Cuirs de Cordoue (Albert Giraud)

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Parnasse de la Jeune BelgiqueLéon Vanier, éditeur (p. 116).


Cuirs de Cordoue


Ô cuirs couleur de feu, d’automne et de victoire !
Qui flambez dans la nuit d’un antique oratoire
Où la lourde splendeur des jours passés s’endort,
Mystérieux et roux comme de grands lacs d’or,
Ô cuirs couleur de soir, de faste et d’épopée !
Vous rêvez longuement de ces traîneurs d’épée
Qui, sur la braise en fleur de vos coussins gauffrés,
Inclinaient autrefois leurs masques balafrés,
Autour desquels nageait une odeur d’aventures.
Ô cuirs qui flamboyez dans la paix des tentures !
Pareils à des couchants tragiques et houleux,
Vous avez vu surgir des hommes fabuleux,
Que les yeux de leur temps s’hallucinaient à suivre,
Et qui, sur une mer d’incendie et de cuivre,
Ô cuirs couleur d’orgueil, de guerre et d’horizon !
S’embarquèrent un soir de la chaude saison ;
Et c’est pourquoi, puissants, fauves et chimériques,
Vous conservez encor des reflets d’Amériques,
Et vous songez dans l’ombre, éblouis et vermeils,
Ô cuirs en qui survit l’âme des vieux soleils !