Soit. Mais, au moins, ce soir, vous me permettrez bien d’assister, dans ma salle de spectacle, à cet Opéra nouveau dont je veux être le seul auditeur. Je n’aime pas les plaisirs partagés, et mes chanteurs ne se feront entendre que pour moi.

— Sire, c’est mal. L’Art est fait pour tous, et non pas pour vous seul. Cette Salle de spectacle me désole : elle vous ruine et vous gâte. Je n’aime pas d’aussi égoïstes et d’aussi frivoles plaisirs. Si Sa Majesté le voulait, j’aurais à lui offrir quelque chose de plus sérieux. Le grand poète que vous avez reçu l’autre jour vient d’achever l’œuvre qu’il vous dédie. Il sollicite l’honneur de vous la lire.

— Mais que ferai-je de mes chanteurs ?

— Convoquez-les demain à chanter dans votre chapelle ; puis, envoyez-les chez votre voisin. Un dernier mot, mon enfant et mon roi. Vous allez vous lever. N’oubliez pas votre prière. »


La Becquée.

« À toi, Jeanne, à toi : Pierre et Louis auront leur tour. L’écuelle est grande, et il y en a pour tout le monde. »

Et Jeanne approche son petit bec tout grand ouvert, où la mère enfourne la soupe, la bonne soupe appétissante dont je sens d’ici le fumet.

C’est ainsi que, dans le chaud duvet de leur nid, les petits oiseaux, encore sans plumes et laids à faire peur, ouvrent des becs énormes. Et leur mère y jette la nourriture qu’elle vient de conquérir aux prix de rudes labeurs, peut-être même au péril de sa vie.

Étonnés et ravis par ce dernier spectacle, certains philosophes ont été jusqu’à faire de la bête notre égale ; ils ont été jusqu’à s’écrier : « La femelle de l’oiseau vaut la mère de l’homme. »

C’est tout simplement une sottise une impiété, et j’imagine, pour les excuser, que ces philosophes n’ont jamais connu leur mère.

À coup sûr ils ne connaissaient pas le cœur humain.

La « becquée » n’est qu’un épisode dans la vie de nos mères.

Certes, pour la gagner cette becquée nécessaire, il faut parfois qu’elles travaillent quinze heures par jour, qu’elles se a privent de sommeil et que, suivant le superbe mot populaire, elles « s’ôtent le pain de la bouche » pour le donner à leurs enfants.

Mais ce n’est encore rien, et, dans notre humanité, dans cette race d’élite, la mère a d’antres devoirs dont les animaux ne sauraient même pas soupçonner l’existence.

Nos mères ont à faire l’éducation de notre âme elles ont à la disputer aux vices, aux passions, au mal. Et cela tous les jours, toutes les heures, pendant dix ans, pendant vingt ans, toujours.

Quand le petit oiseau a des plumes, il s’enfuit du nid pour n’y plus revenir. Il oublie sa mère, et sa mère l’oublie. Ils sont quittes l’un envers l’autre. C’est fini.

Mais nos mères, elles, restent mères jusqu’à leur dernier souffle. L’œil constamment fixé sur le visage et sur l’âme de leurs enfants, elles se demandent sans cesse, avec une constante et admirable angoisse : « Comment vont-ils ? Sont-ils bons ? Aiment-ils Dieu ? »

Elles vivent de cet amour ; elles en meurent ; mais elles continuent là-haut cette magistrature de leur tendresse, jusqu’au jour où elles jettent enfin dans les bras de Dieu ces chers enfants, nourris, aimés, sauvés par elles.

Ah ! ne comparez plus la bête et l’homme, ni le nid avec la maison.

Pensez à vos mères, et ne blasphémez plus.


Les nouveaux Chevaliers.

C’est une singulière erreur, et fort répandue, que de s’imaginer que la Chevalerie soit morte et qu’il n’y ait plus aujourd’hui de chevaliers.

Dans les petits Manuels d’histoire qui sont destinés à former l’esprit et le cœur des générations nouvelles, on ne craint pas en effet d’affirmer que la Chevalerie, née vers le neuvième siècle, est morte au seizième. Un peu plus, on fixerait l’année de son décès, et l’on rédigerait des lettres de faire part datées du jour exact où cette pauvre Chevalerie a succombé sous les coups de l’auteur de Don Quichotte.

Ce De profundis est anticipé, et, vive Dieu, la Chevalerie vit encore. J’imagine même qu’elle vivra toujours, et que, quand sonnera le suprême clairon, il y aura encore quelques chevaliers qui diront : « Présent ».

C’est qu’en effet la Chevalerie, qu’il faut se garder de confondre avec la Féodalité, est un idéal plutôt qu’une institution. Le Chevalier, qu’on le sache bien, n’est autre chose que le Soldat chrétien.

Le cardinal Lavigerie, cœur chaud et esprit qui voit loin, l’a très intelligemment compris, et ces jeunes gens qu’il envoie là-bas, tout là-bas, ces missionnaires en armes qu’il destine à combattre le monstre-esclavage, à affranchir les corps et à sauver les âmes de tant de créatures de Dieu ; ces soldats qui sont certainement appelés à être des martyrs et dont le Martyrologe est déjà ouvert,

Ce sont, n’en doutez pas, ce sont des chevaliers.

Et maintenant, Éminence, laissez dire. Laissez les objections s’accumuler contre votre œuvre sublime ; laissez grouiller et croasser tous les bas ennemis d’une aussi haute entreprise.

Vous êtes de ceux qui font honneur à la race humaine ; vous êtes de ceux dont elle gardera le souvenir.

Et sur votre tombe, un jour (qui n’est point proche), on écrira peut-être ces deux vers que vous me permettrez, n’est-ce pas, d’improviser en votre honneur :

Ci-gît un grand évêque et digne d’un autre âge :
Il fit des chevaliers et vainquit l’esclavage.

Le Curé de Fourmies.

Il y a une magnifique parole de Jeanne. d’Arc et qui s’applique trop bien aux tristes événements dont Fourmies a été le théâtre : « Je ne puis voir couler le sang de France, sans que tous mes cheveux ne se dressent sur ma tête. »

Quel que soit le drapeau sous lequel on se range, on ne peut aujourd’hui que répéter en pleurant le mot de la grande Française du xve siècle. Ô sang, ô beau sang de France !

Puis, c’est tout. Pas de politique, n’est-ce pas ; pas d’accusations téméraires ; pas de récriminations passionnées. Mais l’oubli, mais la réconciliation, mais la paix. Et puisse surtout ne plus couler le noble, le très noble sang de France !

Il n’y a vraiment qu’une grande chose en ce monde, et c’est la Charité. On l’a bien vu à Fourmies.

Un seul homme a grandi là-bas c’est le Curé, et, s’il agrandi, c’est qu’il a aimé.

Une acclamation universelle s’est élevée à l’honneur de ce prêtre qui a fait son devoir de prêtre, qui a empêche le sang de France d’être plus abondamment versé, et qui aurait volontiers offert sa vie pour sauver celle de ses enfants, de ses frères.

Oui, l’acclamation a été, on peut le dire, œcuménique, et l’on a pu se cou vaincre par là du pouvoir de la Charité. Des impies, des ennemis intimes de Dieu et de son Église, des forcenés et qui, disait-on on, auraient « mangé du prêtre », tous ces farouches ont applaudi au curé de Fourmies. Les modérés même ont été émus, et, tout le monde sait qu’il n’y a rien de plus malaisé à émouvoir qu’un modéré.

Louer le curé de Fourmies, c’est bien ; l’imiter, ce serait mieux ;

Et nous pouvons tous l’imiter, en faisant autour de nous l’union dans la Paix et dans la Charité, et en nous souvenant sans cesse de la belle maxime de saint Augustin : « Déclarer une guerre mortelle à l’erreur, mais aimer les hommes, et aimer ceux-là mêmes, ceux-là surtout qui se trompent : Interficere errores, diligere homines. »


Un Village.

Oh ! qu’il serait beau d’étudier philosophiquement un village, et de faire, à l’instar de Xavier de Maistre, un Voyage autour d’un village !

Enfoui dans la verdure, le voici, coquet et frais.

Au milieu, voici l’idée de Dieu, représentée par ce charmant clocher qui domine tout le pays.

Tout à côté, voici l’idée du Pouvoir, représentée par la petite mairie en briques rouges.

Puis, voici la Lumière, la bonne et saine Lumière, qui descend sur les intelligences de bonne volonté, et qui est figurée, dans notre hameau, par ces deux écoles, bien vastes, bien aérées, bien lumineuses, où j’aperçois, à bonheur ! la robe noire du Frère et la chère cornette de la Sœur de Saint-Vincent.

Ce joli chalet, sur le premier plan, est l’emblème exact de la Richesse. Dans le jardin jouent six charmants enfants, qui nous symbolisent cette chose auguste, la Famille.

Mais qu’aperçois-je ? Une masure, une ignoble masure où grelottent de pauvres créatures, sans pain, sans feu, sans espérance, et bientôt sans vie. Ah ! c’est la Pauvreté, qu’aimait tant saint François d’Assise, mais qui nous effraie et nous scandalise, pauvres petits chrétiens que nous sommes.

Silence, silence ! la porte de la masure vient de s’entr’ouvrir et, sur le seuil, apparait une belle jeune fille. Dix-huit ans, Monde et rose un rayon. Elle arrive du château voisin que vous voyez là-bas, tout là-bas, sur la colline, et apporte à ces pauvres gens le pain, le feu, l’espérance, la vie. Elle leur apporte surtout son sourire qui les éclaire, les console et les ranime.

Voilà notre village « au complet ».

La Charité a passé par là.


« Parisienne. »

Au Jardin d’acclimatation, c’était fête l’autre jour.

Dans une de ces cabanes pittoresques où l’on exhibe aujourd’hui des créatures humaines, une Laponne venait de donner le jour à une Laponne.

Oui, une petite fille venait de jeter son premier cri dans ce milieu étrange, non loin des deux éléphants, du phoque et des. six girafes.

Par un heureux hasard, Paris, ce jour-là, ressemblait à la Laponie. Il y avait plusieurs pouces de neige par terre, et de la neige plein les nuages gris. La petite a pu se croire chez elle.

À peine née, on l’a baptisée, et ces braves Lapons qui ne sont point sots, ont imposé à l’enfant un nom qui n’est pas très commun en Laponie et ne figure guère au calendrier. Elle s’appellera « Parisienne, »

Eh bien va pour « Parisienne. »

Seulement, je te souhaite, chère petite, de n’avoir que les vertus de tes patronnes.

Ne va pas, quand tu auras vingt ans, inaugurer en Laponie les modes nouvelles et changer tous les trois mois la forme de tes fourrures ; ne t’avise pas de fonder là-bas des cafés-concerts ou des théâtres plus ou moins incombustibles ; ne fais point percer, par un Haussmann boulevards en neige coagulée avec de grands Bazars où l’on dépense tout son argent, et une Bourse où l’on vole l’argent des autres.

Non, mais imite les vraies Parisiennes qui sont honnêtes, laborieuses, charmantes.

En attendant, dors ton petit sommeil, « Parisienne », et sois heureuse.

Tu nous quitteras bientôt ; mais enfin tu te souviendras de ton pays natal, où tu auras goûté un de ces rares bonheurs que t’enviera toute la Laponnerie :

Tu auras vu la Tour Eiffel !


Une Lettre à Jeanne d’Arc.

On connaît cette admirable « Lettre au bon Dieu » qui est un des chefs-d’œuvre de la littérature contemporaine, et nos lecteurs savent aussi par cœur cette page exquise de Paul Féval, la « Lettre à la Vierge a dont nous leur avons déjà parlé. La lettre qui suit est partie du même bureau de poste, et nous estimons qu’elle est également arrivée à son adresse.

  Chère Sainte,

« Vous me permettrez de vous appeler de ce nom, n’est-il pas vrai, bien que l’Église ne nous autorise encore qu’à le très discrètement. Mais, là-haut, dans cette belle et claire lumière où vous êtes, vous voyez l’avenir mieux que nous, et je suis assurée que vous savez le jour de votre future, que dis-je, de votre prochaine canonisation.

J’ai bientôt seize ans ; je m’appelle Jeanne, comme vous, et, comme vous, j’aime beaucoup le bon Dieu et la France. Mais je me vante peut-être, et je devrais dire plus simplement que j’essaie de les aimer. Aidez-moi.

Il m’arrive quelquefois d’écouter dans l’air si je n’y entends pas quelque voix, mais, hélas ! il faut bien que je le confesse, je n’en ai entendu aucune. C’est, sans doute, que je n’en suis pas digne.

Et cependant, il y a en moi je ne sais quoi qui parle, je ne sais quoi qui chante : « Jeanne, fais ton devoir ; Jeanne, aime la France ; Jeanne, sois vaillante et forte. »

Je crois bien que cette voix-là, c’est ma conscience ; ou bien, chère Sainte, que c’est vous.

J’ai compris.

Pauvre petite fillette que je suis, je ne demande pas de miracle en moi, ni pour moi. Je ne suis ni une voyante, ni une héroïne comme vous.

Seulement, je voudrais bien avoir un cœur qui fût digne du vôtre. Je voudrais être an peu, non pas l’âme de la patrie, mais celle de ma famille. Voyez l’orgueil.

Je voudrais faire passer mon cœur dans ceux de mes frères qui sont encore trop petits pour me comprendre.

Je voudrais prier, souffrir, agir ; soigner les blessés, ensevelir les morts, consoler les tristes.

Et surtout ne jamais, jamais, jamais désespérer de la Patrie.

Chère sainte, ma sainte, priez pour moi ! »

Jeanne.

P.-S. — Pour que cette lettre vous parvienne, j’ai mis sur l’adresse : « À Jeanne la grande Française. » Et plus bas : « Au ciel. Faire suivre. »


Seul.

Vous vous rappelez sans doute le magnifique tableau de Detaille, qui a été légitimement considéré comme la plus belle œuvre du Salon de 1890 ; vous vous rappelez ce superbe officier de l’artillerie de la Garde, monté sur un grand cheval noir, et criant à ses canonniers : « En batterie ! »

Je le vois encore, ce groupe qui fut alors si regardé. On ne savait vraiment, au premier coup d’œil, ce qu’il fallait admirer le plus vivement : l’homme ou la bête. Il était si beau, ce cheval aux narines fumantes, aux petits frissons qui ondulaient sur ses muscles puissants, aux cabrements si vigoureux, à l’emportement si enflammé. C’était vraiment le cheval du livre de Job, celui qui dit : « Allons ! »

Mais, à la réflexion, l’homme était l’objet d’une admiration de meilleur aloi. La bête, ici comme ailleurs, n’est en effet guidée que par un instinct, et l’homme. est mû par un principe. Ce beau cavalier remplit un devoir. Son pays est menacé : il le défend. Il a fait des serments il les tient. Parmi ses soldats, il en est un là-bas qui tient je ne sais quel morceau d’étoffe au bout d’un bâton : mais cette « loque », c’est le résumé vivant de la patrie aimée : il salue le Drapeau et s’apprête à mourir. « En batterie, en avant ! »

Voici maintenant un autre tableau, et qui forme avec celui de Detaille le contraste le plus frappant… et le plus douloureux.

L’artilleur de Detaille, c’est l’enthousiasme avant le combat ; le second tableau, que nous allons faire passer sous vos yeux, c’est l’héroïsme après la bataille. Et l’héroïsme est plus beau, l’héroïsme est plus grand que l’enthousiasme.

Donc, le voilà seul, tout seul, le capitaine qui criait ce matin : « En avant » à pleine bouche. Tous les hommes de sa batterie sont morts ; son beau cheval noir est mort et est tombé au fond du ravin, là-bas. Seul, il est seul.

Mais il ne désespère pas, et fait face, seul, à l’ennemi.

C’est là, c’est surtout là, c’est dans la défaite et la douleur, c’est dans ces suprêmes épreuves que l’homme est mille et mille fois au-dessus de la bête, avec laquelle certaine école n’a pas craint de le comparer. Honte à cette école !

Ce soldat, qui reste seul et sait mourir, est pour nous d’un grand exemple.

Apprenons de lui à ne jamais désespérer et, si grande que se fasse la solitude autour de nous, affermissons notre courage et relevons la tête.

C’est ce que j’ai eu parfois l’occasion de dire à nos catholiques de France, qui se découragent à l’excès et qui, pourtant, ne sont pas « seuls ».

Nous avons tout, même le nombre.

Debout donc, mes frères, et luttons ;

Et ne méritons pas qu’on nous jette à la tête le mot terrible de Montalembert : Les catholiques de notre époque ont en France une fonction qui leur est propre : le sommeil. »


La Résurrection.

Il est minuit. Un bruit terrible se fait entendre, et une immense lumière éclate. Cette lumière sort d’une grotte qui est un tombeau, et de ce tombeau s’élance un homme qui brille lui-même comme cent soleils. Il est beau autant que lumineux ; il est le type splendide du genre humain. À travers les soldats endormis il marche, il vole, il triomphe. Jamais la vie ne s’est manifestée avec autant d’éclat ni sur notre terre, ni dans les autres mondes. Que ce triomphateur, que ce Jésus, que ce Dieu aille d’abord au-devant de sa mère, c’est ce qui n’étonnera personne ; mais qu’il ait réservé sa deuxième visite à cette Madeleine qui personnifie si bien l’humanité pécheresse et repentante, c’est ce que nous admirons encore plus vivement. La mort est vaincue, l’hiver de Testament a pris fin, et voici, voici venir le printemps éternel. C’est un Dieu qui ressuscite.

Nous sommes dans une vieille église « au cintre surbaissé ». C’est la fin du jour. Odeur d’encens ; derniers murmures de l’orgue petite lampe de sanctuaire qui paille seule au-dessus de l’autel. Derrière un pilier se cache un être humain. Jeune encore, l’homme est pâle et se soutient à peine. Il jette souvent un regard vers le ciel ; il se parle à lui-même ; il converse avec Dieu. « J’ai péché, j’ai péché. Morte est ma vertu, morte mon âme. Ce qui était pur en moi, je l’ai corrompu ; ce qui était haut, je l’ai abaissé ; ce qui était grand, je l’ai amoindri. Le vice me ronge, le vice me tue. Que ferai-je ? » Et il pleure. Mais soudain il se jette à genoux, frappe sa poitrine, et s’écrie : « Ibo ad patrem. Je retournerai à mon père. » C’en est fait le feu remonte à ses yeux, et la force bouillonne en son cœur. Demain, demain, il s’approchera de cet redeviendra un avec Dieu. C’est un Dieu qui ressuscite.

C’est en 18.., dans notre France. Tout est par terre. Il n’y a même plus de partis. On n’est même plus fanatique et l’on s’amuse de tout. Un scepticisme universel, avec cet étrange sourire qui veut dire Tout est fini, et rien ne recommence. » On ne se fait plus casser la tête pour quoi que ce soit. « Si nous pouvions seulement, dit-on de toutes parts, si nous pouvions avoir un bon « petit bien-être ! » Le reste, hélas ! ne compte pas. On n’admire plus rien, et l’on ne déteste plus rien. « Bah ! nous avons encore de bons comédiens, et l’Europe nous envie nos coiffeurs. » Et l’on essaie de rire, mais on ne peut pas. Rien, rien, rien… Tout à coup, un Saint a paru. Il se lève au milieu de ce peuple qui gît dans l’ombre de la mort ; il va vers lui et lui dit « Debout. » Il raconte à ces désespérés une belle histoire qui est tirée d’un livre appelé « Évangile » ; il leur fait le récit des miracles de Jésus, et les renouvelle devant eux. À mesure qu’il leur lit le Sermon sur la montagne, ils se redressent, écoutent, sont ravis, exultent : « Voilà, voilà la Vérité. » Bref, ils « comprennent », et, sans plus attendre, déclarent la guerre aux sept Vices capitaux, et se mettent à pratiquer les sept Œuvres de Miséricorde qu’ils transportent soudain dans le domaine économique et social. Le sens du sacrifice leur est rendu, et ils en viennent à détester leur petit bien-être pour se dévouer passionnément à tous ceux qui n’ont même pas le nécessaire. Ils montent aux mansardes, et fondent parmi nous vingt œuvres admirables pour donner du travail à tous les inactifs. Ils demandent aux prêtres de leur écrire une « Théologie sociale » et veulent sur-le-champ la mettre en action. Ils aiment le rai, le Beau et le Bien. Ils s’élancent vers le ciel promis, ils espèrent, ils croient. C’est un peuple qui ressuscite.